Pazzi contre Médicis : un conflit « idéologique » ?
Historiquement, les Pazzi sont opposés aux Médicis. Originaires du Val d’Arno, entre Pise et Arezzo, les Pazzi sont de grands nobles et propriétaires terriens. En ce sens, ils possèdent, au XVᵉ siècle, de nombreux fiefs en Toscane. Plus encore, il s’agit d’une famille de prestige, qui est partie intégrante de la noblesse urbaine florentine. Par exemple, l’ancêtre Pazzino de Pazzi est connu pour avoir été le premier chevalier à avoir pénétré dans la ville de Jérusalem, en 1099, au moment de la Première Croisade.
À l’issue de cette croisade, des reliques furent ramenées en Occident, lesquelles sont d’ailleurs à l’origine de la fête du « Scoppio del Carro » à Florence, autrement dit de l’ « explosion du char ». Une fois revenu à Florence, en 1101, Pazzino de Pazzi fut célébré, et sa famille gagna amplement en respectabilité et en renommée. Les Pazzi sont donc, en quelque sorte, l’incarnation de la « vieille aristocratie » de la cité de Florence, où ils sont installés depuis plusieurs siècles – au moins depuis le XIᵉ siècle, le plus ancien membre de la lignée étant Ranieri de Pazzi. Dès lors, à partir du début du XIIᵉ siècle, les Pazzi accumulent une grande fortune, se distinguant par leur activité commerciale et financière. Au XVᵉ siècle, la renommée de la lignée n’était plus à faire, surtout lorsqu’Andrea Pazzi commanda au fameux architecte florentin Filippo Brunelleschi, en 1429, une chapelle, construite dans la Basilique Santa Croce de Florence.
Les premiers installés se lancent, dès lors, dans la finance. Ils furent imités par le fameux Giovanni di Bicci, qui, en fondant la banque des Médicis en 1397, lança véritablement la renommée de la famille. Son fils, Cosme l’Ancien, était par ailleurs considéré comme le « Pater Patriae » par les Florentins, comme le « Père de la Patrie ». Il s’opposa à la vieille oligarchie florentine, qui détenait le pouvoir à Florence, et finit par être exilé à Venise en 1433 par Rinaldo Albizzi, chef de la faction oligarque. Un an plus tard, en 1434, Cosme l’Ancien revint à Florence, bannit son rival, et s’empara du pouvoir en devenant gonfalonier, c’est-à-dire chef du gouvernement. C’est donc par l’activité bancaire, et l’acquisition relativement rapide de fonds, que les Médicis purent s’emparer du pouvoir à Florence.
Les Pazzi voyaient les Médicis d’un mauvais œil. Comment une famille, à l’extraction modeste et récente, put parvenir à s’installer au cœur du patriciat urbain, à chasser les anciennes pratiques oligarchiques et à installer son pouvoir ? Les Pazzi, qui étaient fondamentalement attachés à leurs racines et à l’héritage oligarchique florentin, considéraient l’avènement des Médicis comme une insulte à la République. C’est pour toutes ces raisons que les Pazzi, en 1478, fomentèrent une conjuration, un complot, que nous pouvons qualifier de « coup d’État ». Il s’agit là d’une opposition idéologique, entre l’oligarchie déchue de ses prérogatives et la montée en puissance de nouvelles familles patriciennes, qui se révèle être au cœur de la conjuration des Pazzi. Ce phénomène, typiquement italien, semble être inhérent aux patriciats urbains et républicains, italiens, à l’époque moderne – la République de Venise, aux XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, a notamment connu des difficultés similaires.
Les temps de la conjuration des Pazzi
Les Pazzi ont su trouver un allié de choix, en la personne du pape Sixte IV. Francesco della Rovere, élu pape en 1471 sous le nom de Sixte IV, népotiste convaincu, souhaitait donner à son neveu, Girolamo Riario, les villes de Faenza et d’Imola, en terre florentine. C’était sans compter la fermeté des Médicis, qui refusèrent de voir leur territoire aliéné au profit du neveu d’un pape réputé aux mœurs légères. Sixte IV chercha donc un soutien interne à Florence, qu’il trouva en la personne de Francesco de Pazzi. C’est ainsi que l’idée de la conjuration naquit, dans la conjonction des réflexions pontificale et « pazzienne ».
Le premier grand moment de la conjuration des Pazzi se déroula le samedi 25 avril 1478. Francesco de Pazzi avait alors prévu d’assassiner Julien et Laurent de Médicis au cours d’un banquet, qui avait été organisé à la Villa Médicis de Fiesole, près de Florence, afin de célébrer l’élection au cardinalat de Raffaele Riario, neveu de … Sixte IV. Plus précisément, il s’agissait d’empoisonner les deux frères au cours de la fête. Les Pazzi ont pu se rendre à ce banquet en raison de leur récente union avec la famille des Médicis : en effet, la sœur de Laurent et Julien de Médicis, Bianca de Médicis, venait de se marier à Guglielmo de Pazzi. Toutefois, la tentative d’assassinat ne put aboutir, puisque Julien de Médicis, indisposé, ne se rendit pas au banquet. Il fallut donc remettre le complot à plus tard. En l’occurrence, au lendemain.
Ce dernier ne savait pas encore qu’il allait être assassiné par les deux personnages qui l’accompagnèrent jusqu’au lieu saint. Au moment solennel de l’élévation, Bandini porta dix-neuf coups de couteau à Julien de Médicis qui, agenouillé et déjà affaibli par une blessure à la jambe, succomba. Laurent de Médicis, accompagné par le fidèle Ange Politien, et protégé par Andrea et Laurent Cavalcanti, fut blessé, mais parvint à s’enfuir, en rejoignant la sacristie de la Basilique Santa Maria del Fiore. Dans sa fuite, Laurent de Médicis fut protégé par Francesco Nori, qui sacrifia sa vie pour sauver le dernier représentant de la famille Médicis. La conjuration des Pazzi, soutenue par le pape de Sixte IV, échoua, après avoir avorté une première fois.
Les conséquences de l'échec du complot
Comme l’on peut aisément l’imaginer, les conséquences d’un tel évènement furent énormes. Jacopo de Pazzi qui, alors que Laurent de Médicis fuyait le Duomo, s’était rendu en la place de la Seigneurie, croyait que le peuple florentin allait le soutenir, et l’aider à renverser le pouvoir. Il n’en fut rien. Malgré les « Libertà ! » qu’il matraqua envers la foule, avec ses compagnons, les Florentins assaillirent les conjurés et les poursuivirent. Le peuple de Florence condamnait, dès lors, et dès le début des évènements, un geste impur, proféré le jour le plus saint de la chrétienté. Jacopo de Pazzi parvint à s’enfuit, et apporta la nouvelle de l’échec de la conjuration aux troupes papales, qui étaient postées tout autour de Florence. Craignant des représailles certaines, les troupes n’attaquèrent pas, et finirent par se replier.
Laurent de Médicis, furieux, ne fit absolument rien pour calmer son peuple. Tous les membres de la famille Pazzi furent arrêtés, voire exilés, et leurs biens furent confisqués par la République. On leur interdit également de faire figurer leur nom sur les actes officiels. Le pape réagit fermement, dans un premier temps, en excommuniant la cité toute entière de Florence. Mais, face à la fermeté des Florentins, il dut renoncer. Laurent de Médicis, pour sa part, bénéficia dès lors d’un prestige et d’une renommée accrus, ce qui lui permit de renforcer considérablement son pouvoir au sein de la République. Par exemple, il réduisit l’assemblée communale à soixante-dix membres, choisis parmi son entourage et les personnes qu’il jugeait de confiance.
Ange Politien, proche de Laurent de Médicis et membre de la chancellerie républicaine, écrivit une histoire de la conjuration des Pazzi. Cet évènement est considéré, pour Florence, comme l’affirmation de la puissance des Médicis. Il est intéressant d’observer comment un attentat manqué permet à la famille assaillie de s’en tirer grandie, et d’accroître son pouvoir. Néanmoins, en 1494, l’arrivée au pouvoir de Jérôme Savonarole au pouvoir à Florence, après avoir chassé les Médicis, rétablit les Pazzi dans leurs prérogatives et privilèges. Mais la chute de Savonarole, en 1498, et le retour des Médicis, eurent pour conséquence de rétablir la situation initiale.
Bibliographie
- DELUMEAU Jean, L’Italie de la Renaissance à la fin du XVIIIᵉ siècle, Paris, Armand Colin, 1997.