Dès le milieu du IXe siècle, la France de l'empire carolingien affaibli est la cible des raids vikings. De farouches guerriers venus de Scandinavie sèment la terreur sur les côtes de l'Europe du nord, et remontant les fleuves à bord de leurs célèbres embarcations, les drakkars, s'infiltrent jusqu'à l'intérieur des terres. Leurs cibles préférées : les monastères, qu'ils pillent de leurs objets précieux avant de disparaître aussi vite qu'ils sont venus. Incapables de leur opposer une résistance efficace, les héritiers de Charlemagne finiront par les sédentariser sur ce qui deviendra la normandie...
Du climat, des hommes et des événements
Le 8 juin 793, le pillage du monastère de Lindisfarne en Ecosse marque le commencement d'une période longue de deux siècles, au cours de laquelle les Scandinaves - Danois, Suédois et Norvégiens - ne vont cesser de déferler sur les terres de l'Europe. Plusieurs causes à cette expansion ont été avancées :
- un réchauffement climatique qui, associé à la pratique de la polygamie, va entraîner en Scandinavie une explosion démographique liée à des récoltes et un élevage plus abondants ;
- une législation en matière d'héritage qui ne partage pas les biens entre les descendants, mais laisse les biens paternels au seul aîné, obligeant ainsi les cadets à s'établir ailleurs et éventuellement à s'expatrier ;
- une justice ignorant la peine de mort, mais bannissant les coupables ;
- une recherche de débouchés commerciaux, une soif de richesse, l'envie d'un cadre de vie moins rude.
Les routes maritimes suivies lors de cette expansion divergent en fonction des peuples scandinaves :
- L'est, en direction des pays baltes, est la direction privilégiée des Suédois. Par le biais des grands fleuves russes (Dvina, Dniepr, Volga), ils vont jusqu'à la Mer Noire et la Mer Caspienne pour finir par atteindre le Bosphore et Constantinople. Les Scandinaves forment bientôt l'élite au pouvoir. Cette dynastie prend souche, aux environs de 860, avec le Varègue Riourik, appelé par les tributs slaves afin qu'il les gouverne. Vladimir le Grand est baptisé en 988. Anne de Kiev, sa petite fille, devient reine de France en épousant Henri Ier en 1050. Les empereurs byzantins recrutent parmi les guerriers suédois leur garde personnelle, la garde varangienne, du terme « Varègues », qui désigne plus spécifiquement les Suédois partis vers l'Est tandis que le terme « Vikings » désigne plus volontiers les Scandinaves partis vers l'ouest.
- L'ouest et le sud-ouest sont la proie des Norvégiens et des Danois - les Vikings -. Les Norvégiens gagnent l'archipel écossais (Shetland, Orcades, Hébrides), l'île de Man et l'Irlande. De là, certains descendent vers les côtes de Francie et d'Espagne, ils pénètrent en Méditerranée, puis ils vont vers les Féroé, l'Islande et le Groenland. Les Danois, quant à eux, traversent la Mer du Nord, gagnent l'Angleterre, puis les terres de Francie. Ils sont généralement mieux organisés et ce sont eux qui disposent des flottes les plus nombreuses. Le but de leurs expéditions est surtout lucratif, chaque guerrier danois visant avant tout à renforcer sa propre richesse et donc son pouvoir à son retour chez lui. C'est donc volontiers que les Danois acceptent de recevoir de fortes sommes (les danegelds) en échange de leur départ.
L'expansion viking est usuellement divisée en trois grandes phases :
- La première phase s'étend environ de l'an 800 à l'an 850. C'est une période de tâtonnements durant laquelle les raids et pillages servent à tester l'adversaire. En Francie, la défense mise en place par Charlemagne et son fils Louis le Pieux permet de repousser les premières attaques.
- La deuxième phase qui s'étend jusqu'à la fin du IXe siècle constitue pour les Scandinaves une période de consolidation et de réelle exploitation, d'une part de leurs acquis, d'autre part de l'absence d'opposition sérieuse à leur avancée. Les raids et les pillages prennent de l'ampleur, alors que commencent les premiers hivernages et apparaissent les danegelds (paiement aux Danois), rançons versées aux Vikings en échange de leur départ. A cette seconde phase, succède une longue période de répit, d'installation et de colonisation dont un exemple important est l'installation en Normandie des Scandinaves menés par Rollon, suite au traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911.
- La troisième phase débute vers 980 et s'achève vers 1050. Son ampleur est plus faible. L'assimilation des Scandinaves sur les terres colonisées et la mise en place de pouvoirs centralisateurs en Scandinavie arrêtent progressivement le mouvement.
Les vikings sèment la terreur
Examinons la manière dont les raids vikings sont perçus dans les pays abordés. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il souffle, notamment en Francie, un véritable vent de terreur que les Scandinaves ne manquent pas d'exploiter et d'alimenter. Ce vent de terreur est notamment répandu par les religieux qui, compte tenu des richesses amassées dans les églises et les monastères, constituent des proies privilégiées. Il est renforcé par l'incapacité des autorités carolingiennes à s'opposer avec succès à l'assaillant.
Un sentiment de totale impuissance face à ce fléau de Dieu, impuissance notamment illustrée par l'ajout au Notre Père, d'un « a furore Normannorum, libera nos Domine ! , » découle rapidement de ce vent de terreur et fait que, bientôt, fuites, transferts de reliques et contritions sont de rigueur. Les Scandinaves, tout à la fois bras vengeur de Dieu et fils de Satan, sont alors nimbés d'une double aura, l'une fatidique, l'autre satanique, qui alimente aisément les exagérations tant sur leur nombre que sur leur férocité et va jusqu'à forger des images telles que celles des Vikings buvant le sang de leurs ennemis dans le crâne de ceux-ci.
Le texte suivant, tiré du Commentaire des Lamentations de Jérémie de Paschase Radbert , illustre cet état d'esprit :Qui aurait cru ce que nos yeux ont vu et fait l'objet de nos gémissements, qu'une troupe de pirates composée d'hommes ramassés au hasard fût venue jusqu'à Paris et eût détruit impunément les églises et les monastères des bords de la Seine. Qui aurait cru qu'un royaume si célèbre et si étendu et si peuplé eût été destiné à être humilié par des barbares ? Oui, tous nos malheurs sont venus à cause des péchés des prêtres et des princes, c'est là la source des calamités qui nous environnent. Il y a longtemps que la justice est bannie des jugements, que la discorde née parmi les citoyens d'un même empire fait répandre le sang. On ne voit partout que fraude et tromperie. L'épée des barbares est tirée du fourreau et c'est Dieu qui l'a mise dans leurs mains pour nous punir.
Raids vikings sur le monde franc
Ragnarr loðbrók (littéralement braies velues, surnom se rapportant aux culottes en peau de chèvre qu'il portait les poils au dehors), Björn járnsíða (côtes de fer, surnom dû à la cuirasse qu'il portait probablement pour se protéger), Hásteinn, Véland, voilà des Danois intrépides, des guerriers valeureux, sans nul doute hauts en couleur et redoutés sur toute la terre franque ! Ragnarr loðbrók apparaît en Francie au printemps 845 où remontant la Seine, il lance une première attaque contre Paris sans rencontrer de résistance. Charles le Chauve, réfugié à l'abbaye de Saint-Denis, demeure impuissant et finit par verser à Ragnarr 7 000 livres d'argent afin qu'il parte.
Dix années plus tard, en 856, c'est l'un de ses fils, Björn járnsíða, secondé par Hásteinn, qui, de nouveau, attaque Paris, avant de mener une grande expédition sur les côtes méditerranéennes entre 859 et 861, expédition au cours de laquelle il passe le détroit de Gibraltar, pille Algésiras, la Murcie et les Baléares, puis Nîmes, Valence et Luna. En 858, Hásteinn s'aventure jusqu'à Chartres ; il pille la cathédrale et massacre l'évêque ainsi que tous ceux qui sont réfugiés dans l'église. Evreux est dévasté, Bayeux est attaqué et son évêque est lui aussi égorgé.
En 861, Charles le Chauve paye le Danois Véland (il vient de piller le monastère de Saint-Bertin) afin qu'il déloge Hásteinn, Björn et leurs hommes de l'île de Jeufosse où ils ont établi leur campement. Véland reçoit d'abord 3 000 livres d'argent, puis encore 2 000 livres du roi Charles avant d'entreprendre effectivement le blocus de l'île, laissant une nouvelle fois Paris se faire attaquer. Finalement, il reçoit 6 000 autres livres d'argent des mains de Hásteinn et Björn afin qu'il les laisse fuir. Hásteinn et Björn s'en vont en 862 ; Véland, converti au christianisme, passe définitivement au service du roi Charles. Jusqu'en 866, Hásteinn séjourne en Aquitaine qu'il pille et attaque consciencieusement. En 866, il remonte la Loire et dévaste la ville du Mans. Poursuivis par le comte Robert le Fort, en charge d'un commandement contre les Vikings, par le comte Ramnulf Ier de Poitiers et le comte Hervé du Maine, ses hommes et lui trouvent refuge dans la petite église de Brissarthe, au nord d'Angers.
Les Francs exténués par la route prennent imprudemment un moment de repos, c'est alors que les Danois en profitent pour se ruer hors de l'église. Le comte Robert le Fort rallie rapidement ses troupes et repousse les Danois, mais il tombe percé de coups devant la porte de l'église. Le comte de Poitiers et le comte du Maine sont également tués.
En 872, Hásteinn attaque Angers, il quitte la Loire dix ans plus tard pour ravager la Flandre et le sud de l'Angleterre. De 879 à 891, les Danois sont sur l'Elbe, la Scheld, la Meuse, la Somme, la Seine, la Loire, ils attaquent Cologne, Paris, Bayeux, Soissons, Sens, Aix-la-Chapelle... En 881, le roi Louis III les bat à Saucourt-en-Vimeu (au sud de l'embouchure de la Somme).
En 882, Charles le Gros vient avec une forte armée composée de Francs, Alamans, Thuringiens, Saxons et Lombards assiéger les Danois dans leur camp fortifié d'Elsloo, non loin de Maastricht. Après douze jours d'attente, loin d'attaquer, Charles préfère soudain négocier. Il verse alors 2 800 livres d'argent aux Danois et permet même à Godfried, un de leurs chefs, de s'installer en Frise. En 884, le comte Henri de Saxe, fils d'un comte du pays de Fulda, responsable également d'un commandement contre les Vikings, empêche les Danois d'envahir la Saxe et chasse même ceux-ci de la vallée du Rhin, après l'assassinat de leur chef Godfried, rebellé contre l'empereur.
Les forces en présence
Le guerrier scandinave
L'armement du Viking comprend la hache, une épée, une lance, un arc et des flèches, un couteau accroché à sa ceinture. Il porte pour se protéger un casque, une cotte de mailles et un bouclier. La hache de plusieurs types (à fer large, à long manche, à cornes) est une arme redoutable. C'est l'arme type du Viking. L'épée est longue, maniable à une seule main, à tranchant double. Elle est terminée par une poignée isolée de la lame par deux gardes parallèles. Il n'est pas certain qu'elle ait été de très bonne qualité - dans la Sturlunga saga, les combattants sont obligés de faire des pauses pour redresser sous leur talon la lame tordue de leur arme -, ce qui poussait sans doute les Vikings à convoiter les épées franques. La lance est soit une arme de jet (javelot), soit une arme d'estoc (épieu) que l'usage des étriers permet d'utiliser avec force. Le fer, en forme de losange, est fixé au manche par des clous qui ont une valeur religieuse et juridique.
Le casque est conique et prolongé par un nasal ; il comporte également un gorgerin et des protège-joues. Le bouclier est rond, fait de bois recouvert de métal peint. La cotte de mailles est soit une cotte à anneaux, du type broigne, soit une cotte de plaques de métal reliées les unes aux autres.
Les Vikings sont maîtres du coup de main (strandhögg) et combattent plus volontiers à pied. Leur technique préférée d'attaque est la suivante : avec leurs bateaux, ils s'installent dans une petite île bien placée, non loin d'une riche ville ou d'une opulente abbaye. Le moment propice venu, ils débarquent très rapidement en utilisant pour cela les chevaux amenés, et ils se précipitent sur leur cible qu'ils pillent rapidement, sans dédaigner d'emporter des esclaves. Puis, ils mettent le feu avant de s'en aller, rendant ainsi difficile toute volonté de poursuite.
Le guerrier franc
De par son armement offensif et défensif, le guerrier franc est assez semblable à son homologue scandinave, si ce n'est que la hache n'est pas son arme favorite, mais bien plutôt l'épée. L'épée, dont la poignée et le fourreau sont souvent richement décorés, est la fierté du guerrier franc. Il l'a généralement reçue de son père à l'âge de la puberté. Il lui donne souvent un nom : ainsi Joyeuse, l'épée de Charlemagne ou encore Durendal, l'épée de Roland. C'est ici une arme de grande qualité qui, avec la broigne, forme dans l'équipement du guerrier franc deux éléments de valeur exceptionnelle. L'une et l'autre sont très recherchées et de nombreux capitulaires en interdisent l'exportation si bien que les marchands en font de la contrebande. Les Scandinaves en font volontiers l'acquisition et ils ne dédaignent pas en dépouiller leurs victimes.
Le cheval est un autre élément important du guerrier franc, un compagnon qu'il abandonnera difficilement. « Fais périr ma mère, je n'en ai cure, s'écrie un guerrier aquitain à un Sarrasin, le cheval que tu me demandes, jamais je ne te le livrerai. Misérable, il n'est pas fait pour ton frein. » Tout citoyen de l'empire, tout homme libre, est astreint au service militaire et doit répondre aux convocations militaires du comte ou du roi. L'armée carolingienne est sans doute pour une bonne partie composée de fantassins, de combattants armés légèrement, car l'équipement du cavalier - cheval, casque, broigne, épée, jambières de cuir, bouclier, lance, poignard, arc et flèches - est coûteux. De fait, la cavalerie carolingienne est aux mains de l'aristocratie franque. Cette cavalerie lourde est cependant la reine des batailles et elle est réputée pour tout faucher sur son passage.
Le jeune aristocrate se destine à la guerre dès sa petite enfance. Il apprend à monter à cheval, à endurer la dureté et l'adversité, la faim, le froid, la chaleur du soleil. Un proverbe dit : « Celui qui ne peut être cavalier à l'âge de la puberté ne le pourra jamais ou avec difficulté à un âge plus avancé. » Ou encore : « Qui sans monter à cheval est jusqu'à douze ans resté à l'école, n'est plus bon qu'à faire un prêtre. »...
Les succès scandinaves
Le premier atout des Vikings, le plus important, est leur bateau. Il est rapide, excessivement maniable, avec un fond plat permettant d'aborder aisément et de remonter les rivières. Il permet ainsi aux Vikings d'être extrêmement mobiles et de choisir librement leurs points d'attaque. Partout, donc, ils surviennent à l'improviste et d'autant plus rapidement qu'ils se déplacent par voie d'eau. La cavalerie franque, incapable de prévoir leurs points d'attaques, ne peut se concentrer et elle ne peut pas non plus les suivre, du fait de la vitesse de leurs déplacements. De toute façon, les Vikings évitent soigneusement les rencontres en rase campagne avec l'armée franque. S'ils ne peuvent éviter celle-ci, ils se retranchent dans un comportement défensif et jouer sur le moral de leurs adversaires.
La politique de défense fortifiée amorcée par Charles le Chauve (Capitulaires de Pitres, 862) va peu à peu remettre en cause cette mobilité des Scandinaves : insensiblement, l'érection de barrages sur les rivières, de ponts fortifiés, de fortifications diverses, de palissades complétées de fossés autour des villes et des monastères va contraindre les Scandinaves d'une part à abandonner leurs bateaux pour s'aventurer à cheval, d'autre part à se livrer à de longues et statiques opérations de siège.
Bibliographie
• Boyer Régis, La vie quotidienne des Vikings (800-1050), Editions Hachette, 2003.
• Boyer Régis, Les Vikings, Editions Plon, 1992.
• Renaud Jean, Les Vikings en France, Editions Ouest France.