Origine des ottomans et premières conquêtes
Les Seldjoukides, issus d’un clan de Turcs Oghouz, quittent le cours inférieur du Syr-Daria à la fin du Xe siècle. Sous la conduite d’Alp Arslan (1063-1073), ils battent l’armée byzantine à Mantzikert en 1071. Les nomades turcs se répandent alors en Asie mineure. Süleyman Ibn Kutulmich (1077-1006) y crée le sultanat de Rum et établi sa capitale à Nicée (1081). Mais Kiliç Arslan Ier (1092-1107), vaincu par les croisés à Doryliée (1097), doit se replier sur Iconium (Konya). Le sultanat de Rum ne connaît plus qu’une longue agonie après l’invasion mongole de 1243.
Lorsque Osman meurt vers 1326, son fils Ohrhan Gazi reprend le commandement de l’armée et étend le territoire des Ottomans au-delà de la vallée de Sakarya : prises de Brousse (aujourd’hui Bursa, 1326), qui devient la première capitale ottomane, de Nicée (Iznik, 1331) et de Nicomédie (Izmit, 1337). En 1354, appelées par Jean VI Cantacuzène (usurpateur du trône byzantin), les troupes ottomanes prennent pied sur la rive européenne du détroit des Dardanelles, s’établissant à Gallipolli (aujourd’hui Gelibolu).
Les ottomans maîtres de l'Asie mineure
Avec le règne de Murat Ier, qui poursuit la politique de conquête d’Ohrhan, les Ottomans deviennent maîtres de presque toute l’Asie Mineure. Un an après la prise d’Andrinople (Edirne, 1Avec Murat Ier (1359-1389) commença la conquête des Balkans : maîtres d’Andrinople et de la Thrace, les Ottomans mirent en déroute sur la Maritsa la croisade de Louis Ier de Hongrie (1363), affirmèrent symboliquement leur volonté de rester en Europe par le transfert de leur capitale à Andrinople (1365), puis entreprirent la conquête de la Serbie.
La victoire de Kossovo (juin 1389) fit passer les Serbes, après les Bulgares, sous la domination ottomane. Bayézid Ier (1389-1402), tout en étendant considérablement l’État ottoman en Anatolie (surtout aux dépens des émirs Karamanides. 1391-92), acheva la conquête de la Serbie et de la Thessalie, entreprit le siège de Constantinople, battit à Nicopolis l’armée des croisés occidentaux accourus au secours des Byzantins (1396). C
onstantinople devait être sauvée momentanément par l'irruption imprévue de Tamerlan sur les arrières des Ottomans. Bayézid battu et fait prisonnier à Ankara (28 juillet 1402), son empire survécut néanmoins — car Tamerlan, après avoir atteint Brousse, retourna vers lAsie —, mais il fut saccagé par l’envahisseur et livré pendant plus de dix ans aux guerres civiles qui opposèrent les fils de Bayézid
Le redressement ottoman commença sous Mehmet Ier (1413-1421), qui consolida ses positions en Anatolie, où les Karamanides étaient à nouveau menaçants. Son successeur, Mourad II (1421-1451), se sentit assez fort pour reprendre la conquête. Repoussé sous les murs de Constantinople (1422), il réduisit cependant l’empereur byzantin au tribut ( 1424). Il s’empara ensuite de Thessalonique, où une grande partie de la population fut massacrée (1430). Dans l’Europe effrayée par le péril turc, des combattants de tous les pays rallièrent la croisade inspirée par le pape Eugène IV, mais l’armée chrétienne subit une défaite sanglante à Varna (10 novembre 1444). Mourad II put ainsi achever la soumission des Balkans, et son fils, Mehmed II (1451-1481), résolut d’en finir avec l’Empire byzantin déjà réduit à Constantinople et à sa banlieue.
Apogée de l’Empire ottoman et règne de Soliman
Le 29 mai 1453, après sept semaines de siège, le sultan Mehmet II accède à la gloire avec la prise la de Constantinople. L’ancienne capitale chrétienne de l’Empire byzantin devient, en 1458, la capitale musulmane de l’Empire ottoman sous le nom d’Istanbul (l’usage, cependant, conserve le nom de Constantinople jusqu’en 1923). En 1461, le dernier réduit byzantin, Trébizonde (aujourd’hui Trabzon), tombe ; puis ce sont la Bosnie (1463), la Crimée (1475) et l’Albanie (1476-1478) qui passent sous domination ottomane. L’empire s’assure ensuite la maîtrise des mers. En 1499, sous Bayazid II (1481-1512), la flotte ottomane remporte à Lépante sa première victoire, triomphant des Vénitiens.
L’empire atteint son apogée sous le règne de son fils, Soliman le Magnifique — surnommé le Législateur par les Turcs. Belgrade est prise en 1521 et, cinq ans plus tard, après la victoire ottomane à la bataille de Mohács (29 août 1526), un protectorat est établi en Hongrie. En 1529, les troupes ottomanes avancent même au-delà des frontières de l’empire des Habsbourg de Charles Quint, menaçant la ville de Vienne en l’assiégeant. L’Irak vient encore s’ajouter à l’empire en 1534, tandis que les navires ottomans dominent la Méditerranée et les États barbaresques d’Afrique du Nord.
Au milieu du XVIe siècle, la Turquie était devenue la première puissance de l’Europe et de la Méditerranée. Elle englobait, en Asie, l’Anatolie, l’Arménie, une partie de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan, le Kurdistan, la Mésopotamie, la Syrie et le Hedjaz (avec la ville sainte de La Mecque, occupée en 1517); en Afrique, l’Égypte et les «États barbaresques » (Alger, Tunis, Tripoli); en Europe, toute la péninsule balkanique et la Grèce, les provinces danubiennes, la Transylvanie, la Hongrie orientale et enfin la Crimée. La flotte ottomane contrôlait la plus grande partie des côtes méditerranéennes et rendait dangereuse toute navigation.
Organisation et administration de l'Empire ottoman
Cet empire, qui était gouverné par un chef temporel et spirituel absolu, le sultan, était l’un des mieux administrés de l’Europe du XVIe s. Les chefs turcs avaient beaucoup appris des Byzantins. Le caractère le plus remarquable de l’administration ottomane était son libéralisme à l’égard des pays conquis. A côté des provinces qui constituaient l’Empire proprement dit et qui, gouvernées par une hiérarchie de beylerbey, de sandjak-bey, de soubachi, relevaient directement du gouvernement central (la Porte), de vastes territoires jouissaient d’une plus ou moins grande autonomie : il y avait des rois en Hongrie et en Transylvanie, des voïvodes en Valachie et en Moldavie, des khans en Crimée, un chérif à La Mecque, etc.
Les finances ottomanes étaient très saines à cette époque. Soliman II s’en servit pour entretenir une armée qui comptait près de 300 000 hommes - de beaucoup la plus puissante de l’Europe -, mais aussi pour encourager les lettres et les arts. Immense et disparate agglomérat, l’Empire ottoman avait été l’œuvre d’un petit clan guerrier. Les sultans avaient créé une administration, non une nation; le peuple était tenu complètement à l’écart du gouvernement; l’élite dirigeante des fonctionnaires et des officiers ne sortait pas du peuple; par une promotion naturelle, elle était composée d’aventuriers, de chrétiens renégats venus de tous les pays d’Europe, et surtout d’esclaves promus souvent aux plus hauts postes.
Le principal appui du souverain était l’armée, c’est-à-dire essentiellement le janissaire, prétorien à l’état pur. Cette étrange aristocratie de sabreurs déracinés que les sultans avaient créée pour les besoins de la conquête finit par mettre leur trône en péril.
La "période des catastrophes"
Peu après la mort de Soliman le Magnifique, l’Occident remporta sa première grande victoire contre les Turcs. A la suite de la conquête de Chypre, enlevée aux Vénitiens par Lala Moustafa Pacha (1570), le pape Pie V suscita une ligue européenne : sous le commandement de don Juan d’Autriche, les flottes coalisées de l’Espagne, du pape, de Venise, des chevaliers de Malte, triomphèrent de la flotte ottomane à la bataille de Lépante (7 octobre 1571). Cette victoire ne fut pas exploitée militairement, mais elle eut un retentissement moral considérable et rendit courage à l’Europe chrétienne. Cependant, la puissance turque n’était pas encore entamée : Tunis, prise par don Juan d’Autriche en 1573, fut reconquise par les Turcs un an plus tard.
En Europe centrale, les Turcs restaient maîtres de la plaine hongroise, et le traité de Szitvatorok (1606) confirma le statu quo. En Mésopotamie, le Safavide Abbas Ier le Grand récupéra momentanément Bagdad, mais une riposte victorieuse des Turcs rétablit la frontière fixée depuis Soliman II. A l’exception d’Osman II (1618-162222), qui mesura le danger que les janissaires faisaient peser sur le pouvoir impérial, mais qui paya de sa vie ses tentatives de réformes, les sultans ottomans du XVIIe siècle furent des personnages très médiocres.
Les janissaires commencent à se rebeller sous le règne de Murat III (1574-1595). Les révoltes se multiplient dans l’empire. Le pouvoir du sultan est de plus en plus contesté. À partir de 1622, lorsque Osman II (1618-1622) est assassiné par les janissaires après sa déposition, l’autorité des sultans est contestée à la fois par ceux-ci et par les vizirs, qui exercent le pouvoir de fait. En août 1648, Ibrahim Ier (1640-1648) subit le même sort. C’est sous le règne de son successeur Mehmet IV (1648-1687) que se termine ce que les historiens ottomans appellent la « période des catastrophes », lorsque arrive au grand vizirat Mehmet Koprulu (1656).
Les premiers revers de la Sublime Porte
Après avoir enlevé la Podolie aux Polonais (1672), les Turcs, sous la conduite de Kara Moustafa pacha, reprirent l’assaut contre l’Autriche en 1682. Pour la dernière fois, les armées du Croissant vinrent mettre le siège devant Vienne en 1683, mais l’armée de secours polono-allemande commandée par le roi de Pologne Jean Sobieski écrasa les Turcs et délivra la ville (12 septembre 1683).
Alliés avec la Pologne et Venise, les Impériaux poursuivirent leur campagne victorieuse, reconquirent Buda (septembre 1686), battirent les Turcs à Mohâcs (août 1687), pénétrèrent profondément en Bosnie et en Serbie. Le Prince Eugène remporta à Zenta une victoire décisive sur Moustafa II (11 septembre 1697), et la paix de Karlowitz signée le 26 janvier 1699 restitua à l’Autriche la Hongrie (sauf le Banat) et la Transylvanie; à la Pologne, la Podolie; à Venise, la Morée et la Dalmatie. Mahomet III (1703-1730) parvint cependant à reprendre la Morée, mais, aux nombreux adversaires traditionnels de la Turquie, venait de s’ajouter un nouvel ennemi, qui ne devait pas être le moins redoutable, la Russie impériale.
Dès lors, l'empire ottoman doit faire face à la menace russe. Après plusieurs guerres et l'anéantissement de la flotte turque, les sultans sont contraints de céder la Crimée à la Russie et lui concèdent la libre circulation en mer Noire et en Méditérannée. L'ingérence des puissances européennes devient alors constante auprès de l'empire déclinant, sous le vocable de "question d'Orient".
Déclin et démantèlement de l’Empire Ottoman
Dans cette situation presque désespérée, et alors que les troupes ottomanes fuyaient devant les Russes, monta sur le trône un jeune sultan, Sélim III (1789-1807). C’est lui qui inaugura en Turquie l’âge des réformes, audace qu’il devait payer de sa vie. Il était trop tard pour redresser la situation militaire, et, à la paix de Iassy (9 janv. 1792), la Russie se fit confirmer la possession de la Crimée et du littoral de la mer Noire, et elle porta sa frontière jusqu’au Dniestr.
Admirateur de la civilisation française et entouré de conseillers français, Sélim III entreprit aussitôt de réorganiser son armée à l’européenne, mais il se montra trop timide et hésita à dissoudre les janissaires, qui devinrent les adversaires les plus acharnés des réformes. De nouveaux périls extérieurs et intérieurs devaient d’ailleurs encore affaiblir l’autorité du sultan. L’expédition de Bonaparte en Égypte (1798) fut une nouvelle preuve de la désinvolture avec laquelle l’Europe traitait maintenant la Turquie.
Plus grave encore fut la guerre d Indépendance grecque, parce qu’elle provoqua pour la première fois l’intervention concertée des grandes puissances dans les affaires ottomanes. Signé en 1829, le traité d’Andrinople consacre l’indépendance grecque et l’autonomie serbe, accorde à la Russie la libre navigation à l’embouchure du Danube et dans la mer Noire. En 1832, l’armée égyptienne menée par Ibrahim Pacha prend la Palestine et la Syrie, et assiège Constantinople. Il faut l’aide des Russes pour sauver la ville. Désormais, les puissances européennes, qui cherchent à satisfaire leurs ambitions territoriales au détriment de l’Empire ottoman, vont se faire plus pressantes dans les affaires impériales.
Alors qu’à l’issue de la guerre de Crimée, le traité de Paris (30 mars 1856) a préservé contre les appétits russes l’intégrité territoriale ottomane, mais consacré l’intervention des Européens, en 1860 s’élèvent de toutes parts des révoltes, dont chacune va contribuer au démembrement de l’Empire ottoman. La révolte des Druzes, en 1860, et le massacre perpétré contre les chrétiens maronites au Liban, provoquent l’intervention militaire de la France dans le pays, qui passe sous domination française. En 1875 et 1876, la Bosnie, la Bulgarie, la Serbie et le Monténégro se soulèvent à leur tour. Les bachi-bouzouks (cavaliers mercenaires de l’armée ottomane) ayant répondu par un massacre des chrétiens, la Russie intervient en 1877.
En 1878, le sultan Abdülhamid II (1876-1909) doit accepter le traité de San Stefano, dont les termes sont revus au congrès de Berlin. Les puissances européennes décident du destin de l’empire : la Serbie, le Monténégro et la Roumanie deviennent indépendantes. La Thessalie et l’Épire reviennent à la Grèce, la Bessarabie à la Russie, tandis que l’Autriche occupe la Bosnie-Herzégovine.
Dans le même temps, le coût des réformes conjugué à la perte des revenus d’un empire amputé conduit l’État ottoman à la banqueroute. L’économie du pays est mise sous tutelle franco-anglaise. Le sultan, sous la pression des libéraux du mouvement des « Jeunes-Ottomans », accepte en 1876 de doter l’État d’une Constitution, instaurant un régime de monarchie parlementaire et inscrivant dans les lois fondamentales les libertés individuelles et religieuses. Dès 1878, cependant, il rétablit un gouvernement absolutiste.
Le déclin se poursuit. Après le premier massacre des Arméniens, entre 1894 et 1896, l’État ottoman est mis au ban des nations. En 1897, les Grecs prennent la Crète, cependant qu’en Macédoine sévit le terrorisme des comitadjis. Le golfe persique passe quant à lui sous le contrôle des anglais.
L'homme malade de l'Europe
Les officiers libéraux et nationalistes, qui ont constitué en 1895 le mouvement des Jeunes-Turcs, organisent en 1908 un soulèvement des troupes basées en Macédoine qui oblige le despote à rétablir la Constitution et le Parlement. La Bulgarie ayant proclamé son indépendance en 1908 et l’Autriche annexé la Bosnie-Herzégovine en 1909, l’armée de Thessalonique, dominée par les Jeunes-Turcs, marche sur Istanbul, dépose Abdülhamid II et porte au pouvoir Mehmet V. En fait, le pouvoir est jusqu’en 1918 aux mains des Jeunes-Turcs, dirigés par Enver Pacha.
Le démantèlement est achevé après la Première Guerre mondiale. Enver Pacha a en effet engagé la Turquie aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Le Royaume Uni favorise en 1916 la révolte arabe contre la domination ottomane. Vaincus en 1915 dans les Dardanelles, les Alliés reprennent l’offensive et contraignent les Turcs à signer l’armistice de Mudros, en octobre 1918. L’empire est réduit à l’Anatolie.
En mars 1919, le sultan Mehmet V n'a d'autre choix que de nommer un gouvernement proche des vainqueurs. Mustafa Kemal (futur Atatürk) prend la tête d’un mouvement nationaliste. En octobre 1919, il organise des élections et devient chef du gouvernement en avril 1920. Après l’offensive grecque en Anatolie, Mehmet V accepte de signer le traité de Sèvres (août 1920), qui prévoit la cession des provinces arabes. Mustafa Kemal dirige la contre-offensive nationaliste contre les Grecs, refoulés de l'Anatolie en 1922.
En juillet 1923, par le traité de Lausanne, les Alliés reconnaissent la victoire de Mustafa Kemal. La république de Turquie est proclamée le 20 octobre 1923 est proclamée , dont Mustafa Kemal devindra le premier dirigeant. L’année suivante, le califat, dernier vestige de l’Empire ottoman, est aboli.
Bibliographie
- Histoire de l'Empire ottoman, de Robert Mantran. Fayard, 2003.
- L'Empire ottoman et l'Europe, de Jean-François Solnon. Tempus, 2017.
- Le divan d'Istanbul : Brêve histoire de l'Empire Ottoman, d' Alessandro Barbero. Payot, 2014.