1VENDEMIAIRELa première Terreur blanche, durant la Révolution française, a été une violente réaction antijacobine durant la Convention thermidorienne (1794-1795). Après la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794) et, surtout, après l'échec au printemps 1795 des tentatives révolutionnaires du 12 germinal (1er avril) et du 1er prairial (20 mai), les royalistes ou « blancs » mènent une violente répression contre les sans-culottes jacobins. Cette Terreur blanche, pendant de la Terreur « rouge » des sans-culottes durant le régime « robespierriste », perdure ponctuellement durant tout le Directoire.

 

La France révolutionnaire divisée

Si les terreurs blanches furent moins meurtrières que la terreur révolutionnaire, les excès qui furent commis après l’exécution précipitée et sans jugement de Robespierre et après la seconde abdication de Napoléon n’en furent pas pour autant anodins même s’ils n’occupent qu’une place modeste dans l’histoire officielle. Les penchants les plus terribles de l’espèce humaines s’y illustrent, comme dans un miroir, avec le même éclat que lors de la chute de la monarchie ; on y voit non seulement les passions politiques poussées à leur paroxysme mais aussi les vengeances personnelles profiter de la désorganisation de l’Etat pour s’y donner libre cours sans contrainte.

Pour comprendre les terreurs blanches, il faut revenir aux débuts de la Révolution. Les oppositions qui se manifestaient alors n’étaient pas seulement politiques ; elles étaient aussi religieuses. Les protestants, encore nombreux, notamment dans les Cévennes et le midi de la France, se montraient plutôt favorables au changement de régime (Rabaut Saint-Etienne était un pasteur nîmois) alors que les catholiques penchaient souvent du côté de l’Ancien Régime. Parmi les catholiques, les Jansénistes étaient également plus portés vers le nouveau cours des choses que les Jésuites. Les querelles religieuses venaient donc renforcer les querelles politiques.

Dans plusieurs villes du midi, des heurts sanglants opposèrent les deux camps. Ce fut en particulier le cas à Nîmes qui comptait une importante communauté protestante appuyée sur ses coreligionnaires des Cévennes. Par suite de manœuvres plus ou moins honnêtes, les catholiques avaient réussi à mettre la main sur la Garde Nationale et à faire nommer maire un aristocrate. Les Partisans de l’Ancien régime s’armèrent de haches et de fourches pour donner la chasse aux habits noirs, c’est-à-dire aux protestants. Ils comptaient sur l’appui du régiment de Guyenne, qui tenait garnison dans la ville, mais celui-ci resta fidèle à la constitution.

Des rixes éclatèrent entre les soldats et les gardes nationaux, les premiers arboraient à la cocarde tricolore, les autres la cocarde blanche. Une insurrection armée royaliste éclata ; elle fut brisée par la troupe qui donna l’assaut à une tour où s’étaient enfermés les mutins avec un pierrier. Contrairement à leur attente, les catholiques de Nîmes ne reçurent aucune aide des autres villes du midi, au contraire ; au surplus, ils ameutèrent contre eux les Cévennes protestantes dont les gardes nationaux vinrent camper aux abords de la ville. Ces événements, qui se déroulèrent en juin 1790, donnèrent lieu à des massacres diversement interprétés selon le camp. Le mouvement des catholiques avait échoué, mais il laissa des traces dans les esprits !

Deux premières tentatives de groupement de forces hostiles à la Révolution, en relation avec l’émigration, eurent lieu en juillet 1790 et en février 1791 dans le Vivarais (camp de Jalès). En juillet 1792, une conspiration encore plus ouvertement monarchiste s’organisa autour d’un des auteurs des tentatives précédentes. Il s’agissait de préparer une insurrection des catholiques du midi sur fond de haine des protestants. Il semble que les auteurs de ce complot surestimèrent la force des antagonismes. Quoi qu’il en soit, leur rassemblement fut dispersé par l’armée et un certain nombre des fuyards entrèrent dans la clandestinité où ils se livrèrent à des actions de brigandages.

chouans vendeeEnsuite, la République naissante vit se dresser contre elle une insurrection royaliste dans l’Ouest (Vendée, Bretagne, Pays de la Loire, Normandie). Nous n’insisterons pas sur l’importance de cette levée de boucliers motivée d’abord par des raisons religieuses (rejet des prêtres assermentés et de la constitution civile du clergé), en second lieu par le refus de la conscription et en troisième lieu par la suppression des communaux, vendus comme biens nationaux, qui privaient les campagnards les plus pauvres de leurs seules ressources. Tous ces soulèvements sont bien connus et ils furent beaucoup plus meurtriers que les terreurs blanches.

En plus de ces soulèvements, à partir de juin 1793, c’est-à-dire après la chute des girondins, le Comité de Salut Public dut aussi faire face à des insurrections fédéralistes en Normandie (Caen), dans le Bordelais, à Lyon et dans le midi où le port de Toulon fut livré aux Anglais. Ces insurrections rapprochaient girondins et royalistes, au moins à Lyon et à Toulon, dans une haine commune des montagnards jacobins au pouvoir à Paris. On doit noter que les habitants du midi étaient loin d’être tous favorables à la cause monarchique. Il faut en effet se souvenir du rôle joué par les volontaires marseillais dans le renversement de la royauté, en août 1792, et dans la popularisation du chant appelé à devenir l’hymne de la France républicaine.

La violence des passions antagonistes qui séparaient les gens du midi permettent cependant d’expliquer en partie les événements qui eurent lieu à l’époque des terreurs blanches. Si les Marseillais jouèrent un grand rôle dans la prise des Tuileries, si l’un des jeunes héros mythique de la Révolution, Agricole Viala, périt victimes des royalistes en 1793, sur le Rhône, près d’Avignon, Marseille n’en resta pas moins aux mains des modérés qui emprisonnaient et guillotinaient des républicains avant même le renversement des girondins. Par la suite, les répressions sanglantes des soulèvements monarchistes et fédéralistes semèrent les graines des revanches futures.

L’époque qui suivit la chute de Robespierre vit non seulement la réhabilitation des partisans survivants de Danton, d’Hébert et des girondins, mais aussi le retour d’exil de quelques monarchistes qui continuèrent à se cacher mais n’en profitèrent pas moins du relâchement de la surveillance pour renouer avec les complots d’antan. Ce fut notamment le cas à Lyon d’Imbert-Colomès ; compromis dans la sanglante répression d’une émeute de la faim en 1789-1790, il avait dû fuir, après la destruction de sa maison à Lyon par une émeute populaire. Loin d’être une période d’apaisement, cette époque fut au contraire celle où les passions s’exacerbèrent. Aucun des acteurs en présence, qu’il s’agisse des derniers montagnards ou de leurs adversaires réhabilités, ne donnèrent la même lecture de la chute du « tyran ».

La réaction thermidorienne

La réaction thermidorienne se caractérisait par l’abandon des dispositions prises en faveur des couches populaires (loi du maximum) et par un assouplissement de la discipline révolutionnaire mais ceux qui firent tomber Robespierre, par peur de la guillotine, souvent à cause de leurs excès et de leurs rapines, ne voulaient nullement mettre fin à la Terreur. Ils furent entraînés par les événements plus loin qu’ils ne le souhaitaient. Je n’en veux pour preuve que les plus farouches extrémistes des Comités restèrent en place au moins pendant un temps. Présenter le mouvement contre l’Incorruptible comme un mouvement contre la Terreur relève donc en partie de la falsification historique ; la plupart des historiens sérieux de la Révolution ont d’ailleurs fait justice de cette présentation tendancieuse.

Dans la lutte des factions qui avait retrouvé droit de cité, ceux qui tenaient pour le moment le haut du pavé, et qui étaient souvent de nouveaux riches libérés de la peur, profitaient de tous les instants qui leur étaient donnés. Ils pensaient que ceux-ci leur étaient peut-être comptés, car l’esprit révolutionnaire était loin d’être dompté, les événements de germinal et de prairial le montrèrent bientôt; au cours de ces journées, l’émeute envahit par deux fois la Convention ; un député (Féraud) fut assassiné et sa tête présentée au bout d’une pique au président Boissy d’Anglas ; le malheureux Féraud était d’ailleurs victime d’une méprise : on l’avait pris pour Fréron, le chef de la jeunesse dorée ! On peut donc comprendre le relâchement des mœurs et aussi la haine que les parvenus portaient aux républicains. Ces muscadins, comme on les nommait, s’appuyaient sur un gourdin plombé qui leur servait de canne pour assommer tous ceux qu’ils soupçonnaient d’être ce qu’ils appelaient la « queue de Robespierre ». C’est dans ce contexte que se développa la première terreur blanche.

1FRERONLa presse, qui avait retrouvé une certaine liberté, jetait de l’huile sur le feu. Les organes modérés et royalistes se déchaînaient contre les terroristes, de même d’ailleurs que les pamphlétaires hébertistes (Gracchus Babeuf), au moins jusque vers la mi-novembre 1794, époque à laquelle les babouvistes refirent alliance avec les jacobins. Louis Fréron avait représenté la Convention dans le Midi avec Barras en 1793 ; il s'y était distingué par sa violence et ses vols ; il fit reparaître, à partir du 11/9/1794, l'Orateur du Peuple, organe de la propagande réactionnaire, dans lequel il faisait preuve d'un anti jacobinisme virulent à l’opposé de l’acharnement qui avait été le sien à l’encontre des royalistes un peu plus tôt. Sans doute Fréron pensait-il faire oublier ainsi que, dans le même organe de presse, en 1791, il rêvait à voix tonitruante la prise d’assaut des Tuileries, la chute de la monarchie, et souhaitait que Marie-Antoinette soit attachée par les cheveux à la queue d’un cheval entier pour subir le sort de Frédégonde.

Sans doute voulait--il faire oublier aussi qu’il se vantait, dans sa correspondance, d’avoir fait massacrer sans jugement à Marseille et à Toulon des dizaines de contre-révolutionnaires et que, s’il avait joué un rôle actif au 9 thermidor, c’était d’abord pour éviter d’avoir à subir la peine de ses crimes. Aux côtés de cet excité qui prétendait maintenant brûler le quartier Saint-Antoine, repaire de carmagnoles, après avoir voulu combler le port de Marseille avec les démolitions de la ville, le royaliste Méhée de Latouche publiait le pamphlet La Queue de Robespierre, et Ange Pitou répandait dans les rues des refrains royalistes. Ces quelques exemples ne sont qu’un pâle reflet des nombreuses feuilles contre-révolutionnaires qui paraissaient alors (Le Messager du soir, Le Postillon des armées, L’Eclair, L’Historien, Les Nouvelles politiques, Le Véridique, Le Rôdeur, Le Précurseur, La Feuille du jour, Le Courrier républicain, bien mal nommé, Le Gardien de la constitution, une constitution que l’on rêvait d’abattre, La Quotidienne...)

Les violences verbales et physiques, contre tous ceux qui ressemblaient de près ou de loin à un jacobin, se multipliaient. A Paris, Tallien et Fréron organisaient des bandes de muscadins. 2000 à 3000 de ces gandins, composés de suspects tirés des prison après thermidor, de déserteurs, d’insoumis, de journalistes, d’artistes, de clercs, de courtiers, de petits commerçants, vivant principalement sur la rive droite et baptisés « Collets noirs », en raison de leur tenue (un habit étriqué au col de velours noir - en signe de deuil, par rapport à la mort de Louis XVI -, avec 17 boutons de nacre - en l'honneur de Louis XVII - les basques taillées en queue de morue et la culotte serrée sous le genou, les cheveux tressés et retenus par des cadenettes), affichaient leur rejet de l'ordre révolutionnaire en agitant leur trique plombée.

Réunis en bande autour des chanteurs et compositeurs Pierre Garat, François Elleviou et Ange Pitou, du dramaturge Alphonse Martainville et du publiciste Isidore Langlois, emmenés par le marquis de Saint-Hurugue, un aventurier, ils prenaient de plus en plus une orientation ouvertement antirépublicaine et menaient une agitation bruyante dans le quartier du Palais Royal; ils faisaient du tapage dans les rues en chantant Le Réveil du Peuple, un chant contre-révolutionnaire ; ils se réunissaient dans les cafés royalistes, lisaient les journaux cités plus haut, interrompaient les spectacles au théâtre pour chahuter un acteur réputé terroriste, imposer une lecture ou un air, attaquaient tous ceux qui, par leurs lectures, leurs propos, leur tenue correspondaient plus ou moins à la description des jacobins ; ils faisaient la chasse aux bustes, contraignant la Convention à sortir Marat du Panthéon, pour le jeter dans un égout, le 8 février 1795, enfin, ils multipliaient les affrontements, dont certains dégénéraient en bagarres, en meurtres et en viols de jacobines.

Les rixes se multipliaient entre la jeunesse dorée et les républicains, jacobins ou non, particulièrement avec les soldats permissionnaires ou de l’Hôtel des Invalides, notamment le 19 septembre 1794, au Palais-Égalité (Palais-Royal). Prenant prétexte de ces violences, les autorités fermèrent le Club des Jacobins en novembre 1794. Même le girondin Louvet de Couvray, qui dénonçait aussi bien les royalistes que les jacobins dans son journal, La Sentinelle, fut pris à partie par de jeunes royalistes dans sa librairie-imprimerie du Palais-Royal, en octobre 1795.

Les jacobins, confrontés à la double hostilité des républicains modérés et des royalistes, et le peuple de Paris, touché par la disette qui frappa durement la capitale pendant l'hiver 1794-1795, en partie à cause de la politique libérale de la Convention qui avait mis fin à la fixation d’un prix maximum pour les grains, on l’a déjà dit, les jacobins donc et le peuple de Paris réagirent et se révoltèrent. Les insurrections du 12 germinal et du 1er prairial an III (1795) échouèrent, et les autorités ordonnèrent le désarmement des terroristes, astreints à résidence ; 1200 jacobins et sans-culottes furent arrêtés. Ce furent les dernières insurrections populaires parisiennes avant la révolution de 1830. Plutôt que d’être guillotinés, les derniers montagnards se suicidèrent dans leur prison avec un seul couteau qu’ils se passèrent de l’un à l’autre. Dans le même temps, les Comités étaient épurés des derniers terroristes.

La revanche des royalistes

Profitant de la réaction thermidorienne, avec le retour des religieux réfractaires et l'afflux d'émigrés à qui de nouvelles dispositions législatives ouvraient une timide porte, des mouvements de vengeance spontanée de royalistes, de familles de victimes de la terreur jacobine et de catholiques fanatiques se développèrent au cours de l'année 1795, dans le sud-est de la France, plus particulièrement la vallée du Rhône, contre les anciens jacobins, les militants sans-culottes, appelés terroristes ou « mathevons » à Lyon, et aussi contre les protestants. Le rappel des anciens girondins se traduisit par le retour de ceux qui avaient livrés Toulon aux Anglais. Beaucoup d’individus partis bien avant la crise de mai juin 1793, vrais émigrés déguisés en girondins, profitèrent de l’occasion qui leur était offerte pour rentrer, menacer les acheteurs des biens nationaux et les délester des fruits de leur travail. Des délégués du nouveau Comité de sûreté générale de Marseille se rendirent même à bord de l’escadre britannique pour y négocier la restauration de la monarchie moyennant le désarmement de la flotte et des arsenaux français ce qui constituait un acte de trahison caractérisé. La Convention fut bientôt obligée d’exclure les émigrés et les traitres à leur patrie du bénéfice des lois de retour.

1SOLEILExploitant réactions paysannes, vengeances populaires et actions contre-révolutionnaires, qui créaient un climat de violence, des chefs monarchistes regroupèrent autour d’eux les jeunes gens mécontents, les anciens fédéralistes, les déserteurs et les criminels. L'agent anglais Wickham, installé en Suisse, établit à Lyon une agence de propagande qui recruta des contre-révolutionnaires, comme Imbert-Colomès déjà cité, et prépara une nouvelle insurrection avec Précy, qui commandait déjà le soulèvement fédéraliste lyonnais de 1793. On facilitait la désertion et on encourageait le refus de la conscription pour affaiblir les armées républicaines. On emprisonnait les généraux républicains, on en destituait d’autres ou on les déclassait comme ce fut le cas pour Bonaparte, tandis que des bandes armées délivraient les émigrés arrêtés.

Les Compagnies de Jéhu (ou de Jésus) et du Soleil, pourchassaient et massacraient tout ce qui leur tombait sous la mains : jacobins, républicains, anciens administrateurs, soldats vacants dans les rues, parents de soldats aux armées, sans distinction d’âge ni de sexe, prêtres constitutionnels, protestants (pour des raisons socio-économiques et politiques autant que religieuses), parfois chez eux, devant leur famille, et parfois dehors, ou bien dans les prisons, à Lons-le-Saunier, Bourg, Lyon (une centaine de suspects auraient été immolés dans les geôles de cette ville tandis que de nombreuses autres personnes étaient immolées sur le pas de leur porte avant d’être jetées dans le Rhône), Roanne, Saint-Étienne, Aix, Marseille, Toulon, Arles (où les deux camps s’accusèrent mutuellement d’exactions), Eyragues, Montélimar, Beaucaire (où de grandes quantité de soufre furent jetées dans les cachots pour tenter de brûler vifs les prisonniers), Tarascon, l’Isle, Salon (où l’intervention des habitants empêcha une tentative sur la prison)....

Les autorités municipales et départementales, noyautées par d’anciens émigrés, se montrèrent souvent complice de ces actions, des représentants en mission aussi (comme Chambon qui ordonna l’arrestation de tous les suspects, après les avoir placés hypocritement sous la protection des lois, fit relâcher des égorgeurs arrêtés par la troupe et arma de briquets les membres de la Compagnie du Soleil). On ne se contentait plus de scier à la base les arbres de la Liberté ! La plupart des victimes portaient la trace de plusieurs coups, de feu, d’armes blanches ou de bâtons, preuve de l’acharnement de leurs meurtriers.

D'autres bandes furent dénoncées, qu'il s'agisse des « Triqueurs », du « Vibou » ou d'un groupe de gardes nationaux chouans dans le Gard regroupant nobles émigrés et éléments populaires. Grâce à des listes de dénonciation, elles s'attaquaient aux anciens agents de l'administration et aux correspondants des sociétés populaires. Le centre de coordination de ces bandes se trouvait à Lyon.

En tenant compte du fait que les poursuites contre les auteurs des massacres étaient à peu près inexistantes et les victimes difficiles à identifier, on considère que 3 % des massacreurs étaient des nobles, 14 % des notables et des maires de bourgades, 12 % des négociants et des membres des professions libérales, 44 % des artisans et des boutiquiers ; les paysans jouaient un rôle important dans les exactions commises sur les routes, certains d’entre eux se transformant en voleurs de grand chemin sous couvert d’agitation politique. De leur côté, les victimes appartenaient plutôt aux couches populaires, artisans et laboureurs à Tarascon, sans-culottes marseillais, ouvriers de l'arsenal de Toulon, et touchaient ainsi la récompense de leur engagement révolutionnaire ; 42 % étaient des soldats, gendarmes, volontaires ou requis, 34 % d'anciens administrateurs et cadres jacobins, 12 % des prêtres constitutionnels, comme le curé de Barbentane, jeté dans la Durance pieds et poings liés.

Il n’est pas inutile d’insister sur le fait que cette terreur blanche, à la différence de la terreur jacobine, ne fut pas institutionnalisée. Elle s’exerça en dehors de toute règle, sans recours à un tribunal, sans l’appareil de la justice et hors de toute légalité. Ceux qui prétendaient restaurer l’ordre commençaient par se faire justice eux-mêmes s’affranchissant ainsi de toute autorité alors qu’ils affirmaient se battre pour l’autorité légitime ! Contradiction fréquente en période troublée. Enfin, la justice était impuissante à punir les coupables car les témoins étaient soit complices soit tétanisés par la peur et n’avaient jamais rien vu, rien entendu.

Si cette première terreur blanche a essentiellement sévi dans la vallée du Rhône et le midi de la France, ce ne fut évidemment pas par hasard. Outre les antagonismes sociaux (lutte des canuts contre les soyeux à Lyon), les querelles religieuses en arrière-plan des oppositions politiques, le souvenir des répressions des soulèvements royalistes et fédéralistes, la proximité de la frontière, qui facilitait les infiltrations, expliquent aussi la relative concentration de cette flambée de violence désordonnée.

1ISNARDL'effondrement des structures du pouvoir jacobin et la faiblesse des autorités thermidoriennes laissaient une bonne place aux adversaires les plus déterminés de la Révolution. A côté des partisans locaux de la cause royaliste : muscadins, clergé réfractaire et parents des personnes exécutées à compter de 1793, le gros des troupes royalistes était constitué, à Lyon, de nobles, de prêtres ou d'aventuriers étrangers à la ville, réfugiés ou arrivés clandestinement de l'étranger. Surtout, les journées insurrectionnelles parisiennes de germinal et de prairial avaient fait craindre un retour en force des jacobins.

Quand les sans-culottes de Toulon se soulevèrent, fin floréal, peut-être manipulés par des provocateurs royalistes, et marchèrent sur Marseille pour délivrer les patriotes détenus, la peur s'empara des modérés, qui craignaient de vivre de nouvelles journées de septembre 1792 ; ils organisèrent une contre-révolution préventive . Faute de pouvoir calmer les esprits, le représentant du peuple à Toulon, Brunet, se brûla la cervelle tandis qu’à Aix un autre représentant, Isnard, ancien orateur girondin, invitait ses auditeurs à déterrer les os de leurs pères pour en faire des massues afin d’assommer les jacobins ! Isnard alla jusqu’à autoriser la création à Brignoles d’une Compagnie du Soleil !

La première terreur blanche en Provence

Au Beausset les sans-culottes désarmés de Toulon furent assaillis, sabrés, mitraillés par les soldats d’Isnard ; les prisonniers, conduits à Marseille, y furent exterminés, soit après avoir été condamnés soit spontanément après la prise d’assaut par une foule furieuse du fort Saint Jean qui servait de prison ; certains, déjà mourant de faim, auraient été achevés par les fumées du soufre et de la paille allumés devant leurs soupiraux ; on enfonçait les portes des cellules à coups de canon et on incendiait celles où les détenus s’étaient barricadés. Pour achever leur affreuse besogne, les bourreaux ne dédaignèrent pas de dépouiller ces malheureux de leurs biens, avant comme après les avoir assassinés, avec l’active complicité du commandant du fort nommé Pagez !

On porte à 200 (voire même jusqu’à 600), dont plusieurs femmes, le nombre des victimes de ces saturnales contre-révolutionnaires, auxquelles participèrent des horlogers et bijoutiers gorgés d’eau-de-vie sous la conduite du fils d’un cabaretier nommé Robin (une sorte de « septembrisation » à l’envers). Le rapport précise que la plupart des morts étaient si défigurés qu’il fut impossible de les identifier ! Plusieurs dépositions de militaires dénoncent le comportement du représentant du peuple Cadroy (du journal Le Véridique) qui, non seulement couvrit les assassins, mais les encouragea même. Des fosses avec de la chaux vive avaient été préparées au lazaret de Marseille, pour ensevelir les cadavres, plusieurs jours avant le massacre et il n’était pas prévu de nourriture pour les détenus le lendemain, preuve que le massacre était prémédité.

1VENDEMIAIREMarseille ne fut malheureusement pas le seul endroit où les prisons furent prises d’assaut. A Aix, le 23 floréal, an III, d’après la municipalité, une trentaine de détenus périrent sous le fer des assaillants. A Tarascon, le 6 prairial suivant, 24 prisonniers, pour la plupart des artisans, et un ex-chanoine, subirent le même sort ; ils auraient été précipités du haut des tours du château dans le Rhône ou sur les rochers qui les auraient déchiquetés. Toujours à Tarascon, le 2 messidor, les excités récidivèrent : 23 autres individus, dont 2 femmes, furent à nouveau défenestrés, sur les trois heures du matin. Dans la nuit du 2 au 3 messidor, le fort d’Eyragues reçut aussi de sinistres visiteurs qui laissèrent sur le carreau un nombre indéterminé de cadavres. A Roanne, 94 prisonniers, dont trois femmes, furent massacrés par une vingtaine d’individus venus probablement de Lyon ; comme les détenus se défendaient, et tuèrent même quelques-uns de leurs assaillants, ces derniers mirent le feu à la prison.

Des insurrections armées, dans le même esprit que celle des sections de Paris au 13 vendémiaire, secondèrent les mouvements désordonnés des foules. Citons celle de la Drôme dirigé par un certain Job Aimé et le marquis de Lestang. Leur armée ne parvint pas à prendre le château d’Avignon dont on pense qu’elle se proposait d’égorger les prisonniers. Elle échoua également devant Montélimar. Finalement, des troupes rappelées de l’armée d’Italie la dispersèrent. Mais d’autres mouvements similaires agitaient les régions environnantes, notamment en Ardèche, dans le Gard et dans la Lozère ; un coup de main fut tenté sur la manufacture d’armes de Saint-Etienne. L’écrasement de l’insurrection des sections parisiennes calma évidemment ces levées militaires sans mettre fin aux exactions.

Outre les crimes politiques, les massacres relevaient aussi pour une bonne part d'opérations crapuleuses, de revanches contre les membres de certaines communautés ou d'anciens antagonismes régionaux, accablant protestants ou acquéreurs de biens nationaux. Ainsi, les autorités, menacées par la violence populaire de la confession religieuse adverse, n'hésitaient pas à la détourner sur les anciens terroristes. Ces violences allaient de la menace à l'insulte, à l’arrestation arbitraire sans mandat, à l'assassinat de prisonniers, en passant par des attaques personnelles, des pillages, des emprisonnements et des mises à mort individuelles (notamment par lapidation). Il est difficile d’avoir une idée exacte du nombre des victimes ; toutes n’étaient pas détenues et le nombre des assassinats commis dans les prisons fut probablement minoré par des administrateurs qui craignaient la réprobation de Paris. Suivant les sources, on trouve une soixantaine de tués à Aix, de 47 à 60 à Tarascon, 55 (ou 14 ?!) entre Orange et Pont-Saint-Esprit, lors d’un transfert prisonniers. On estime à plusieurs milliers (de 2000 à 30000 !) le nombre total de ceux qui perdirent la vie dans ces journées.

Ces actes de barbarie se déroulèrent devant de nombreux spectateurs, comme d’ailleurs les exécutions par la guillotine, dans la plus pure tradition des charivaris ou des farandoles[]. Dans le Vaucluse un condamné exposé au pilori aurait été mis en pièce par la foule tandis qu’un autre aurait été enterré vif. A Sisteron, Breyssand, administrateur du district, arrêté à tort et libéré par ordre du Comité de Sûreté générale, arrêté à nouveau alors qu’il s’était réfugié chez ses parents pour échapper à la vindicte de ses ennemis, fut assailli à coups de pierre et de sabre, laissé pour mort, rappelé à la vie par ses anciens administrés, puis immolés sur son lit d’hôpital avant d’être traîné par les rues et découpé en morceaux sur les bords de la Durance !

Sur 415 meurtres commis de l'an III à l'an V dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Var et les Basses-Alpes, 66 % le furent en trois mois, de floréal à messidor an III. Après le soulèvement jacobin de Toulon, le 28 floréal, et l'insurrection parisienne du 1er prairial, les assassinats atteignirent un sommet en prairial avec 50 % des massacres provençaux[]. De la Haute-Loire aux Bouches-du-Rhône, les tueurs traquaient les républicains, souvent désignés par un juge de paix ou un aubergiste. Chaque jour et chaque nuit, des jacobins étaient assaillis, blessés, jetés dans le Rhône.

La première terreur blanche à Lyon

A Lyon, la terreur blanche se prolongea, avec son cortège de violences, d'assassinats collectifs d'anciens responsables terroristes lyonnais et d'éliminations de dénonciateurs suite à la publication de la Liste générale des dénonciateurs et des dénoncés de la ville de Lyon en février 1795, jusqu'à la mise en état de siège de la ville en février 1798[]. A Saint-Étienne, après la libération de nombreux suspects, parmi lesquels se trouvaient des notables de la ville, ainsi que les épurations successives de la mairie et du directoire du département, qui virent l'arrivée, entre décembre 1794 et janvier 1796 de personnalités compromises dans la subversion royaliste, la chasse aux Jacobins fut lancée dès mars 1795. Les 12 et 13 mars 1797, des muscadins, armés jusqu'aux dents, firent régner la terreur dans les rues de la ville ; ils pénétrèrent de force dans le cabaret Verrier, point de rencontres des jacobins, tuèrent trois personnes, blessèrent mortellement un officier municipal, Mory, et faillirent en tuer un autre. Le 12 nivôse an VI, le maire, Jean-Baptiste Bonnaud, fut frappé à la tête, vers huit du soir, par deux individus, deux jours après avoir envoyé perquisitionner la police dans la maison de l'entrepreneur Jovin, où un prêtre réfractaire avait installé une chapelle clandestine. Le gouvernement finit par mettre la ville en état de siège le 28 mars 1798 jusqu'au 22 avril 1800.

Pour mettre fin aux exactions, la Convention envoya à nouveau Fréron dans le midi. Il rapporta de cette mission un témoignage antiroyaliste qui fut publié mais qu’il faut évidemment lire avec prudence, d’autant qu’on le soupçonna d’avoir puisé dans les caisses publiques pour s’enrichir et que les virages à 180° du personnage laissent perplexe. Ses adversaires, entre autres Isnard, l’accusèrent d’avoir ressuscité la terreur jacobine contre les fédéralistes et les royalistes.

La Convention qui vivait ses derniers moments se raidit. Des généraux jacobins, un moment mis à l’écart, furent rappelés, notamment Rossignol et surtout Bonaparte. Avant de se séparer pour céder la place au Directoire, l’assemblée révolutionnaire dut triompher d’une insurrection royaliste de quelques sections de Paris. Barras, qui dirigeait les forces républicaines, s’appuya sur Bonaparte qui mitrailla, avec les canons qu’il avait fait venir du camp des Sablons, les insurgés sur les marches de l’église Saint-Roch, en vendémiaire an III (1795). Par la suite, le Directoire ne fut qu’une suite de coups d’Etat, le pouvoir, fragile et sans cesse menacé, frappant alternativement à droite et à gauche, sur les royalistes puis sur les jacobins.

Lors du coup d’Etat de fructidor, le Directoire triompha une fois de plus grâce à l’intervention de Bonaparte qui lui envoya le général Augereau pour le débarrasser des royalistes lesquels furent déportés en Guyane. Mais il succomba au 18 brumaire sous les coups du même Bonaparte. Ce dernier pacifia enfin la France en mettant un terme aux troubles qui l’ensanglantaient encore et qui n’étaient plus guère que du brigandage. Lors de son retour d’Egypte, quelques probables héritiers de la première terreur blanche dépouillèrent le mamelouk Roustan qui crut alors être la victime d’Arabes français ; mais les dernières lueurs de l’incendie devaient bientôt s’éteindre sous la main vigoureuse du Premier consul...

Bibliographie

- Comment sortir de la Terreur: Thermidor et la Révolution, de Bronislaw Baczko. NRF, 1989.

Les Suites Du Neuf Thermidor; Terreurs Blanches, 1795-1815, de Marc Bonnefoy. Wenworth, 2016.

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