Jules Ferry, un républicain laïque
Né à Saint-Dié en 1832, Jules Ferry commence une carrière d’avocat avant d’être élu député puis maire de Paris en 1870. En charge du ravitaillement et du maintien de l'ordre durant le siège de Paris, il y gagne le surnom peu flatteur de Ferry-La-Famine. Fervent soutien de la jeune IIIe République, il rejoint les franc maçons en 1875, puis devient ministre de l’Instruction publique dans les ministères Waddington et Freycinet. Président du Conseil à partir du 23 septembre 1880, il joua un rôle essentiel pendant ces années où les républicains allaient pouvoir appliquer les grands principes de la Révolution française.
Fidèle à cet esprit, Jules Ferry s’attacha à donner à l’État des structures laïques et lutta contre le cléricalisme pour ôter à l’Église son pouvoir dans la société. Plusieurs lois laïcisèrent les coutumes françaises, telle celle qui autorisa à travailler le dimanche et les jours de fêtes catholiques et celle qui supprima le caractère confessionnel des cimetières. La lutte contre le cléricalisme, réclamée par Gambetta dans son discours de 1877, était à l’honneur et, signe des temps, ce fut la même année que le mot « anticlérical » apparut dans le dictionnaire Littré.
Les réformes scolaires de Jules Ferry
Le projet de Jules Ferry n'aurait guère soulevé de passions s’il n’avait contenu un article 7 qui visait les congrégations religieuses : « Nul n’est admis a diriger un établissement d'enseignement public ou privé, de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation non autorisée. » Cet article concernait environ 500 congrégations, mais, ainsi que Jules Ferry ne craignait pas de l’affirmer hautement, une d'entre elles était particulièrement visee, celle des jésuites, « prohibée par toute notre histoire ».
L’article 7 souleva une émotion considérable en France. Alors que les républicains et la Ligue de l’enseignement, fondée en 1866 par Jean Macé, se réjouissaient du coup porté aux congrégations, les catholiques se rassemblaient dans un Comité de défense religieuse qui organisa manifeste lion sur manifestation contre Jules Ferry, qualifié de «nouveau Néron». Cependant, en juillet 1879, la loi fut adoptée par la Chambre des députés, mais il lui fallait être ratifiée par le Sénat. Ce dernier comportait de nombreux adversaires de le loi, auxquels s’était rallié le vieux Jules Simon qui jugeait l’article 7 «inutile, dangereux, impolitique». Le 9 mars 1880, les sénateurs, par 148 voix contre 127, repoussent l'article 7.
Au scrutin du Sénat, le gouvernement répondit en prenant deux secrets dont le premier enjoignait aux jésuites de se disperser dans un délai de trois mois et le second invitait les congrégations non autorisées à se mettre en règle dans le même délai. L’application de ces décrets ne se fit pas sans peine. Nombreux furent les militaires et les magistrats qui préférèrent démissionner de leurs fonçons plutôt que de diriger les opérations d’expulsion des congrégations, dont certaines ne purent se faire qu’au prix du siège des monastères. Plus de 250 couvents furent fermés et environ 5 000 religieux expulsés.
L’école laïque, gratuite et obligatoire
Arracher les petits Français à l’Ignorance et à l’emprise de l’Église, telle était la volonté de Jules Ferry et de l’équipe d’hommes qui, avec lui, s’attaquèrent à la réorganisation de l’enseignement, Ferdinand Buisson, Jean Macé, Camille Sée et Paul Bert. Pour les républicains, en effet, tout progrès social devait passer par une généralisation de l’enseignement à tous les enfants. L’école devenait le ferment du patriotisme et permettait de lutter contre I’« obscurantisme» de l’Église. Un enseignement laïc, gratuit et obligatoire, tel fut le principe qui dicta les lois ouvrant à tous les enfants le droit à l’instruction.
La « pierre angulaire » des projets de Jules Ferry était de transformer l'enseignement primaire, et il était appuyé en cela par la Ligue de l’enseignement de Jean Macé, qui militait avec vigueur pour la gratuité. Une commission placée sous la présidence de Paul Bert, assisté de trois hommes venus du protestantisme libéral, Ferdinand Buisson, Théodore Steeg et Félix Pécaut, s'attaqua à la tâche d’édifier la nouvelle école primaire. Ils auraient voulu imposer en une seule fois les principes de gratuité, d’obligation et de laïcité, mais Jules Ferry préféra faire adopter ces réformes progressivement.
Le 16 juin 1881 fut votée la première loi décidant de la gratuité de l’enseignement primaire. Puis Ferry déposa un second projet prévoyant l’obligation faite à tous les enfants de six à treize ans de bénéficier d'une instruction scolaire. La laïcisation totale n’était pas encore décidée, mais l’instruction religieuse fut remplacée par l’instruction civique. Cette seconde loi rencontra une vive résistance de la part de la droite et elle ne fut votée que le 28 mars 1882. Ces lois consolidèrent le mouvement d’alphabétisation et d’instruction en France. Les successeurs de Jules Ferry ont poursuivi son œuvre : en 1886 est votée la loi laïcisant le personnel enseignant dans le primaire.
Le second ministère
Le second ministère de Jules Ferry allait subsister pendant plus de deux ans (1883-1885). Cette durée exceptionnelle pour l’époque lui permit de parachever de façon décisive l’organisation de la république commencée sous son précédent cabinet. Selon les principes « opportunistes », le ministre applique point par point le programme républicain. La première loi importante qu’il fit voter réformait la magistrature.
Les incidents qui s’étaient élevés au moment de l’expulsion des congrégations en 1880 avaient montré aux républicains qu’il était nécessaire de se débarrasser d’un certain nombre de magistrats conservateurs. Alors que les radicaux demandaient l’élection des juges et la fin de l’inamovibilité de la magistrature, Jules Ferry se contenta de faire voter la loi du 30 août 1883, qui suspendait l’inamovibilité pour trois mois Cela lui permit de procéder aux épurations qui lui semblaient nécessaires.
En mars 1884 fut discutée la loi la plus importante du second ministère Jules Ferry, celle qui octroyait la dernière des libertés politiques, le droit d’association. Ce fut l’œuvre du ministre de l’Intérieur, Waldeck-Rousseau, qui, devant la résistance du Sénat, élabora une loi autorisant uniquement les associations professionnelles. C’était, en fait, reconnaître la formation des syndicats et leur fédération en unions. La loi Waldeck-Rousseau, votée le 21 mars 1884, rend possible la progression du syndicalisme ouvrier. Pourtant, elle ne fut pas accueillie sans réserve par les milieux ouvriers et Guesde reprocha en particulier au gouvernement de ne pas avoir aussi reconnu le droit de grève.
Politique coloniale et chute de Jules Ferry
Mais, depuis le réveil de l’idée coloniale, Ferry se heurte à une opposition violente venant aussi bien de la droite que de la gauche. À l’argument de prestige avancé par les colonialistes, leurs adversaires répondaient par l’accusation de trahison : la sécurité de la France était mise en péril par les initiatives aventureuses du ministre, à qui on reprochait de détourner leurs regards de la ligne bleue des Vosges » et d’oublier l’Alsace et la Lorraine. Ce parti « anti colonial», dont le véritable chef était Clemenceau, se déchaîna contre les expéditions en Tunisie et au Tonkin, qui provoquèrent la chute des deux ministères Ferry.
Après avoir démissionné de son poste de président du conseil le 30 mars 1885, il tente de se présenter à l’élection présidentielle de 1887. Battu aux élections législatives de 1889, il rentre au sénat, qu’il préside brièvement en 1893, terme de sa carrière politique. Jules Ferry s'éteint la même année à Paris à l'âge de 60 ans. La République reconnaissante donnera son nom à des centaines d'établissements scolaires.
Pour aller plus loin
- Jules Ferry, biographie de Jean-Michel Gaillard. Fayard, 1989.
- Jules Ferry, cet inconnu, biographie d' Éric Fromant. Editions L'Harmattan, 2018.
- Histoire de la laïcité en France, de Jean Baubérot. « Que sais-je ? », 2017.