Epouse de Joseph et appelée aussi Sainte Vierge, Marie, mère de Jésus de Nazareth, est une des grandes figures du Christianisme et de l'Islam. Elle est aussi à l'origine de la croyance chez les chrétiens de la conception virginale de Jésus en son sein. Certains, comme les Catholiques et les Orthodoxes, considèrent Marie comme un intercesseur privilégié entre les Hommes et Dieu. Depuis les origines du Christianisme, Marie fascine et est l'objet d'une importante littérature apocryphe pour lever le voile sur les très nombreuses zones d'ombre de son existence. Revenons sur l'histoire de celle qui est devenue la sainte patronne de la France.
La vraie histoire de Marie selon les évangiles canoniques
Les plus anciennes sources dont nous disposons sur Marie sont les évangiles canoniques, en particulier ceux de Saint Luc et Saint Matthieu, mais aussi Saint Jean qui bien que ne l'appelant jamais par son prénom parle de la « Mère de Dieu ». Marie apparait lors du récit de l'Annonciation, l'ange Gabriel venant lui annoncer qu'elle enfantera d'un nouveau-né engendré par le Saint-Esprit.
Selon Luc (1, 26-38), on apprend que Marie est alors fiancée à un homme, mais est encore vierge et que l'enfant à venir est d'origine divine. Joseph, bien entendu désappointé par la grossesse de sa fiancée, décida de rompre secrètement avec elle. Mais il aurait été prévenu de la mission sacrée de sa compagne par un ange et décide de ne pas la répudier. Après une visite chez sa parente Elizabeth elle aussi miraculeusement enceinte (elle enfantera Saint-Jean-Baptiste), Marie serait retournée auprès de son époux qui dû se rendre à Bethléem pour un recensement.
C'est le fameux épisode de la Nativité célébré à Noël : le couple fait le voyage à dos d'âne et Marie accouche à Bethléem, dans une étable. Là les anges auraient rallié des bergers venus voir le nouveau-né et, selon Saint-Matthieu, trois mages d'Orient seraient venus lui rendre hommage.
Prévenu par les mages de la naissance d'un nouveau « Roi » et sachant son pouvoir menacé par une prophétie, le roi Hérode aurait alors ordonné le massacre des nouveaux nés, épisode uniquement rapporté dans les évangiles et que l'on retient sous le nom de Massacre des Innocents. Mais là encore, selon Saint Matthieu, Joseph, prévenu en songe, échappe au massacre et s'enfuit avec sa famille en Égypte et ne rentra qu'à la mort d'Hérode. Saint Matthieu est le seul à rapporter cet épisode, peut-être simplement pour faire coïncider le récit évangélique avec les prophéties de Michée et Jérémie.
Toutefois, la scène n'a historiquement rien d'aberrant puisque l'Égypte était alors bel et bien une terre d'immigration pour les Palestiniens sous le règne difficile d'Hérode. Saint Luc se contente de raconter comment Jésus fut présenté au Temple de Jérusalem, selon le rite juif. C'est là qu'un vieux sage, poussé par le Saint-Esprit selon les évangiles, vint voir Jésus et fit cette prophétie à Marie de l'imminence d'une rédemption.
La vie de Marie, mère de Jésus
Passe alors toute l'enfance de Jésus, passée sous silence, où nous ne savons plus rien de la vie de Marie. Il n'y a que dans la douzième année de Jésus que l'on apprend que l'enfant fut perdu par ses parents lors de la grande fête de Pâques à Jérusalem. Ils le retrouvèrent au Temple, au milieu des Docteurs qui s'émerveillaient de son intelligence...
Quand reprennent les récits canoniques, Jésus est déjà adulte et a plusieurs frères. Si certains ont voulu voir en ces frères les fils de Marie, d'autres pensent qu'il peut s'agir de demi-frères issus d'un précédent mariage de Joseph, homme âgé qui aurait épousé Marie sur le tard et n'aurait pas eu d'union charnelle avec elle. Plus généralement, il est considéré que la traduction du terme de « frères » relève d'une réalité beaucoup plus vaste que la définition actuelle et peut se rapporter à divers liens de cousinages.
Durant la vie publique de Jésus, les rapports de ce dernier à sa mère son mal connus. Jésus minimisa semble-t-il toujours la force de leurs liens pour privilégier le lien qui à travers lui uni les croyants à Dieu.
Pourtant, Marie est toujours auprès de son fils et c'est même elle qui en quelques sortes lance sa vie publique en l'invitant lors des noces de Cana à transformer l'eau en vin. Marie apparait alors comme le moteur de la mission christique : elle connait l'origine divine de son fils, elle sait qu'il a une mission et que tout doit se finir dans la souffrance pour elle...
Et pourtant elle l'accepte et invite même Jésus à initier ce processus qui semble inéluctable. Présente au commencement, toujours dans l'ombre de son fils pendant l'évangélisation, Marie recouvre un rôle premier lors de la Passion. Elle est, avec Saint-Jean et Marie-Madeleine, des derniers fidèles que l'on retrouve au pied de la croix.
Ce geste est souvent vu comme une confirmation du fait que Marie n'avait pas d'autres enfants, c'est pour cela que la femme visiblement veuve (ce qui pourrait justifier l'idée d'un époux plus âgé) et sans autres soutiens est confié à une tierce personne de confiance. Dès lors, Marie est prise en charge par les apôtres, la première Église chrétienne, et on la retrouve citée dans les Actes des Apôtres attribués à Saint-Luc.
Un personnage central et donc cible de choix
On s'en doute, la naissance virginale n'allait pas plus de soit il y a 2.000 ans qu'aujourd'hui, et remettre en cause cette naissance virginale était un bon moyen de remettre en cause le caractère divin de Jésus et donc de sa mission et de son message... Marie fut ainsi rapidement une cible de choix pour la littérature antichrétienne. Dès 178, le Romain Celse rejette en bloc toute origine divine de Jésus dans son « Discours véritable », aussi appelé « Discours contre les Chrétiens ». Il fait de Marie une femme adultère ayant eu des relations sexuelles avec un soldat romain nommé Panthera.
Cette accusation qui apparait un siècle et demi après les faits est certainement l'aboutissement d'une accusation générale portée par les Juifs et les païens qui n'acceptaient pas la possibilité de cette conception par le Saint-Esprit. Le choix de faire du père un soldat romain, un occupant, est aussi une façon de minimiser le personnage de Marie et d'insulter les Chrétiens en faisant de leur « Mère » une fille à soldat.
Les apocryphes et la tradition
Pour combler les nombreuses zones d'ombre de la vie de Marie, des communautés chrétiennes ont écrit des apocryphes, plus ou moins tardifs. La tradition a également permis d'évoquer les origines et la fin de vie de la mère de Jésus. Si l'on arrive à dater les apocryphes retrouvés, il reste très difficile de dater la tradition qu'ils rapportent. Concrètement, ils ne nous apportent rien d'irréfutable quant à la vie historique de Marie, par contre ils nous informent d'un phénomène historique important : la place prépondérante que prend la figure de Marie dans les premières communautés chrétiennes. Ces apocryphes entrèrent souvent dans la tradition catholique.
Ce n'est ainsi que dans les textes apocryphes qu'apparait le nom des parents de Marie : Anne (longtemps stérile) et Joachim qui se seraient rencontrés à la Porte Dorée de la Jérusalem antique. Ces récits sont retranscrits dans le protévangile de Jacques (IInd siècle) et l'évangile du pseudo-Matthieu (fin du VIe siècle). Marie y est présentée comme une enfant précoce, brillante par sa bonté et plus pieuse que toute autre, indéniablement dans la grâce de Dieu. Adolescente elle refuse le mariage, considérant que Dieu préfère la chasteté. Respectant son vœu de virginité, les prêtres du Temple auraient alors organisé une cérémonie pour savoir qui Dieu désignait pour la garder.
Un texte apocryphe vient régler le problème du mariage et de la virginité de Marie en faisant d'elle une vierge consacrée confiée à un vieillard pour qu'il la protège et l'entretienne et non pour qu'il fonde avec elle une famille. Le reste du récit reprend les grandes lignes des évangiles canoniques, mais avec plus de détails, notamment la réaction des prêtres quand ils apprennent que « leur » vierge consacrée est enceinte... Marie est soumise à une épreuve rituelle pour prouver qu'elle n'a pas fauté. Cet ouvrage apocryphe apporte également divers épisodes miraculeux durant la fuite en Égypte. Enfin, la question de la mort de Marie est traitée dans la Dormition de Marie du pseudo-Jean, un apocryphe, qui ne daterait que du VIe siècle, déclare que le précieux corps a été déposé à Gethsémani dans un tombeau transféré au paradis au bout de trois jours.
Quid du tombeau de la Vierge Marie
L'emplacement du tombeau de Marie n'est pas connu avec certitude. Plusieurs sites sont revendiqués comme étant la dernière demeure terrestre de la Vierge, notamment l'église du sépulcre de la Sainte Vierge à Jérusalem, au pied du Mont des Oliviers. Cette église, aboutissement d'une succession d'édifices depuis le IVe siècle, est bien fondée sur un cimetière du Ier siècle autour d'une tombe contemporaine de Marie. Toutefois, seule la tradition (que Denys l'Aréopagite mentionne au IVe siècle) et non l'archéologie, servent à l'authentifier. L'autre site concurrent est assez loin de Jérusalem, à Éphèse. C'est en effet dans cette ville que Saint-Jean serait parti évangéliser.
Or Marie était confiée à Saint-Jean. La ville d'Éphèse possède une basilique construite sur une tombe antique attribuée à Saint-Jean et une chapelle considérée comme étant la dernière maison de Marie. Ce dernier site ne fut identifié comme tel à la fin du XIXe, en se basant sur les visions d'une mystique germanique : Anna Katharina Emmerick.
Toutefois, le site étant une chapelle du XIIIe siècle (bien que certainement construite sur des vestiges plus anciens) rien ne permet archéologiquement de relier le site au Ier siècle et donc encore moins à Marie. Certains font remarquer que s'il faut en croire les Actes de Saint-Jean par Prochurus datant du IInd siècle, Saint-Jean n'a rejoint Éphèse qu'à un âge avancé, et donc très certainement après la Dormition. Si tel était le cas, le tombeau de Marie serait donc en Palestine et non en Turquie.
Le fameux tombeau de Talpiot à Jérusalem fut présenté en 2007 par James Cameron comme étant éventuellement le tombeau de Jésus et de sa famille. Parmi les six ossuaires nominatifs découverts (mais il n'est même pas certain qu'ils proviennent tous du tombeau), un porte le nom de « Mariah ». Toutefois, le lien tissé entre ce tombeau et la Sainte Famille fut très largement critiqué et remis en cause. Déjà, Marie ne devait pas être appelée Mariah de son vivant, plus certainement Mariam, en araméen.
Ensuite, le regroupement des divers personnages (Marie-Madeleine, Judas, Joseph, Jacques...) contredit les sources et les traditions les plus anciennes. Les analyses ADN ne peuvent pas être concluantes, car les ossuaires ont pu être réutilisés de multiples fois. Les noms étant parmi les plus usités à cette époque, leur regroupement en un tombeau ne permet aucune conclusion. Au final, si la théorie christique du tombeau de Talpiot fut un succès audiovisuel, force est de constater qu'elle ne reçoit aucune approbation scientifique.
Marie dans le Coran
L'Islam est la religion abrahamique la plus tardive, elle n'apparait qu'au VIIe siècle sur un territoire déjà fortement marqué par diverses Églises chrétiennes. Le Coran va se faire l'écho des évangiles canoniques et des diverses traditions apocryphes tardives concernant Maryam (/ Marie) comme le proto-évangile de Jacques, l'évangile du pseudo-Matthieu, l'Évangile arabe de l'Enfance ou encore l'Évangile de l'Enfance selon Thomas...
Dans le Coran Maryam est une vierge confiée au prophète Zechariah. Comme les Chrétiens, les Musulmans confessent la naissance virginale d'Îsâ (/ Jésus) et la considèrent comme une des rares femmes parfaites (comme Fatima, fille de Mahomet). Selon le récit coranique, Maryam va accoucher seule, « en un lieu vers l'Orient », au pied d'un palmier. Face aux accusations portées contre elle, elle fait un jeune de parole (elle garde le silence) et c'est le nouveau-né lui-même qui se présente comme un prophète envoyé par Dieu.
La Vierge Marie et le culte marial
Le culte marial est très précoce dans la chrétienté, comme en témoignent les apocryphes. En 431, au Concile d'Éphèse, le Pape Pie V officialise le titre de « Théotokos » qui reconnait officiellement que Marie est la mère de Dieu et que sa maternité est bien d'origine divine. Le culte marial se diffuse très rapidement, la Vierge apparaissant comme un intercesseur privilégié entre les Hommes et son Fils. Au VIe siècle, l'empereur byzantin Maurice fixe au 15 août la fête mariale, déjà très répandue en Orient. La même date est retenue en Occident lors du Concile de Mayence en 813.
Durant tout le Moyen-âge, les figures mariales et christiques sont quasiment indissociables. En 1630, Louis XIII consacre la France à la Vierge Marie pour la remercier d'une guérison qu'il estime miraculeuse. Dès lors le Royaume des Lys fait une place à Marie dans chacune de ses églises : soit que l'église lui soit totalement consacrée, soit qu'au moins une chapelle lui soit dédiée. Aujourd'hui encore, Marie est officiellement la première sainte patronne de la France.
Le XIXe siècle est un âge d'or du culte marial, marqué par de multiples apparitions, notamment en France. La question n'est pas ici de déterminer la nature de ces apparitions (métaphysique, psychologique, mythomanie...), mais le fait est que le XIXe siècle est extrêmement riche en apparitions mariales : Rome en 1842, La Salette en 1846, Lourdes en 1858, Champion en 1859, Pontmain en 1872 et Gietrzwald en 1877. Sur ces six apparitions, la moitié a lieu en France. Pour les croyants, ces apparitions concrétisent le rôle d'intercesseur de Marie : le culte marial prend une nouvelle vigueur. Comme en échos à cette ferveur, le Pape Pie IX proclame en 1854 le dogme de l'Immaculée Conception selon lequel Marie est exempte de tout péché.
Le XXe siècle n'est pas en reste en terme d'apparitions mariales : Fatima (Portugal) en 1917, Beauraing et Banneux (Belgique) en 1933, Amsterdam (Pays-Bas) en 1945, l'île Bouchard (France) en 1947, Betania (Venezuela) de 1940 à 1990, Akita (Japon) en 1973, Kibeho (Rwanda) dès 1981... La régularité des apparitions, nous ne citons ici que celles reconnues par l'Église catholique, entretient une ferveur mariale déjà très forte.
En 1950, le Pape Pie XII proclame le dogme de l'Assomption de Marie célébrant la montée au ciel de Marie corps et âme. Les Orthodoxes quant à eux ne considèrent pas que Marie fut élevée corps et âme, ils ne parlent pas d'Assomption, mais de Dormition et considèrent simplement qu'elle est morte sans souffrance dans un parfait état de paix spirituelle.
Pour aller plus loin
- Marie de Nazareth au regard des chrétiens du premier siècle, de Charles Perrot. CERF, 2013.
- La Vierge Marie dans L'Evangile, de Pierre-charles Landucci. Salvator, 2010.
- Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie, de Joachim Bouflet. Editions du Cerf, 2020.
- MAES Bruno (sdd), Jubilé et culte marial (Moyen-âge – époque contemporaine),PU Saint-Etienne, 2009.
Quelques monographies
- Collectif, Autour du culte marial en Forez. Coutumes, Art, Histoire, Actes du colloque des 19 et 20 septembre 1997 à l'Université Jean Monnet à Saint-Etienne, PU Saint-Etienne, 1999.
SERRES-BRIA Roland, Aspects du culte marial en Roussillon et Catalogne, Tdo éditions, 2012.