Au sein de l’histoire universelle, les complots, conjurations et attentats furent nombreux, changeant parfois le cours des choses. La conjuration des Pazzi, qui se déroula à Florence en 1478, est l’exemple caractéristique de l’échec d’un complot politique à l’époque moderne. Ange Politien, intellectuel et membre de renom de la chancellerie florentine, proche de Laurent de Médicis, a notamment écrit l’histoire de cette conjuration, qui bouleversa considérablement les Médicis et leur façon d’appréhender et d’exercer le pouvoir au sein de la République florentine. Dès lors, suite à l’échec de la conjuration des Pazzi, les Médicis entrent dans la légende, et Laurent de Médicis devient le « Magnifique ».
Pazzi contre Médicis : un conflit « idéologique » ?
Historiquement, les Pazzi sont opposés aux Médicis. Originaires du Val d’Arno, entre Pise et Arezzo, les Pazzi sont de grands nobles et propriétaires terriens. En ce sens, ils possèdent, au XVᵉ siècle, de nombreux fiefs en Toscane. Plus encore, il s’agit d’une famille de prestige, qui est partie intégrante de la noblesse urbaine florentine. Par exemple, l’ancêtre Pazzino de Pazzi est connu pour avoir été le premier chevalier à avoir pénétré dans la ville de Jérusalem, en 1099, au moment de la Première Croisade.
À l’issue de cette croisade, des reliques furent ramenées en Occident, lesquelles sont d’ailleurs à l’origine de la fête du « Scoppio del Carro » à Florence, autrement dit de l’ « explosion du char ». Une fois revenu à Florence, en 1101, Pazzino de Pazzi fut célébré, et sa famille gagna amplement en respectabilité et en renommée. Les Pazzi sont donc, en quelque sorte, l’incarnation de la « vieille aristocratie » de la cité de Florence, où ils sont installés depuis plusieurs siècles – au moins depuis le XIᵉ siècle, le plus ancien membre de la lignée étant Ranieri de Pazzi. Dès lors, à partir du début du XIIᵉ siècle, les Pazzi accumulent une grande fortune, se distinguant par leur activité commerciale et financière. Au XVᵉ siècle, la renommée de la lignée n’était plus à faire, surtout lorsqu’Andrea Pazzi commanda au fameux architecte florentin Filippo Brunelleschi, en 1429, une chapelle, construite dans la Basilique Santa Croce de Florence.
Les Pazzi s’opposaient alors de plus en plus aux Médicis, dans le courant du XVᵉ siècle. Les Médicis n’étaient installés que depuis peu à Florence, depuis le XIIIᵉ siècle environ. Il s’agit d’une famille d’extraction modeste, d’une lignée de commerçants et de lainiers – les adversaires des Médicis ne leur manquaient d’ailleurs pas de leur rappeler. Originaires des Apennins, et plus précisément de la région du Mugello, les Médicis ont émigré vers Florence au XIIIᵉ siècle, à un moment où la République est au faîte de sa puissance.
Les premiers installés se lancent, dès lors, dans la finance. Ils furent imités par le fameux Giovanni di Bicci, qui, en fondant la banque des Médicis en 1397, lança véritablement la renommée de la famille. Son fils, Cosme l’Ancien, était par ailleurs considéré comme le « Pater Patriae » par les Florentins, comme le « Père de la Patrie ». Il s’opposa à la vieille oligarchie florentine, qui détenait le pouvoir à Florence, et finit par être exilé à Venise en 1433 par Rinaldo Albizzi, chef de la faction oligarque. Un an plus tard, en 1434, Cosme l’Ancien revint à Florence, bannit son rival, et s’empara du pouvoir en devenant gonfalonier, c’est-à-dire chef du gouvernement. C’est donc par l’activité bancaire, et l’acquisition relativement rapide de fonds, que les Médicis purent s’emparer du pouvoir à Florence.
Les Pazzi voyaient les Médicis d’un mauvais œil. Comment une famille, à l’extraction modeste et récente, put parvenir à s’installer au cœur du patriciat urbain, à chasser les anciennes pratiques oligarchiques et à installer son pouvoir ? Les Pazzi, qui étaient fondamentalement attachés à leurs racines et à l’héritage oligarchique florentin, considéraient l’avènement des Médicis comme une insulte à la République. C’est pour toutes ces raisons que les Pazzi, en 1478, fomentèrent une conjuration, un complot, que nous pouvons qualifier de « coup d’État ». Il s’agit là d’une opposition idéologique, entre l’oligarchie déchue de ses prérogatives et la montée en puissance de nouvelles familles patriciennes, qui se révèle être au cœur de la conjuration des Pazzi. Ce phénomène, typiquement italien, semble être inhérent aux patriciats urbains et républicains, italiens, à l’époque moderne – la République de Venise, aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, a notamment connu des difficultés similaires.
Les temps de la conjuration des Pazzi
La conjuration des Pazzi correspond, en réalité, à deux « temps », à deux grands moments. Tout d’abord, il convient d’en évoquer les modalités, les grandes lignes directrices. Le but des Pazzi, et plus particulièrement de Francesco de Pazzi, était simple : il s’agissait de « décapiter » la famille des Médicis, en assassinant Julien de Médicis et son frère Laurent, qui gouvernaient à ce moment-là la cité de Florence. Plus que de contester l’hégémonie médicéenne à Florence, il s’agissait, pour les Pazzi, d’annihiler la puissance de cette lignée au profit de la leur, et de rétablir au sein de la République les principes fondamentaux d’un gouvernement oligarchique, détenu par les familles les plus nobles et les plus anciennes de la ville.
Les Pazzi ont su trouver un allié de choix, en la personne du pape Sixte IV. Francesco della Rovere, élu pape en 1471 sous le nom de Sixte IV, népotiste convaincu, souhaitait donner à son neveu, Girolamo Riario, les villes de Faenza et d’Imola, en terre florentine. C’était sans compter la fermeté des Médicis, qui refusèrent de voir leur territoire aliéné au profit du neveu d’un pape réputé aux mœurs légères. Sixte IV chercha donc un soutien interne à Florence, qu’il trouva en la personne de Francesco de Pazzi. C’est ainsi que l’idée de la conjuration naquit, dans la conjonction des réflexions pontificale et « pazzienne ».
Le premier grand moment de la conjuration des Pazzi se déroula le samedi 25 avril 1478. Francesco de Pazzi avait alors prévu d’assassiner Julien et Laurent de Médicis au cours d’un banquet, qui avait été organisé à la Villa Médicis de Fiesole, près de Florence, afin de célébrer l’élection au cardinalat de Raffaele Riario, neveu de … Sixte IV. Plus précisément, il s’agissait d’empoisonner les deux frères au cours de la fête. Les Pazzi ont pu se rendre à ce banquet en raison de leur récente union avec la famille des Médicis : en effet, la sœur de Laurent et Julien de Médicis, Bianca de Médicis, venait de se marier à Guglielmo de Pazzi. Toutefois, la tentative d’assassinat ne put aboutir, puisque Julien de Médicis, indisposé, ne se rendit pas au banquet. Il fallut donc remettre le complot à plus tard. En l’occurrence, au lendemain.
Le second grand moment de la conjuration des Pazzi se déroula donc le dimanche 26 avril 1478, jour de Pâques. Le cardinal Riario donnait alors une messe au Duomo de Florence, autrement dit en la Basilique Santa Maria del Fiore, en remerciement du banquet donné la veille. Tous les invités du samedi étaient donc conviés à se rendre à la Basilique, ce que Laurent de Médicis fit. Les Médicis et les conjurés se rendirent donc, conjointement, à la messe, alors que les premiers ne savaient pas encore ce qu’il allait se passer. Néanmoins, Julien de Médicis était encore indisposé, et ne se rendit pas tout de suite à la messe. Bernardo Bancini, sicaire, et Francesco de Pazzi allèrent chercher Julien de Médicis chez lui, afin de l’emmener à la Basilique, où la messe avait déjà commencé !
Ce dernier ne savait pas encore qu’il allait être assassiné par les deux personnages qui l’accompagnèrent jusqu’au lieu saint. Au moment solennel de l’élévation, Bandini porta dix-neuf coups de couteau à Julien de Médicis qui, agenouillé et déjà affaibli par une blessure à la jambe, succomba. Laurent de Médicis, accompagné par le fidèle Ange Politien, et protégé par Andrea et Laurent Cavalcanti, fut blessé, mais parvint à s’enfuir, en rejoignant la sacristie de la Basilique Santa Maria del Fiore. Dans sa fuite, Laurent de Médicis fut protégé par Francesco Nori, qui sacrifia sa vie pour sauver le dernier représentant de la famille Médicis. La conjuration des Pazzi, soutenue par le pape de Sixte IV, échoua, après avoir avorté une première fois.
Les conséquences de l'échec du complot
Comme l’on peut aisément l’imaginer, les conséquences d’un tel évènement furent énormes. Jacopo de Pazzi qui, alors que Laurent de Médicis fuyait le Duomo, s’était rendu en la place de la Seigneurie, croyait que le peuple florentin allait le soutenir, et l’aider à renverser le pouvoir. Il n’en fut rien. Malgré les « Libertà ! » qu’il matraqua envers la foule, avec ses compagnons, les Florentins assaillirent les conjurés et les poursuivirent. Le peuple de Florence condamnait, dès lors, et dès le début des évènements, un geste impur, proféré le jour le plus saint de la chrétienté. Jacopo de Pazzi parvint à s’enfuit, et apporta la nouvelle de l’échec de la conjuration aux troupes papales, qui étaient postées tout autour de Florence. Craignant des représailles certaines, les troupes n’attaquèrent pas, et finirent par se replier.
La conjuration des Pazzi fut fatale pour la famille éponyme et pour leurs alliés. Une fois Laurent de Médicis parvenu en lieu sûr, et une fois qu’il fut assuré du soutien de son peuple face à l’horreur de ce complot, une véritable chasse à l’homme, et en l’occurrence « aux Pazzi », fut organisée à Florence. Il fallait les retrouver au plus vite, et les condamner. Francesco de Pazzi, le « cerveau » de la conjuration, fut pendu, nu, à une fenêtre du Palazzo Vecchio de Florence, le centre politique et névralgique de la cité. Jacopo de Pazzi fut retrouvé, quelques jours plus tard, et assassiné, son corps étant jeté dans l’Arno, le fleuve parcourant la ville de Florence. Bernardo Bandini, qui parvint dans un premier temps à fuir la cité et à rallier Constantinople, fut retrouvé par les Florentins, ramené à Florence et jugé, un an et demi plus tard, le 29 décembre 1479. Il fut décapité, et son cadavre fut notamment dessiné par Léonard de Vinci.
Laurent de Médicis, furieux, ne fit absolument rien pour calmer son peuple. Tous les membres de la famille Pazzi furent arrêtés, voire exilés, et leurs biens furent confisqués par la République. On leur interdit également de faire figurer leur nom sur les actes officiels. Le pape réagit fermement, dans un premier temps, en excommuniant la cité toute entière de Florence. Mais, face à la fermeté des Florentins, il dut renoncer. Laurent de Médicis, pour sa part, bénéficia dès lors d’un prestige et d’une renommée accrus, ce qui lui permit de renforcer considérablement son pouvoir au sein de la République. Par exemple, il réduisit l’assemblée communale à soixante-dix membres, choisis parmi son entourage et les personnes qu’il jugeait de confiance.
Ange Politien, proche de Laurent de Médicis et membre de la chancellerie républicaine, écrivit une histoire de la conjuration des Pazzi. Cet évènement est considéré, pour Florence, comme l’affirmation de la puissance des Médicis. Il est intéressant d’observer comment un attentat manqué permet à la famille assaillie de s’en tirer grandie, et d’accroître son pouvoir. Néanmoins, en 1494, l’arrivée au pouvoir de Jérôme Savonarole au pouvoir à Florence, après avoir chassé les Médicis, rétablit les Pazzi dans leurs prérogatives et privilèges. Mais la chute de Savonarole, en 1498, et le retour des Médicis, eurent pour conséquence de rétablir la situation initiale.
Bibliographie
- DELUMEAU Jean, L’Italie de la Renaissance à la fin du XVIIIᵉ siècle, Paris, Armand Colin, 1997.