Merlin l'enchanteur, selon la tradition
Merlin l’Enchanteur est un personnage de la légende du roi Arthur. C’est un être mi-homme mi-démon : il est le fils d’une jeune femme et d’un démon ou peut-être du diable lui-même. Mais lui est au service du Bien. L’apparence de Merlin est variable : il peut être un beau jeune homme comme un vieillard à longue barbe. Il connaît le passé et l’avenir. Il est doté de pouvoirs magiques : il se métamorphose à volonté et fait des prophéties dans la forêt de Brocéliande.
Quand le nouveau roi épouse Guenièvre, Merlin lui offre en cadeau de mariage la Table Ronde et lui demande de créer un ordre de chevalerie qui réunira les meilleurs chevaliers du monde : c’est l’ordre de la Table Ronde. Merlin lance alors les chevaliers de la Table Ronde dans la quête du Graal. Il s’agit d’une coupe sacrée dans laquelle aurait bu le Christ lors de son dernier repas, et qui aurait contenu son sang après sa crucifixion.
Un jour, dans la forêt de Brocéliande, Merlin rencontre Viviane. Il en tombe amoureux et il en fait sa disciple. Il lui offre un château, et Viviane devient la Dame du Lac. Il lui apprend tout ce qu’il sait, et même comment retenir un homme pour l’éternité. Alors une nuit, profitant de son sommeil, Viviane l’ensorcelle et l’emprisonne dans une tour invisible. Depuis, Merlin n’est plus accessible au monde des hommes.
Le mythe prolifique de Merlin
Le mythe de Merlin connut de très nombreuses variations et évolutions tout au long du Moyen Âge, rendant ainsi le personnage particulièrement difficile à cerner. Merlin est avant tout attesté dans la tradition celtique galloise où il apparaît sous la forme de Myrddin à travers quelques poèmes évoquant aux Ve et VIe siècles un fou, sauvage et misérable, vivant à l’écart du monde dans de lointaines forêts calédoniennes. Nous le retrouvons également dans la littérature écossaise et irlandaise dans un rôle analogue, un homme des bois vivant invisible dans les arbres.
L’introduction du personnage de Merlin dans le cycle arthurien intervient dans la première moitié du XIIe siècle avec trois écrits latins de Geoffroy de Monmouth : les Prophetiae Merlini (Les prophéties de Merlin, vers 1135), l’Historia regum Britanniae (L’histoire des rois de Bretagne, avant 1140), et la Vita Merlini (La vie de Merlin, vers 1145), donnant au prophète une véritable biographie avant tout liée à une optique politique, celle pour les Normands de s’appuyer sur les Celtes contre les Saxons.
Cet héritage est alors remanié par de nombreux auteurs, citons en particulier le clerc anglo-romand Wace ainsi que le poète franc-comtois Robert de Boron qui christianise fortement le personnage de Merlin dans sa trilogie sur le Graal.
De l’antéchrist au prophète du Graal
À l’inverse du Christ, issu d’une vierge et de Dieu, Merlin est né d’une vierge et d’un incube (l’équivalent masculin de la succube), il est un antéchrist. Son apparence confirme son origine diabolique : Merlin est très velu et poilu, doté une perspicacité surnaturelle et capable de prodiges. Pour autant, dans les écrits de Robert de Boron, seul son corps représente le Diable. L’âme de Merlin, grâce à la piété de sa mère, semble acquise à Dieu d’autant qu’il est baptisé. Le personnage de Merlin symbolise alors le conflit entre le Diable et Dieu, montrant au final le triomphe de Dieu. A contrario, dans le Lancelot en prose, Merlin penche du côté démoniaque, non baptisé, il apparaît comme fourbe et déloyal alors que sa mère prît du plaisir lors de la venue du démon.
Cette figure du devin, conseiller du roi, s’inscrit dans la représentation médiévale du bouffon ou du barde guidant et distrayant le roi mais Merlin l’accompagne également par son statut de druide comme stratège et guerrier au combat. Son don de prophétie lui permettra par ailleurs de connaître sa propre fin liée à l’amour.
Le poète victime de l’amour
Les sentiments amoureux de Merlin apparaissent dans la seconde partie du récit du Lancelot en prose où l’enchanteur tombe amoureux de la fée Viviane. Il lui apprend ses secrets tout en sachant que Viviane se retournera contre lui en l’enfermant dans une grotte où il mourut. Il s’agissait pour elle de se venger de l’atteinte à sa virginité, la fée devenant alors un avatar évhémériste de la déesse Diane, chasseresse chaste.
Dans la Suite Vulgate, l’auteur rapporte les détails de l’emprisonnement de Merlin dans la continuité du récit de Robert de Boron en intégrant les différentes étapes amoureuses entre Merlin et Viviane. Elle rencontre Merlin dans sa jeunesse sous le signe de la courtoisie et du merveilleux. Le récit s’encre dans un schéma très courant de l’amour courtois et des troubadours : celui de la prison d’amour avec l’amant prisonnier de la dame. Merlin est cette fois enfermé pour l’éternité dans une tour et non dans une caverne pour y mourir. Sa mort est ainsi euphémisée et représentée comme plus lumineuse. Merlin n’apparaitra plus que dans une ultime vision sous forme de fumée au chevalier Gauvain. Représentant ainsi le brouillard druidique, la fumée matérialisant sa voix, lui n’est plus qu’un simple souffle d’air.
Merlin l'enchanteur, un personnage énigmatique
Ainsi, Merlin demeure un personnage énigmatique auquel se mélangent de nombreuses et différentes traditions médiévales. Du sorcier maléfique à l’enchanteur bienveillant, du fou au prophète, du guerrier au poète, les multiples facettes de ce personnage lui assurèrent une considérable fortune littéraire dès le XIIIe siècle dans tout l’Occident médiéval où il devint parfois un procédé littéraire pour attirer l’attention du lecteur mais également au XIXe siècle auprès des écrivains allemands et au XXe siècle en France avec Apollinaire, Aragon, Cocteau, Barjavel, et bien d’autres, contribuant ainsi à perpétrer son mythe.
Selon une tradition contemporaine, Merlin aurait son tombeau dans la forêt de Brocéliande.
Textes médiévaux
- Robert de Boron, Merlin : roman du XIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1994. (traduction)
- Geoffroy de Monmouth, La vie de Merlin, Climats, 1996. (traduction)
- Le livre du Graal, Daniel Poirion et Philippe Walter (dir.), Paris, Gallimard, Pléiade, 3 volumes (Estoire, Merlin, Suite Vulgate, Lancelot, Queste, Mort Artu). (texte original et traduction)
Textes modernes
- Guillaume Apollinaire, L'Enchanteur pourrissant, Paris, Flammarion, 1972.
- René Barjavel, L'Enchanteur, Paris, Gallimard, 1987.
Bibliographie
- Michel Zink, Littérature française du Moyen Âge, Paris, PUF, 1994.
- Paul Zumthor, Merlin le prophète : un thème de la littérature polémique, de l’historiographie et des romans, Lausanne, 1943.