L’Europe du siècle des Lumières
Dans les années 1730 et 1740, plusieurs guerres dynastiques déchiraient le continent, tandis que l’Autriche puis la Russie commencèrent à reconquérir les territoires tombés aux mains des ottomans. La « guerre de sept ans » (1756-1763) alliait la France, l’Autriche et la Russie contre la Grande-Bretagne et le royaume de Prusse, alors en pleine expansion. Contrainte de céder la plupart de ces coloniales à Angleterre, la France qui demeurait l’une des premières puissances européennes, riposte en prenant fait et cause pour les colonies américaines lors de la guerre d’indépendance de celles–ci. En Europe de l’est, la Pologne démantelée entre la Russie et la Prusse et l’Autriche, cessa d’exister en tant qu’état souverain en 1795.
Presque partout en Europe, la pratique du servage continuait à attacher les paysans à la terre, entravant les innovations. En France, l’Ancien Régime maintient un ordre social conservateur, dominée par la monarchie est soutenu par l’église. Bien que prospère, nombreuse et en pleine expansion, la classe moyenne demeurait exclu du pouvoir, dont le pouls continuait à battre à la cour de Versailles. Peu à peu, de brillants intellectuels, tel le philosophe et essayiste Voltaire, s’en prirent à la répression exercée par l’église catholique et tentèrent de convaincre les dirigeants d’introduire des réformes progressistes afin d’abolir le servage et la pratique de la torture.
Oser savoir
Sur le plan des idées, ce siècle est marqué par un essor de la pensée rationaliste, l’esprit scientifique prenant le pas sur la réflexion métaphysique : il s’agit de découvrir les lois de fonctionnement de la matière ou des sociétés humaines, par des observations dégagées d’a priori dogmatiques. Cette nouvelle philosophie affirme sa foi dans la raison et dans le progrès de l’humanité et débouche sur le mouvement encyclopédiste animé par Diderot et d’Alembert (encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers). Cette œuvre collective, qui cherche à s’affranchir du poids énorme de la religion et de la censure du pouvoir politique conservateur illustre aussi la montée des nouvelles classes sociales, en opposition avec l’aristocratie traditionnelle.
Ceux-ci ne sont pas tous philosophes à proprement parler ; ils sont plutôt des vulgarisateurs qui s’engagent à diffuser des idées nouvelles. Ils se plaisent à se qualifier de « parti de l’humanité » et, pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique, écrivent des pamphlets et des tracts anonymes et rédigent des articles pour des revues et des journaux fraîchement créés.
Les limites de la critique
Ces penseurs ne sont cependant ni les annonciateurs de la société du XIXe siècle ni des « prérévolutionnaires » : Voltaire passe sa vie à tenter de se faire accepter par la haute noblesse, ne rêve que de « despotisme éclairé » et fait preuve d’un antisémitisme et d’un racisme inquiétants ; Denis Diderot et, plus encore J.-J. Rousseau, par leur hymne à l’homme « naturel », non corrompu par la société moderne, s’inscrivent autant dans la sensibilité préromantique que dans le courant scientifique moderniste ; les physiocrates sont surtout préoccupés par le développement de l’agriculture et du commerce, et n’accordent aucun intérêt aux nouvelles techniques productives, alors que la révolution industrielle couve en Grande-Bretagne ; nulle part (sauf chez Rousseau) n'apparaît non plus une réflexion sérieuse sur les inégalités sociales ou sur le sort des plus pauvres. Seul Condorcet propose des réformes « progressistes », qui seront ultérieurement appliquées.
En définitive, ces auteurs expriment les limites du développement d’une pensée issue des milieux influencés par l'essor économique du siècle, mais aussi par les bouleversements sociaux qu'il entraîne. Mais, pour l’heure, ce « XVIIIe siècle des Lumières » n’est que l'aboutissement des transformations propres à la « société féodo-marchande » ; c’est pourtant de ce bouillonnement d’idées et de ces réflexions sur les imperfections sociales qu’émergeront les modes de pensée qui domineront la période révolutionnaire.
Le siècle des Lumières en France
La France constitue l’épicentre de la pensée des Lumières. Le philosophe politique et juriste Voltaire en est l’un des premiers représentants : après plusieurs œuvres satiriques sur les revers de la civilisation occidentale, il publie son étude monumentale, De l’esprit des lois (1748).
Une foi inébranlable en la dignité de l’homme, non pas en tant que sujet du roi mais en qualité d’individu, sous-tendait la pensée des philosophes des lumières. Le succès de la révolution américaine, soutenu par la France, ne fit que les conforter dans leurs convictions. C’est dans les écrits de Jean-Jacques Rousseau que ces idées trouvèrent leur expression la plus aboutie. Ses traités politiques, notamment « Du Contrat Social » (1762), mettent l’accent sur la liberté individuelle, et contribuèrent à forger le contexte intellectuel dans lequel allaient se développer les grands débats de la révolution. En outre, l’approche de Rousseau à l’égard de la nature défricha le terrain sur lequel allait s’épanouir le romantisme du début du XIXe siècle.
Le mouvement intellectuel des Lumières se distingue par son caractère profondément cosmopolite et antinationaliste. Emmanuel Kant en Allemagne, David Hume en Écosse, Cesare Beccaria en Italie et Benjamin Franklin et Thomas Jefferson dans les colonies britanniques d’Amérique, entretiennent tous d’étroits contacts avec les philosophes français, tout en collaborant eux-mêmes activement au mouvement.
Le triomphe des idées des Lumières
Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, plusieurs chefs de file des Lumières sont emprisonnés pour leurs écrits, et la plupart d’entre eux doivent subir la censure gouvernementale et les attaques de l’Église. Les dernières décennies du siècle sont cependant marquées par le triomphe des idées des Lumières en Europe et en Amérique. Dans les années 1770, les philosophes de la seconde génération reçoivent des pensions gouvernementales et prennent le contrôle d’institutions culturelles prestigieuses.
L’augmentation spectaculaire du nombre de journaux et de livres publiés garantit une large diffusion de leurs idées. Les expériences scientifiques et les écrits philosophiques sont à la mode dans de nombreuses couches sociales, même auprès de la noblesse et du clergé. Un certain nombre de monarques européens adoptent aussi quelques-unes des idées ou, du moins, du vocabulaire des Lumières. Voltaire et d’autres philosophes, qui affectionnent l’idée du roi philosophe éclairant le peuple d’en haut, accueillent avec enthousiasme l’apparition des soi-disant « despotes éclairés » : Frédéric II de Prusse, Catherine II la Grande de Russie et Joseph II d’Autriche.
Le siècle des Lumières aboutit à la Révolution française de 1789. Toutefois, dans ses phases de violence entre 1792 et 1794, la Révolution discrédite provisoirement les idéaux incarnés par les Lumières. Pourtant, cette période lègue un héritage durable aux XIXe et XXe siècles : le XVIIIe siècle marque le déclin de l’Église, ouvre la voie au libéralisme politique et économique, et suscite des changements démocratiques dans le monde occidental du XIXe siècle. Le siècle des Lumières apparaît ainsi à la fois comme un mouvement intellectuel et une période historique marquée par des événements décisifs.
Bibliographie
- L'Europe des Lumières de Pierre-Yves Beaurepaire. 2004, PUF.
- Le siècle des lumières de Alejo Carpentier. Folio, 1977.