Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire, le loup a toujours fasciné les hommes. On le retrouve dans les traditions orales des chamans indiens ou sibériens, les anciens textes hébraïques, les légendes scandinaves ou asiatiques, les mythologies grecques ou romaines, le Nouveau Testament etc...Pourtant son image change, se modifie et se transforme selon les peuples et leurs croyances, les époques, les aléas de l'histoire des religions et de leurs dogmes. Il est montré tantôt fort ou faible, positif ou négatif, souverain ou démoniaque. Ces dualités sont, au cours des siècles, une constante dans les récits mythiques ou légendaires.
Une histoire de loup
Il y a près de deux millions d'années que l'ancêtre du loup hurlait déjà dans les espaces d'un monde précédant l'immense continent nord-américain, recouvert de forêts à perte de vue, de steppes, de glaciers gigantesques, de landes, de déserts, de montagne sauvages et de vallées inhabitées où règne une loi biologique antédiluvienne : celle de la chaîne alimentaire. La famille des canidés va se développer, se diversifier et conquérir la planète.
Un jour, l'homme va s'emparer du loup et de son image, la gravant grossièrement sur les parois d'une caverne ou sur des os. Hommes et loups sont rentrés en contact, se sont touchés et jaugés. L'homo-sapiens va peu à peu tisser des liens très étroits avec cet animal intelligent et le dresser, faisant de lui, entre vingt et quinze mille ans avant notre ère, un précieux allié pour la chasse. Capturés très jeunes, les louveteaux furent apprivoisés et devinrent probablement les ascendants de toutes les espèces de chiens qui existent de nos jours.
Chez les Amérindiens, il est symbole de force et d'invincibilité. Pour les Cheyennes, l'identification à son habileté à la chasse fait référence. Les Inuits vénèrent sa force et sa puissance et, de même que les indiens, reconnaissent et admirent son vrai rôle dans la nature. Pour de nombreuses civilisations de l'Amérique du nord, il est un symbole de force et de pouvoir suprême : ''le grand organisateur et le guide'', l'être intermédiaire entre deux mondes, le réel et l'imaginaire, le haut et le bas, la matière et l'esprit. Jamais il n'est montré comme un concurrent chez ces peuples chasseurs.
Un animal mythologique
En Haute-Egypte, dans la grande cité d'Assiout, le loup Oupouaout (le guide des chemins) est une divinité. Les loups sont embaumés à Lycopolis et leurs momies côtoient celles des hommes. Dans les cas de légendes celtes, scandinaves, mongoles, turques ou romaines, il est souvent représenté comme un animal bienfaisant, protecteur des peuples.
Déposés sur les rives du Tibre afin d'y être noyés sur ordre du Roi Amulius, deux jumeaux Romulus et Rémus, fils de la vestale Rhéa Silvia et du Dieu Mars, furent recueillis et allaités par une louve. Devenus adultes ils décidèrent de fonder une ville sur le lieu où ils furent abandonnés. Demeuré seul survivant, Romulus donna son nom à la ville de Rome. Une statue fut érigée en mémoire de cet événement, représentant deux enfants allaités par une louve : la célèbre Louve du Capitole.
Les cas d'enfants-loups
Plusieurs cas d'enfants élevés par des louves se produisirent notamment en Inde. Le plus célèbre se situe à Midnapore en 1920 où deux fillettes furent découvertes dans la tanière d'une louve. L'une d'elles décéda peu après, l'autre survécu quelques années après sans avoir pu acquérir le langage humain. Toujours en Inde, un enfant de huit ans environ fut découvert en 1976 jouant avec des louveteaux. Hirsute, sale, et bien sûr sauvage (mais en bonne santé) il fut confié aux missionnaires de la Charité du nord de New Dehli jusqu'à sa mort en 1985.
Dans ces tragiques histoires d'abandons d'enfants, le plus surprenant est la capacité des louves à élever des petits d'une autre espèce ce qui prouve leur puissant instinct maternel.
La mauvaise réputation du loup
En Occident, c'est au Moyen-Age que l'image du loup va se modifier. Guerres, famines épidémies vont se succéder durant ces siècles troublés. Les loups au même titre que les renards, vautours, chacals, aigles, vont se nourrir des cadavres laissés sur les champs de bataille et, au cours d'hivers très rigoureux se rapprocher des villes et villages d'où la crainte et la colère des populations.
L'image du loup se transforme : il est devient un animal terrifiant, dévoreur d'êtres humains que l'église s'empresse de dénoncer comme le symbole du péché (au même titre que la femme) . Il est rapidement associé au mal, à la sorcellerie et aux loups-garous. Desservi par une si mauvaise réputation, devenu dangereux et démoniaque, le loup est traqué et chassé impitoyablement au cours des siècles, imprimant dans la mémoire collective une peur phobique nourrie par les croyances populaires et les contes de fées dont le célèbre Petit Chaperon rouge est l'exemple le plus flagrant.
Pour impressionner les garnements, les parents utiliseront la menace du ''grand méchant loup'' qui viendra les dévorer s'ils ne sont pas sages. Cette image négative persistera très longtemps.
Loups-garous, Lycanthropie et bête du Gévaudan
Le mythe du loup-garou est fort ancien et commun à tous les peuples. Déjà au Ve siècle avant notre ère, Hérodote relate l'histoire des Grecs établis au bord de la mer noire qui voyaient les habitants de ces contrées comme des magiciens capables de se transformer en loups. C'est au XVe siècle que cette légende devient une superstition religieuse (il est fait état d'onguents et de philtres magiques, de pactes avec le diable).
Les histoires de loups-garous font toutes référence à la même croyance : celui qui ne fait pas « ses Pâques » pendant sept ans de suite se voit métamorphosé en loup féroce assoiffé de sang, aux yeux rouges flamboyants qu'il vaut mieux ne pas croiser sur sa route, surtout les nuits de pleine lune.
Un nom scientifique est donné au phénomène hallucinatoire au cours duquel un homme est persuadé d'être un loup : la lycanthropie. Cette affection, qui peut aller jusqu'à développer une pilosité excessive du visage, du torse et des mains, explique des cas d'aveux au cours de certains procès.L'un des plus célèbres se situe en Franche-Comté en 1574 où le sieur Gilles Garnier est accusé d'avoir tué et dévoré plusieurs personnes et enfants, après s'être transformé en loup. Il avoue s'être enduit d'onguent magique avant d'attaquer ses victimes. Nombreuses furent les affaires de ce genre. Assimilés aux sorcières, les loups-garous étaient condamnés au bûcher.
Entre 1764 et 1767 dans l'actuelle Lozère, sévit un monstre velu et griffu qui se serait rendu coupable d'attaques répétées à l'encontre de troupeaux et bergers, de femmes et d'enfants. Semant la terreur dans la région, l'affaire de la bête du Gévaudan (décrite tour à tour comme un énorme loup féroce, un animal exotique, voire un loup-garou) dépassa largement le stade du fait divers. La presse de l'époque (la gazette de France, le courrier d'Avignon, puis les gazettes internationales) saisirent cette opportunité pour en faire un énorme scandale, publiant des centaines d'articles.
Alerté, Louis XV fit organiser des battues monumentales menées par ses meilleurs Louvetiers. A l'issue de ces actions, plusieurs gros loups furent tués (l'un d'eux par Jean Chastel, fut officiellement déclaré comme étant la bête du Gévaudan). Cette étrange histoire, qui en trois ans fit de nombreuses victimes, ne fut jamais complètement élucidée.
Rage et cohabitation avec les bergers
Véritable fléau apparu au XIX siècle, la rage, qui touche également les chiens, les renards et autres bêtes sauvages donne lieu à de grandes exterminations de loups. Une loi votée en 1892 instaure une prime pour chaque bête tuée. Mille trois cents loups disparaissent du territoire de France en 1930.
Revenu en 1992 à partir des populations de loups sauvages d'Italie, le loup s'est réinstallé naturellement en France, notamment dans le parc national du Mercantour, déclenchant de nombreuses polémiques entre leurs défenseurs, amis de la nature, et les bergers inquiets pour leurs troupeaux. Il apparaît en plus faibles proportions et de façon non permanente dans les Pyrénées-Orientales, les Vosges, le Jura, le haut -Rhin la Drôme et le Massif central.
Dès le retour naturel du loup en France, d'importantes mesures de protection des troupeaux ont été mises en place dans les Alpes-Maritimes : remboursements des animaux tués, primes de stress, chiens de protection, aides aux bergers, clôtures de rassemblements des troupeaux, expositions films et vidéos publiés pour l'information et la prévention. De nombreuses associations sont crées en concertation avec les bergers et éleveurs.
Réhabiliter le loup, espèce protégée
Le statut et l'image du loup sont encore bien fragiles dans les mentalités. Il faudra du temps pour que ces prédateurs cessent d'être victimes de persécutions, et soient acceptés par les hommes à l'instar des sociétés dites « primitives » qui respectaient le loup et en avaient fait un mythe vivant.
En ce début du troisième millénaire, beaucoup souhaitent contribuer à redonner au loup ses titres de noblesse pour en faire le symbole d'une nature harmonieuse où chacun puisse trouver sa place. Le mieux ne serait-il pas de laisser le loup (ce bel animal qui au fond nous ressemble par tant d'aspects !) vivre en paix près des hommes en bonne entente, comme n'importe quelle autre espèce et d'en faire un simple maillon de notre patrimoine commun, la terre ?
« Regardons les loups ! Contemplons-les ! Haïs parfois, traqués hélas, ils continuent, dans l'absolue liberté de leurs courses et de leurs amours, à nous apprendre ce sens de la vie qui se dérobe à nous, qui nous échappe, qui nous effraie et nous attire. Lorsqu'ils hurlent sous la lune, nous le savons : le paradis est ici : là ou ils sont ! » Hélène Grimaud.
Expressions populaires liées au loup
- Un froid de loup : froid rigoureux
- Un vieux loup de mer : marin ayant beaucoup navigué
- Se jeter dans la gueule du loup : s'exposer volontairement à un danger
- Hurler avec les loups : critiquer et calomnier avec les autres
- A trop crier au loup : l'on est plus crédible lorsqu'il vient
- Faire entrer le loup dans la bergerie : introduire dans un groupe une personne susceptible de nuire
- Louvoyer : biaiser, tergiverser, temporiser
- Mon gros loup, mon pt'tit loup : terme affectueux
- Connu comme le loup blanc : se dit d'une personne connue de tout le monde.
Pour aller plus loin
- L'Homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, de Jean-Marc Moriceau. Fayard, 2011.
- Des loups et des hommes : Histoire et traditions populaires, de Daniel Bernard. De Borée, 2011.