Le contexte de la bataille de Koursk
Au printemps 1943, les options stratégiques du Reich Hitlérien sont limitées. Face aux alliés occidentaux, depuis la conférence de Casablanca (janvier 1943), il n’est plus possible d’espérer négocier. Staline qui a peut être sauvé son régime à Stalingrad, est en position de force. Sur un plan matériel et industriel, l’Allemagne est confrontée au spectre d’une guerre d’attrition qu’elle ne peut gagner. Elle est donc condamnée à jouer son va tout dans une nouvelle offensive.
Facteur susceptible de renforcer l’optimisme de Berlin, le véritable démarrage de l’économie de guerre (la fameuse Totaler Krieg du discours de Goebbels de février 43) organisé par Speer. Celui-ci a notamment permis de reconstituer l’arme offensive allemande par excellence : les troupes blindées. Sous l’impulsion du général Guderian (devenu inspecteur général des blindés), celle-ci s’est renforcée et réorganisée, tirant les leçons des affrontements avec les formations blindées soviétiques (et leur fameux T-34). Hitler place beaucoup d’espoirs en de nouveaux matériels comme le chars Tigre ou le char Panther (qui souffrent pourtant de nombreux défauts sur le plan mécanique), à même d’affronter les plus puissants blindés soviétiques.
Une fois la décision prise de repartir à l’offensive à l’est en 1943, encore faut-il déterminer où. Un examen rapide de la carte du front à cette époque offre une réponse rapide et évidente : à Koursk. En effet il y existe un saillant de forme rectangulaire d’environ 180km (nord-sud) sur 140 (est-ouest), résultat des offensives soviétiques de l’hiver. Au centre la ville de Koursk, important nœud ferroviaire, offre une excellente base de départ pour une attaque de l’armée rouge que ce soit vers le sud (Kharkov) ou le nord (Orel).
Manstein qui jouit de la confiance d’Hitler en raison de sa capacité à renverser les situations les plus désespérée, aligne sur le papier des formations impressionnantes. A gauche la 4éme armée blindée d’Hermann Hoth : 10 divisions (dont l’élite des formations blindées et mécanisées comme le corps blindé SS de Hausser), 200 000 hommes et environ 1100 blindés. A droite le détachement d’armée Kempf qui aligne notamment 3 divisions blindées. La pince nord est du ressort de la seule 9éme armée du général Model. Populaire auprès de ses hommes, mais particulièrement brutal Model, qui est un expert de la défensive, aligne 21 divisions (dont 7 blindées et mécanisée) soit 335 000 hommes et près de 900 blindés.
En raison de du tempérament des deux chefs concernés et de la disproportion de leurs forces (et du soutien aérien que peut offrir une Luftwaffe déjà réduite par le manque de carburant), il apparait rapidement que l’essentiel de l’effort offensif sera supporté par les unités de Manstein. Contrairement à Model, le vainqueur de Sébastopol pense que même les fortifications et la profondeur du système défensif soviétique ne pourront arrêter ses chars. Un optimisme infondé, du en grande partie aux insuffisances du renseignement allemand…
La Citadelle de Staline
Fait récurrent de la guerre germano-soviétique les renseignements militaires allemands sous estiment fortement la puissance de l’armée rouge. Par contre si les soviétiques sont passés maitres dans l’art de la désinformation, ils n’ignorent rien des intentions allemandes grâce aux partisans et à un système d’écoutes perfectionné. Ils vont pouvoir ainsi mettre en place un système défensif redoutable. Dés mars 1943 les troupes et les civils (plus de 300 000 !) de la région de Koursk établissent huit lignes de défense d’une profondeur de 300 km.
Tranchées, champs de mines, points fortifiés sont censés canaliser les formations d’attaque allemandes, qu’il reviendra à des réserves blindées de détruire. Le tout est dissimulé selon les techniques éprouvées de la maskirovka, qui expliqueront que jamais les allemands n’auront conscience du potentiel défensif déployé face à eux. Nul doute que si Model avait su que sa 9e armée aurait à faire face à 80 000 mines, 2800 pièces d’artillerie et 537 lance roquettes multiples, il aurait réfléchi à deux fois avant de lancer l’assaut.
Officier brillant il dispose pour s’acquitter sa tâche de plusieurs armées (les armées soviétiques, ainsi que leurs divisions sont de taille plus modeste que leurs équivalents allemands) soit au total 700 000 hommes et 1800 blindés (pas tous des T34 loin de là cependant). Si Model doit percer en deux jours, Rokossoskvi a le temps de son côté et la possibilité de recourir aux réserves sagement accumulés sur ses arrières par Staline.
Face à Manstein, c’est le Front de Voronej du jeune général Vatoutine (42 ans) qui est aligné. Natif de la région et connaissant bien son adversaire, Vatoutine dispose de 6 armées (dont deux ne seront pas attaquées et feront office de réserve). L’ensemble représente 625 000 hommes et 1700 blindés. Pas assez pour empêcher l’offensive de Manstein de se déployer, mais suffisamment pour préparer une contre attaque mortelle…
En effet Vatoutine comme Rokossovski, sait qu’à terme il peut bénéficier de l’aide de deux groupements de réserve accumulés (dont le Front de la Steppe) en arrière du saillant. Afin de coordonner leur action, la STAVKA (Haut-Commandement soviétique) va dépêcher à Koursk ses deux meilleurs officiers le brutal Joukov et le calme Vassilievski. Un duo de choc qui se complète à merveille, tout à fait à même de rivaliser avec ses adversaires germaniques.
Deux semaines pour changer le cours de la guerre
Après plusieurs reports, en partie dus à la volonté d’Hitler de doter ses formations blindées des matériels les plus récents (Chars Panthers entre autres) la date du déclenchement de l’opération Citadelle est fixée au 4 Juillet 1943. Ayant jouit d’une préparation soignée de 4 mois, elle commence à 16 heures par l’entrée en lice des Stukas de la Luftwaffe. Il s’agit de préparer la poussée de la 4eme armée blindée de Hoth qui ouvre le bal au sol.
Pour Model, la situation est encore plus pénible. Le chef de la 9e armée a prudemment opté pour la méthode soviétique : assaut par l’infanterie, puis exploitation par les blindés (alors que Hoth se rue avec ses blindés en tête…à l’allemande). Cependant tard dans la nuit du 4 au 5 la mise en place de ces unités à été rendue compliquée par l’activité d’une artillerie soviétique admirablement renseignée (par des déserteurs entre autres). Comme au sud, la résistance de l’armée rouge est vigoureuse et les champs de mines retardent considérablement l’avancée allemande.
Au soir du 5 juillet, la 9e armée a enfoncé un coin de 20km de large sur 7 de profondeur, au prix de près de 10% de son potentiel (l’équivalent des réserves qui pourront lui parvenir). C’est trop couteux et trop peu, sachant que le 6 Rokossovski lance déjà sa contre offensive. L’assaut manque de coordination et représente un bain de sang pour les soviétiques, mais la 9e armée perd 24 heures de plus. Suffisamment pour que Rokossovski tire les leçons de son échec et réorganise son dispositif.
La bataille de Koursk, la dernière des grandes offensives allemandes à l'est
Une véritable crise se joue au sein de l’état major de Vatoutine qui obtient de Staline, un envoi massif de formations de réserves et notamment la 5e Armée de Tanks de la Garde de Romistrov (venue de Voronej). Malgré les inquiétudes de Vatoutine, Staline a quelques motifs pour envisager la suite des opérations avec optimisme. Le détachement d’armée Kempf n’a pas connu le même succès que l’armée blindée de Hoth et au nord Model n’avance presque plus.
Il faut dire que la 9e armée subit de plein fouet l’usure de ses formations, de plus en plus exposées à l’aviation soviétique. Le 9 juillet, Model qui n’a pas su manœuvrer et s’est fait enfermer dans une logique d’assaut frontaux a de plus donné dans les secteurs les plus forts du dispositif de Rokossovski. Spécialiste de la défense, Model a vite compris qu’il ne pourrait percer. Inquiet pour son flanc nord (les ultimes préparatifs de l’opération Koutousov commencent à être repérés par les allemands), son supérieur le maréchal Von Kluge (groupe d’armées centre) lui ordonne d’entamer un retrait à partir du 12 juillet. Les soviétiques ont alors gagné la moitié de la bataille de Koursk.
C’est donc à Von Manstein qu’il revient de faire la différence. Il est optimiste, certainement parce qu’il ignore l’importance des réserves que les soviétiques vont jeter sur son chemin. Du 9 au 12 en raison de la disposition des forces soviétiques, Hoth finit par orienter son effort vers Prokhorovka, dont la route semble avoir été dégagée par les Panzers SS. Il compte y anéantir la réserve blindée de Vatoutine ce qui lui ouvrirait la route de Koursk. Pourtant il va être surpris, tout comme Hausser et ses SS par l’assaut des Tanks de la Garde de Romistrov.
Le 12 juillet, sur un front de 8km de part et d’autre de la voie ferrée locale, vont s’affronter la fine fleur des armes blindées soviétiques et allemandes. Combat extrêmement rude, Prokhorovka, magnifié par la propagande soviétique, si d’après les recherches les plus récentes ne constitue pas le « chant du cygne de la Panzerwaffe », représente cependant une très mauvaise nouvelle pour Manstein. Les blindés SS y obtiennent certes une victoire défensive mesurée mais ils y subissent des lourdes pertes et ne sont pas en mesure de s’emparer de leur objectif le nœud ferroviaire de Prokhorovka.
Le 13 Hitler convoque Manstein et Kluge à son QG de Rastenburg en Prusse Orientale. L’échec de Hausser l’a certes inquiété, mais il est encore bien plus préoccupé par une autre nouvelle. 3 jours plus tôt les alliés occidentaux ont débarqués en Sicile et se sont emparés de Syracuse. Devant le peu d’efficacité de la défense italienne, l’ile peut être considérée comme perdue à court terme.
Hitler n’a pas donc pas d’autre choix que de constituer une armée de réserve pour sécuriser le flanc sud de la forteresse Europe. Cette dernière doit s’appuyer sur des éléments politiquement sûrs : les SS de Hausser. Privés de son fer de lance, Hoth ne serait donc plus en mesure d’avancer significativement. Citadelle est par conséquent suspendue et s’arrête définitivement le 17. Le Führer a perdu son pari et l’initiative sur le front de l’Est. Il ne reste plus aux armées allemandes qu’à reculer…
Un tournant de la seconde guerre mondiale
L’échec allemand à s’emparer de Koursk et a y anéantir les Fronts Centre et de Voronej, représente un revers gravissime pour le Reich Hitlérien. Le front de l’est n’a pas été raccourci et la constitution d’une réserve stratégique ne pourra se faire qu’au détriment de la situation opérationnelle face à l'armée rouge.
Pire, l’opération Citadelle malgré les pertes qu’elle entraine pour l’armée rouge (255 000 hommes, contre 60 000 allemands) n’empêchera pas les soviétiques de lancer l’opération Koutousov dés le 12 juillet.
A Koursk le mythe de l’invincibilité de l’arme blindée allemande est mort une bonne fois pour toute. C’est avec un esprit nouveau et renforcée par sa confiance en ses propres capacités dans le combat mécanisé, que l’armée rouge entame l’été 1943. La victoire ne peut plus lui échapper.
Bibliographie
- Koursk : Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht (5 juillet - 20 août 1943) de Jean Lopez. Economica, 2008.
- Koursk: La plus grande bataille de chars de l'histoire de François de Lannoy. Heimdal, 1998.
- Erich Von Manstein : Le stratège de Hitler de Benoît Lemay. Tempus, 2010.
- La bataille de Koursk de Yves Buffetaut. Histoire et Collection, 2000.