Commode, une naissance dans la pourpre
Lucius Aelius Aurelius Commodus naquit le 31 août 161, juste au moment où son père, Marc Aurèle, montait sur le trône de l'Empire avec Lucius Verus. Très rapidement, il lui fut distillé une excellente éducation, de nombreux précepteurs, parmi les plus renommés du moment entreprennent l'éducation du jeune prince. En cela nous pouvons aisément remarquer que l'empereur préparait sans doute son fils à lui succéder, bien que cela ne fut pas la norme dans la succession impériale. En effet, la dynastie d'alors, les Antonins, est purement artificielle dans notre vision contemporaine, les empereurs n'ayant que rarement des liens de parenté. Il prévalait alors l'adoption de celui que l'empereur jugeait le plus digne de lui succéder, comme Nerva le fit avec Trajan. L'hérédité semble-t-il voulu, qui eu lieu en tout cas entre Marc Aurèle et Commode est donc bien une originalité de l'époque.
Il parle ainsi de ses craintes vis à vis du jeune âge du prince, du risque que pouvait présenter la perte d'un père, le pater familias, qui, si son autorité s'est grandement affaiblit depuis les premiers âges de la République, n'en restait pas moins très importante pour les Romains car le jeune homme y trouvait les jalons lui permettant de devenir un homme modéré : « il entre à peine dans l'adolescence ; et dans cette mer orageuse de la vie, il a besoin de sages pilotes qui guident son inexpérience, et l'empêchent de s'écarter du droit chemin pour aller se briser aux écueils du vice » (Hérodien I, 4). Il évoque également le risque vis à vis des barbares, déjà très dangereux sous son règne et qui pourraient profiter de l'inexpérience du nouvel empereur pour passer à l'attaque.
Mais, mourant Marc Aurèle fait rassembler ses proches, hauts dignitaires de l'Empire ainsi que son fils. Il les enjoint de prendre le plus grand soin de son éducation, de le remplacer dans son rôle de père. En aucun cas l'empereur ne souhaite en tout cas confier l'Empire à un autre comme c'était pourtant l'usage.
Clairement désigné, Commode aborde donc son règne fort de la légitimité de l'hérédité et d'une éducation propre à le former à sa tâche, très bien expliqué selon ses mots : « Aujourd'hui le sort m'appelle à lui succéder sur le trône, non comme un de ces princes, mes prédécesseurs, qui, étrangers au pouvoir, y parvenaient tout fiers de leur fortune : seul, je suis né, j'ai été élevé pour vous près du trône ; mon berceau ne fut pas celui d'un enfant obscur ; au sortir du sein maternel, la pourpre impériale m'a recueilli, et le soleil me vit à la fois homme et monarque » (Hérodien I, 5). Dès lors, nous voyons clairement que la prise de pouvoir du prince n'est en aucun cas un acte irréfléchi, mais une volonté délibéré de Marc Aurèle.
Les Débuts du règne de Commode
Peu après le décès, Commode est présenté aux soldats, comme s'était l'usage, le pouvoir de l'imperium désignant dès l'origine l'autorité de commander et en particulier les soldats. A cette occasion, Commode dans son discours nous apprend que Marc Aurèle l'a amené à côtoyer les troupes, l'a confronté à la chose militaire car c'est là que l'empereur doit se trouver en temps de guerre.
Par la suite, le nouveau prince reçu les conseils des hommes de son père, jusqu'à ce que des personnages, décrits comme d'immondes flatteurs par Hérodien ne commencent à pervertir le prince en lui faisant découvrir maints délices et plaisirs. Sur cette question, il est possible de s'interroger sur l'orientation de ces hommes, principalement par rapport au positionnement idéologique de la majeur partie de la noblesse romaine alors au pouvoir.
En effet, Marc Aurèle et bon nombre d'écrivains de l'époque étaient des stoïciens convaincus, des hommes faisant de leur existence une recherche de la vertu à travers la maitrise du corps et des émotions tout en rejetant les plaisirs. Cette philosophie a directement influencé la morale chrétienne. Les autres monarques passés de la dynastie, ainsi que bien d'autres, avaient également une certaine sympathie pour cette orientation philosophique. Or, la recherche du plaisir était une vision opposée que l'on retrouve dans l'épicurisme. Dès lors, on peut sans doute s'interroger sur les orientations du jeune prince et de ses amis et donc de la haine que ses choix vont susciter.
Commode interrogeait d'ailleurs les proches de son père selon ces mots : « Quand cesserez-vous, disaient-ils, ô notre auguste maître, de boire une eau glacée, qu'on tire avec effort du sein de la terre? d'autres cependant jouiront en paix de ces sources tièdes, de ces frais ruisseaux, de ces zéphirs, de ce ciel que possède l'Italie seule? ». Mais cela n'était que difficilement en accord avec les réalités politiques du moment ; Marc Aurèle était en effet mort sur les frontières danubiennes, laissant à son fils le soin de terminer la guerre. Or celui-ci souhaitait retourner vers Rome, ce qu'il fit, déléguant la défense frontalière à ses généraux.
L'influence de Pérennius et la tentative d'attentat
Arrivé dans la ville de Rome, la foule se pressa à sa rencontre et lui rendit un hommage vibrant. Les sénateurs l'accueillirent, puis il rendit visite aux temples et finalement se retira dans son palais. Son règne suivait alors les préceptes de son père, écoutant les conseils des hauts personnages. Néanmoins, Hérodien nous parle d'un homme, Pérennius, dont les talents militaires amenèrent Commode à le choisir comme commandant de la garde prétorienne, qui selon l'auteur, émit des accusations calomnieuses à l'encontre des anciens conseillers de Marc Aurèle. Mais c'est sa propre soeur, Lucilla, autrefois marié à Lucius Verus, qui la première et avec son mari d'alors, Pompéianus fomenta un complot contre Commode.
L'assassin engagé, Quintianus, se précipita sur l'empereur Commode le poignard à la main, à la sortie de l'amphithéâtre et proclama alors : « Voici ce que t'envoie le Sénat ! » (Hérodien, I, 8). Arrêté par les gardes et tué sur le champ, l'homme venait, selon Hérodien, d'amorcer un changement d'attitude de Commode, surtout vis à vis du Sénat. Pérennius sauta alors sur l'occasion pour faire supprimer ses rivaux, jusqu'à Lucilla et pu ainsi exercer son influence sur le prince. Mais bientôt son influence elle-même s'écroula ; en effet, son fils, commandant les troupes en Illyrie, avait fait frapper des pièces à son effigie affichant une certaine prétention impériale. Commode les fit éliminer tous les deux. Cet événement lui fit dès lors choisir deux personnage pour commander la garde prétorienne.
Les trouble semés par Maternus
C'est alors que Maternus, désigné comme un soldat, se lance dans des opérations de brigandage à une échelle de plus en plus importante, tant en Gaule qu'en Espagne. Furieux de ces agissements, Commode fustige ses généraux et leur ordonne de combattre la sédition. Marternus passé en Italie préparait quant à lui une ambition impériale. En effet, dans la capitale un événement pouvait lui être favorable : « Au commencement du printemps les Romains célèbrent avec solennité la mère des dieux. Dans cette fête, les citoyens et l'empereur lui-même font porter devant l'image de la déesse ce qu'ils possèdent de plus brillant et de plus précieux, soit pour la matière, soit pour la délicatesse du travail.
Chacun jouit alors de la liberté de se livrer aux divertissements les plus bizarres; on peut choisir tous les déguisements; il n'est point de dignité si élevée, de personnage si auguste qu'on ne puisse alors représenter avec une fidélité de costume, capable de produire la plus complète illusion » (Hérodien, I, 10). Il souhaitait se dissimuler avec ses compagnons dans la foule et assassiner l'empereur. Trahit par des hommes à lui qui selon Hérodien n'auraient pas supporté lui obéir, lui qui n'était qu'un brigand comme eux. Le complot aboutit à une sévère répression. On peut dès lors remarquer combien le pouvoir impérial, bien que gigantesque, peut amener les hommes à vouloir l'abattre ; l'empereur n'est pas, comme l'étaient les rois français du Moyen Âge, un être aussi intouchable. Il y eu bien peu de rois de France assassiné (Henri III et Henri IV, et Louis XVI, ainsi qu'une tentative sur Louis XV). La valse des empereurs du IIIe siècle est par contre très significative.
L' empereur romain tourmenté et Cléandre
En tout cas, l'attentat avorté détourna de plus en plus Commode de la conduite des affaires de l'État. Il ne séjourna dès lors que rarement à Rome. D'ailleurs, une résurgence de la peste, un terme générique employé par les auteurs anciens pour désigner les maladies contagieuses, résurgence dans le cas présent de la maladie rapportée de Perse par les soldats de Lucius Verus, sévit à nouveau dans l'Empire. Sur les conseils de ses médecins, Commode se rendit à Laurente, un lieu réputé pour sa salubrité.
Dans le même temps, Cléandre, un affranchi de l'empereur, c'est à dire un ancien esclave devant sa liberté à son ancien maitre, devenu son patron, était devenu très proche de Commode et assurait le service de proximité du prince. Hérodien raconte qu'il souhaitait s'attirer les bonnes grâces de tous afin de jouir de plus de pouvoir et de renommé. C'est la raison semble-t-il qui l'amena à acheter de grandes quantité de blé, pour pouvoir ensuite le distribuer et se présenter en sauveur.
Cette pratique n'est pas étrangère à l'Antiquité ; à Athènes déjà les marchands de blé, l'apportant du Pont Euxin (la Mer Noire) avaient l'habitude d'attendre que la disette se déclare dans la cité pour débarquer et ainsi faire monter les prix. Les visées de Cléandre, peu importe au fond son but, provoquèrent la faim dans Rome. Le peuple partit donc vers la résidence impériale réclamer des comptes à l'empereur qui ignorait la situation. L'affranchit ordonna alors aux cavaliers de la garde l'ordre de charger la foule, massacrant une partie des gens assemblés.
Le désordre entraina une bousculade générale qui fit encore périr beaucoup de personnes. Hérodien s'indigne donc devant une telle attitude, exprimant quelle flétrissure représentait de verser le sang de citoyens romains. L'échauffourée continua dans Rome même où la foule, depuis les toits et jusque dans les rues fit payer à la soldatesque la mort des leurs. L'évènement est sans doute exagéré par l'auteur, par son ampleur. Informé finalement par une autre de ses soeur, Fadilla, Commode fit mander Cléandre et séance tenante lui fit couper la tête et porter sur le lieu du tumulte afin de faire cesser les affrontements.
L'empereur gladiateur
Il faut tout de même rappeler que les jeunes gens de bonne famille prenaient à cette époque un certain goût du risque, du pittoresque, de la vie sauvage, s'encanaillant dans maints « exploits » et notamment dans la gladiature. Commode ne fait guère parti d'une nouveauté dérangeante. La vie facile de toute cette jeunesse dorée amène directement vers cette quête du risque, de la passion et de l'acte interdit, ce que Catherine Salles a parfaitement montré dans son ouvrage Les bas-fonds de l'Antiquité.
Prodiges et divination
Des prodiges se seraient alors produit en grand nombre dans Rome et notamment un incendie. Pour les Romains, l'interprétation des évènements naturels ou non relève du domaine sacré. Les haruspices peuvent décrypter ces signes, déterminer s'il s'agit de quelque chose de positif ou négatif. Dans l'esprit d'Hérodien, lorsqu'il rédigea son oeuvre, cet élément servit à expliquer la déchéance future de Commode, comme une volonté divine, apprise aux hommes par ces signes. C'est à ce moment là que les excès les plus mégalomanes de l'empereur prirent un tour particulièrement exubérant ; il se serait dès lors intitulé fils de Jupiter, se faisant appeler Hercule, s'affublant d'une peau de lion, comme on le remarque sur un buste parvenu jusqu'à nous.
En tout cas, une chose est intéressante ici ; Hérodien le critique vivement en disant qu'il portait en même temps une tunique brodée d'or et de richesse. C'est en effet un élément que les traditions romaines rejetaient en bloc, l'empereur n'étant pas un roi mais un magistrat, le premier des citoyens. Or, dès la fin du IIIe siècle, l'empereur Dioclétien institua le cérémonial oriental, l'habit du prince devenant alors très riche, couvert de broderies, d'or et de pierres précieuses, de même que le diadème, étranger aux premiers siècles de l'Empire. L'évolution future de la réalité de la dignité impériale recentre quelque peu le comportement de Commode dans une dynamique du pouvoir impérial assumant de plus en plus ouvertement son pouvoir effectif et se détachant de l'héritage républicain.
Dernier excès
S'enfonçant de plus en plus ouvertement dans sa passion du combat de l'arène, Commode finit tout de même, selon Hérodien, par lasser le peuple qui jusque là l'appréciait. Son goût prononcé pour les jeux fit qu'il désira paraître lors de la fête des saturnale tout en arme dans l'arène, autant dire pour les Romains une véritable souillure de la dignité impériale. Tous ces proches tentèrent alors de l'en détourner. Courroucé, il aurait alors un soir noté tout une suite de noms de sénateurs, et de hauts dignitaires qu'il souhaitait voir périr pour s'assurer de sa tranquillité.
Apparaissait également le nom de Marcia, sa concubine préférée, qui avait elle aussi tenté de lui faire entendre raison. Or, un enfant, attaché au prince entra dans sa chambre et dans son jeu aurait alors pris les tablettes funestes. Il rencontra Marcia qui reconnu dans ses mains l'écriture de Commode et découvrit la volonté de l'empereur. Hérodien nous donne ensuite ce que la concubine aurait dit, finissant sur : « Mais un homme toujours plongé dans l'ivresse ne triomphera pas d'une femme sobre » (Hérodien, I, 17). Cette formulation est intéressante ; l'auteur oppose clairement la sobriété, vertu fondamentale d'un stoïcien au comportement de Commode agissant plutôt en épicurien...
La chute de Commode
Face à cette découverte, Marcia alerta des sénateurs et les mis au courant de la volonté de l'empereur. Ils convinrent donc de l'empoisonner. La concubine lui présenta donc après ses exercices quotidiens une coupe de vin selon son habitude, mais chargée de poison. Commode, atteint d'étourdissements partit se reposer. Pris de nausée, il commença alors à vomir, à tel point que les conjurés eurent peur qu'il ne parvint à rejeter le produit toxique qu'il avait ingéré et soudoyèrent un certain Narcisse qui l'étrangla.
C'est ainsi que mourut Commode, le 31 décembre 192, après treize ans de règne. La conduite de son pouvoir, bien que très détachée des affaires, est pourtant révélatrice de la réalité profonde du régime impérial, à savoir le gigantisme de son pouvoir et la faiblesse paradoxale de ceux qui exerçaient cette charge. Sans doute moins ignoble qui l'a souvent été raconté, Commode apparaît comme un empereur plus préoccupé de ses plaisirs que de la conduite des affaires ce qui ne pouvait que contraster avec le règne de Marc Aurèle, qui lui assuma sa tâche avec une impressionnante abnégation. La dynastie des Antonins meure avec lui et une époque de trouble s'ouvre alors.
L'image de Commode à travers les siècles
L'auteur, probablement un sénateurs du IVe siècle, se distingue tout au long de l'ouvrage par le recours systématique au jugement de valeur et aux détails grivois, donc assez éloigné de la rigueur que réclame l'analyse historique.
Bibliographie
- Les Antonins: De Trajan à Commode, d' Anne Fraïsse. Ellipses, 2022.
- Commode, l'empereur gladiateur, d'Eric Teyssier. Perrin, 2018.