Pendant mille ans, la médecine du Moyen Âge s'est peu à peu enrichie de connaissances et de découvertes, avec des phases contrastées d'essor et de stagnation. Innombrables et extrêmement variées, certaines préparations médicinales tentantes par leur douceur et leur efficacité sont encore utilisées de nos jours. D'autres remèdes sont pleins de paradoxes car science, religion, magie et cruauté se conjuguent pour ceux qui souffrent, causant parfois l'aggravation de leurs maux. Les hôpitaux apparaissent au Moyen Âge, à l’intérieur même des monastères. En fait, les monastères sont les lieux principaux où existe une activité de soins aux malades, qui côtoie une tradition de collecte, d’organisation et de copie de textes anciens, ainsi qu’une pratique de culture des plantes médicinales.
Des apothicaires-épiciers aux pharmaciens
La séparation entre médecins et préparateurs de remèdes se fait peu à peu, selon les périodes et les endroits. Les ordres monastiques ayant pour mission de soigner les malades et cultivant les plantes médicinales consultent les Réceptaires (recueils de remèdes) et cumulent les fonctions de médecins et d''apoticarius'. Les rares médecins laïcs préparent eux-mêmes leurs remèdes jusqu'au début du XIIIe siècle, puis apparaissent les premiers préparateurs et vendeurs de remèdes appartenant à la corporation des épiciers.
Appelés aussi apothicaires, ils se devaient d'appliquer à la lettre les prescriptions des médecins, sans substituer une plante par une autre. Tout un ensemble de causes (interdiction aux moines par différents conciles de soigner dans les couvents, influence des médecins formés dans les facultés) entraîne la séparation des deux professions. Au cours des siècles, le métier de pharmacien remplace celui d'apothicaire et nécessite des études de plus en plus longues .
Les quatre humeurs
Hipocrate a établi l'importance des humeurs du corps humain : bile jaune, bile noire, sang, lymphe qui, par analogie avec les quatre éléments (le feu, l'air la terre et l'eau) possèdent chacune une qualité propre : chaud, sec, froid et humide. Leur déséquilibre, à l'origine de nombreuses maladies, est déterminés entre autre par l'examen de l'urine et du pouls. Pour compenser les déficiences ou les excès de ces humeurs il faut utiliser des plantes (ou autres éléments) ayant un effet contraire.
Cet équilibre exige un choix précis des ingrédients qui dépend de l'opinion des praticiens mais ceux-ci, parfois dubitatifs quant à l’efficacité de certaines recettes ou de certaines plantes, préconisent une chose et son contraire ce qui n'est pas très rassurant ! En 1527 Paracelse nommé à la chaire de médecine de Bâle, s'élève contre la théorie des humeur sans parvenir toutefois à en éliminer le principe.
La culture des « simples »
La médecine pratiquée dans les couvents, à base de plantes cultivées dans les jardins en carrés (massifs soigneusement bordés de buis « les herbularii ») est transposée dans le peuple et perpétrée oralement. Ces herbes appelées ''simples'' sont utilisées encore de nos jours pour leurs diverses propriétés, parallèlement à la médecine officielle (sans les incantations de l'époque).
Sauge, thym, romarin, menthe, lavande, tanaisie , sarriette, origan, lys de la madone, hysope, rue, laurier sauce, pulmonaire, consoude, cumin, bourrache, fenouil...etc.. préparés seuls ou en association permettent de soulager nombre de petits maux. Certaines de ces recettes sont parvenues jusqu'à nous modifiées ou complétées comme en témoignent un grand nombre d'ouvrages de phytothérapie.
Hildegarde de Bingen
Célèbre pour ses travaux en matière de médecine, l'abbesse Bénédictine Hildegarde de Bingen (1098-1179) a marqué toute l'Europe par son rayonnement dans divers domaines (politique, musical, philosophique et médical) et par ses visions prophétiques. Passée maître dans la médecine psychosomatique et l'art de guérir par les plantes, elle soigne à la fois les corps et les âmes, proclamant que l'esprit de la femme du moyen-âge est en tous points comparable et égal à celui de l'homme ce qui ne manque pas de choquer les hauts membres du clergé et la noblesse allemande. Ses ouvrages de médecine ont défié le temps faisant encore référence.
Santé, régime et cuisine au Moyen Age
L'étroite relation entre la médecine et l’alimentation est connue depuis des millénaires. Les régimes sont prescrits en fonction de la période de l'année, de l'âge du patient, de son tempérament et de ses problèmes de santé. Pas question de donner à des colériques des aliments chauds et secs comme le poivre ou l'oignon, profitables en revanche aux flegmatiques.
Le beurre, considéré comme un véritable médicament soigne les toux sèches, les plaies du poumon, car adoucissant et purifiant il ''mûrit' les plaies. Les céréales, blé, orge, seigle, avoine et surtout l'épeautre ont de nombreuses vertus. L'ail, dont les ''vilains'' usent souvent et les nobles guère est toujours reconnu pour ses qualités mais son utilisation est refrénée par la ténacité de ses effluves. La ''porée'' à base de choux et de poireaux est cuite longuement pour ne pas ''provoquer une fumée noire qui monte à la tête'' !..
Le chou, considéré comme l'un des meilleurs remèdes prévient l'ivresse et l'on garde l'urine de celui qui en a mangé comme remède pour les nerfs, dans laquelle on peut baigner les jeunes enfants en prévention de la débilité. Les asperges additionnées de cumin dissipent les ''flatuosités'' de l'estomac et du colon, éclaircissent la vue, soulagent les douleurs de la poitrine et du dos.
Les fruits rarement conseillés crus entrent dans de nombreuses préparations surtout figues (supposée éteindre la fièvre et provoquer la sueur) et raisins, mais selon Platearius ils nourrissent, mais rendent les chairs '' plus enflées que fermes''. Les coings cuisinés au miel confortent la digestion, quant aux poires cuites avec du fenouil et du miel selon la recette du Mesnagier de Paris elles ôtent la migraine, annihilent toutes les mauvaises humeurs imaginables.
Manger des châtaignes avant et après le repas soigne foie et cerveau et consommées crues redonne force et joie de vivre aux déprimés.
Remèdes insolites de la médecine médiévale
La suie des cheminées très prisée, est un trésor de la médecine à conserver avec soin pour guérir les inflammations et les engelures. Fine poudre d'ardoise, de corne de sabot de cheval, écailles d’huîtres calcinées incorporées à de la graisse de porc ou de beurre servent de pommade contre les douleurs et les contusions.
Capable d'accomplir des miracles le « béozard » (pierre de fiel condensé en petite boule dans l'estomac de certains animaux) est très recherché, préparé râpé, seul ou dans du vin, enchâssé dans un bijou précieux, porté autour du cou soigne la mélancolie, guérit la peste, l'épilepsie, la petite vérole, la dysenterie, protège des serpents et des ensorcellements.
Le « castoréum » extrait de la glande à musc du castor, séché et réduit en poudre entre dans de nombreuses recettes destinées à soigner les convulsions, la paralysie, le rhume, les douleurs d'estomac, éventuellement associé à l'ivoire, au corail, à l'or cuit, à l'argent, aux perles...
Incorporés à de nombreux remèdes apparaissent des extraits minéraux inquiétants : vitriol vert (appellation de l'acide sulfurique, introduit par le persan Rhazès médecin et alchimiste) vert-de- gris, écume d'argent, mercure, pétrole (appelé huile de pierre) très recherché pour attirer les humeurs. Les apports de médecines antiques ou arabes, les écrits de l'école de Salerne (transmis entre autre par les Croisés) permettent des ajouts de pierres, minéraux divers, plantes exotiques alcool etc.. aux préparations médicinales.
Urines et excréments
Infaillible dans ses propriétés, l'urine recueillie dans une fiole de verre appelée « matula » est restée une des base de la médecine puisque sa simple observation permet d'indiquer les points faibles du patient et consommée, elle sert également de médication '' il n'y a pas de remède plus souverain au monde'' car elle guérit la teigne et les ulcères suppurants, les plaies invétérées et souvent mêlée à des plantes ''soigne de la tête aux pieds''.
Les fientes et divers excréments en particulier humains, (se basant sur le principe de l'homme décrété comme la plus noble des créatures) entrent, cuits ou mêlés à d'autres ingrédients dans les préparations médicales. Les excréments d'un jeune homme en bonne santé mêlé de miel sont souverains contre les maux de gosier et celles d'un homme roux distillées dans l'eau cicatrisent plaies et ulcères... !
Les fientes de chien ou de loup, de vache, de porc, et de chèvres selon les cas préparées dans des mixtures (parfois macérées dans du vin blanc ou de la bière) sont utiles dans les cas d'hydropisie, de piqûres d'insectes, de crachements de sang, de jaunisse, ou de petite vérole etc.
Remèdes avec animaux et insectes
L'opothérapie universelle et millénaire, est une thérapeutique avec des produits d'origine animale morts ou vifs (sangsues, bave d'escargot, venin de serpent, vers de terre cuits dans la graisse d'oie, grenouilles, agneau et poulets coupés en deux et appliqués tout chauds sur les lésions etc...
Les insectes ne font pas exception : les poux, gardés sur la tête car censés sucer le mauvais sang, (grillés ou mélangés à du jaune d’œuf) font cracher (on s'en doute !) abondamment les bronchiteux. Cloportes, toiles d'araignées, scorpions cuits, carbonisés, hachés et incorporés à d'autres ingrédients guérissent de la fièvre tierce, empêchent les hémorragies ou les otites...
Saignées, ventouses, sangsues et lavements
Tout médecin connaît la pratique de la saignée permettant de purifier les mauvaises humeurs. Certains malades sont saignés jusqu'à quarante fois par an !. Les maisons de saignées se développent en raison de l'engouement pour cette méthode pratiquée par les barbiers-chirurgiens qui posent également les sangsues et les ventouses. Les saignées ont parfois pour conséquence d’affaiblir voire ''d'achever le malade''. Les lavements sont largement préconisés par les médecins.
Les remèdes cités ici sont des îlots dans l'océan des recettes parvenues jusqu'à nous, mais ils nous permettent de mieux comprendre, situer (ou plaindre) nos ancêtres et leur médecine. Beaucoup, parmi les éléments organiques, minéraux, animaux ou végétaux qui entraient dans les compositions devaient provoquer des réactions parfois pénibles, en tous cas nécessiter un estomac et un odorat à toute épreuve !
Comme nous le constatons en lisant les divers Antidotaires, Réceptaires et autres recueils de remèdes, la réalité de cette médecine a de quoi faire frémir ! Nous pouvons nous poser la question : comment les malades de l'époque ont-ils survécu à certains de ces soins ? Et l'opinion de Celsus : « mieux vaut tenter un remède incertain que de n'en tenter aucun » n'était certes pas d'un grand réconfort.... Les épidémies de peste noire qui séviront au XIVe siècle et au XVe siècle ne viendront pas démentir ce dicton.
Sources et illustrations
- Les remèdes au Moyen Age, par Michèle Bilimoff. Editions Ouest-France, juin 2014.
Pour aller plus loin
- Le recueil végétal : Formules et remèdes du Moyen Age, de Josy Marty-Dufaut/. editions Ouest-France, 2017.
- Souffrir, soigner, guérir: Les patients et leur médecin du Moyen Age à l'époque contemporaine. Ouvrage Collectif. Vendémiaire, 2023.