Une occasion tentante
Depuis la bataille de Williamsburg et la chute de Yorktown, l’armée de Virginie septentrionale de Joseph Johnston est à présent cantonnée aux fortifications que Robert Lee a fait ériger en hâte autour de Richmond. Les Nordistes du général McClellan l’ont suivie sans précipitation. De fait, la présence fédérale s’apparente plus à un blocus distant qu’à un véritable siège. Les 40.000 hommes du Ier Corps d’armée, fort de quatre divisions, doit venir rejoindre l’armée du Potomac d’un jour à l’autre. McClellan aura alors à sa disposition 145.000 soldats face aux 60.000 de Johnston, et pourra cette fois entreprendre un siège en bonne et due forme. En attendant, son armée s’occupe à aménager les abords de la Chickahominy, une rivière dont le cours marécageux traverse ses lignes, en vue des opérations à venir.
Même sans être soumise à un véritable siège, la situation de Richmond n’en demeure pas moins précaire. Les effectifs confédérés ne sont pas extensibles à l’infini, et Johnston n’aura guère l’occasion de recevoir des renforts, contrairement à son adversaire. L’arrivée du Ier Corps, que les services de renseignement sudistes savent imminente, aggravera encore la supériorité numérique de l’Union. Lentement mais sûrement, l’armée du Potomac resserrera inexorablement son étreinte sur la capitale sudiste. À deux et demi contre un, la chute de la ville paraîtra alors inévitable à plus ou moins brève échéance.
Cela, Jefferson Davis et son conseiller militaire Robert Lee l’ont bien compris. Ils pressent donc Johnston de passer à l’action, dans le but de remporter une victoire décisive qui permettrait de faire lever le siège avant qu’il ne soit trop tard. D’un naturel davantage porté sur la défense que sur l’attaque, Johnston rechigne. De surcroît, sa relation difficile avec Davis complique les choses. Néanmoins, une série de facteurs vont, en quelques jours, le décider à agir. Il y a tout d’abord la bataille de Hanover Court House, le 24 mai. Certes, cet engagement inégal s’achève sur une cuisante défaite pour les Sudistes. Il indique également que les Fédéraux se préparent à accueillir le Ier Corps dans les jours à venir, car l’action leur permet de prendre le contrôle de la voie ferrée arrivant de Fredericksburg – où se trouvent, justement, les renforts nordistes.
Johnston remarque cependant que cette attaque a obligé McClellan à étirer son dispositif vers la droite et, ce faisant, à dégarnir son aile gauche. De surcroît, le printemps 1862 a été anormalement pluvieux, et la Chickahominy a vu ses eaux monter considérablement. Or, l’armée nordiste est à cheval sur les deux rives de cette rivière. La majeure partie de ses forces se trouvent au nord de celle-ci, et à cause de la crue, elle aurait du mal à porter secours au reste de l’armée, sur la rive sud. Johnston en profite pour concevoir un plan qui lui permettrait de concentrer l’essentiel de ses forces – 50.000 hommes sur 60.000 – contre l’aile gauche de McClellan, forte de moins de 35.000 combattants. Cette supériorité numérique localisée permettrait alors aux Confédérés d’écraser leurs adversaires, et ainsi, d’annuler l’effet produit par l’arrivée prochaine des renforts nordistes.
Un plan complexe
Néanmoins, les Confédérés butent sur un problème non négligeable, celui de la chaîne de commandement. L’armée de Virginie septentrionale est organisée en pas moins de sept divisions, dont le contrôle direct est devenu malaisé. Pour l’offensive à venir, Johnston les réorganise en deux ailes, la gauche étant commandée par Gustavus Smith et la droite par James Longstreet ; s’y ajoute une réserve commandée par John Magruder. Toutefois, Johnston va procéder à des changements de dernière minute dont il omettra d’informer ses commandants divisionnaires, ce qui compliquera singulièrement les choses le moment venu. Pour ne rien arranger, Johnston expose oralement son plan d’attaque à Longstreet, qui doit mener l’attaque principale, et transmet aux autres généraux des ordres écrits vagues et difficiles à interpréter.
Le plan du général Johnston s’avère extrêmement compliqué. Ainsi, la réserve de Magruder (avec les divisions McLaws, quatre brigades, et David Jones, deux brigades) doit en fait être engagée sur la gauche confédérée, où elle lancera de petites attaques de diversion contre les corps nordistes déployés au nord de la Chickahominy. G.W. Smith devra détacher la division d’Ambrose Powell Hill (quatre brigades) afin de couvrir Magruder sur sa gauche, et se positionner au centre en soutien de Longstreet avec sa division restante, celle de Whiting (cinq brigades). En résumé, la réserve devient l’aile gauche et l’aile gauche servira de réserve ! L’aile droite devra pour sa part passer à l’attaque en empruntant deux routes différentes : Richard Anderson arrivera par le nord-ouest avec six brigades et Daniel Harvey Hill par le sud-ouest avec quatre autres, la division Huger couvrant pour sa part la droite du dispositif avec trois brigades et la cavalerie de J.E.B. Stuart.
Sur la rive sud de la Chickahominy, l’aile gauche des Nordistes est beaucoup moins bien positionnée que l’aile droite. Le IVème Corps du général Keyes n’est pas réellement connecté avec le VIème ou le IIème Corps. Au lieu de cela, il est disséminé le long de la Richmond & York River Railroad, entre les gares de Fair Oaks (« les Chênes Clairs ») et Savage’s Station. La division de Silas Casey occupe une série de positions défensives entre Fair Oaks et le hameau de Seven Pines (« les Sept Pins »), où elle a aménagé des abattis et une redoute. La division de Darius Couch est plus à l’est encore. Enfin, l’extrême-gauche de l’armée du Potomac est formée par le IIIème Corps de Samuel Heintzelmann, encore plus étiré. La division Hooker s’appuie sur le marécage de White Oak Swamp, tandis que la division Kearny protège le pont de Bottom’s Bridge, sur la Chickahominy.
Mauvaise route
Celle-ci, toutefois, va mal tourner avant même que les premiers coups de feu ne soient tirés. Pour des raisons demeurées obscures, Longstreet va envoyer la division de R.H. Anderson sur la mauvaise route. Il pouvait s’agir d’une simple erreur d’appréciation, ou bien d’une fausse manœuvre de la part de Benjamin Huger, comme le clamera plus tard Longstreet dans ses mémoires. Mais le manque de clarté de la chaîne de commandement sudiste est peut-être aussi à blâmer. Le principe militaire selon lequel « la fonction prime le grade » n’est alors pas toujours bien compris par les généraux des deux camps. Que deux unités opèrent au même endroit, et c’était l’officier le plus élevé en grade – ou, à grade égal, avec le plus d’ancienneté – qui en prenait automatiquement la tête. Il est donc possible que Longstreet ait souhaité ne pas faire emprunter à la division R.H. Anderson la même route que G.W. Smith, qui lui était supérieur, afin de garder un contrôle complet sur ses forces – ou simplement pour éviter un conflit d’autorité.
Ce n’est qu’en fin de matinée que Johnston finit par apprendre qu’elle chemine le long de la route de Williamsburg. Arrivé à proximité de son objectif, Daniel Hill n’est pas mieux renseigné. Ses tirailleurs sont déjà aux prises avec les piquets de garde de l’Union, et l’attaque, qui aurait dû commencer dès 8 heures du matin, tarde à venir. D.H. Hill ne souhaite pas attaquer sans le soutien de Huger, qui doit se placer sur sa droite. Or, l’embouteillage causé par le changement d’itinéraire de Longstreet a envoyé la division Huger sur un autre chemin, et ses brigades se sont perdues en route. Cynique et cassant, D.H. Hill est un ami personnel de Stonewall Jackson : il enseignait les mathématiques à l’université Washington de Lexington, à deux pas de l’Institut militaire de Virginie, où Jackson était lui-même professeur. Accessoirement, les deux hommes sont beaux-frères depuis que Jackson a épousé en secondes noces la sœur de Hill, cinq ans plus tôt. L’un et l’autre sont animés par la même foi religieuse mais contrairement à Jackson, Hill voue de longue date une haine profonde à tout ce qui est nordiste. Pressé d’en découdre, il finit par perdre patience et à 13 heures, il lance sa division à l’attaque.
Aussi improbable que cela puisse paraître, la bataille qui s’engage est entendue plus nettement au centre de Richmond que sur les rives de la Chickahominy. La propagation des ondes sonores est en effet sujette à des facteurs divers et surtout variables. La topographie joue un rôle important, de même que la direction et la force du vent. Sous certaines conditions peuvent se produire des phénomènes appelés « ombres acoustiques », à cause desquels les bruits d’une bataille peuvent être entendus nettement à des dizaines de kilomètres de distance dans une direction donnée, et très atténués ou inexistants tout près de leur source dans une autre. La prévalence des ombres acoustiques durant la guerre de Sécession fut suffisamment significative pour que l’auteur Charles D. Ross y consacre un livre entier en 2001.
Une bataille sans chefs
C’est précisément ce qui était en train de se passer. Alerté par la canonnade, Robert Lee a quitté son bureau de Richmond pour rejoindre Johnston sur le terrain, en début d’après-midi. Arrivé sur place, le commandant de l’armée de Virginie septentrionale lui assure que les bruits entendus ne sont dus qu’à un duel d’artillerie. Vers 16 heures, alarmé lui aussi par une forte fusillade, le président Davis arrive en personne à son tour. C’est seulement lorsqu’il reçoit un message écrit de Longstreet, à peu près au même moment, que Johnston réalise que la bataille fait rage depuis trois heures à moins de trois kilomètres de sa position. Il ordonne aussitôt à G.W. Smith de faire avancer la division Whiting, mouvement qu’il supervisera personnellement – autant pour se faire une idée plus précise du cours de la bataille que pour ne pas avoir à supporter la présence de Davis.
La position qu’occupe la division Casey, immédiatement à l’ouest du hameau de Seven Pines, s’apparente à une vaste clairière d’un peu plus d’un mile de long sur un demi-mile de large en moyenne. Faites de champs cultivés, elle est entrecoupée de clôtures auxquelles les Nordistes ont ajouté trois ouvrages défensifs : un premier abattis sur la route de Williamsburg, tout à l’ouest, à la lisière des bois ; une redoute, environ un kilomètre plus à l’est ; et un second abattis, juste avant Seven Pines. De part et d’autre de cette sorte d’arène s’étendent des sous-bois semi-marécageux, où l’on patauge par endroits dans près d’un mètre d’eau boueuse. Le premier abattis n’est tenu que par quelques avant-postes et une section d’artillerie, contre lesquels vont s’abattre la division D.H. Hill au complet.
Peu après, les premiers éléments de la division de Darius Couch, que Keyes a finalement consenti à envoyer au secours de Casey, arrivent sur les arrières nordistes. Tandis que deux régiments de la brigade de John Peck viennent se placer dans les bois à gauche de la redoute, Couch emmène personnellement une brigade ad hoc, formée par les éléments les plus avancés de sa division, couvrir la droite de l’ouvrage. N’ayant ni le soutien de Huger sur sa droite, ni celui de R.H. Anderson sur sa gauche, D.H. Hill a été contraint d’attaquer sur un front très étroit. Voulant éviter d’être flanqué, il ordonne à Rains d’étendre ses lignes vers le sud, et demande à Longstreet, qu’il sait être derrière lui, d’envoyer en avant une de ses brigades pour le soutenir sur l’autre flanc.
Afflux de renforts
La bataille atteint rapidement une intensité sans merci. Sur la gauche confédérée, les brigades Garland et G.B. Anderson sont prises en enfilade par les hommes de Couch et ne peuvent progresser, tandis que sur la droite, les hommes de Rodes attaquent obstinément la redoute malgré le feu nourri des défenseurs. Les pertes sont lourdes. Dans les bois inondés, les blessés qui n’ont pas la chance de pouvoir être adossés à un arbre se noient dans la boue. De part et d’autres, les soldats encore relativement inexpérimentés ne se mettent pas à couvert comme ils apprendront à le faire ultérieurement. La brigade Rodes perdra ainsi la moitié de ses 2.000 hommes durant la bataille. Finalement, Rains parvient à mettre Peck en fuite sur l’aile droite, et prend la redoute à revers, permettant à Rodes de s’en emparer.
Les vainqueurs sont aussitôt confrontés à l’arrivée du reste de la division Couch. Les brigades de John Abercrombie et Charles Devens contre-attaquent instamment, mais les Confédérés retournent contre eux la batterie dont ils se sont emparés en même temps que la redoute, et les repoussent. Les Nordistes se regroupent alors derrière le second abattis, à la hauteur de Seven Pines, où ils sont rejoints par les premiers éléments de la division Kearny, à savoir les brigades de David Birney et Hiram Berry. La brigade ad hoc de Couch, quant à elle, tient toujours sa position, menaçant le flanc gauche des Sudistes. Toutefois, la division de R.H. Anderson arrive enfin, et la brigade de tête, celle de Micah Jenkins, se lance aussitôt dans une attaque de flanc qui réussit à déloger Couch de sa position. La division D.H. Hill peut reprendre sa progression.
Les canons nordistes sont soutenus par la brigade la plus avancée de Sedgwick, commandée par William Burns. Pour éliminer cette menace, Johnston ordonne aussitôt une conversion à gauche, que la division Whiting effectue impeccablement. Il marche alors sur les batteries nordistes avec quatre brigades – commandées, de la gauche à la droite, par Wade Hampton, Robert Hatton, Johnston Pettigrew et William Dorsey Pender – tandis que la brigade texane de John Bell Hood poursuit sur sa lancée afin d’aller soutenir les forces de Longstreet. Les Confédérés menacent alors de déborder la position de Burns par sa droite, mais Sumner parvient à intercepter la brigade improvisée de Couch, qui est justement en train de se replier vers le nord. Celle-ci manœuvre alors pour se placer à droite de Burns, déjouant l’attaque sudiste, qui devient frontale.
Fureur au crépuscule
Plus au sud, D.H. Hill s’en prend maintenant au second abattis. C’est encore une fois la brigade Rodes qui subit tout le poids du combat. Rains, cette fois, ne parvient pas à la soutenir efficacement, et D.H. Hill doit demander à Longstreet une autre brigade en renfort. Ce sera celle de James Kemper, mais elle n’aura pas davantage de succès. Pour les Sudistes, le salut viendra à nouveau de Micah Jenkins. Rééditant la manœuvre qui lui avait permis de venir à bout de Couch, renforcé cette fois par la brigade Hampton, ce jeune colonel de 27 ans finit par emporter la décision. Les troupes fraîches de la division Kearny n’y changent rien et à la tombée de la nuit, les Nordistes se retirent soit vers l’est, où ils rencontrent les premiers régiments de la division Hooker – que Heintzelmann a fini par rappeler du marais de White Oak Swamp – soit vers le nord, où ils s’ancrent le long de la voie ferrée.
Parallèlement, les combats se poursuivent au nord. La division Whiting est accueillie par un feu nourri de la part des Fédéraux. L’artillerie de la division Sedgwick, en particulier, fait des ravages et accable les Confédérés d’obus, puis de mitraille. Les pertes sont lourdes pour les assaillants, et en particulier pour leurs chefs. La division va ainsi perdre deux de ses commandants de brigade en l’espace de quelques minutes : Hatton est tué d’une balle dans la tête, tandis que Hampton reçoit à Seven Pines la deuxième des cinq blessures qu’il récoltera durant la guerre. Finalement, c’est Joe Johnston lui-même qui sera atteint. Une balle lui fracasse l’épaule et lui brise l’omoplate, tandis qu’un obus explose simultanément à proximité, lui logeant dans le thorax un éclat qui lui casse deux côtes. Grièvement blessé, il est aussitôt évacué vers Richmond. Il survivra, mais ne retrouvera un commandement qu’après six mois de convalescence.
Vers 19h30, les combats finissent par cesser tout le long de la ligne. Secourir les blessés devient la première des priorités. Dans les lettres qu’ils écriront à leurs proches, les hommes du 20ème Massachusetts laisseront des récits poignants des horreurs dont ils avaient été les témoins ce soir-là. Henry Abbott : « nous avions amené nos couvertures, mais nous les donnâmes toutes aux prisonniers blessés […]. » Son ami Oliver Wendell Holmes Jr., qui deviendrait bien des années plus tard juge à la Cour Suprême des États-Unis, se souviendra du spectacle de désolation laissé par ce bref mais sanglant après-midi de mai : « Alors que vous traversiez les bois, vous trébuchiez… peut-être sur les cadavres gonflés, déjà couverts de mouches et pourrissant, d’hommes touchés à la tête, dans le dos ou dans les tripes – beaucoup de ces blessures sont terrifiantes à regarder. » Le témoignage du lieutenant Henry Ropes n’est pas plus flatteur : « Tout le champ en arrière de la ligne de feu était couvert de morts ; et les blessés venaient à nous en grand nombre, les uns marchant, les autres boitant, d’autres encore transportés sur des civières ou des couvertures, beaucoup ayant des membres disloqués et ensanglantés. » Ils n’étaient pas au bout de leurs peines, car la bataille de Seven Pines n’était pas encore terminée.
Malgré la blessure de son commandant, l’armée de Virginie septentrionale n’est pas en mauvaise posture au soir de ce 31 mai 1862. Le IVème Corps nordiste est pour ainsi dire hors jeu, et les ouvrages que les Fédéraux tenaient au début de la bataille sont entièrement entre les mains des Sudistes. Ceux-ci y ont capturé les camps de la division Casey, mettant la main sur dix pièces d’artillerie et un matériel conséquent. Mieux, les forces de Longstreet y sont à présent regroupées. Encore à peu près fraîches, les divisions de R.H. Anderson, engagée seulement partiellement, et Huger, qui l’a pas été du tout, sont à pied d’œuvre pour reprendre le lendemain. Seul bémol, mais non négligeable, la défaite de la division Whiting face aux hommes de Sumner.
Deuxième round
Si le IVème Corps a été rudoyé, en revanche, il n’a pas été détruit – contrairement à ce que prévoyait le plan de Johnston. De surcroît, la rapidité d’intervention des renforts nordistes a déjoué tous les pronostics du commandement confédéré. La division Kearny a certes été battue la veille, mais elle est parvenue à se rétablir le long de la voie ferrée du Richmond & York River, à l’est de la gare de Fair Oaks. Durant la nuit, la division Hooker est venue se placer sur sa gauche, si bien que le IIIème Corps couvre à présent solidement l’aile gauche yankee. Mieux, l’autre division du IIème Corps, celle de Richardson, est parvenue à franchir la Chickahominy. À l’aube du 1er juin, elle assure la jonction entre la division Sedgwick et la brigade ad hoc de Couch, d’une part, et le IIIème Corps, d’autre part.
Dès l’aube, Longstreet lance son attaque avec la division Huger, que soutient sur sa droite la brigade Pickett. Mais la division Richardson, bien retranchée derrière le talus de la voie ferrée, tient bon et ne recule pas. Ses trois brigades, commandées respectivement par Oliver Howard, William French et Thomas Meagher, repoussent l’attaque avec l’aide de la brigade Birney. À cette occasion s’illustrent pour la première fois les régiments de la brigade Meagher. Ces trois unités new-yorkaises, entièrement constituées de volontaires d’origine irlandaise, arborent des drapeaux verts frappés d’une harpe en lieu et place de celui de l’État de New York. Leur chef est d’ailleurs un nationaliste irlandais, condamné à mort par les tribunaux britanniques, puis finalement déporté en Tasmanie après commutation de sa peine, avant d’émigrer aux États-Unis en 1852. Plus tard renforcée par deux autres régiments, cette unité allait devenir une des meilleures de l’armée du Potomac, et être surnommée Irish Brigade – la brigade irlandaise.
Le moment est idéalement choisi pour une contre-attaque, et la division Richardson se lance en avant. Là encore, pour la plupart de ses soldats, c’est la première bataille. Attaquant comme à la parade, ils subissent de lourdes pertes, en particulier ceux de Howard qui avancent en terrain découvert. Leur commandant n’échappera pas au feu ennemi. Deux balles sudistes lui fracassent le bras droit. Évacué, il doit être amputé, car ses os brisés ont formé des esquilles et l’infection menace. Une anecdote veut que l’austère Howard ait reçu quelques jours plus tard la visite de Philip Kearny. Lui-même amputé du bras gauche au Mexique, Kearny lui aurait simplement fait remarquer avec un sens particulier de l’humour qu’ils pourraient désormais aller acheter des gants ensemble.
Retraite en bon ordre
Face à cette poussée, et voyant leurs arrières menacés par la division Richardson, les brigades Pryor et Wilcox reculent à leur tour. Toutefois, celle de Pickett s’accroche à sa position, drainant vers elle les attaques nordistes et limitant la progression des Fédéraux. S’appuyant sur un ravin où serpente un ruisseau, cette unité intégralement virginienne repousse plusieurs assauts, permettant au reste de l’aile droite confédérée de se replier de manière à peu près convenable. De plus, la division Richardson ne tente pas de la flanquer, car un McClellan enfin tiré de son grabat a donné des consignes de prudence à ses subordonnés. Sumner ordonne ainsi à Richardson de cesser ses attaques, puis c’est au tour de Heintzelmann. Vers 11h30, Pickett décroche enfin à son tour, sans être inquiété.
Un peu plus au nord, la division Sedgwick est restée l’arme au pied, les soldats du général Whiting n’ont pas été inquiétés. Là aussi, l’action se limitera à une canonnade sporadique dépourvue d’effet significatif. Davis et Lee, de retour sur le champ de bataille, demeureront la majeure partie de la journée avec G.W. Smith. Le président sudiste, à ce moment, n’accorde pas une grande confiance au nouveau commandant de sa principale armée. Gustavus Smith manque d’expérience au combat, et souffre d’une santé précaire. À 14 heures, Davis se rend à son quartier général et lui annonce que Robert Lee prend le commandement de l’armée de Virginie septentrionale, avec effet immédiat.
Pourtant, les conséquences de la bataille allaient s’étendre bien au-delà de ce statu quo tactique et stratégique. Certes, l’armée du Potomac était toujours devant Richmond. Mais elle était à présent sur la défensive. L’attaque sudiste avait réveillé en McClellan de vieux démons – qui, du reste, ne demandaient qu’à l’être. Persuadé que Johnston ne l’aurait jamais attaqué sans disposer d’une importante supériorité numérique, le chef de l’armée du Potomac réclama derechef des renforts que la situation dans la vallée de la Shenandoah ne lui permettrait désormais de recevoir qu’au compte-gouttes. Accessoirement, il transféra au sud de la Chickahominy la plus grand partie de son armée, afin de parer à toute nouvelle entreprise de l’ennemi contre son flanc gauche. L’adversaire que la bataille de Seven Pines avait catapulté face à lui, Robert Lee, n’allait pas tarder à en tirer profit.