Bombardement de Guernica (26 avril 1937)

Le bombardement de Guernica par l'aviation allemande le 26 avril 1937 a transformé à jamais cette petite ville basque en symbole de la guerre d’Espagne, et au-delà de la barbarie fasciste. Bastion républicain pendant la guerre civile espagnole, elle fut dévastée par des bombardements aériens qui firent près de 2 000 victimes. Le célèbre tableau de Pablo Picasso a immortalisé ce drame de façon spectaculaire. Mais que s’est-il précisément passé, dans quel contexte, et pourquoi Guernica reste encore objet de controverses en Espagne ?

Le coup d’Etat de Franco et l'entraide fasciste

Le drame de Guernica se déroule durant la guerre civile qui a frappé l’Espagne suite au coup d’Etat du général Franco. Celui-ci comptait renverser le gouvernement républicain élu en 1931 ; cette élection avait provoqué une montée des tensions dans le pays, culminant avec la révolte des Asturies en 1934, puis l’arrivée au pouvoir du Front Populaire en février 36, qui confirmait l’ancrage à gauche de la République espagnole. L’armée et la droite monarchiste décidaient d’intervenir dès mars, et le coup d’Etat éclatait le 18 juillet 1936 : l’Espagne tombait dans la guerre civile.

Dès les débuts de son insurrection, Franco a bénéficié du soutien de deux dictateurs européens : Mussolini et Hitler. Ce soutien se concrètise par la vente d'armes lourdes (comme l'artillerie) et l’appui logistique et aérien, par le biais de la tristement célèbre légion Condor. Le but des dirigeants italien et allemand n’est pas seulement d’aider un « camarade », mais de tester leurs nouvelles techniques de guerre, en particulier aérienne, celles-là même qui terroriseront l’Europe quelques années plus tard ; Goering ne cachera pas qu’il s’est servi de l’expérience espagnole pour l’attaque sur la France par exemple.

On remarquera que les démocraties européennes, elles, se sont abstenues de soutenir aussi massivement le gouvernement espagnol…

Le bombardement de Guernica

Les difficultés commencent quand il faut aborder les raisons du bombardement du village basque. A ce moment, les Franquistes ont pris Malaga en février, mais ont connu des difficultés devant Madrid ; le pays basque est leur prochain objectif. Pourtant, Guernica n’a aucun réel intérêt stratégique, ce n’est pas une base républicaine et encore moins un centre industriel ; c’est en revanche un lieu symbolique de l’identité et de l’indépendance basques, mais cela n’explique pas forcément le bombardement de masse qu’il va subir.

C’est la légion Condor qui s’en charge, facilement vu que le village n’est pas protégé ; le bombardement dure tout un après-midi et selon le bilan le plus neutre fera plus de 2000 victimes, toutes civiles. Le village et son centre historique sont détruits.

Picasso, et le martyre de Guernica devient symbole

Ce massacre inspira à Picasso un vaste tableau allégorique, Guernica. Cette célèbre grande toile a été composée, dans son atelier parisien, par Pablo Picasso entre le 30 avril et les premiers jours de juin 1937. Chargé par le gouvernement espagnol de réaliser une œuvre pour l'exposition universelle de juillet à Paris, Picasso a déjà choisi son sujet lorsqu'il apprend, le 26 avril, la nouvelle du bombardement de la petite ville basque par l’aviation nazie, alliée du général Francisco Franco ; le massacre de la population civile, totalement désarmée face à cette attaque surprise, fait "la une" du quotidien parisien Ce Soir qui publie une série de photos.

L'artiste espagnol se met immédiatement au travail. Les photos en noir et blanc inspirent la monochromie du tableau pour mieux exprimer l'horreur de la réalité. Au moyen d'une technique proche de celle du collage cubiste, le peintre compose une toile sur laquelle il réalise les croquis des figures porteuses d'une forte charge symbolique. Le résultat est un manifeste politique d'une immense valeur esthétique contre cette guerre et toutes les autres, contre la violence et l'injustice perpétrées envers des populations et des individus sans défense impliqués dans le jeu de destruction absurde des puissants de ce monde. Il est certain qu’il a été touché personnellement par le drame ; il a dit de son tableau qu’il était « un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi ».

Quoiqu’il en soit, le massacre de Guernica est relayé en Europe, et provoque l’indignation des démocraties et contribue à l’internationalisation du conflit, au moins idéologiquement. Franco va essayer de contrer cet effet boomerang en accusant d’abord les Républicains d’être les responsables, puis en se défaussant sur les forces allemandes, qui auraient agi sans l’aval nationaliste. Le martyre de Guernica est bien devenu une épine dans le pied de la rébellion franquiste.

Un drame à l’image de la guerre d’Espagne

Le bombardement de Guernica résume quasiment à lui seul le terrible déchirement qu’ont vécu les Espagnols durant cette guerre civile, avec toutes ses conséquences encore aujourd’hui. Les débats historiographiques sont toujours vifs, marqués par les idéologies, que ce soit sur la guerre elle-même (et ses nombreux massacres, des deux côtés) ou sur Guernica seul, son symbole. 

Donnons la parole à Picasso : « La guerre d’Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. [Dans Guernica], j’exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort ». 

Mais au-delà de l’Espagne, Guernica va aussi annoncer ce que va être le conflit mondial qui éclatera quelques années plus tard, et où les Guernica vont se compter par milliers…

Pour aller plus loin

- Les dernières heures de Guernica de Gordon Thomas. Nouveau monde, 2007.

- Guernica. Pour la première fois, la guerre totale, de Ian Patterson. Dormesson, 2007.

- Guernica de Picasso, d' Anette Robinson. Scala, 2015.