L'Afrique du Sud, une terre tourmentée
Au début du XIXème siècle, ce qui est aujourd'hui l'Afrique du Sud connaît une vague de bouleversements sans précédent, qui va la plonger dans la tourmente. Elle est alors peuplée par une multitude d'ethnies, aujourd'hui classées en deux groupes principaux selon leur appartenance linguistique : les Khoïsans à l'ouest (dont l'ethnie principale, les Khoïkhoïs, sont apparentés aux Bochimans de Namibie), et les Bantous à l'est. Ces derniers, dont la famille linguistique s'étend sur toute la moitié sud du continent africain, sont eux-mêmes divisés en sous-familles, dont les deux principales, en Afrique du Sud, sont les Ngunis d'une part, et les Sothos-Tswanas d'autre part. Ces groupes linguistiques ne constituent en rien des entités étatiques, et sont fragmentés en de nombreux clans et tribus dépourvus d'identité « nationale ».
Ces peuples n'étaient plus seuls sur la terre sud-africaine. En 1653, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales établit, à proximité du cap de Bonne-Espérance, une base de ravitaillement pour ses navires en route vers les comptoirs hollandais des Indes. Cet établissement allait devenir la ville du Cap, puis la colonie du même nom. Son peuplement européen est accéléré par de nombreux calvinistes français après que Louis XIV ait révoqué l'édit de Nantes, en 1685. Préférant s'exiler pour ne pas renoncer à leur foi, ces protestants se réfugient pour beaucoup aux Pays-Bas, et certains s'ajoutent aux Hollandais qui partent s'installer dans la colonie.
D'abord concentrés le long de la côte, ces « Hollandais du Cap » soumettent peu à peu les Khoïkhoïs et pénètrent à l'intérieur des terres. Ils y établissent des fermes (d'où leur surnom de Boers, « fermiers » en néerlandais) exploitées grâce à la main d'œuvre khoïkhoï, et à des esclaves malais amenés en nombre des Indes néerlandaises. Une partie d'entre eux, les « Boers itinérants » (Trekboers) pratiquent un pastoralisme semi-nomade qui les conduit à étendre la colonie du Cap toujours plus à l'est. Ils finissent par y entrer en conflits répétés avec un groupe majeur de tribus Ngunis, les Xhosas.
Bien plus à l'est, les peuples bantous d'Afrique du Sud connaissent eux aussi leur lot de bouleversements. L'ascension de Dingiswayo à la tête des Mthethwas, une tribu Nguni, ne marque pas encore une véritable rupture avec le système tribal, mais initie un tournant décisif dans l'histoire du pays. Usant tour à tour de la force et de la diplomatie, Dingiswayo parvient à établir une forme d'hégémonie sur les clans voisins. Cette confédération, encore très informelle, compte notamment dans ses rangs la tribu des Zoulous. L'un d'entre eux, Shaka, s'avère un des plus fidèles et efficaces lieutenants de Dingiswayo, et ce dernier l'aide à prendre le contrôle de la tribu zouloue. L'hégémonie Mthethwa se heurte toutefois à une autre tribu Nguni, les Ndwandwés, et Dingiswayo est tué en les affrontant, probablement vers 1817. La lutte se poursuit entre Shaka, qui revendique l'héritage de Dingiswayo, et le chef des Ndwandwés, Zwide.
Shaka, le roi guerrier
La guerre était plutôt fréquente parmi les Ngunis, mais son impact était minime. Elle revêtait la forme classique des conflits armés tribaux ou « préhistoriques », tels qu'ils ont pu être observés par les ethnologues en Amazonie ou en Papouasie. Les batailles se traduisaient par des affrontements ritualisés limités à des échanges de javelots, durant lesquels les combats rapprochés étaient rares et les pertes humaines faibles. Dans les sociétés pastorales qu'étaient les tribus bantoues d'Afrique du Sud, les principales sources de discorde étaient le bétail et les pâturages, et la forme la plus extrême de conflit armé était le raid pour s'emparer du premier ou chasser un intrus des seconds. Les concepts de bataille décisive ou de victoire totale, tels que les recherchait Napoléon Bonaparte en Europe à la même époque, étaient complètement inconnus des tribus bantoues. Au sein de l'organisation tribale bantoue, les hommes étaient traditionnellement regroupés par classe d'âge, d'une manière assez similaire à celle employée en Europe pour la conscription. Chaque classe d'âge (intanga) était redevable au chef de clan ou de tribu d'une sorte de corvée revêtant des formes variées, au sein desquelles les expéditions guerrières n'étaient qu'une occupation parmi d'autres.
Les réformes de Shaka s'étendirent également au domaine de l'armement. Jusque-là, le guerrier zoulou était équipé de javelots (ipapa), d'un bouclier léger en peau de vache, et d'une matraque (iwisa) pour le combat rapproché. Estimant que le meilleur moyen de remporter la victoire était de rechercher agressivement l'engagement au corps à corps dès que possible, Shaka modifia cette panoplie pour qu'elle s'y adapte au mieux. Le fer de la lance fut allongé – jusqu'à 25 ou 30 centimètres – et élargi, et son manche considérablement raccourci. La lance courte qui en résulta, baptisée iklwa en zoulou et improprement appelée assegaï (« sagaie ») par les Européens, s'employait davantage comme un glaive que comme une lance. Il était interdit de l'employer comme arme de jet, sous peine de mort ; quelques javelots ordinaires étaient lancés avant la charge. Le bouclier fut également agrandi, de manière à être utilisé pour dévier celui de l'adversaire : le guerrier n'avait alors plus qu'à lui asséner un coup d'estoc avec son iklwa. Le bouclier constituait la seule protection corporelle, à l'exclusion de toute autre forme d'armure. Les guerriers zoulous partaient généralement au combat vêtus seulement d'un pagne, les ornements, propres à chaque régiment, étant réservés aux cérémonies. Pour frapper rapidement ses ennemis, Shaka tenait à ce que son armée soit aussi mobile que possible. Ses guerriers voyageaient donc léger, un troupeau permettant d'assurer le ravitaillement en vivres. Pour la même raison, le port des sandales était interdit, car Shaka estimait qu'elles ralentissaient leur porteur. Les bagages de l'armée zouloue se réduisaient au strict minimum. Ils étaient transportés par des porteurs (udibi), enfants et adolescents qui, trop jeunes pour être enrôlés dans les amabutho, n'en étaient pas moins soumis à un système de classes dès l'âge de six ans.
L'essor du royaume zoulou
Expérimentées sous le patronage de Dingiswayo, les réformes de Shaka ne tardent pas à dévoiler leur entier potentiel dans la guerre qui se livre pour sa succession. Aux Ndwandwés plus nombreux, les Zoulous opposent leur supériorité technique et tactique. Shaka affaiblit son adversaire à l'issue d'une première bataille majeure vers 1818, mais la lutte se poursuit. Finalement, il remporte la victoire décisive tant recherchée sur la rivière Mhlatuze. En 1820, Zwide et les Ndwandwés doivent fuir leur territoire, car non contents de les avoir vaincus, les Zoulous s'y installent. Shaka inaugure ainsi un cycle de conquêtes qui durera jusqu'à sa mort. Les voisins des Zoulous doivent se soumettre : ceux qui résistent sont invariablement écrasés par la machine de guerre zouloue à l'issue de sanglantes batailles, et doivent quitter leurs terres pour échapper à l'anéantissement. En fin de compte, Shaka devient le seul maître d'un royaume de plus de 30.000 kilomètres carrés.
Ce faisant, le roi zoulou ouvre aussi la boîte de Pandore. Les populations fuyant les conquêtes zouloues doivent s'installer sur de nouveaux territoires, dont ils chassent à leur tour les occupants précédents. Une réaction en chaîne se propage à travers l'Afrique du Sud. La situation est encore aggravée lorsque certaines tribus adoptent à leur tour l'organisation et les tactiques des Zoulous. Ainsi, les Ndébélés – appelés Matabélés par les Britanniques – se retournent contre Shaka après avoir été ses alliés ; vaincus, ils s'enfuient vers le nord, où ils propagent un peu plus le chaos et finissent par établir leur propre royaume. D'autres se fédèrent pour constituer des États similaires, afin de résister aux envahisseurs. Les fragiles économies pastorales de la région sont dévastées, et la mortalité grimpe en flèche. Le chaos déclenché par les conquêtes zouloues restera connu dans l'histoire sud-africaine sous le nom de Mfecane, « la Dispersion » en zoulou. Le nombre de victimes de la Mfecane est impossible à déterminer, mais certains n'hésitent pas à l'évaluer en millions.
En outre, l'Afrique du Sud subissait à cette époque une forte pression démographique, les contacts avec les colons blancs ayant appris à ses habitants la culture du maïs. Il fallait donc toujours plus de troupeaux, de champs et de pâturages, pour nourrir la population grandissante du royaume et entretenir les amabutho aux rangs toujours plus gros de Shaka. La pression de la colonie du Cap, qui poursuivait son expansion vers l'est, et les agissements des Portugais, qui continuaient à pratiquer le commerce des esclaves depuis le Mozambique tout proche, ont sans doute été des facteurs additionnels.
L'histoire du pouvoir au sein du royaume zoulou n'a jamais été paisible, et Shaka fut constamment en proie aux machinations de ses demi-frères désireux de prendre sa place. En 1828, il est finalement renversé et assassiné par l'un d'entre eux, Dingane. Sa mort met un coup d'arrêt à l'expansionnisme zoulou, car son successeur est davantage préoccupé par la nécessité d'assurer sa position que par de nouvelles conquêtes. Cela n'empêchera pas Dingane d'être tué à son tour par un autre demi-frère de Shaka, Mpande, en 1840. Celui-ci règnera jusqu'à sa disparition en 1872 – chose inhabituelle, de mort naturelle – mais pas avant d'avoir vu ses deux fils aînés se livrer une guerre fratricide pour le titre d'héritier du trône. L'aîné, Cetshwayo, défit et tua son frère, succédant à son père à sa mort. Parallèlement, durant le demi-siècle qui suit l'assassinat de Shaka, le royaume zoulou continue à être engagé dans des raids et des actions frontalières contre ses voisins.
L'obsession des Zoulous pour le combat rapproché explique aussi leur mépris pour les armes à feu, souvent considérées par eux comme indignes d'un vrai guerrier. Les Zoulous furent très tôt en contact avec les armes à feu et s'en procurèrent, mais ils ne les employèrent jamais en nombre, pas plus qu'ils ne cherchèrent à moderniser leur armement. Cet état de fait ne changea pas, même après que les Zoulous eussent rencontrés en combat des troupes armées de fusils. Encore en 1879, la plupart des armes à feu dont ils disposaient étaient d'antiques mousquets à silex qui avaient sans doute été fabriqués en Europe alors que Shaka ne régnait pas encore. Poudre et balles étaient rares et, en partie pour cette raison, les possesseurs de fusils n'avaient pratiquement jamais l'occasion de s'entraîner à leur emploi, ce qui en faisait généralement de piètres tireurs – mais ne signifiait pas que leurs balles ne trouvaient jamais leur cible.
À partir de 1820, les Britanniques vont tenter « d'angliciser » de manière accélérée la colonie du Cap, en particulier sur sa frontière orientale. Cela les conduit à affronter les Xhosas, avec lesquels les Hollandais sont déjà entrés en guerre à trois reprises, et les Anglais deux fois depuis qu'ils contrôlent la colonie. Trois autres guerres sont encore livrées entre 1834 et 1853. Mais ce sont les Xhosas eux-mêmes qui finissent par se porter le coup de grâce : motivés par une prophétie millénariste, la plupart d'entre eux massacrent leur propre bétail et détruisent leurs récoltes. La famine qui s'ensuit, entre 1856 et 1858, rend les Xhosas dépendants de l'aide des colons blancs. Affaiblis, les Xhosas ne conservent plus qu'un territoire restreint – la « Cafrerie » – à l'est du fleuve Kei.
Naissance des républiques boers
La situation ethnique au sein de la colonie du Cap est alors complexe. Initialement dominants, les Afrikaners – terme qui désigne l'ensemble des Blancs néerlandophones, Boers inclus – sont confrontés à l'installation des Britanniques. L'habitude des premiers colons, venus souvent sans femmes, de prendre épouse parmi la population khoïkhoï, ainsi que la présence dans la colonie de nombreux esclaves noirs et malais, aboutit à la naissance de plusieurs groupes ethniques métissés. Ces groupes sont discriminés par les Afrikaners, ce qui conduit l'un d'entre eux, les Griquas, à migrer vers l'est et le nord-est, au-delà des frontières de la colonie. Néerlandophones et occidentalisés, ils finissent par y établir deux territoires distincts, baptisés respectivement Griqualand Ouest et Est.
La politique raciale des Britanniques est complètement à l'opposé de celle des Afrikaners. Dès 1828, la colonie du Cap proclame l'égalité de toutes les personnes libres devant la loi, sans distinction de race. Cette orientation n'est pas uniquement basée sur une idéologie libérale. Elle est également considérée comme un moyen d'assurer la paix sociale au sein de la colonie, et de réduire les sources de frictions avec la population noire – à commencer par les Xhosas. Accessoirement, se concilier les Noirs et les Métis permet aux Britanniques de réduire l'influence des Afrikaners et d'augmenter la leur. L'abolition de l'esclavage, en 1833, accentue encore cette tendance en accroissant la population noire libre. Lorsque la colonie se dote d'un parlement en 1854, elle interdit explicitement toute restriction du droit de vote qui serait basée sur l'appartenance ethnique. À la place, elle établit un suffrage censitaire masculin qui reconnait les formes de propriétés tribales, et dont le seuil relativement modeste – 25 livres sterling – accorde le droit de vote à une large fraction de la population noire. Ce fonctionnement ne sera pas remis en cause avant 1887.
Les Britanniques, toutefois, n'avaient jamais reconnu la république de Natalia. Après quelques accrochages, ils l'annexent en 1843, créant ainsi la colonie du Natal. De nouveau, les Boers refusent d'être gouvernés par d'autres que par eux-mêmes, et beaucoup d'entre eux préfèrent partir. Ils migrent cette fois vers le nord, où ils s'installent sur les rives des fleuves Orange et Vaal. Leur implantation est d'autant plus aisée que les terres qu'ils découvrent sont encore marquées par la Mfecane et ses conséquences : hormis les Ndébélés, qu'ils repoussent au nord du Limpopo dans l'actuel Zimbabwe, Ngunis, Sothos et Tswanas sont éparpillés et généralement trop affaiblis pour s'opposer sérieusement à eux. Les Boers fondent ainsi de nouvelles républiques dont les deux principales, le Transvaal et l'État libre d'Orange, sont cette fois reconnues par la Couronne britannique en 1852 et 1854, respectivement.
Situation politique de l'Afrique du Sud vers 1865. Carte de l'auteur sur une base de "Seb az 86556" (licence Creative Commons). Légende :
Rose : colonies britanniques.
Orange : républiques boers.
Brun : territoires griquas (Gr. O. : Griqualand Ouest ; Gr. E. : Griqualand Est)
Vert : territoires et royaumes tribaux (B. : Basutoland ; S. : Swaziland)
Venant à la suite des conquêtes zouloues et de la Mfecane, les migrations boers achèvent de remodeler le territoire sud-africain. Elles accélèrent le processus de formation de royaumes tribaux inspirés de celui des Zoulous. Outre le Matabéléland, au nord du Limpopo, et le royaume de Gaza dans l'actuel Mozambique, les Swazis constituent le leur – le Swaziland, qui existe toujours en 2014. La tribu sotho des Basothos, ou Basutos pour les Britanniques, fait également de même pour résister à la pression des Boers et aux raids zoulous. Allant jusqu'à adopter les tactiques des kommandos boers, ils se réfugient dans les montagnes et fondent, eux aussi, leur propre royaume : le Basutoland, qui existe encore aujourd'hui sous le nom de Lesotho. Vers le milieu des années 1860, la situation politique de l'Afrique du Sud semble en passe de se stabiliser. Toutefois, un événement imprévu allait attiser les convoitises, en premier lieu celles des Britanniques.
La ruée vers les diamants
Il n'en reste pas moins que l'évidence s'impose au gouvernement britannique, que dirige le conservateur Benjamin Disraeli depuis 1874 : le sol sur lequel les Boers s'échinent à cultiver leur subsistance regorge de richesses minérales. L'ajout de l'Afrique du Sud à l'Empire britannique devient donc une priorité, d'autant plus que le tout jeune Empire allemand commence à s'intéresser au Namaqualand voisin – la future Namibie. Pour étendre plus rapidement la domination britannique sur l'Afrique australe, le secrétaire d'État aux Colonies, Henry Herbert Carnarvon, échafaude le projet d'une confédération qui permettrait d'absorber les royaumes indigènes et les républiques boers. Il s'inspire en cela de ce qui a été mis en place au Canada en 1867, et qui a permis d'intégrer le Bas-Canada francophone – devenu la province du Québec – aux autres colonies de la Couronne en Amérique du Nord. Son idée est d'agglomérer les diverses colonies britanniques et les entités voisines à la colonie du Cap, qui jouit depuis 1872 d'un gouvernement autonome. Début 1877, Carnarvon envoie au Cap un nouveau haut-commissaire pour l'Afrique du Sud, Henry Bartle Frere.
Lorsque Molteno tente d'interférer avec les agissements de Bartle Frere, ce dernier exige – et obtient – du secrétariat d'État aux colonies qu'il dépose le gouvernement Molteno, le 5 février 1878. Ironie du sort, Carnarvon a démissionné la veille, car il s'oppose à Disraeli sur une question n'ayant rien à voir avec l'Afrique du Sud. Son successeur abandonne l'idée d'une confédération sud-africaine... mais Bartle Frere, qui reste en poste, poursuit sur sa lancée sans se soucier de cette nouvelle orientation politique. Sa prochaine cible est le royaume zoulou. Avec l'annexion du Transvaal, la Couronne britannique hérite de la frontière mal définie qu'il partage avec les Zoulous. Lorsqu'une commission indépendante tranche le différend frontalier en faveur des Zoulous, Bartle Frere décide de monter en épingle une série d'incidents ayant eu lieu sur la frontière avec le Natal. Le 11 décembre 1878, il fait remettre au roi Cetshwayo un ultimatum portant sur treize demandes. Plusieurs d'entre elles réclament le désarmement de l'armée zouloue, l'abandon du système des amabutho et l'installation d'un ministre résident britannique au Zoulouland. Délibérément choisis comme tels par Bartle Frere, ces termes sont inacceptables, et Cetshwayo n'y répond pas. Le roi zoulou veut éviter un conflit majeur avec les Britanniques, sans réaliser que c'est précisément ce que Bartle Frere recherche. Il ordonne à ses guerriers de ne combattre que s'ils sont attaqués, et de n'entrer au Natal sous aucun prétexte : la guerre doit rester défensive et frontalière.
Les forces britanniques
L'ossature de chacune des trois forces principales est constituée de deux bataillons d'infanterie régulière. L'armée britannique compte alors 114 régiments d'infanterie, en principe à un seul bataillon de huit compagnies, d'un effectif théorique de 800 hommes environ. Il y a toutefois des exceptions : ainsi, les 60ème et 95ème régiments, qui sont des unités de fusiliers – l'équivalent anglais des chasseurs à pied – comptent quatre bataillons chacun. En outre, les régiments étant dispersés à travers un empire colonial toujours plus vaste, le besoin d'entretenir en métropole un minimum de troupes pour en assurer la défense et servir de réserve stratégique a conduit à ajouter un deuxième bataillon dans certains régiments – en l'occurrence, ceux numérotés de 1 à 25. En général, lorsque l'un de ces deux bataillons sert outre-mer, l'autre est stationné dans les Îles Britanniques. Il ne s'agit pas, toutefois, d'une règle immuable, et les deux bataillons peuvent être déployés simultanément dans les colonies si le besoin s'en fait sentir. C'est le cas, par exemple, des deux bataillons du 24ème régiment à pied (la désignation officielle des unités d'infanterie britanniques est alors Regiment of Foot), affectés à la colonne principale : le I/24ème stationne en Afrique du Sud depuis 1875, le II/24ème l'a rejoint en 1878 après six ans passés en Grande-Bretagne.
Du fait de leur fréquent service outre-mer dans des zones de conflits, les fantassins britanniques, dont le recrutement est exclusivement professionnel, sont généralement des soldats expérimentés. Ils sont armés du fusil Martini-Henry, une arme moderne à chargement par la culasse, depuis 1874. Il ne s'agit pas d'un fusil à répétition : le conservatisme des autorités militaires, qui craignent encore une consommation excessive de munitions, a préféré une arme à un coup, devant être rechargée après chaque tir à l'aide d'un levier sous garde. Le Martini-Henry utilise toutefois des cartouches complètes à étui métallique, ce qui accélère drastiquement le chargement de l'arme : un fantassin entraîné peut tirer dix ou douze coups par minute sans difficulté particulière. Combinée à la discipline d'une armée professionnelle, cette caractéristique confère à l'infanterie britannique une puissance de feu remarquable. En combat rapproché, la troupe dispose d'une baïonnette à douille (les sous-officiers recevant quant à eux un sabre-baïonnette), et des versions raccourcies, carabines et mousquetons, équipent également la cavalerie, l'artillerie et le génie. Toutes tirent une cartouche cylindro-ogivale de 11,43 millimètres de calibre.
Chacune des trois colonnes principales reçoit également une batterie d'artillerie à six pièces. Compte tenu du terrain difficile et de la médiocrité des routes en Afrique du Sud, il s'agit de canons de montagne de 7 livres sur affût léger. Le poids réduit de son projectile – 3,3 kilogrammes pour l'obus ordinaire – limite sa puissance de feu, mais c'est une arme moderne, à canon rayé et chargement par la culasse, construite intégralement en acier. C'est surtout un canon très mobile, le tube pesant 90 kilos seulement, ce qui le rend idéal pour le service colonial. Ce soutien est complété par une batterie de lance-fusées, à raison d'une section par colonne. L'armée britannique est en effet la seule en Europe à avoir adopté cette arme, dont elle a pu apprécier les effets durant ses guerres contre le royaume indien de Mysore, entre 1767 et 1799. Les vieilles fusées Congreve des guerres napoléoniennes ont été remplacées en 1867 par les fusées Hale, stabilisées par un procédé qui les fait tourner sur elles-mêmes pendant leur vol. Ceci accroît leur précision, mais dans la mesure où elles ne sont pas employées en masse, leur utilité sera sans doute plus psychologique que réelle. Beaucoup plus efficace, en revanche, est la mitrailleuse Gatling ; il n'y en a toutefois qu'une seule, qui remplace un des canons de 7 livres de la colonne n°1.
En tout, la force d'invasion que commande Chelmsford comprend environ 16.500 hommes : 6.700 militaires Britanniques et coloniaux, 9.000 indigènes, et 800 employés civils sous contrat – principalement des conducteurs d'attelage. Chelmsford en a 7.800 avec lui, dont 1.800 Blancs. La colonne n°1, commandée par le colonel Charles Pearson, est forte de 6.700 soldats. Quant à la colonne n°4, placée sous les ordres du lieutenant-colonel Henry Evelyn Wood, elle compte environ 2.000 hommes. Pressé d'en finir avec les Zoulous, Bartle Frere n'a pas tenu compte du calendrier dans son ultimatum : si janvier marque le cœur de l'été austral, c'est également celui de la saison humide. De violents orages transforment les pistes sommaires de la région en bourbiers, ce qui complique la progression des lourds chariots transportant le matériel et le ravitaillement des forces britanniques. Pour ne rien arranger, toutes les unités ne sont pas regroupées lorsque l'ultimatum expire : ainsi, Chelmsford n'a avec lui que treize des seize compagnies du 24ème régiment, et sans doute moins de 5.000 hommes appartenant principalement à la colonne n°3 du colonel Glynn. Enfin, c'est également la période de l'année où les amabutho zoulous se rassemblent traditionnellement à Ulundi, de sorte que la mobilisation du royaume est déjà partiellement accomplie avant même que les hostilités n'aient commencé.
Partis de Pietermaritzburg, la capitale du Natal, la colonne Chelmsford établit une base avancée à Helpmekaar, puis loue la mission protestante de Rorke's Drift pour en faire un poste intermédiaire. Celle-ci est située à un peu plus d'un kilomètre d'un passage rocheux sur la Buffalo – ce qu'on nomme en jargon topographique sud-africain un drift, d'où le nom de la localité – qui permet de la franchir à gué. C'est là que les hommes de Chelmsford, après avoir laissé une compagnie du II/24ème à la mission, entrent au Zoulouland, le 11 janvier 1879.
L'invasion du Zoulouland
Le lendemain, la colonne progresse de six kilomètres vers le nord-est, où elle attaque et brûle le kraal d'un chef de clan zoulou, Sihayo. Cette victoire facile – elle a coûté aux Britanniques deux tués et quinze blessés – fait toutefois l'effet d'un électrochoc sur Cetshwayo. Le 17 janvier, il envoie son impi vers l'ouest, avec cette instruction simple : « Marchez lentement, attaquez à l'aube, et dévorez les soldats rouges ». Deux jours plus tard, l'armée zouloue se scinde en deux, une partie se dirigeant vers le sud pour aller à la rencontre de la colonne n°1. Quant aux amabutho stationnés dans le nord, face à la colonne n°4, ils sont sous le contrôle direct des chefs de clans locaux, qui jouissent, en raison de la distance qui les sépare d'Ulundi, d'une certaine autonomie de fait vis-à-vis de Cetshwayo.
Après sa victoire contre Sihayo, Chelmsford renvoie à Rorke's Drift les trois blessés blancs de l'accrochage : un hôpital de fortune a été établi dans la mission. Les douze blessés indigènes n'ont pas ce privilège. Puis il établit un camp sur les bords d'une petite rivière, la Batshe. Les Britanniques vont y rester pendant toute une semaine, car Chelmsford veut auparavant reconnaître le terrain et ouvrir une route à peu près carrossable. Ce n'est que le 20 janvier que la colonne se remet en route. Elle parcourt une dizaine de kilomètres vers le sud-est, jusqu'à un point choisi à l'avance par le général : un terrain en pente douce, au pied d'un inselberg qui le domine d'une centaine de mètres environ. La montagne culmine à 1.284 mètres et porte le nom d'Isandlwana, « la petite main » en zoulou. L'emplacement offre un vaste espace pour établir un camp et parquer les chariots du train de ravitaillement. En revanche, il est dominé au nord par un plateau situé à moins d'un kilomètre, et qui masque la vue dans cette direction. Vers l'est et le sud-est, le terrain est plus ouvert, mais ses ondulations limitent sérieusement la portée visuelle. Il est également creusé de profondes ravines, lits de rivière asséchés baptisés dongas. Enfin, vers le sud, il devient beaucoup plus accidenté.
Pendant ce temps, les Britanniques ont établi leur camp à Isandlwana. Avant sa campagne, Chelmsford a formulé à ses différents chefs de colonne des instructions précises. Ils doivent notamment former un laager à chaque nouveau bivouac. Or, rien de tel n'est fait à Isandlwana : le général anglais semble agir en violation de ses propres ordres. Certes, il a des circonstances atténuantes. Les chariots normalement utilisés en pareil cas sont nécessaires pour transporter le ravitaillement qui continue d'affluer depuis Helpmekaar via Rorke's Drift. En outre, la colonne Chelmsford manque d'outils pour creuser, et du reste, le sol autour d'Isandlwana est extrêmement dur, avec peu de terre végétale. Il semblerait surtout que Chelmsford ait d'autres idées en tête. Au soir du 20 janvier, ses éclaireurs lui ont signalé d'importants détachements zoulous en direction du sud-est, précisément là où Matyana a établi son kraal, sur la rivière Mangeni. Le lendemain, il envoie des éléments indigènes d'infanterie et des coloniaux montés en reconnaissance dans cette direction, sous les ordres du major Dartnell de la police montée du Natal. Ce dernier y rencontre bientôt des centaines de guerriers zoulous, en train de se concentrer sur le mont Magogo : les hommes de Matyana. Alors que ses hommes établissent un bivouac face à la position zouloue, à 15 kilomètres d'Isandlwana, Dartnell fait demander à Chelmsford du ravitaillement, car les indigènes qui l'accompagnent n'ont ni couvertures ni vivres. Il en obtiendra, mais en quantités insuffisantes. Le détachement Dartnell passe une nuit misérable, dans le froid, avec deux fausses alertes qui empêchent les hommes de dormir. Craignant d'être attaqué, Dartnell demande des renforts en plein milieu de la nuit.
Carte des mouvements précédant la bataille d'Isandlwana, du 11 au 22 janvier 1879. Mouvements britanniques en rouge, zoulous en noir. Légende :
A- L'armée de Chelmsford franchit la Buffalo à Rorke's Drift le 11 janvier.
B- Le 12 janvier, les Britanniques s'emparent du kraal de Sihayo.
C- Le 20 janvier au soir, la colonne CHelmsford établit son camp à Isandlwana.
D- Le 21 janvier, le détachement Dartnell mène une reconnaissance en direction de la Mangeni et y bivouaque, après avoir repéré les guerriers de Matyana.
E- Le même jour, l'armée zouloue s'installe dans la vallée de la Ngwebeni sans être repérée.
F- Dans la nuit du 21 au 22 janvier, Chelmsford emmène plus de la moitié de ses forces rejoindre Dartnell.
G- Dans la matinée du 22 janvier, les Britanniques attaquent les hommes de Matyana et les dispersent.
H- Chelmsford choisit de déplacer le camp sur les rives de la Mangeni et ordonne à Pulleine de le rejoindre.
Chelmsford berné
À Isandlwana, Chelmsford fait le point sur les différents renseignements rassemblés durant la journée. Au nord du camp, les sentinelles déployées sur le plateau n'ont signalé aucune activité particulière. Lui-même, en rendant visite à celles postées sur l'Itusi, un éperon rocheux au sud du plateau, a bien observé quelques éclaireurs zoulous à cheval, mais sans plus. Un petit détachement de cavalerie envoyé vers l'est, le long de la piste d'Ulundi, a rencontré quelques détachements zoulous et même livré un bref accrochage à l'un d'entre eux, mais là encore, la principale armée ennemie se signale surtout par son absence. Chelmsford est pourtant convaincu qu'elle n'est pas loin. À ses yeux, c'est donc forcément vers le sud-est, là où Dartnell a mené sa reconnaissance en force. Lorsque son message lui parvient à 1 heure 30 du matin, lui indiquant qu'il fait face à 1.500 Zoulous et réclamant des renforts, Chelmsford y voit la confirmation de son raisonnement. Voilà, sans doute, pourquoi le général anglais n'a pas pris plus de précautions défensives à Isandlwana : il sait qu'une bataille est proche ; par conséquent, il n'est pas nécessaire d'établir un laager, puisque le camp n'est que temporaire et que la progression ne va pas tarder à reprendre.
Durnford s'exécute immédiatement et quitte Rorke's Drift à l'aube. Il emmène avec lui deux compagnies du NNC (247 hommes), cinq compagnies montées du NNH (267 hommes), ainsi qu'une section de trois lance-fusées servie par 10 hommes. Son arrivée à Isandlwana, peu après 10 heures, porte la garnison du camp à près de 1.800 soldats. Smith-Dorrien, qui reste dans un premier temps à Rorke's Drift, finit par entendre des coups de feu, loin vers l'est. Désireux d'assister de près au combat qui commence, il se fait donner de quoi se défendre – onze cartouches pour son révolver – avant de retourner au galop vers Isandlwana. Il y arrive peu après la colonne Durnford, juste à temps pour assister à une discussion entre ce dernier et Pulleine. La venue de Durnford pose en effet un problème de commandement, car il est d'un grade supérieur à celui de Pulleine – bien que ce dernier soit explicitement en charge du camp. Durnford y coupe court en expliquant qu'il n'a pas l'intention de rester à Isandlwana : l'agressif colonel veut poursuivre sa route vers l'est, d'où provient la fusillade, et attaquer les Zoulous là où il les trouvera. Il demande le soutien de Pulleine, qui refuse de dégarnir les défenses du camp.
Pendant ce temps, l'échange entre Durnford et Pulleine tourne court : une sentinelle vient les prévenir que les Zoulous sont présents en force sur le plateau au nord d'Isandlwana. C'est la deuxième alerte de la matinée, une première ayant déjà obligé la garnison du camp à interrompre son petit-déjeuner, et conduit Pulleine à renforcer les sentinelles par des éléments de la compagnie E du I/24ème. Durnford décide alors d'attaquer : il envoie deux compagnies du NNH vers le nord, et demande derechef à Pulleine d'appuyer ce mouvement. Cette fois, l'officier accepte et fait avancer le reste de la compagnie E, ainsi qu'un détachement de cavaliers coloniaux. Ce qui se passe ensuite est aujourd'hui sujet à controverse. La version communément admise est que les deux compagnies du NNH et les coloniaux repoussent les Zoulous et les poursuivent sur plusieurs kilomètres en direction de la Ngwebeni. Ils y découvrent par hasard un grand nombre de combattants zoulous en train d'attendre silencieusement. Ce fait est corroboré par des témoignages zoulous, qui mentionnent bien la présence de trois unités distinctes de cavaliers blancs et noirs. L'historien Donald Morris estime que les cavaliers de Durnford ont découvert là l'intégralité de l'impi zouloue, dont les chefs, voyant leur position dévoilée, n'auraient alors eu d'autre choix que de lancer l'attaque générale prévue pour le lendemain. Les Zoulous qui ont déclenché l'alerte à 8 heures et de nouveau vers 10 heures 30 sont alors interprétés comme des unités de reconnaissance ou des détachements partis fourrager, ce qui coïncide justement avec le manque de vivres au sein de l'impi.
Le début de la bataille d'Isandlwana, le 22 janvier 1879, vers 10 heures 30. Les lignes en pointillés représentent une compagnie déployée, les carrés les compagnies encore en réserve. Troupes impériales (réguliers britanniques) en rouge, troupes coloniales (Européens) en bleu, infanterie indigène du NNC en vert, cavalerie indigène du NNH en marron, artillerie en rose. Légende :
A- Durnford arrive de Rorke's Drift avec la colonne n°2 vers 10 heures.
B- Vers 10 heures 30, les sentinelles postées au nord-est du camp repèrent les Zoulous en train de faire mouvement sur le plateau.
C- Durnford y envoie deux compagnies du NNH, que Pulleine fait renforcer par une compagnie du I/24ème et une unité coloniale.
D- Les cavaliers dispersent et poursuivent les petits détachements zoulous qui leur font face.
E- Ce faisant, ils découvrent une forte concentration de Zoulous dans un vallon.
Récemment, Ron Lock et Peter Quantrill ont remis cette interprétation en cause. Pour eux, Ntshingwayo avait bel et bien décidé d'attaquer Isandlwana le jour même, vraisemblablement après avoir vu Chelmsford quitter le camp au petit matin, et entendu les Britanniques engager le combat avec les hommes de Matyana. Il aurait alors exploité au mieux l'erreur de son adversaire – diviser ses forces en présence d'un ennemi plus nombreux – et saisi l'occasion qui s'offrait à lui. Lock et Quantrill avancent plusieurs témoignages à l'appui de cette thèse. Le fait que les sentinelles postées sur le plateau décrivent les Zoulous comme étant présents « en force » ou « par milliers » ne cadre pas avec de petits groupes d'éclaireurs ou de porteurs. À Rorke's Drift, le lieutenant Chard repère dans ses jumelles, vers 9 heures 30, une importante force zouloue en train de faire mouvement vers l'ouest. Sa première pensée est que l'ennemi a l'intention de s'interposer entre Isandlwana et Rorke's Drift. Si l'interprétation de Lock et Quantrill, ainsi que l'heure donnée par Chard, sont correctes, cela signifierait que Ntshingwayo a déjà envoyé la « croupe » de l'armée zouloue dans un large mouvement tournant destiné à prendre le camp britannique à revers. Le contact entre les cavaliers et les Zoulous aurait alors eu lieu beaucoup plus près du camp, à trois ou quatre kilomètres, alors que l'impi était déjà en train d'avancer. De fait, le lieutenant Raw, un des chefs de compagnie du NNH, admettra par la suite que ce sont les Zoulous qui ont attaqué ses cavaliers en premier, et pas l'inverse, laissant entendre qu'ils n'ont en rien été pris au dépourvu. En revanche, il paraît peu probable que les cavaliers, qui n'étaient vraisemblablement guère plus d'une centaine, aient réussi à repousser autre chose que de petits détachements zoulous.
L'espace de quelques minutes, cavaliers indigènes et coloniaux parviennent à contenir l'avance des Zoulous. Mais ces derniers sont trop nombreux, et la compagnie Raw, comme les autres, doit décrocher vers le camp. Avant qu'ils ne donnent l'alerte, un guetteur posté au sommet d'Isandlwana informe Pulleine et Durnford que des centaines de Zoulous sont visibles sur le plateau, apparemment en train de se diriger vers le sud-est.
Isandlwana attaquée
Durnford craint qu'ils n'essayent de tomber sur les arrières de la colonne Chelmsford : il décide donc de les intercepter. Après avoir laissé une de ses compagnies montées couvrir les arrières du camp, il emmène vers l'est ses deux compagnies restantes du NNH, ainsi que la section de lance-fusées et une compagnie du NNC pour la couvrir. Sa troupe dépasse ainsi une colline isolée – kop ou kopje en afrikaner – surnommée « Kop conique » en raison de sa forme caractéristique, et entreprend de contourner l'Itusi pour couper la route des Zoulous. Il est alors à peu près 11 heures 30. Tandis qu'artilleurs et fantassins le suivent à pied comme ils le peuvent, Durnford et ses cavaliers galopent sus à l'ennemi. Toutefois, ils doivent vite déchanter : ce que la sentinelle a vu depuis le sommet d'Isandlwana était vraisemblablement la « corne » gauche de l'impi en train de se déployer. Les Zoulous sont présents en nombre, les régiments uVe, uMbonambi et inGobamakhosi regroupant peut-être, en tout, 5 ou 6.000 guerriers. Les cavaliers Basutos mettent pied à terre et commencent à faire feu, mais sont incapables de ralentir les assaillants. Isolé, Durnford ordonne un repli que ses cavaliers exécutent sans mal. Toutefois, il ne croise pas le reste de ses troupes, car la batterie de lance-fusées s'est perdue et à sa suite, la compagnie du NNC. Obliquant vers le nord, les artilleurs marchent droit sur l'Itusi, sur les pentes duquel les Zoulous ne tardent pas à faire leur apparition. Les lance-fusées ont tout juste le temps de se mettre en batterie et de faire feu, mais ils ne sont pas suivis d'assez près par les fantassins et sont submergés. Confrontés à l'avancée ennemie, les soldats du NNC reculent précipitamment.
Dans le même temps, Pulleine a été informé de ce qui vient de se passer sur le plateau. L'avancée zouloue vers le sud menace d'isoler complètement Durnford et ses cavaliers. Aussi Pulleine décide-t-il d'étendre ses lignes vers l'est, dans l'optique de garder le contact avec le commandant de la colonne n°2. Parallèlement, il envoie aussi la compagnie F du I/24ème renforcer la E sur le plateau, ainsi qu'une compagnie du NNC. Toutefois, c'est insuffisant. Les Britanniques sont assaillis simultanément par la « corne » droite (régiments uDududu et uNokhenke, 3 à 4.000 hommes environ), qui cherche à déborder leur gauche, et le « poitrail » (avec les amabutho isAngqu, umKhulushane, umHlanga et umCijo, entre 7 et 9.000 guerriers), qui les attaque de front et commence à dévaler les pentes du plateau sur la droite. Rapidement, les Britanniques n'ont pas d'autre choix que de reculer, ce qu'ils font avec discipline, en s'arrêtant régulièrement pour faire feu et tenir les Zoulous à distance. Pulleine fait avancer la compagnie C du I/24ème pour couvrir leur gauche, et ordonne à la section de canons de 7 livres de se mettre en batterie. Au même moment, il reçoit l'ordre de Chelmsford de le rejoindre ; il y fait répondre que le camp est attaqué. Avec l'engagement désormais massif de l'infanterie et de l'artillerie britanniques, les trois compagnies avancées continuent à battre en retraite, jusqu'à ce que leur gauche soit ancrée sur Isandlwana.
Bataille d'Isandlwana, 22 janvier 1879, vers 12 heures. Légende :
A- Une sentinelle postée au sommet de la montagne observe des Zoulous se diriger vers le sud-ouest.
B- Durnford réagit en emmenant ses troupes leur barrer la route.
C- Sur le plateau, les compagnies montées sont repoussées et poursuivies en force.
D- Pulleine fait déployer ses forces en ligne pour défendre le camp.
E- Chassés du plateau, les Britanniques reculent graduellement jusqu'à la ligne principale.
F- Une bonne partie des soldats du NNC quitte le champ de bataille.
G- Les cavaliers du NNH de Durnford sont attaqués en force et se replient.
H- La section de lance-fusées, égarée, est anéantie par les Zoulous, la compagnie du NNC qui l'accompagne s'enfuit.
Durant la matinée, les forces de Chelmsford multiplient les reconnaissances afin de sécuriser les environs du futur camp sur la Mangeni et débusquer l'armée zouloue. Le général est informé très tôt que les Zoulous ont été vus en force sur le plateau au nord d'Isandlwana, et il demande à l'un de ses officiers d'état-major de grimper sur une hauteur pour observer le camp à la lunette. Celui-ci ne remarque rien de particulier, si ce n'est que les animaux de trait ont été rassemblés au centre du camp – une des mesures qu'a prises Pulleine après la première alerte. Chelmsford renvoie plusieurs éléments du NNC en direction du camp, dont un bataillon aux ordres du commandant Hamilton-Browne. En chemin, les indigènes capturent et interrogent deux guerriers zoulous, qui leur apprennent qu'une attaque massive est sur le point d'être lancée contre le camp à Isandlwana. Hamilton-Browne fait prévenir Chelmsford, mais le général se déplace sans cesse et le messager, semble-t-il, peine à le trouver. Le bataillon du NNC est alors à une bonne douzaine de kilomètres du camp, une distance qu'il lui faudra probablement trois ou quatre heures pour couvrir. Après cinq kilomètres, Hamilton-Browne constate que le camp est effectivement attaqué – probablement vers midi, au moment où les Zoulous commencent à descendre le plateau. Le nombre d'assaillants est si grand que l'officier fait d'abord reculer son unité vers une meilleure position défensive. Mais lorsqu'il veut reprendre la marche pour venir en aide aux défenseurs du camp, ses soldats, sans doute épuisés et effrayés par la masse d'ennemis devant eux, refusent de s'exécuter.
Le sentiment des soldats du 24ème régiment à pied est sans doute très différent. Entraînés et équipés, ils sont aguerris et déployés de manière à tirer de leurs armes une puissance de feu maximale. Il est évident que la vision d'un ennemi aussi nombreux affecte leur moral, mais les deux canons qui les soutiennent l'influencent aussi positivement. Leurs pertes sont très faibles, car les Zoulous ne sont pas arrivés au contact, et leur feu imprécis fait que la majorité des balles passe probablement au-dessus de leur tête. Peut-être certains d'entre eux se comparent-ils à cette « mince ligne rouge » de fantassins qui, un quart de siècle plus tôt, stoppa la charge de la cavalerie russe à Balaklava, pendant la guerre de Crimée. Chacun d'entre eux a reçu 70 cartouches, une dotation qui est sans doute vite épuisée. En arrière, Horace Smith-Dorrien s'efforce de rassembler tous les hommes sans emploi spécifique et leur fait transporter des munitions. Inlassablement, eux et les fourriers de chaque compagnie font des allers retours pour amener les précieuses cartouches sur la ligne de feu. L'exercice, pourtant, est délicat. Les munitions ne manquent pas à Isandlwana – il y a dans le camp britannique plus de 400.000 cartouches – mais elles sont conditionnées dans des caisses vissées, dont l'ouverture est très difficile. Pour ne rien arranger, certains officiers d'intendance refusent de distribuer des munitions à n'importe qui : les habitudes administratives ont la vie dure.
De la résistance au désastre
À quelques kilomètres de là, le commandant Hamilton-Browne a laissé son bataillon sur sa position pour chevaucher, avec quelques officiers, en direction d'Isandlwana. Parvenu à six kilomètres du camp, il peut observer à loisir l'attaque en cours. De sa position, il voit probablement les nuées de Zoulous sur les pentes du plateau et surtout, ceux de la « corne » gauche tentant de déborder Durnford et ses hommes. Il en retire l'impression que le camp est sur le point d'être encerclé et submergé – impression fausse, car à ce moment ses défenses sont encore solides. D'où le nouveau message qu'il fait expédier d'urgence à Chelmsford : « Pour l'amour du ciel venez avec tous vos hommes ; le camp est encerclé et sera pris s'il n'est pas secouru. » Cette fois, l'estafette parvient à trouver son destinataire. Presque simultanément – sans doute vers 12 heures 30 – des éclaireurs lui rapportent que le camp est attaqué. Pourtant, en dépit du caractère presque désespéré du message d'Hamilton-Browne, Chelmsford doute de sa pertinence. L'armée zouloue est, de toute évidence, devant lui ; elle ne peut donc pas être au même moment à Isandlwana, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest. Au pire, il ne peut s'agir que d'une diversion, et Pulleine a largement les moyens de la repousser. Toutefois, Chelmsford décide de grimper au sommet d'un kop d'où l'on peut voir le camp, pour en avoir le cœur net. Le général observe Isandlwana... et ne remarque rien d'inhabituel. Satisfait, il tient le message d'Hamilton-Browne pour une exagération et ne change rien à ses plans. Vers 14 heures, il prend le chemin d'Isandlwana avec son état-major, comme prévu.
Bataille d'Isandlwana, 22 janvier 1879, vers 14 heures 30. Légende :
A- Les hommes de Durnford manquant de munitions, ils se replient jusqu'au camp.
B- La compagnie G du II/24ème recule pour compenser leur départ.
C- Voyant sa droite sans couverture, Pulleine ordonne à ses troupes de reculer jusqu'au camp à leur tour.
D- Pendant le repli, les compagnies restantes du NNC s'enfuient.
E- Une charge simultanée du centre zoulou s'infiltre dans les brèches entre les compagnies britanniques, atteignant le camp et submergeant ses défenseurs.
F- Durnford tente de rallier une partie de ses hommes à la lisière du camp.
G- La corne droite zouloue contourne Isandlwana et attaque l'arrière du camp, coupant la retraite des Britanniques.
Sur la donga qui leur sert de tranchée, les cavaliers indigènes de Durnford commencent à manquer de munitions pour leurs carabines. Ils sont les plus éloignés du camp, et leur chef envoie quelques hommes chercher des cartouches. Toutefois, les chariots de la colonne n°2 qui les transportent se sont égarés dans les méandres du camp, et les cavaliers du NNH ne parviennent pas à les trouver. En désespoir de cause, ils sollicitent les fourriers du I/24ème, mais ceux-ci refusent catégoriquement de leur donner quoi que ce soit. Sur la ligne de feu, la cadence des salves se ralentit. Finalement, Durnford se rend à l'évidence : il doit se replier pour éviter de tomber complètement à court. Ses deux compagnies et les coloniaux montent en selle et reculent vers l'ouest, pour se redéployer dos au camp dans l'espoir d'y recevoir plus facilement de nouvelles cartouches. Ce mouvement oblige d'abord la compagnie Pope à reculer pour faire face à la « corne » gauche des Zoulous. Pulleine se rend compte du repli de Durnford et réalise que son aile droite court le risque d'être flanquée. Il ordonne alors un repli sur une ligne plus courte et plus proche du camp. Puis brusquement, tout s'accélère. Le ciel s'assombrit, plongeant le champ de bataille dans une pénombre irréelle. Il est 14 heures 29 : une éclipse annulaire masque partiellement le soleil. Lorsqu'elle prend fin, le feu de l'infanterie britannique a pratiquement cessé... et les Zoulous assaillent le camp.
La raison de cet effondrement soudain est encore aujourd'hui disputée. Horace Smith-Dorrien, et à sa suite les premiers historiens de la bataille, estiment qu'en raison du conditionnement des cartouches et de la réticence des fourriers à les distribuer librement, les fantassins britanniques se sont retrouvés à court de cartouches, ce qui aurait permis aux guerriers zoulous de les charger sans opposition. Cette version est aujourd'hui pratiquement abandonnée, car rien ne semble indiquer que les munitions aient fait défaut en première ligne. Au contraire, même après l'effondrement des défenses du camp, les compagnies ont continué à faire usage de leurs fusils. De fait, il paraît douteux que la seule dotation initiale des soldats leur ait permis de faire feu presque continuellement pendant plus de deux heures sans être ravitaillés au passage. Il semble donc que l'approvisionnement en munitions, même avec les difficultés évoquées par Smith-Dorrien, ait fonctionné convenablement. Il est possible que l'éclipse elle-même ait joué un rôle, en empêchant les Britanniques de viser correctement leurs adversaires pendant quelques minutes cruciales. Toutefois, la brièveté du phénomène ne paraît pas suffire à expliquer l'effondrement soudain et généralisé des défenses britanniques.
Dans le camp, tout se joue très vite. Les premiers à avoir senti venir le danger sont les conducteurs d'attelages civils, qui ont déjà commencé à partir en direction de Rorke's Drift. Bientôt, la piste se trouve embouteillée, alors que les soldats tentent vainement de rétablir une ligne de défense. Plusieurs compagnies sont déjà dispersées : les hommes qui ne courent pas assez vite sont rattrapés et impitoyablement transpercés à coups de lance. Devant l'irruption des Zoulous au milieu des tentes et des wagons, le sauve-qui-peut devient général.
Vers le « gué des fugitifs »
Pour tous, le chemin du salut passe par le col – nek en afrikaner – qui se trouve entre l'extrémité sud d'Isandlwana et un kop situé un peu plus au sud. Mais cette voie se retrouve coupée : la « corne » droite de l'impi zouloue a contourné la montagne et enfoncé la compagnie du NNH qui tenait le col. Les défenseurs du camp se retrouvent pratiquement encerclés. C'est à cet endroit que la majeure partie d'entre eux sont tués. Durnford tente de contenir la « corne » gauche avec ce qu'il lui reste d'hommes et une unité coloniale, les Carabiniers du Natal, mais il est tué et les Zoulous complètent l'encerclement. Un nombre important de fantassins britanniques se regroupe sur le col autour de la compagnie Pope, mais le carré qu'ils forment finit par être submergé. Pulleine est tué lui aussi, peut-être au milieu d'un autre des petits groupes de soldats qui se forment sur le col.
Malgré cela, le lieutenant Pope et quelques hommes réussissent à percer vers l'arrière. Un peu plus au nord, le capitaine Younghusband et la compagnie C se replient eux aussi vers le nek, s'ouvrant un passage le long de la face orientale d'Isandlwana à coups de fusil. Toutefois, ils finissent par tomber à court de munitions, et les Zoulous leur coupent la route. Ils continuent à se défendre à la baïonnette, leurs ennemis devant même se résoudre à jeter leurs propres morts sur elles pour obliger les soldats à baisser leur garde. Exterminée, la compagnie C n'ira pas plus loin. Dans le camp, la fin de toute résistance organisée laisse place à des scènes de carnage et d'horreur. Obsédés par la nécessité de « laver leur lance » dans le sang, les guerriers zoulous plongent leur fer dans tout ce qui s'y prête : Européens, Africains, blessés, malades, chevaux, bœufs, chiens, rien ni personne ou presque n'est épargné, pas même les jeunes garçons qui servent comme tambours dans l'armée britannique. Les porteurs de l'armée zouloue se joignent à cette orgie de sang, sans doute aussi alimentée par la colère suscitée par les pertes subies pendant les assauts précédents. Conformément à une de leurs coutumes, les Zoulous enfilent les vêtements des hommes qu'ils viennent de tuer. Les réserves de vivres et d'équipement du camp sont également pillées sans restriction.
Bataille d'Isandlwana, 22 janvier 1879, 15 heures. Légende :
A- Durnford est tué au milieu d'un groupe de soldats.
B- La compagnie Younghusband se replie au pied d'Isandlwana, où elle est détruite.
C- Un carré de fantassins britanniques défend la position sur le nek avant d'être enfoncé.
D- Les régiments de la réserve zouloue s'abattent sur les fuyards.
E- Les canons de 7 livres sont renversés et capturés en traversant le lit d'un torrent.
F- Le lieutenant Pope et ses hommes sont rattrapés et tués.
G- Pris au piège en haut d'une falaise, un dernier groupe de soldats britanniques est exterminé par les Zoulous.
H- Les survivants poursuivent leur route vers Fugitive's Drift.
Les survivants qui réussissent à échapper aux obstacles et aux Zoulous traversent bientôt un petit affluent de la Buffalo, puis un marais avant de franchir la Buffalo proprement dite, à gué. Ce dernier restera connu sous le nom de Fugitive's Drift, « le gué des fuyards ». Horace Smith-Dorrien fait partie de ceux qui l'empruntent. Lorsqu'il y parvient, après cinq kilomètres de chevauchée, il découvre une scène de chaos. Saison humide oblige, la Buffalo est en crue, rendant le passage délicat. Des chevaux sont emportés par le courant jusqu'à un tourbillon, quelques centaines de mètres en aval, dont ils s'épuisent vainement à tenter de s'extraire. Smith-Dorrien est finalement rattrapé par ses poursuivants, qui tuent son cheval et les deux blessés qu'il avait rejoints. Il se jette à l'eau et traverse tant bien que mal la rivière en s'agrippant à la queue d'un cheval. Sur l'autre rive, il reçoit l'aide de soldats du NNC, mais n'est pas au bout de ses peines. Lancés à la poursuite des fuyards, les régiments de la « croupe » zouloue traversent en masse la Buffalo à un autre gué, un peu plus en amont. Smith-Dorrien doit reprendre sa fuite et se voit encore poursuivi sur plusieurs kilomètres. Il arrive au crépuscule à Helpmekaar, à presque vingt kilomètres à vol d'oiseau de Fugitive's Drift, où il retrouve quelques autres survivants d'Isandlwana.
Revanche à Rorke's Drift
Ces travaux sont en cours lorsqu'une compagnie du NNH, échappée précocement d'Isandlwana, arrive à son tour à Rorke's Drift. La garnison s'en trouve portée à environ 400 hommes, ce qui est suffisant pour garder les quelques 250 mètres du périmètre défensif. L'infanterie britannique et les hommes du NNC qui disposent d'un fusil se postent le long du rempart de sacs, tandis que les autres sont disposés à l'extérieur, dans un enclos sommaire établi à quelques mètres au nord de la mission. Quant aux cavaliers, ils vont se déployer au-delà de l'Oskarberg (nommé ainsi par Witt, le missionnaire suédois installé à Rorke's Drift), la montagne au pied de laquelle le poste est établi, pour constituer une avant-garde. Les régiments zoulous ne tardent pas à approcher par le sud-est. Les hommes du NNH, qui n'ont probablement pas plus de munitions qu'ils n'en avaient en quittant Isandlwana et en ont assez vu, se retirent alors aussitôt. La compagnie du NNC échappe au contrôle de ses cadres et les imite, suivis aussitôt après par Stevenson et plusieurs de ses sous-officiers. Furieux de les voir abandonner le poste et ses occupants à leur sort, des soldats britanniques leur tirent dessus et tuent l'un d'entre eux. Ces événements ne laissent à Rorke's Drift que 150 hommes, dont 20 sont alités à l'hôpital. Chard et Bromhead laissent dix hommes valides à l'intérieur du bâtiment, dont les murs ont été hâtivement percés de meurtrières, et le reste de leur force garnit le périmètre. Craignant de ne pouvoir le tenir, les officiers font aménager une barricade avec des caisses de biscuit militaire, qui le divise en deux à la hauteur de l'entrepôt. Elle servira de position de repli.
La bataille de Rorke's Drift, 22-23 janvier 1879 (South African Military History Society). Légende :
A- La compagnie du NNC quitte l'enclos extérieur et s'enfuit à l'approche des Zoulous.
B- Une première série d'attaques zouloues est repoussées.
C- Un second assaut met en péril le coin occidental du périmètre défensif.
D- Les Britanniques raccourcissent leurs défenses pendant qu'ont lieu les combats pour l'hôpital.
E- L'hôpital est évacué et les défenseurs se replient sur la barricade de caisses.
F- Le soir, une troisième série d'attaques chasse les Britanniques de l'enclos intérieur.
G- Une contre-attaque nocturne permet aux défenseurs de reprendre le chariot contenant leur eau.
Les raisons de l'attaque contre Rorke's Drift restent obscures. Il est généralement admis qu'elle n'était pas préméditée, Cetshwayo ayant interdit à ses troupes de pénétrer au Natal. Un des fils de Sihayo, qui était alors inDuna dans le régiment inGobamakhosi, a affirmé par la suite que cette action était délibérée, Cetshwayo ayant en réalité prévu une invasion – ou plutôt un raid à grande échelle – contre le Natal. Il est certain que les régiments de la « croupe » n'ont pas traversé la Buffalo intégralement en étant simplement emportés par leur élan à la poursuite des survivants d'Isandlwana, et encore moins lancé trois séries d'assauts coordonnés contre Rorke's Drift sans que leurs chefs ne les aient dirigés. La question de savoir s'ils ont agi de leur propre initiative, ou sur un ordre direct – éventuellement mal compris – de Ntshingwayo, demeure en suspens. L'homme qui était le plus à même de la trancher, Ntshingwayo lui-même, n'aura jamais l'occasion de le faire, puisqu'il sera tué en 1883 en tentant de protéger Cetshwayo d'une tentative d'assassinat. Le roi zoulou, pour sa part, niera toujours avoir ordonné une invasion du Natal. L'hypothèse d'une initiative des izinDuna de la « croupe », frustrés de victoire et de butin en n'ayant pas pris part à la bataille d'Isandlwana, demeure crédible.
Ce mouvement raccourcit leur ligne, mais expose du même coup l'hôpital, dont la devanture n'est pas défendue. Malgré le feu des Britanniques, les Zoulous parviennent à y entrer, et ses défenseurs commencent à l'évacuer en emmenant avec eux les malades. Leur tâche est rendue délicate par le fait que certaines chambres ne s'ouvrent que vers l'extérieur et ne communiquent pas avec les autres pièces. L'un des défenseurs est contraint d'ouvrir des passages à travers les cloisons de briques séchées pendant que les autres défendent portes et fenêtres. Le toit de l'édifice prend feu, accroissant encore le caractère désespéré du combat. Finalement, vingt-deux hommes sur trente réussissent à en sortir vivants. Dans le même temps, la situation des soldats de Chard commence à devenir sérieuse. Grimpant sur leurs propres morts pour atteindre le rempart, les Zoulous arrivent à portée de lance des défenseurs et engagent le corps à corps comme ils le peuvent. Les Britanniques gardent l'avantage grâce à leur position favorable, mais dans leur dos, des tireurs zoulous se sont postés sur l'Oskarberg et leur tirent dessus ; cinq défenseurs sont tués par balle. Ils se replient finalement sur la barricade de caisses. Ce nouveau raccourcissement du périmètre défensif leur permet de repousser les assauts zoulous et de s'abriter de leurs balles derrière le haut toit de l'entrepôt, mais il les oblige aussi à abandonner le chariot qui contient leur réserve d'eau. La tombée de la nuit ne réduit pas le rythme des assauts. S'ils abandonnent l'idée d'enlever la position britannique par l'ouest, les Zoulous n'en lancent pas moins une troisième série d'attaques, par le nord-est. L'enclos à bestiaux est particulièrement visé et vers 22 heures, les Britanniques doivent se résoudre à l'abandonner. Les Zoulous, toutefois, n'iront pas plus loin. À minuit, leurs attaques ont suffisamment faibli pour que Bromhead mène une contre-attaque victorieuse pour récupérer le chariot et sa précieuse eau. La bataille n'est toutefois pas encore terminée, les Zoulous continuant à harceler le poste. La dernière attaque a lieu à deux heures du matin ; après cela, les assiégeants se contentent, pendant deux autres heures, de tirer au jugé sur les défenseurs, avant de se retirer.
Les 24 heures qui viennent de s'achever vont ébranler l'Empire britannique. La nouvelle du désastre d'Isandlwana parvient à Londres début février. Le cabinet Disraeli se retrouve rapidement contraint de poursuivre la guerre jusqu'à un terme victorieux. Premièrement, l'honneur de la nation exige d'être lavé – fût-ce dans le sang des Zoulous. Deuxièmement, l'aveu d'une défaite face à une nation indigène impacterait tout le reste de la politique coloniale britannique. Troisièmement, les élections législatives de 1880 approchent, et Disraeli tient, naturellement, à conserver le pouvoir.
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Des renforts sont donc envoyés en masse en Afrique du Sud. Vient alors le temps de la recherche des responsabilités. Chelmsford est assez rapidement pointé du doigt, mais il dispose de suffisamment d'appuis bien placés pour dévier le gros des critiques sur Pulleine et Durnford, deux boucs émissaires commodes puisqu'ils sont morts et ne peuvent se défendre. Après quelques hésitations, Garnet Wolseley est finalement envoyé en Afrique du Sud pour remplacer Chelmsford. Cet officier s'est rendu populaire pour sa victoire éclair sur les Ashantis de la Côte de l'Or – l'actuel Ghana – en 1874. Toutefois, il n'arrivera pas au Cap avant le mois de juin. Paradoxalement, la victoire des Zoulous plonge leur royaume dans le conflit majeur que Cetshwayo espérait éviter. L'ampleur de la défaite britannique à Isandlwana en fait certes un triomphe zoulou, mais elle est également trop grande pour ne pas appeler une contre-offensive d'envergure plus grande encore. Le roi rappelle son impi, qui rentre à Ulundi sans pousser son avantage. Ce faisant, elle manque l'occasion d'écraser totalement la colonne Chelmsford, amoindrie, et qui a perdu la majeure partie de ses approvisionnements à Isandlwana.
Ce fait tendrait à corroborer les affirmations de Cetshwayo sur son désir de maintenir le conflit dans un cadre limité, et d'éviter son extension au Natal voisin. Dans le même ordre d'idées, le retrait des forces qui assaillaient Rorke's Drift, alors que le poste semblait en mesure d'être pris, laisse à penser que Ntshingwayo a alors repris le contrôle des régiments de sa « croupe » et les a ramenés en territoire zoulou. Il y a toutefois un autre facteur à prendre compte : les Zoulous ont subi des pertes terribles. On estime généralement qu'Isandlwana leur a coûté près de 1.000 tués et peut-être le double de blessés. Parmi ces derniers, beaucoup, sans doute, sont atteints d'infections contre lesquelles la médecine traditionnelle zouloue ne peut pas grand-chose, et mourront de leurs blessures. Si l'on y ajoute les morts de Rorke's Drift et une proportion similaire de blessés, on peut en déduire que les pertes zouloues avoisinent les 4.000 hommes – environ 20% de l'effectif avant la bataille. Si l'on veut bien se souvenir que chaque ibutho comprend une classe d'âge entière de la population mâle du royaume, on comprendra aisément quelle saignée a pu représenter la bataille d'Isandlwana, même victorieuse, pour les Zoulous. Qu'elle ait eu ou non l'ordre de poursuivre l'offensive et d'entrer au Natal, l'impi commandée par Ntshingwayo était probablement trop affaiblie pour faire autre chose que regagner sa base.
Isandlwana et Rorke's Drift, 22-23 janvier 1879. Légende :
A- Camp britannique à Isandlwana.
B- Fugitive's Drift.
C- Les lieutenants Melville et Coghill sont tués à cet endroit.
D- Le drapeau perdu par Melville est retrouvé à cet endroit.
E- Après avoir franchi la Buffalo, la réserve zouloue attaque Rorke's Drift.
La guerre se poursuit
Fin janvier 1879, les préoccupations de Chelmsford sont à cent lieues des médailles éventuelles que pourraient recevoir ses soldats. Sa seule satisfaction provient de la colonne n°1 : le jour même de la bataille d'Isandlwana, ses éléments avancés ont repoussé, près de la rivière Inyezane, une force de 5 à 6.000 Zoulous qui tentait de lui barrer la route. Les pertes britanniques ont été minimes, tandis que les Zoulous ont laissé 350 morts sur le terrain – le feu de la mitrailleuse Gatling a été particulièrement meurtrier. Le lendemain, l'avant-garde de la colonne atteint une mission abandonnée à Eshowe. Pearson ne tarde pas à y recevoir un message de Chelmsford annonçant le désastre d'Isandlwana et lui ordonnant de se mettre sur la défensive. Plutôt que de risquer une embuscade en se repliant jusqu'au Natal, le chef de la colonne n°1 décide de résister sur place. Début février, il se retrouve isolé à Eshowe avec 1.700 hommes, et soumis à un siège distant. Les Zoulous, sans doute échaudés par leurs pertes précédentes, ne lancent aucune attaque d'envergure, mais attendent que la faim et les maladies fassent leur œuvre. De fait, Pearson n'a de provisions que pour tenir jusqu'au mois d'avril. Parallèlement, les colonnes n°4 et 5 reçoivent elles aussi l'ordre d'interrompre leurs opérations offensives. Moins d'un moins après son déclenchement, l'invasion britannique du Zoulouland est au point mort, et tout ou presque est à refaire.
Il y parvient, mais cette réussite lui coûte cher. Alors qu'il mène moins de 700 hommes dans un mouvement d'encerclement contre Hlobane, le 28 mars, Wood a la désagréable surprise de voir l'armée de Ntshingwayo arriver au secours des défenseurs, retranchés dans des grottes. La retraite qu'il ordonne tourne vite à la fuite, et 225 réguliers britanniques, soldats coloniaux, supplétifs indigènes et Zoulous ralliés sont massacrés. Renforcée par les tribus locales, l'impi zouloue, désormais forte de 20.000 guerriers, marche le lendemain sur Kambula. La stratégie zouloue, dictée par Cetshwayo lui-même, consiste à s'interposer entre Kambula et la base arrière des Britanniques à Utrecht, de manière à obliger Wood à quitter les retranchements de son laager et à l'écraser en rase campagne. L'officier britannique, qui n'a que 2.000 hommes avec lui et craint justement une attaque contre Utrecht, lance une sortie destinée à attirer les Zoulous contre ses fortifications. Le régiment inGobamakhosi se laisse prendre au piège et attaque, entraînant le reste de l'impi à sa suite. Les Zoulous réussissent à s'emparer de l'enclos à bestiaux du camp, mais l'infanterie et l'artillerie britanniques leur causent de lourdes pertes, et ils ne parviennent pas à prendre pied à l'intérieur du laager. Une contre-attaque de Wood reprend le terrain perdu, après quoi une sortie de la cavalerie britannique transforme la retraite zouloue en débâcle. Près de 800 guerriers sont tués à Kambula et plusieurs centaines d'autres durant la poursuite, sans compter les blessés zoulous abandonnés et achevés par les Britanniques durant les ratissages qui s'ensuivent. Par comparaison, les défenseurs n'ont eu que 29 morts et 54 blessés. Hlobane et Kambula rejouent les scènes d'horreur d'Isandlwana et Rorke's Drift, mais cette fois les Britanniques ont remporté une victoire majeure. Assortie à leurs pertes, la défaite des Zoulous brisent le moral de leur impi, qui se retire, meurtrie, vers Ulundi.
Les Zoulous sont alors trop affaiblis pour lancer de nouvelles attaques et se mettent sur la défensive. Cetshwayo multiplie les propositions de paix à Chelmsford, mais celui-ci les rejette. Le général est bien décidé à restaurer intégralement sa réputation, mise à mal par les revers ayant marqué le début de sa campagne, en remportant une victoire décisive avant que Wolseley n'arrive pour le remplacer. Il fait donc accélérer les préparatifs pour une offensive renouvelée, en dépit des protestations de John Colenso, l'évêque anglican du Natal, qui a pris fait et cause pour les Zoulous.
La chute de Cetshwayo
Courant mai, Chelmsford dispose de douze bataillons d'infanterie et deux régiments de cavalerie régulière, cinq batteries d'artillerie dont une intégralement composée de mitrailleuses – une première dans l'armée britannique – et divers éléments coloniaux et indigènes, pour un total de 17.000 hommes. Si ce nombre est à peu près similaire à celui de la première force d'invasion, en revanche, sa puissance de feu est notablement supérieure. La colonne n°1, réorganisée en 1ère division et confiée désormais à Henry Crealock, devra à nouveau avancer le long de la côte. Chelmsford commandera lui-même la force principale, ou 2ème division, dans une avance vers Ulundi – cette fois à partir de Kambula. Quant à la colonne n°4 de Wood, elle est rebaptisée « colonne volante » et chargée de couvrir les flancs de la 2ème division. À partir de la mi-mai, les Britanniques multiplient les reconnaissances en vue de leur offensive, livrant à l'occasion des escarmouches avec les Zoulous.
L'incident ne change rien aux plans de Chelmsford. Le 3 juin, ses forces se mettent en route. L'avance des Britanniques est précautionneuse, mais les Zoulous ne les attaquent pas. Cetshwayo, qui sait son armée affaiblie par les engagements précédents, cherche à temporiser et renouvelle ses ouvertures pour obtenir la paix. Chelmsford, derechef, les rejette, alors que son armée parvient en vue d'Ulundi à la fin du mois. Le général britannique se retrouve lui-même pressé par les événements : Wolseley est arrivé en Afrique du Sud et fait route pour rejoindre la 1ère division ; dans l'intervalle, il a ordonné à Chelmsford de suspendre ses opérations et d'attendre que les deux divisions réunissent leurs forces. Wolseley, toutefois, est retardé par une tempête qui l'empêche d'arriver au Zoulouland par bateau, et il doit faire le trajet par la route. Chelmsford en profite pour ignorer ses instructions. Il veut sa revanche sur les Zoulous, et déclenche la bataille finale le 4 juillet. Sachant pertinemment que ses ennemis n'attaqueront pas son camp fortifié après leur déconvenue de Kambula, Chelmsford décide d'aller les affronter en rase campagne. Ce faisant, il adapte la tactique du laager à l'offensive : 5.200 hommes forment un carré mobile soutenu par dix canons et deux mitrailleuses, à l'intérieur duquel la cavalerie attendra le moment opportun pour lancer une sortie décisive. C'est un succès, et le scénario de Kambula et Gingindlovu se répète. 12 à 15.000 guerriers zoulous voient leurs charges se briser face à la puissance de feu britannique, aucun d'entre eux n'approchant à moins de trente mètres du carré des « soldats rouges ». Puis vient de nouveau la sortie des cavaliers, qui disperse et massacre les vaincus. Cetshwayo fuit son kraal, et Ulundi est incendiée. La dernière bataille majeure de la guerre anglo-zouloue est terminée en moins de deux heures.
De la victoire à la défaite
Avec l'occupation du royaume zoulou, la politique de « confédération » sud-africaine initiée par Carnarvon et poursuivie par Bartle Frere semble en passe de se réaliser. Elle finit toutefois par se retourner contre le haut-commissaire, déjà sur la sellette en métropole dans la mesure où ses menées agressives ont conduit à la catastrophe initiale d'Isandlwana, en dépit du succès ultérieur des armes britanniques. En 1880, toujours désireux de désarmer les royaumes tribaux indigènes, Bartle Frere s'aliène les Basutos, qui refusent de déposer les armes. La guerre qui s'ensuit ne tourne pas à l'avantage des Britanniques, qui subissent plusieurs déconvenues face à leurs anciens alliés. Le traité de paix signé l'année suivante leur concède une grande autonomie. Bartle Frere n'est alors plus en Afrique du Sud : les conservateurs ont perdu les élections législatives de 1880 – en partie à cause du mécontentement généré par les agissements de Bartle Frere en Afrique du Sud – et le libéral William Gladstone, qui succède à Disraeli comme premier ministre, l'a fait remplacer le 1er août 1880. Son départ sonne le glas du projet de confédération sud-africaine mais quelques mois plus tard, c'est le rêve d'une Afrique du Sud unifiée sous la férule britannique qui va subir un coup d'arrêt.
Vers l'Afrique du Sud d'aujourd'hui
Leurs entreprises militaires ayant été déjouées, les Britanniques se tournent vers d'autres moyens. Ils optent pour une colonisation commerciale : fondée en 1888 par Cecil Rhodes, la British South Africa Company se voit accorder le monopole de l'exploitation industrielle des colonies britanniques en Afrique australe. Son influence s'étend rapidement, et Rhodes devient premier ministre de la colonie du Cap en 1890 – ce qui lui confère un pouvoir considérable. Rhodes caresse le rêve d'une zone d'influence britannique s'étendant d'un seul trait du Cap au Caire, assortie d'une ligne ferroviaire. La Compagnie établit un protectorat sur le royaume des Matabélés en 1893, et l'annexe en 1897, à chaque fois par la force. Le territoire conquis, et d'autres situés encore plus au nord, formeront la Rhodésie, administrée directement par la Compagnie jusqu'à ce que la souveraineté en soit transférée au Royaume-Uni en 1924. L'action de Rhodes enferme bientôt les républiques boers dans un étau. Confrontés au nombre croissant de colons anglophones venus dans l'espoir de faire fortune dans l'extraction minière, et à l'attitude de plus en plus menaçante des Britanniques, l'État libre d'Orange et la République Sud-africaine leur déclarent la guerre en 1899, envahissant la colonie du Cap et le Natal. Après plusieurs défaites, le Royaume-Uni réussit à prendre l'avantage grâce à un énorme effort de mobilisation, occupant les deux républiques boers en 1900. À cette phase de guerre conventionnelle succède une guérilla insaisissable, que les Britanniques ne soumettent qu'en 1902 après avoir pris des mesures brutales – regroupant notamment les populations rurales dans des camps de concentration, où les civils boers mourront par milliers de privations en tous genres.
En 1910, les deux républiques annexées deviennent des provinces qui, ajoutées à celles du Cap et du Natal, forment l'Union Sud-africaine, un dominion autonome semblable à ceux qui existent déjà au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. La confédération envisagée par Carnarvon en 1877 voit ainsi le jour... après 33 ans d'efforts, de conflits et de sang versé – bien plus que le secrétaire d'État ne l'avait imaginé. Contre toute attente, la majorité des Afrikaners demeurent loyaux envers le Royaume-Uni lorsqu'éclate la Première guerre mondiale, ce qui leur permet par la suite de devenir la principale force politique du pays, devenu formellement indépendant en 1931. La politique d'intégration de la population noire, déjà sérieusement réduite sous l'impulsion de Rhodes en son temps, cesse complètement en 1948, après la victoire aux élections législatives du Parti national. Cette formation, qui prône la ségrégation raciale et le nationalisme afrikaner, conserve le pouvoir jusqu'en 1994. Elle prône une politique de « développement séparé » (Apartheid) qui assure à la minorité blanche d'Afrique du Sud d'exercer seule le pouvoir. L'Apartheid, avec son lot de violences et d'inégalités, va mettre l'Afrique du Sud au ban de la communauté internationale, une situation à laquelle le pays réagit en quittant le Commonwealth en 1961. Une des mesures majeures de cette politique consiste en la création de bantoustans, sortes de réserves à l'indépendance purement nominale. L'un de ces bantoustans, le KwaZulu, était réservé aux Zoulous et s'étendait sur une portion large, mais pauvre, de la province du Natal.
Sources et bibliographie
- Donald R. Morris, The Washing of the Spears : the Rise and Fall of the Zulu Nation, Cambridge, Da Capo Press, 1965. Réédité en 1998, c'est un des ouvrages de référence sur l'histoire du royaume zoulou, son système militaire, et la guerre anglo-zouloue de 1879.
- John Keegan, Histoire de la guerre, du Néolithique à la guerre du Golfe, Paris, Dagorno, 1996. Le célèbre historien militaire consacre un large passage aux réformes de Shaka.
- Jean Guilaine, Jean Zammit, Le sentier de la guerre, Paris, Le Seuil, 2001. Cet excellent ouvrage sur la violence dans les sociétés préhistoriques décrit bien la pratique de la guerre dans les cultures tribales.