Jean-Jacques Rousseau, de Genève à Paris
Rousseau est né à Genève en 1712, dans une famille protestante d’origine française. Il ne connaîtra jamais sa mère, morte en couche. Abandonné par son père, horloger, à l’âge de dix ans, il est confié à Mme de Warens en 1728. Il noue avec elle des liens intimes et, après une période d’errance en Suisse et à Paris, il regagne la Savoie pour retrouver sa bienfaitrice (1732) et y vivre plusieurs années heureuses. Convertit au catholicisme, il ne peut se fixer et parcourt la Suisse jusqu'en 1732, date à laquelle il s'installe à Chambéry. Là, dans la maison des Charmettes, Rousseau complète son instruction, étudiant le latin, l'histoire, la géographie, les sciences, la philosophie et la musique.
Il écrit un opéra, les Muses galantes (1745), et collabore à celui de Voltaire et Rameau, les Fêtes de Ramise. Fréquentant les salons parisiens, il rencontre Denis Diderot, pour lequel il écrit sur la musique dans l'Encyclopédie. En 1750, son Discours sur les sciences et les arts le fait connaître. Ce succès lui ouvre les portes des "salons", où en raison de son orgueil, il ne se sent jamais à l'aise. Il choisit de vivre misérablement en recopiant des partitions musicales, tout en écrivant un nouvel opéra, le Devin du village (1752), et une comédie, Narcisse (1753). Durant cette période, il fait la connaissance d’une servante, Thérèse Levasseur, avec qui il aura cinq enfants, qu'il abandonnera.
Sa vie durant n’est qu’indépendance et instabilité, ses relations n’en sont que difficiles et son esprit soupçonneux comme nous le remarquons dans les témoignages de ses détracteurs. En regard, il aura eu des amis et des défenseurs.
Les détracteurs de Rousseau
Certes il eut un succès retentissant pour ces écrits, mais il fut critiqué par Fréron « les caractères sont invraisemblables, certains traits sont grossiers, le style souvent emphatique…mais il y a l’éloquence du cœur, le ton du sentiment, le goût exquis de la nature physique, il a de la religion et ne rougit pas de l’avouer ».
Marmontel n’est pas en reste « il avait essayé, pour attirer la foule, de se donner un air de philosophe antique : d’abord en vieille redingote, puis en habit d’Arménien, il se montrait à l’opéra, dans les cafés…mais ni sa petite perruque sale et son bâton de Diogène, ni son bonnet fourré n’attiraient les passants. Il lui fallait un coup d’éclat ; la rupture avec les Philosophes lui attirait une foule de partisans ; il avait bien calculé que les prêtres seraient du nombre ».
De surcroît, J.J. Rousseau aurait eu l’esprit « bizarre » comme le raconte Mercier « il s’imaginait avoir autour de lui une ligue d’ingénieux ennemis qui avaient déterminé les décrotteurs à lui refuser leurs services, les mendiants à rejeter son aumône, les soldats invalides à ne pas le saluer. Il croyait fermement qu’on épiait tous ses discours et qu’une foule d’émissaires étaient répandues dans toute l’Europe pour le dénigrer, soit auprès du roi de Prusse, soit auprès de sa voisine la fruitière qui ne se relâchait du prix ordinaire de sa salade et des poires que pour l’humilier » !
David Hume, secrétaire à l’ambassade de France, fait la connaissance de J.J. Rousseau et constate sa grande sensibilité « toute sa vie il n'a fait que ressentir, et à cet égard sa sensibilité atteint des sommets allant au-delà de ce que j'ai vu par ailleurs ; mais cela lui donne un sentiment plus aigu de la souffrance que du plaisir. Il est comme un homme qui aurait été dépouillé non seulement de ses vêtements, mais de sa peau, et s'est retrouvé dans cet état pour combattre avec les éléments grossiers et tumultueux ». Ils arriveront à se brouiller et cette querelle fera le tour de toute l’Europe.
Ses défenseurs
Il est vrai que lorsqu’il était malade, bon nombre de personnes allaient le visiter comme une « bête curieuse ». Cela contribuait à l’énerver et parfois il devenait grossier. Parmi ses visiteurs, on trouve le duc de Croÿ, le prince de Ligne qui fut heureux de passer huit heures avec J.J. Rousseau « touché par l’effet qu’il produisait sur moi, et convaincu de mon enthousiasme pour lui, il me témoigna plus d’intérêt et de reconnaissance qu’il n’avait coutume d’en montrer à l’égard de qui que ce soit, et il me laissa, en me quittant, le même vide qu’on sent à son réveil après avoir fait un beau rêve ».
Un petit homme, couvert d’une redingote et d’un bonnet blanc l’accueillit au quatrième étage d’une maison et se présentait ainsi « les traits obliques qui tombent des narines vers les extrémités de la bouche, et qui caractérisent la physionomie, exprimaient dans la sienne une grande simplicité et quelque chose même de douloureux. On remarquait dans son visage trois ou quatre caractères de mélancolie par l’enfoncement des yeux et par l’affaissement des sourcils, de la tristesse profonde par les rides du front, une gaîté très vive et même un peu caustique par mille petits plis aux angles extérieurs des yeux ». Son visage offrait donc quelque chose d’aimable, de touchant, de fin, digne de piété et de respect.
Installé dans la pièce principale, le visiteur se trouvait dans une maison calme et propre face à un couple en paix, serein et empli de simplicité. Content, J.J. Rousseau lui montre une série de pots remplis de plantes ainsi qu’une collection de petites boites emplies de graines de toutes espèces. Une amitié naissait.
Le quotidien de Jean-Jacques Rousseau
J.J. Rousseau menant une vie simple était encore frais et vigoureux jusqu’à la fin de sa vie. Debout à cinq heure trente, il copiait quelques morceaux de musique, puis partait tout l’après midi cueillir des plantes en plein soleil, après avoir bu un café chez Mme la duchesse de Bourbon ; à son retour, il soupait et se couchait à vingt et une heure trente : il avait des goûts simples et naturels.
Lorsque J.J. Rousseau évoquait ses visiteurs curieux, de Saint Pierre lui faisait remarquer qu’ils venaient à cause de sa célébrité, il se fâchait et n’acceptait pas ce mot. J.J. Rousseau était sujet à certaines humeurs et Bernardin de Saint Pierre en fit la mauvaise expérience. Un jour qu’il lui rendait visite, il fut reçu de manière glaciale. J.J. Rousseau occupé, de Saint Pierre ouvre un livre en attendant…quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il entendit sur un ton ironique « Monsieur aime la lecture !». Bernardin de Saint Pierre se lève, J.J. Rousseau le reconduit à la porte en disant « c’est ainsi qu’on doit en user avec les personnes avec lesquelles on n’a pas une certaine familiarité ».
Pendant deux mois, ils ne se virent plus jusqu’au jour où J.J. Rousseau le rencontrant, lui demande la raison de ses absences ; il lui explique alors « il y a des jours où je veux être seul…on a beau faire, on sort presque toujours de la société, mécontent de soi ou des autres. Pourtant, je serais fâché de vous voir trop souvent, mais je serais encore plus fâché de ne vous pas voir du tout… l’humeur me surmonte et ne vous en apercevez-vous pas bien ? Je la contiens quelque temps ; ensuite, je ne suis plus le maître : elle éclate malgré moi. J’ai mes défauts. Mais quand on fait cas de l’amitié de quelqu’un, il faut le bénéfice avec les charges »…sur ce, J.J. Rousseau invite à dîner Bernardin de Saint Pierre !
Les grandes oeuvres et les polémiques
En 1757 il est hébergé par Madame d’Epinay à l’Ermitage, dans la forêt de Montmorency. Il y passe quatre années paisibles et studieuses pendant lesquelles il publie trois de ses œuvres les plus importantes. La première, Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), où l’auteur oppose la vie parisienne, frivole et superficielle, à la vie champêtre, idéale selon lui. Dans le Contrat social (1762), Rousseau présente le gouvernement idéal, un gouvernement « naturel », reposant sur la souveraineté du peuple et l’égalité.
L’Émile, la même année, est un roman pédagogique, une pédagogie fondée bien sûr sur la nature. La Profession de foi du vicaire savoyard prône une religion naturiste dont l’influence sera considérable dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les théories religieuses de l’Émile, cependant, attirent sur Rousseau les foudres des autorités. Cet ouvrage est condamné par le parlement de Paris et il doit se réfugier en Suisse, à Môtiers-Travers.
Ces persécutions accentuent les bizarreries de son caractère : c’est ainsi que, pour échapper aux poursuites, dit-il, il décide de se déguiser en Arménien. Chassé de Môtiers, Jean-Jacques reprend sa vie errante. Fuyant de refuge en refuge, notamment en Angleterre à la rencontre du philosophe David Hume, il compose divers écrits, parmi lesquels les Lettres écrites de la montagne (1764), où il répond à ses accusateurs. Les attaques de ses détracteurs et la solitude aggravent chez Rousseau un sentiment de persécution déjà latent et le persuadent peu à peu qu’il est la proie d’un complot, en particulier de la part des encyclopédistes avec qui il est brouillé.
Il rentre en France en 1767. Là, poursuivi par la manie de la persécution, il erre sous un faux nom, avant de regagner Paris en 1770. Il y vit à nouveau pauvrement, rédigeant des projets de réformes politiques et des œuvres témoignant de son isolement et de sa mélancolie, s’engageant à ne plus rien publier de son vivant. Les Confessions (1765-1770, édition posthume 1782-1789), Rousseau juge de Jean-Jacques ou Dialogues (1772-1776, posthume 1789) et les Rêveries du promeneur solitaire (1776-1778, posthume 1782) ne paraîtront qu’après sa mort, survenue à Ermenonville en 1778. Ses cendres ont été transférées au Panthéon par la Convention en 1794.
L'influence posthume de Rousseau
Au point de vue politique, son ouvrage essentiel est Du Contrat social ou Principes du droit politique. La société, pour trouver le bonheur, doit rejeter l’autorité du prince et établir la souveraineté du peuple. Allant beaucoup plus loin dans le domaine de la liberté et de l’égalité que des penseurs politiques comme Montesquieu, Rousseau inspirera sous la Révolution la Déclaration des Droits de l’homme, et de nombreux hommes politiques, comme Robespierre, véritable disciple du Genevois. Plus tard, il se souviendra des théories religieuses de Rousseau pour l’organisation du culte de l’Être Suprême. Avant de réformer la société, cependant, il faut réformer les individus. L’Émile présente ce que doit être l’éducation des enfants, et aura une influence considérable.
Rousseau s'était fait le défenseur des idées démocratiques et égalitaristes, affirmant sa croyance dans la bonté de l’homme naturel, corrompu par la société. Si l’on peut lui reprocher ce simplisme, il n’en reste pas moins que ses écrits sur l'inégalité et les conditions du bonheur sur terre influenceront les révolutions à venir.
Principales œuvres de Jean-Jacques Rousseau
- Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755.
- Julie ou la Nouvelle Héloïse,1761.
- Du Contrat social, 1762.
- Les Confessions, 1765-1770.
Biographies
- Jean-Jacques Rousseau : biographie, de Raymond Trousson. Folio, 2011.
- Jean-Jacques Rousseau en son temps, biographie de Bernard Cottret et Monique Cottret. Tempus, 2011.