L'âge d'or de la peinture hollandaise
Alors que la peinture mythologique était encore le genre dominant pratiqué par une majorité d'artistes européens, certains peintres hollandais s'attachèrent a contrario à représenter des gestes en apparence anodins. La peinture de genre ne s'intéressait aucunement aux personnages connus, ce n'était pas là le but recherché. Celui-ci est autre et c'est pourquoi sont représentés des individus anonymes. Il s'agissait, selon les mots de l'essayiste Tzvetan Todorov de « représenter ce qui est ». Ce fut, et c'est même d'ailleurs un débat encore actuel que de comprendre la signification de ces tableaux. N'y a-t-il qu'une représentation de la vie quotidienne, ou y a-t-il un rôle moralisateur ?
Dans ce sens, le tableau intitulé « La Sainte Famille » peint par Rembrandt en 1640 représente une matrone, une mère, son bébé et un menuisier travaillant en arrière-plan et faisant dos au spectateur. Faut-il, en considérant le titre du tableau, y voir une analogie avec la sainte famille catholique composée de Marie, Joseph et de Jésus ? Doit-on y voir une simple famille hollandaise avec un père travaillant le bois ? Si Rembrandt a fait référence à la Sainte-Famille, a-t-il pour autant souhaiter montrer les vertus de la vie familiale ? On peut croire que la peinture de genre mêla en fait les deux: certains artistes ne créèrent pas dans un but moralisateur, alors que d'autres le firent.
Dans le même genre, Jan Steen (1625-1679), qui tenait une taverne à Leyde, composait des scènes de maisons désordonnées, où l'ivresse, la paresse, le tabagisme et la lubricité prenaient systématiquement le pouvoir. Souvent aussi peignit-il des tableaux joyeux et harmonieux à l'instar du « Repas de baptême » qui est une huile sur toile de 1664 et qui montre des parents et leurs amis fêtant le baptême d'un nouveau-né qui vient d'avoir lieu. De fait, protestants comme catholiques attachaient une grande importance au baptême – qui était au demeurant l'un des deux sacrements, avec l'eucharistie, à avoir été reconnu par Luther au XVIème siècle – et qui était censé effacer le péché originel. Sacrement, le premier, sans lequel le salut du nouveau-né ne pouvait être assuré, et condamnerait donc l'âme de l'enfant à errer dans les limbes, lieu étrange où souffrances et joies sont impossibles.
Les scènes de genre dans la peinture hollandaise
Réalisé vers 1669, on y voit une femme recevant une lettre d'amour. Le spectateur a l'impression d'être indiscret. Sa précision fascine. La scène est théâtrale, la porte est ouverte, le rideau est levé. Dans la précipitation, la servante, qui a apporté la lettre et était très sûrement impatiente de le faire, a déposé sur le sol ses pantoufles. La servante semble satisfaite d'avoir apporté la lettre, son bras, relâché, en témoigne. Le regard de la musicienne est interrogatif. Les perles et la brillance des tissus renseignent sur son rang. Les tableaux en arrière-plan sont intéressants à bien des égards.
De fait, le sujet du tableau situé derrière la servante confirme la lettre. On y voit un bateau prenant la mer. Le bateau personnifie le galant qui a envoyé la lettre tandis que l'océan personnifie l'amour. Le livre d'emblèmes amoureux de Jan Hermansz. Krul, publié en 1634 ne dit-il pas que « L'amour est comme une mer, l'amant comme un vaisseau » ?
Quelques peintres hollandais célèbres
La scène se déroule dans un intérieur bourgeois mais toutefois modeste. On peut voir à droite au premier plan une chaise percée. A gauche, l'ouverture sur l'extérieur, qui fait entrer la lumière, que Pieter de Hooch maîtrise parfaitement. On remarque aussi quelques peintures qui couvrent les murs.
Parfois aussi il a peint des tableaux représentant des enfants se tenant sur le seuil de la porte restée ouverte (Garçon avec corbeille, La Chambre, Le Jeu de Kolf, Le Messager). Au fond, peut-être a-t-il voulu symboliser la curiosité de l'enfance pour le monde extérieur, autrement dit la recherche et la découverte de l'inconnu. Surtout, c'était pour lui le moyen de mettre en place son art: la maîtrise de la perspective.
Contrairement à tous les autres peintres de son pays, il ne peignait guère pour vivre et gagner de l'argent mais bien plus car il aimait cela (on eût pu dire sans exagérer, s'il n'avait été un vrai professionnel, qu'il s'adonnait à l'art en dilettante), c'est peut-être pour cela que, suivant Todorov, il « transcende l'art de son temps ». D'ailleurs, il n'a jamais changé son rythme: il peignait en moyenne trois à quatre œuvres par an.
C'est un « peintre fin qui peint flou », selon la formule de Daniel Arasse. Dans une majorité de ses tableaux, il semble y avoir un obstacle entre la figure qu'il représente et le spectateur. L'objet principal est ainsi toujours précédé d'un tapis, d'une table, etc. Dans « La dentellière », le fil est d'une précision incroyable alors que le reste est assez flou. Au fond, Vermeer a voulu que le spectateur voit le fil comme la dentellière.
Il n'a peint que très peu de scènes d'extérieur bien que deux d'entre-elles soient devenues célèbres, à savoir « Vue de Delft » et « La Ruelle ». Pour ce qui est de l'homme Vermeer, on sait qu'il fut père de onze ou douze enfants (selon nos lectures, les chiffres variaient). Vers l'âge de vingt ans, il s'était converti au catholicisme, à l'instar de Jan Steen et de Van Goyen. Étonnamment, il mourut pauvre, non en raison d'un quelconque insuccès de ses œuvres.
Pour ce qui est, in fine, de la signification des œuvres génériques, il semble que les artistes aient cherché à montrer que la beauté réside dans chaque chose, dans chaque geste, dans chaque individu. Pour eux, il n'est plus question de faire le dithyrambique pictural de la beauté d'une Aphrodite, mais bien plus de nous faire comprendre que la beauté de la mère allaitant son enfant peut transcender celle de la déesse de l'amour.
La symbolique des objets et la représentation de la femme et de l'enfant
Souvent des objets étaient cachés derrière le réalisme de la représentation mais n'en avaient pas moins une signification morale. Pour n'en citer que quelques-uns, le balai évoque la propreté ou la pureté morale du foyer. La lettre renvoie nécessairement à l'amour. Le miroir signale la vanité. En effet, par la représentation du miroir, les peintres souhaitaient montrer que le corps humain ne peut que se dégrader et ce, même en y ajoutant quelques artifices et en se « rendant beau ou belle ».
Le tableau "Femme lisant" de Pieter Janssens Ellinga montrait une femme lisant dans une pièce bien éclairée. Aux Provinces-Unies, les femmes jouissaient en effet d'une liberté plus prononcée qu'en France et a fortiori qu'en Europe. Mais il ne faut pas pour autant croire à l'égalité entre les sexes: les femmes n'en sont pas moins invitées à rester chez elle, à concevoir et à éduquer leurs enfants. D'ailleurs, beaucoup de scènes de genre les y invitent. Le cas de Judith Leyster, déjà cité, l'illustre bien. Si elle fut une grande représentante des peintres génériques, la majorité de son Oeuvre fut réalisée avant son mariage.
Très souvent, l'enfant incarne la désobéissance et le désordre. Mais il peut aussi évoquer la vertu. Parfois, des peintres ayant eu peu d'enfants comme Pieter de Hooch (qui en eut deux) représentèrent très souvent des enfants dans leurs tableaux alors qu'un peintre comme Vermeer qui eut douze enfants n'a jamais représenté des enfants !
Pour aller plus loin
- La Peinture Flamande et Hollandaise. Editions Place des Victoires, 2015.
- Les peintres hollandais au XVIIe siècle, de Wilhelm Martin. Monfort, 1994.
- Vermeer et les maîtres hollandais, d' Eloi Rousseau. Larousse, 2017.