Les Almohades avant Las Navas de Tolosa
Ces derniers succèdent aux Almoravides (qu’ils ont vaincus au Maghreb) dont ils partagent à peu près la même origine et les mêmes motivations. Leur idéologie politique et religieuse est en revanche originale, à vocation universelle, et s’appuie sur la pensée d’un mahdi : Ibn Tûmart. Ses successeurs se proclament ainsi califes, et affirment une ambition plus vaste encore que les Almoravides. Mais cette doctrine se heurte justement au sunnisme malikite, et provoque lui aussi l’échec à mobiliser les populations andalouses.
Les Almohades prennent la place des Almoravides en Al Andalus, désireux de conduire le jihad : ils occupent Cordoue en 1148, Grenade en 1154 et surtout reprennent Almeria aux chrétiens en 1157. Ils tentent d’imposer, comme les Almoravides, une idéologie de Guerre Sainte, qui culmine avec la grande victoire d’Alarcos en 1195. Mais pourtant ces victoires cachent de vraies difficultés, en particulier face aux chrétiens de plus en plus unis. Ce qui va aboutir à la défaite de Las Navas de Tolosa.
Les chrétiens s'unissent autour des rois d'Aragon et de Castille
Les vingt années qui suivent voient les tentatives d’Alphonse VII pour assoir son pouvoir impérial, grâce à l’allégeance des comtes de Barcelone, Toulouse puis de la Navarre. Cela ne dure guère à cause de l’intervention du pape qui réclame l’application du testament d’Alphonse Ier (ses Etats devaient être cédés aux ordres religieux militaires pour continuer la croisade !). La situation se complique en plus avec l’apparition à la même époque d’un nouveau royaume, celui du Portugal, reconnu par Alphonse VII. En 1139, Alphonse Henriquez est reconnu roi du Portugal par le pape.
La mort d’Alphonse VII en 1157 fait bouger les lignes, mais pas vers l’unité : son royaume est divisé entre ses deux fils, Sanche et Ferdinand, le premier recevant la Castille et le second le Léon. Pourtant, malgré ce morcellement, l’idéal de Reconquista ne semble pas avoir quitté les souverains concurrents.
Une « croisade » ?
Si la Reconquista est un objectif intangible pour les différents rois espagnols, ce n’est pas pour autant qu’ils s’entendent sur les objectifs et sur leurs propres possessions. En effet, ils se disputent eux-mêmes des territoires : le Léon et le Portugal s’étripent sur la Galice du Sud et l’Algarve ; l’Aragon (uni à la Catalogne en 1150) et la Castille, la rive gauche de l’Ebre et le royaume de Murcie ; la Castille et la Navarre, la Rioja, l’Alava et le Guipuzcoa. De plus, la Castille se tourne aussi vers le Nord, avec des visées sur la Gascogne suite au mariage d’Alphonse VIII avec la fille d’Henri II Plantagenêt. Voulant faire reconnaître ses droits sur ces terres, le roi de Castille se rapproche du roi de France Philippe Auguste au début du XIIIè siècle, en mariant le fils de celui-ci, Louis, à sa fille Blanche (future mère d’un certain Saint Louis). Enfin, le Portugal est menacé par le Léon et la Castille qui veulent le dépecer et se le partager…
Participent alors les ordres militaires religieux tels les Templiers et les Hospitaliers mais, surtout, les Espagnols en créent eux-mêmes : l’Ordre de Calatrava par exemple, qui obtient la reconnaissance du pape Alexandre III en 1164. C’est par ce biais que l’on peut rapprocher la Reconquista de la croisade en Orient, à ce tournant de la moitié du XIIè siècle : les souverains n’ont plus le monopole de la lutte, ils sont « concurrencés » par les ordres religieux, des clercs aussi importants que Bernard de Clairvaux et ses successeurs à Cîteaux, et par les papes. La Reconquista n’est plus seulement temporelle, mais aussi spirituelle.
Les almohades, une nouvelle menace
Pourtant, cela ne suffit pas ! En 1195, le nouveau calife almohade débarque à Tarifa et écrase les armées d’Alphonse VIII à la bataille d’Alarcos, une défaite comparable à celle de Zallaqa en 1086, qui a tant ralenti la Reconquista. Les chrétiens doivent plier, d’abord Sanche VII de Navarre et Alphonse IX de Léon, qui acceptent de payer un tribut aux Almohades, puis Alphonse VIII de Castille lui-même qui signe une trêve avec le calife al-Nasir. Le conflit continue entre la Castille et la Navarre…
Les chrétiens ne doivent en fait leur salut qu’aux ambitions du calife qui, grisé par ses réussites en Ifriqiya et dans les Baléares (prise de Majorque en 1203), décide de reprendre l’offensive en Al Andalus, et de briser la trêve. Il faut toutefois la médiation de l’archevêque de Tolède, Rodrigo Jimenez de Rada, pour que les royaumes espagnols fassent la paix en 1208. L’Ordre de Calatrava résiste plus de cinquante jours face aux armées almohades dans la forteresse de Salvatierra, mais les moines-guerriers doivent finalement se rendre.
C’est l’occasion alors pour Alphonse VIII de lever une grande armée de Croisade, le jour de la Pentecôte en 1212 : y participe des Castillans, mais aussi des armées des autres royaumes espagnols et des chevaliers français. L’esprit des combattants est alors bien religieux, plus seulement la volonté de défendre un territoire. Néanmoins, suite à la reconquête de la forteresse de Calatrava le 30 juin, les contingents français reprochent à Alphonse VIII d’avoir été trop clément avec les prisonniers musulmans, et décident de quitter l’armée. Celle-ci est alors rejointe par d’autres troupes espagnoles et se dirige vers Las Navas de Tolosa…
La bataille de Las Navas de Tolosa et ses conséquences
On ne mesure pas de suite l’impact de la victoire chrétienne à Las Navas de Tolosa, mais elle fait grand bruit en Occident. C’est Alphonse VIII qui en sort grand vainqueur du côté espagnol, alors que du côté almohade c’est le début de l’effritement du pouvoir : les années suivantes, les califes doivent même demander l’aide des souverains chrétiens contre leurs rivaux du Maghreb !
Cela n’empêche pas le fait que la bataille de Las Navas de Tolosa est une date-clé de la Reconquista, car elle marque vraiment l’arrêt et même le reflux des musulmans en terre andalouse. De plus, elle est symbolique de l’esprit religieux, que certains qualifie d’esprit de croisade, qui a marqué la Reconquista à partir de la seconde moitié du XIIè siècle.
Bibliographie
- D. MENJOT, Les Espagnes médiévales (409-1474), Hachette, 2006.
- La bataille de las Navas de Tolosa : 16 juillet 1212, de Béatrice Leroy. Lemme Edit, 2012.
- Grandes Heures du Beau XIIème Siecle : D'Hastings à Bouvines en passant par Canossa, Constantinople et Las Navas de Tolosa de Jean-Jacques Tijet. 2008.
- Les plus sanglantes batailles de l'Histoire, Famot, 1997.