Qui étaient les mozarabes ?
Le problème le plus important rencontré par les émirs (puis les califes) andalous a été la gestion de la minorité chrétienne. Ils avaient déjà connu cela lors de leurs précédentes conquêtes, mais en Espagne cela ne se passa pas exactement de la même façon qu’en Palestine, en Egypte ou en Syrie. Cette minorité chrétienne (au départ majorité) est plus connue sous le nom de « mozarabes » ; c’est ce que nous allons aborder ici : qui étaient les mozarabes, comment ont-ils réagi à la conquête et à la mutation de la société, quels ont été leurs rapports avec le pouvoir musulman ?
« L’histoire des mozarabes est celle d’un affaiblissement continu » nous dit Pierre Guichard. Mais qui sont les mozarabes, et sur quoi s’appuie l’historien pour affirmer cette thèse ? Nous allons ici nous interroger sur les mozarabes en tant que majorité numérique (mais soumise à un autre pouvoir), puis minorité en pays d’Islam, dans la société d’Al Andalus, et ce du VIIIè au X siècle.
Le mot même de « mozarabe » doit être défini, et il existe différentes interprétations quant à son origine : selon l’Encyclopédie de l’Islam, elle viendrait peut-être du XIIIè siècle, par l’intermédiaire de l’archevêque Rodrigo Ximenez, qui appelait les chrétiens soumis à l’islam : « dicti sunt mixti arabes », avec une connotation péjorative ; on remarque aussi le terme « muzaraves de rex triceros » à propos d’un litige sur des propriétés dans un texte qui date de l’époque d’Alphonse V (999-1028), et qui semble faire une distinction entre les chrétiens sous domination musulmane et ceux des royaumes chrétiens du Nord ; pourtant, plus communément, on s’accorde à dire que le terme mozarabe vient de l’arabe musta’rib : des non-arabes qui voudraient le devenir.
Plus généralement, on doit donc préciser que ce terme désigne, pour le sujet qui nous intéresse, les chrétiens de la péninsule ibérique sous domination musulmane (nous l’utiliserons donc ainsi), à partir de la conquête du VIIIè siècle quand elle devient Al Andalus, et d’un point de vue plus culturel que religieux ; de plus, nous devons dire que le terme mozarabe n’est pas utilisé dans la période que nous étudions, il est postérieur : les chrétiens se nomment eux même chrétiens, alors que les musulmans les désignent comme dhimmis, nasara dhimmayûn ou rum al-baladiyyûn, voire agam.
La période qui nous intéresse se situe entre le VIIIè siècle, au moment de la conquête, qui débute dès 711, et le Xè siècle avec en particulier le règne du premier calife d’Al Andalus, Abd Al-Rahman III (calife de 929 à 961).
Les sources sont assez lacunaires : on observe un trou au Xè siècle, et les principaux récits chrétiens contemporains disparaissent dans la seconde moitié du IXè. Tout d’abord, les sources arabes n’évoquent pratiquement pas les chrétiens, si ce n’est par le récit des périodes de tensions et de révoltes, comme Ibn Hayyan (987-1076). Les sources chrétiennes contemporaines sont principalement celles provenant des écrits polémiques d’Alvare et Euloge, sur lesquels nous reviendrons, mais qui par leur nature même sont subjectifs ; les suivantes sont en arabe et principalement des textes religieux n’évoquant pas la situation de la population mozarabe. Nous avons aussi des témoignages indirects chrétiens : celui de l’abbé de Gorze ambassadeur d’Otton au Xè siècle, ou ceux des chrétiens du royaume de Leon par exemple. Enfin, il existe des traces archéologiques et épigraphiques datant surtout du Xè siècle dans le sud de Cordoue et en Bétique.
De l’Espagne wisigothique à Al Andalus
Il faut, pour mieux comprendre la place des mozarabes dans la société d’Al Andalus, s’arrêter sur la situation de la population dans la péninsule ibérique, et plus particulièrement évidemment des chrétiens, la conquête tout juste achevée. Pour ceci, il faut s’appuyer sur le cadre clérical ; en effet, c’est grâce à celui-ci que nous pouvons apprendre où se concentrent les communautés chrétiennes et comment elles fonctionnent. Nous définirons par la suite les deux hiérarchies chargées par le pouvoir musulman d’encadrer cette population.
C’est donc le cadre religieux, clérical, qui va permettre de se rendre compte de la situation des mozarabes la conquête terminée. Ainsi, nous pouvons évoquer les principales villes ecclésiastiques et leur influence, pour voir leur dynamisme (et donc en partie celui de la communauté qui dépend d’elles) dans les premiers temps de l’occupation musulmane. La plupart des sièges épiscopaux sont maintenus : Tolède, Séville et Mérida. La première est la plus importante car elle est la plus « rebelle » face à l’invasion, et ce jusqu’au IXè siècle et, également, parce qu’elle est le siège d’Elipand, personnalité religieuse centrale du christianisme wisigothique, qui va instaurer la doctrine de l’adoptianisme sur laquelle nous reviendrons. Séville, quant à elle, bénéficie du prestige de Isidore (560-636) et elle est le siège métropolite de Cordoue et Elvira ; c’est justement dans cette ville qu’est choisi Egila qui, en 777 avec le soutien du légat du pape Adrien Ier (772-795), va être chargé de combattre les hérésies qui frappent le christianisme de la péninsule, comme l’adoptianisme.
Cordoue, du fait d’être la ville qui accueille les gouverneurs puis les émirs musulmans, voit son évêque devenir représentant des chrétiens auprès des conquérants. Il est tout de même difficile de se faire une idée plus précise de l’encadrement et du fonctionnement de la communauté mozarabe, au-delà de cette structure cléricale, et encore celle-ci n’étant pas très connue, à part grâce à des sources indirectes comme celles venues de Rome pour vérifier l’orthodoxie du culte et des listes synodales qui ne dépassent pas le IXè. On peut justement dire que le nombre d’évêchés étant de 18 au IXè siècle, il doit en être de même au VIIIè, avec une concentration en Bétique plus particulièrement.
Une double hiérarchie
Toutefois, le statut de tout chrétien en Al Andalus est celui de dhimmi ; c’est un statut juridique, qui prend ses racines dans le Coran (en particulier la sourate IX, 29 qui évoque la djizya) et dans la Sunna (les rapports du Prophète avec juifs et chrétiens), mais aussi dans la pratique des califes qui ont succédé à Muhammad, en particulier Umar II (717-720) : il offre la protection des musulmans aux ahl al-kitab (les Gens du Livre, soit juifs et chrétiens) en échange de leur soumission au pouvoir musulman et à l’islam. Ils peuvent pratiquer leur religion avec certaines restrictions, et doivent payer un tribut, la djizya. De plus, ils sont soumis à différentes obligations dans leur comportement et leur tenue vestimentaire, pour marquer cette infériorité, et qui provoquera des tensions abordées plus loin.
L’important, c’est que ce statut juridique est relayé auprès du pouvoir par des chrétiens : est nommé auprès de l’évêque un comte (comes en latin, qûmi en arabe) qui représente les mozarabes auprès du souverain musulman. C’est la même chose dans le domaine judiciaire où est nommé un qadi al-nasara qui applique le droit wisigoth, sauf si un musulman est concerné. Pour la collecte de la djizya, c’est un mustakhridj qui en est chargé. Parmi les personnalités mozarabes qui ont occupé ces postes on peut citer le comes Rabi ‘ibn Teodulfo sous le règne d’Al Hakham Ier (796-825), ou Asbag ibn Abd Allah ibn Nabîl « qadi des chrétiens de Cordoue » sous Al Hakham II (961-976) ; ils ne sont pas nécessairement des clercs, ils peuvent être aussi des laïcs.
La communauté mozarabe est donc regroupée autour d’évêchés encore dynamiques au moment de la conquête. Ces évêques, mais aussi des laïcs, vont servir de relais avec le pouvoir musulman pour appliquer le statut juridique de dhimmi. Mais cette « allégeance » d’une partie du haut clergé et des élites va être l’une des raisons des tensions au sein du christianisme mozarabe, tout comme la dhimma et l’arabisation vont provoquer des réactions de révoltes contre l’Etat omeyyade. C’est ce que nous verrons par la suite.
Un christianisme wisigothique divisé, isolé et révolté
Si la conquête de la péninsule Ibérique a été très rapide (les trois-quarts conquis à la fin du VIIIè), le pouvoir musulman a eu du mal à se stabiliser. Il a dû faire face à des révoltes berbères et entre Arabes, mais aussi à des réactions des chrétiens autochtones face à un durcissement de la dhimma. Mais la communauté chrétienne était déjà divisée elle-même. Le christianisme wisigothique avait toujours été plus ou moins indépendant de l’influence de Rome, mais le pape le reconnaissait comme orthodoxe régulièrement. Pourtant il a été frappé d’hérésies, et la présence musulmane n’y a rien changé au contraire ! Si l’on ajoute à ça la coopération entre des évêques importants et le pouvoir de l’occupant, on assiste à une vraie division de la communauté mozarabe !
La conquête a tout de même désorganisé le clergé, et une remise en question est nécessaire : elle intervient au niveau dogmatique avec Elipand, qui instaure l’adoptianisme. Cette doctrine déclare que la nature divine du Christ lui a été accordée par Dieu par adoption ! L’influence orientale est bien présente, en particulier celle des nestoriens, mais Elipand est aussi accusé de collusion avec l’islam, les responsables musulmans n’étant d’ailleurs pas très choqués par une définition de la nature du Christ pas si éloignée de la leur.
Son allégeance au pouvoir musulman en 784 après le concile de Tolède provoque l’isolement des mozarabes par rapport à Rome (et aux Carolingiens), la majorité d’entre eux étant concernés puisque les mouvements contestataires que nous allons voir par la suite étaient minoritaires. C’est bien, selon l’historien Pedro Chalmeta, l’alliance de la hiérarchie ecclésiastique avec le pouvoir omeyyade qui provoque la marginalisation des mozarabes. Il y a aussi peut-être ici un aveu de faiblesse du clergé qui a des difficultés à résister à l’islamisation et à l’arabisation de la société andalouse ; il a du mal à se régénérer, puisqu’il faut trois évêques pour en élire un, et que l’infrastructure chrétienne est un peu lourde pour être appliquée dans un cadre contraignant (comme pour les baptêmes par exemple). Pourtant, la soumission de la majorité des mozarabes ne va pas éviter des mouvements de révolte.
Nous assistons tout d’abord à un durcissement de la position musulmane vis-à-vis des dhimmis, en particulier chrétiens, avec l’arrivée en Al Andalus de la doctrine malikite au IXè siècle. La pression fiscale (paiement de la djizya et du kharadj, l’impôt foncier) semble s’accroître et favoriser les mécontentements. Interviennent des crises, par exemple la révolte du faubourg de Cordoue en 818 qui, si elle n’est pas spécifiquement chrétienne, démontre un réel malaise et surtout la sévérité du pouvoir musulman qui refuse la reconstruction des églises détruites durant les émeutes.
Mais, bien entendu, la révolte la plus emblématique est celle qui se déroule autour des « martyrs de Cordoue ». Il s’agit d’un mouvement inspiré par le prêtre Euloge, dont l’apologiste est Alvare. Dans leurs ouvrages respectifs, Memoriale Sanctorum et Vita Eulogii, ils fustigent l’arabisation et l’islamisation des chrétiens, en particulier Alvare qui, dans un texte célèbre (Indiculus luminosus, 854), se plaint de la perte de la connaissance du latin et de l’intérêt des chrétiens pour la culture et la langue arabes. Ils sont symptomatiques du sentiment de minorité qui commence à se faire sentir chez les mozarabes au IXè siècle, provoquant un repli identitaire sur le sentiment chrétien, une réaction à la perte de leur identité culturelle.
Ce mouvement cherche alors la rupture avec les musulmans, et développe un « mouvement de provocation martyriale » ; ainsi, des chrétiens n’hésitent pas à accomplir des crimes de lèse-religion (istikhfaf) en insultant des musulmans en pleine rue, risquant la peine de mort. C’est un mouvement concentré sur les six paroisses de Cordoue, qui ne concerne selon les sources qu’une cinquantaine de cas recensés. Mais il connaît un grand retentissement et provoque la réaction du pouvoir musulman dès 852 avec Muhammad Ier (852-886). Celui-ci fait convoquer un concile par les évêques fidèles à l’Etat, Recafred de Séville en tête, où Saul de Cordoue est absent, et qui condamne le mouvement des martyrs. Mais il faut attendre l’exécution d’Euloge en 858 (malgré le fait qu’il ait été choisi comme métropolitain) et la destruction des monastères d’Aciscle et Tabanos pour voir le mouvement vraiment disparaître.
Pourtant, les martyrs ne sont pas les seuls mouvements de révolte contre l’Etat musulman. Dès le IXè siècle, des pouvoirs locaux se soulèvent contre l’autorité de Cordoue ; ils ne sont pas essentiellement mozarabes, puisqu’ils concernent pour beaucoup des convertis, les muwalladûn, et aussi des Berbères. Mais on remarque tout de même une présence des mozarabes en leur sein. On peut citer l’exemple de Mérida qui appelle en vain à l’aide Louis le Pieux en 818, et dont la population exécute le converti Marwan Yunus al-Djilliqi, nommé à la tête de la ville par Abd al-Rahman II (822-852), en 828. L’exemple le plus connu, mais aussi le plus ambigu est celui d’Umar ibn Hafsun, un muwalladun qui se rebelle entre 879 et 917 dans la région de Malaga et Ronda.
Il semblerait selon certaines sources que son père soit revenu au christianisme, et lui-même aurait effectué l’apostasie en 898, même si à ce sujet les avis divergent. Il est en tout cas entouré de mozarabes, et dans la région qu’il contrôle un temps réapparaissent des signes chrétiens ostentatoires comme les cloches. Son échec sonne probablement le glas d’une possibilité de révolte mozarabe face à la pression musulmane ; l’arabisation et l’islamisation ont progressé, et le basculement démographique se confirme au début du Xè. De même, le comportement des dirigeants musulmans, en particulier Abd al-Rahman III, semble redevenir plus tolérant.
L’arabisation des mozarabes et les rapports avec le pouvoir et les musulmans
Dès les premiers temps de la conquête, les musulmans ont essayé « d’assimiler » la population locale. La conversion n’était pas obligatoire grâce au statut de dhimmi, mais très vite ce sont les élites wisigothiques qui ont trouvé leur intérêt à se convertir, ou au moins à traiter avec le pouvoir musulman. De même, le brassage des populations et leur contact, ainsi que le droit musulman ont provoqué un réel mélange, et la création d’une culture que l’ont peut qualifier de mozarabe spécifiquement. Ainsi apparurent des lettrés mozarabes, chrétiens écrivant en arabe, et occupant des fonctions administratives importantes pour certains. Enfin, les populations vivant dans un cadre commun, cela provoqua des échanges y compris dans la vie quotidienne.
Nous l’avons vu, les élites chrétiennes se sont pour beaucoup très vite converties, avec par exemple le personnage de Sara la Gothe ou des familles entières comme les Banu Qasi. Mais le peuple lui-même s’est retrouvé confronté au droit musulman qui, par exemple, permettait le mariage d’un musulman avec une dhimmi, ce qui a facilité l’assimilation. Pourtant, celle-ci n’a pas été aussi rapide qu’au sein des élites, et les chrétiens ont plutôt été conduits à cohabiter avec les musulmans, en particulier dans les villes.
Ainsi, il faut noter l’importance des fêtes chrétiennes, qui provoquèrent même des plaintes chez certains juristes musulmans, prouvant un relatif dynamisme chrétien et une tolérance du pouvoir central. Le qadi Yahya ibn Yahya, vivant sous le règne d’Abd al-Rahman II critique le caractère ostentatoire des fêtes chrétiennes et la présence de musulmans, qui reçoivent et offrent des cadeaux aux chrétiens ! On voit aussi le poète Abu Bakr ibn Hudhayl invité par Abd al-Rahman III aux célébrations de la fête de la Saint Jean et aux courses de chevaux. Les musulmans fêtent aussi Al Ansara, le jour de la commémoration de Jean-Baptiste « fils de Zacharie » et jour de naissance de Jésus « fils de Marie » ; en 900, Ibn Ouaddah parle avec mécontentement des œufs de Pâques et des invitations dans les églises des chrétiens en faveur des musulmans.
Logiquement, ce brassage provoque donc des échanges, des influences et des intérêts. Le christianisme mozarabe est « accusé » d’être influencé par l’islam, mais c’est surtout l’apprentissage de l’arabe par les chrétiens qui va être décisif pour créer une vraie culture spécifiquement mozarabe. Au IXè siècle, la majorité des chrétiens parle un arabe vulgaire, alors que le latin est conservé pour la liturgie ; les classes les plus aisées des mozarabes usent elles de l’arabe classique ; ceci va conduire à la création d’une littérature importante et à des échanges entre mozarabes et savants musulmans.
On doit citer ici l’exemple du célèbre Recemundo (Rabi ibn Said), évêque d’Elvira, qui rédige en 961 le Calendrier de Cordoue avec le médecin ‘Arib ibn Sa’d. Une autre coopération intervient entre le qadi Qasim ibn Asbagh et le juge des chrétiens Walid ibn Khayzaran, qui traduisent sous Al Hakham II l’Historia Adversus Paganos d’Orose (Vè). Se développe également une littérature religieuse : la traduction des Psaumes en arabe par Hafs ibn Albar al Quti en 888-889, la Bible de Séville où l’on voit l’influence de l’islam dans l’art mozarabe, et la traduction des Evangiles par Ishaq ibn Balasq en 946, à Cordoue. On peut ainsi définir la culture mozarabe selon trois modèles : une référence préislamique, une arabo-islamique et une arabo-chrétienne (chrétiens d’Orient).
Les élites laïques ou religieuses entourent assez rapidement le souverain musulman, et sont présentes dans l’administration, en particulier au Xè siècle, malgré l’interdiction de la tradition de la dhimma, selon Umar II en tout cas. Nous avons déjà parlé de Recemundo, évêque d’Elvira, mais qui va être également ambassadeur auprès d’Otton Ier en 955, et plus tard à Constantinople, et qui sert également d’interprète à Jean de Gorze ; les mozarabes sont ainsi importants et présents dans la diplomatie, y compris des « contestataires » comme Samson, qui doit traduire des documents pour Muhammad Ier en 863.
Pourtant, il faut relativiser la situation : les élites se retrouvent proches du gouvernement et des milieux lettrés, même sans être converties, grâce à la tolérance du souverain mais aussi à leurs talents. En effet, les dirigeants musulmans sont intéressés par les capacités des mozarabes, et sont indifférents à leur religion (ils sont aussi entourés de nombreux juifs). Mais la communauté mozarabe elle-même tend à se morceler, et surtout n’a pas le même niveau culturel que ses élites, et même que les autres dhimmis, les juifs. Le dynamisme mozarabe est donc tout relatif, malgré l’apparition de cette culture spécifique, faite d’un mélange entre la culture chrétienne wisigothique et la culture arabo-musulmane.
Une marginalisation progressive mais une culture bien vivante
Mais les mozarabes ont aussi participé aux autres mouvements de contestation du pouvoir, aux côtés de muwalladun comme Ibn Hasfun. Pourtant, avec l’arrivée au pouvoir d’Abd al-Rahman III (calife en 929), la situation a évolué vers une assimilation de plus en plus grande et une plus grande marginalisation des chrétiens ; ceux-ci, divisés par les tensions internes, et en difficulté à cause de l’explosion de leur clergé qui leur permettait une certaine cohésion, sont devenus réellement une minorité au niveau social, culturel puis démographique et ce, malgré la présence d’une élite aux côtés du pouvoir califal et le développement de ce qu’on peut vraiment appeler une culture mozarabe, influencée par l’islam et le christianisme oriental et qui a irrigué le milieu lettré et scientifique d’Al Andalus.
Le mouvement « d’affaiblissement continu » dont parle P.Guichard va se prolonger au XIè siècle, surtout avec la progression de la Reconquista, et la fuite des chrétiens mozarabes d’Al Andalus vers les royaumes chrétiens. Pourtant, si leur place sera marginale par la suite, l’influence de leur culture demeurera.
Bibliographie
- P. GUICHARD, Al Andalus, 711-1492 : une histoire de l’Espagne musulmane, Hachette-Pluriel, 2011.
- C. AILLET, Les Mozarabes : christianisme et arabisation en Al-Andalus (IXè-XIIè), thèse sous la direction de G. MARTINEZ-GROS, 2005.
- A.M. EDDE, F. MICHEAU, C. PICARD, Communautés chrétiennes en pays d’Islam (début VIIè-mi XIè), Sedes, 1997.
- P. CHALMETA, Invasión e islamización. La sumisión de Hispania y la formación de al-Andalus, Universidad de Jaén, 2003.