La Catalogne wisigothique et la conquête arabo-berbère
Les Wisigoths se sont installés en Hispanie romaine dès le Ve siècle, leur capitale se trouvant au départ à Toulouse. En 507, sous les coups du roi franc Clovis, ils doivent se retirer derrière les Pyrénées, sauf en Septimanie, et ils déplacent leur capitale à Tolède.
La conquête arabo-berbère commence en 711, et la future Catalogne est conquise à la fin des années 710 et au début des années 720, comme les deux tiers de l’Hispanie, ainsi que la Septimanie, à l’exception de Toulouse. Quelques cités dans les hautes vallées des Pyrénées sont épargnées, et seront les futurs sièges de la résistance chrétienne. Des gouverneurs sont nommés par les émirs de Cordoue pour diriger les cités conquises, dont certaines, comme Barcelone, servent de bases aux razzias vers le nord. Cependant, la majorité de la population reste chrétienne, l’islamisation et l’arabisation étant un long processus en Al Andalus.
Le pouvoir central de Cordoue connaît de sérieux problèmes pour gérer la conquête rapide d’Al Andalus, et des gouverneurs des cités du nord contestent son autorité. C’est par exemple le cas de Munuza, chef berbère de Llivia, qui s’allie au duc Eudes d’Aquitaine. Cela provoque le raid de l’émir de Cordoue, Abd al-Rahman al-Ghâfîqî, et la contre-attaque opportuniste de Charles Martel qui se conclut à la bataille de Poitiers (732).
Toutefois, les années suivantes, les razzias continuent, cette fois dans la vallée du Rhône, avec pour point de départ la Septimanie ou la Catalogne. Il faut attendre les années 750 et la conquête de la Septimanie et de l’Aquitaine par Pépin le Bref pour que leur nombre faiblisse de façon conséquente, sans plus jamais s’enfoncer loin dans le territoire franc.
La Marche d’Espagne : la Catalogne franque
Les conquêtes de Pépin le Bref amènent les Francs aux portes d’Al Andalus. Ils s’attaquent d’abord aux Pyrénées occidentales et centrales, mais c’est un échec qui se conclut par le désastre de Roncevaux (778). A l’est, ils ont plus de réussite car ils bénéficient du soutien des populations locales.
Au début des années 780, les relations entre les populations de la vallée de l’Ebre et les Francs augmentent tellement que l’émir de Cordoue, Abd el-Rahman Ier, doit intervenir. Il ne peut éviter que Gérone s’offre aux Carolingiens en 785 ! L’année suivante, le gouverneur musulman de Barcelone conquiert Huesca et Saragosse et s’affranchit de Cordoue. Les différents renégats n’hésitent pas à demander de l’aide aux Francs contre l’émir omeyyade, comme un certain Zatum, gouverneur de Barcelone qui, en 797, se rend lui-même à Aix-la-Chapelle pour proposer une alliance à Charlemagne…
Celui-ci lance une première offensive en 799 qui permet la conquête de places comme Vic, Caserras et Cardona, entre Gérone et la haute vallée du Segre. Surtout, en 801, les Francs prennent Barcelone, malgré l’intervention d’une armée omeyyade. Cette conquête est décisive, et permet à Charlemagne de créer la Marche d’Espagne, future Catalogne. En revanche, il échoue dans ses tentatives contre Tortosa.
La Marche d’Espagne est constituée de comtés qui prêtent allégeance à leur suzerain, l’empereur carolingien (Charlemagne puis son fils Louis le Pieux). Parmi ces comtés, outre Barcelone, on peut citer Gérone, Empúries ou Urgell-Cerdagne. D’autres sont plus proches du comte de Toulouse, déjà rival du comte de Barcelone. A ce moment, la Catalogne se tourne vraiment vers le royaume franc, son centre de gravité plus au nord, en particulier pour la religion, avec la prééminence de Narbonne. Charlemagne encourage également l’installation d’Hispani fuyant la domination musulmane au nord des Pyrénées.
La naissance de la Catalogne indépendante
L’affaiblissement des Carolingiens durant le règne de Charlemagne et de ses successeurs contribue à l’émergence d’un Etat indépendant.
Les comtés cherchent de plus en plus à se soustraire à la tutelle carolingienne, malgré le danger récurrent des razzias musulmanes. En effet, celles-ci continuent et même augmentent dans les années 840, ravageant la Cerdagne et les environs de Narbonne. Cela n’empêche pas Guillaume de Barcelone de se rebeller contre Charles le Chauve en 848, et de chercher l’appui de Cordoue ! Il faut plusieurs années au souverain carolingien pour rétablir son autorité et se débarrasser de Guillaume. L’instabilité demeure et conduit finalement Charles le Chauve à négocier avec les émirs omeyyades.
Le tournant pour la Marche d’Espagne intervient en 878, au concile de Troyes, quand l’homme du Carolingien, Bernard de Gothie, est destitué et ses comtés partagés. Parmi les bénéficiaires, un certain Guifred le Velu, qui gouverne bientôt l’Urgell, la Cerdagne, Barcelone et Gérone, et obtient le titre de marchio ; il est considéré comme l’un des fondateurs de la Catalogne indépendante. Cette décision entérine la domination de la maison de Barcelone sur la Catalogne. Guifred le Velu entreprend de consolider la Marche et créé le comté de Vic-Ausona, ainsi que l’abbaye de Santa Maria de Ripoll. La menace musulmane est toujours présente, et c’est en combattant que le comte de Barcelone meurt en 897.
Au Xe siècle, les successeurs de Guifred le Velu continuent d’organiser la Catalogne et de la repeupler, profitant de l’accalmie relative provoquée par la transition entre émirat et califat en Al Andalus. Ils n’hésitent pas ensuite à envoyer des ambassades aux califes Abd-el Rahman III et Al-Hakam II, et les échanges culturels s’intensifient. Ainsi, Gerbert d’Aurillac, futur pape Sylvestre II, vient-il étudier des manuscrits arabes au monastère de Ripoll.
C’est alors qu’intervient un traumatisme qui contribue également à la création de l’identité catalan : le vizir Al-Mansur prend l’ascendant sur le jeune calife Hisham II et gouverne de fait Al Andalus. Il décide de rompre les relations avec la Catalogne et met à sac Barcelone en 985. L’événement fait grand bruit en Occident, mais les Catalans en veulent aux Francs qui ont refusé de venir les aider. Le divorce est consommé entre la Catalogne et la Francie, confirmé par le refus des comtes catalans de reconnaître comme roi Hugues Capet, élu par les Grands en 987. Les Capétiens eux-mêmes ne reconnaissent l’indépendance de la Catalogne qu’en…1258 !
L’affirmation de la Catalogne
Emancipée de la tutelle franque, la Catalogne, toujours à cheval sur les Pyrénées, se remet du choc Al-Mansur assez rapidement. S’ils ne sont pas rois, les comtes de Barcelone confirment leur prééminence sur le territoire catalan, qu’ils repeuplent par une politique volontariste.
Parmi les grands comtes de Barcelone, on peut citer Ramon Berenguer Ier (1018-1035) qui attire les colons pour repeupler la Catalogne et organise une politique maritime, favorisant Barcelone au détriment d’Empúries. Son petit-fils épouse Douce de Provence, étendant ainsi le territoire catalan (au grand dam du comte de Toulouse) et orientant sa politique maritime vers Pise et les Baléares.
Un autre grand personnage est Oliba, comte de Berga et Ripoll, où il devient moine, puis abbé en 1008. On lui doit une grande œuvre culturelle et l’introduction de l’art roman en Catalogne, ainsi que le développement de la bibliothèque du monastère de Ripoll. C’est également Oliba qui impose en Catalogne la Paix et la Trêve de Dieu, concepts fondamentaux pour la chrétienté du XIe siècle et la notion de guerre sainte.
Le « mariage » de la Catalogne et de l’Aragon
La première partie de la Reconquista, au XIe siècle, est essentiellement conduite par la Castille, qui s’appuie sur le système des parias pour affaiblir les taifas. En 1085, le roi Alphonse VI prend Tolède et, si c’est un événement retentissant, les chrétiens ne peuvent longtemps en profiter ; l’année suivante, les Almoravides débarquent et les défont à Zallaqa.
Les comtes-rois catalans pèsent d’un poids considérable face à leurs voisins espagnols, mais également face au comte de Toulouse et aux rois de France et d’Angleterre. Quant aux musulmans, les Catalans se distinguent par leur tolérance vis-à-vis des populations musulmanes conquises. Cela n’empêche pas le roi d’Aragon et comte de Barcelone, Pierre Ier (Pierre II pour l’Aragon), d’être l’un des grands vainqueurs de la bataille de Las Navas de Tolosa, en 1212, face aux Almohades.
La Catalogne et les Albigeois
La victoire de Las Navas de Tolosa pousse Pierre II d’Aragon à se considérer comme un souverain puissant et un champion de la chrétienté. Il se retrouve alors plongé dans la lutte complexe que se livrent l’Angleterre, la France et Rome avec pour enjeu (et prétexte) l’hérésie albigeoise.
La Catalogne a confirmé son influence au nord des Pyrénées avec le mariage de Raymond III Berenguer et Douce de Provence comme nous l’avons évoqué. Le comte de Barcelone a donc une responsabilité de suzerain vis-à-vis de ces terres. Le comte de Toulouse lui-même, pourtant vassal du roi de France, lui prête finalement hommage. Or, Toulouse est considérée comme le cœur de l’hérésie albigeoise ! Pierre II d’Aragon doit renoncer à sa prétention d’être le champion de la chrétienté pour défendre son vassal face à Simon de Montfort, envoyé par le pape.
En 1213, à la bataille de Muret, le roi d’Aragon et comte de Barcelone est tué pour avoir défendu le comte de Toulouse…qui a fui sans avoir combattu ! C’est une catastrophe au-delà même de la mort du souverain catalan : son fils Jacques est capturé par Simon de Montfort (et seulement libéré sur ordre du pape), et la Catalogne finit par perdre terres et influence au nord des Pyrénées, surtout avec le succès de Philippe Auguste à Bouvines en 1214. Le traité de Corbeil de 1258 entérine la situation, avec la recomposition du Languedoc au profit du comte de Toulouse (soumis au roi de France), et une Provence récupérée par Charles d’Anjou, frère de Louis IX. Désormais, la Catalogne se tourne vers l’Espagne, et la Méditerranée.
Un empire méditerranéen
Il est d’abord marqué par le long règne de Jacques Ier, fils de Pierre II. En 1229, le roi d’Aragon s’attaque aux Baléares en conquérant Majorque, puis Ibiza. Noblesse aragonaise et marchands catalans le poussent à prendre Valence dès 1233, et pour son allié la Castille il s’empare de Murcie. Son surnom de « Conquérant » ne l’empêche pas d’avoir, pendant une bonne partie de son règne, maille à partir avec la noblesse de son royaume, irritée par ses réformes.
Sa succession se fait donc dans l’agitation en 1276 : le royaume est partagé entre ses deux fils, Jacques II (qui hérite des Baléares et de Perpignan, dernière enclave catalane au nord des Pyrénées) et Pierre III. Ce dernier, comte de Barcelone, roi d’Aragon et de Valence se lance dans une politique méditerranéenne : il se marie avec la petite fille de Frédéric II Hohenstaufen, Constance de Sicile, ce qui lui permet de se voir offrir la couronne de Sicile suite aux Vêpres siciliennes contre les Angevins (1282). Quant à son frère, Jacques II, roi de Majorque, il se rapproche du roi de France.
Au début du XIVe siècle la puissance catalono-aragonaise s’affirme surtout en Méditerranée occidentale. Les marchands catalans et majorquins s’installent dans tous les grands ports méditerranéens, y compris en pays d’Islam (dans le royaume de Grenade et au Maghreb en particulier). Ils deviennent des rivaux des cités italiennes, dont Gênes, avec qui la guerre éclate.
Les crises du XIVe siècle
Cette puissance empiète sur l’influence de la Castille, avec qui les tensions augmentent ; si les deux royaumes sont unis face aux Mérinides et aux Nasrides à Salado (1340), il n’en va pas de même avec l’avènement en Castille de Pierre le Cruel qui attaque l’Aragon en 1356, et impose sa paix à Pierre IV le Cérémonieux en 1363. La crise de Trastamare qui suit, même si elle concerne d’abord la Castille, touche également l’Aragon et la Catalogne avec le passage des Grandes Compagnies de Du Guesclin.
Comme toute l’Europe, le royaume catalono-aragonais prend de plein fouet la crise économique et démographique de ce siècle, ainsi que la Peste de 1348. Les rois d’Aragon perdent de l’influence sur les affaires de l’Etat au profit de la noblesse et, dès Pierre III (1283), ils doivent mettre en place le système du pactisme, qui institutionnalise les cortes. Leur puissance ne cesse de s’accroître ensuite, au détriment de la monarchie centralisée à Barcelone. Au sein du royaume s’activent les rivalités entre Aragonais, Catalans, Valenciens et Majorquins, en venant parfois à des conflits armés…
Les guerres civiles du XVe siècle
En 1410 s’éteint la maison de Barcelone, qui n’a pas de descendance masculine suite à la mort de Martin Ier « l’Humaniste ». C’est alors une véritable crise dynastique, qui dure deux ans, et voit Ferdinand d’Antequera monter sur le trône avec le soutien du pape Benoît XIII. L’avènement du Trastamare ne satisfait cependant pas les Catalans…Le long règne d’Alphonse V, dit le Magnanime, est marqué par ces divisions, surtout que le roi s’intéresse plus à la récupération des possessions siciliennes qu’aux affaires internes.
Sa guerre coûteuse qui se finit avec son entrée à Naples en 1443 continue d’affaiblir la monarchie. Son frère Jean II lui succède en 1458. Il a mené une politique contestée en Catalogne, qui explose en guerre civile quelques années après son arrivée sur le trône. L’intervention de souverains étrangers comme Louis XI et Charles VIII complique les choses et il faut dix ans pour mater la rébellion. Jean II doit toutefois de nouveau jurer sur le pacte de Pierre III, en 1472.
Les Rois Catholiques et l’affaiblissement de la Catalogne
L’union se fait finalement au détriment de la Catalogne et de l’Aragon. En effet, les rois s’installent à l’Escurial, et l’Espagne se détourne de la Méditerranée pour regarder vers le Nouveau Monde, malgré la (re)conquête du royaume de Naples en 1504. Séville supplante Barcelone. La mort d’Isabelle rapproche un peu plus Ferdinand d’Aragon de la Castille, et à l’avènement de son petit-fils Charles Quint en 1516, la Catalogne n’est plus majeure au sein de l’Espagne. Une situation qui va perdurer durant les deux siècles suivants…
Bibliographie
- D. Menjot, Les Espagnes médiévales (409-1474), Hachette, 2013.
- G. Dorel-Ferré, Atlas historique de la Catalogne, Autrement, 2010.
- P. Sénac, Les Carolingiens et al-Andalus (VIIIe-IXe siècles), Maisonneuve & Larose, 2002.
- M. Zimmermann, Histoire de la Catalogne, PUF, 1997.