Le gros des troupes de l’Union avaient été regroupées sous les ordres de Buell à Corinth, d’où elles progressaient – avec une lenteur exaspérante – vers Chattanooga. Il n’avait été laissé à Grant que des forces incapables de faire plus qu’assurer l’occupation des régions conquises dans l’ouest du Tennessee et le Nord du Mississippi. Cette situation, encore accentuée par les faibles effectifs de Butler en Louisiane, impliquait que le Nord ne serait pas en mesure de prendre d’initiative contre Vicksburg pour le restant de l’été.
La bataille de Baton Rouge
L’inaction des Nordistes et le retrait de leurs navires étaient l’occasion rêvée pour les Sudistes de reprendre l’initiative le long du Mississippi. Leur situation n’était pourtant guère favorable en termes d’effectifs, mais ils avaient l’avantage de voir les Fédéraux aux prises avec la guérilla qui s’était organisée en réponse à l’occupation nordiste. Les partisans sudistes obligeaient les soldats bleus à se concentrer sur la défense de leurs camps, de leurs dépôts et de leurs lignes de ravitaillement, autant de soucis nécessitant d’importants effectifs et dont les troupes régulières confédérées ne souffraient pas ou peu – même s’il existait également des partisans unionistes opérant dans les territoires encore aux mains de la Confédération.
Accessoirement, l’essentiel des forces sudistes dans l’Ouest allait aussi être employé à d’autres projets, le président Davis ayant pour objectif une invasion du Kentucky. La tâche allait lui être facilitée par l’inaction de Buell, mais elle laisserait du même coup peu de troupes pour opérer le long du Mississippi. Depuis qu’elle avait reçu l’ordre de quitter l’Arkansas après sa défaite de Pea Ridge au mois de mars, la petite armée d’Earl Van Dorn était arrivée trop tard pour participer à la bataille de Shiloh ou au siège de Corinth, mais à temps pour renforcer lorsqu’il le fallut les défenses de Vicksburg. Van Dorn n’avait pas de gros effectifs à sa disposition : ses propres troupes, les Missouriens de Sterling Price, et diverses unités éparses dont une brigade du Kentucky commandée par John Breckinridge.
Côté nordiste, la ville n’était défendue que par une modeste force combinée de 2.500 hommes, comprenant sept régiments d’infanterie et quatre batteries d’artillerie de campagne. Le tout était aux ordres du brigadier-général Thomas Williams. La position fédérale n’était pas très propice à la défense. La ville, sur la rive orientale du Mississippi, n’était pratiquement pas fortifiée. Elle s’étendait sur un terrain peu accidenté, dans une région où les bois alternent avec de larges clairières. Les seuls retranchements avaient été creusés au coin nord-ouest de la capitale de la Louisiane, autour du principal camp nordiste. D’autres camps étaient disséminés autour de la ville. Sur le fleuve, deux canonnières étaient susceptibles de fournir un soutien : l’USS Essex, cuirassée, et l’USS Cayuga, en bois.
Carte de la Louisiane avec les principales localités concernées (annotations de l'auteur sur un fond de la cartothèque Perry-Castaneda).
Williams fut très rapidement informé de l’avancée de Breckinridge par des esclaves en fuite, puis par ses propres patrouilles, qui confirmèrent la présence des Sudistes à proximité le 4 août. La marche, longue et épuisante, menée depuis le camp Moore avait considérablement étiré la petite armée sudiste, et son chef estimait qu’à l’aube du 5 août, il n’avait guère que la moitié de ses hommes à pied d’œuvre pour une attaque – soit un effectif à peu près équivalent à celui de son adversaire. Malgré tout, Breckinridge attaqua dès quatre heures du matin. Les troupes nordistes ne se laissèrent pas surprendre, mais contrairement à leurs adversaires, qui avaient pour beaucoup combattu à Shiloh, elles n’avaient pour leur part jamais vu le feu.
Les projectiles de gros calibre des navires nordistes s’abattirent bientôt sur les lignes confédérées, causant de lourdes pertes aux soldats gris. Vers dix heures, constatant que l’Arkansas n’était pas arrivé, contrairement à ce qu’il attendait, pour s’en prendre aux canonnières ennemies, Breckinridge n’insista pas et fit sonner la retraite. La bataille de Baton Rouge s’achevait ainsi sur une victoire nordiste. Elle s’était avérée particulièrement meurtrière pour les deux belligérants. En tout, 168 hommes avaient été tués. Le Nord perdait 383 soldats, le Sud 456, soit 839 tués, blessés et portés manquants à rapporter aux quelques 5.000 combattants des deux camps. Bien qu’il fut de petite échelle comparativement à d’autres, cet engagement n’allait pas rester sans conséquences au niveau stratégique, comme allait le démontrer la suite des événements.
Guerre sur le Mississippi
Van Dorn, toutefois, comptait expressément sur la coopération de l’Arkansas pour l’opération contre Baton Rouge. Il ordonna fermement à Stevens de se diriger vers l’aval, et finit par obtenir gain de cause. Le trajet, toutefois, s’avéra calamiteux et marqué des pannes récurrentes de propulsion. Tant et si bien que le 5 août, l’Arkansas était encore trop loin de Baton Rouge pour espérer soutenir les hommes de Breckinridge. Le cuirassé n’arriva que le lendemain au terme de son voyage, repérant sa vieille ennemie l’Essex – qu’il avait déjà affronté à deux reprises – et se préparant à engager le combat. C’est le moment que choisirent ses machines pour rendre l’âme définitivement. Stevens parvint à l’échouer juste assez longtemps pour y mettre le feu et l’évacuer. Dérivant vers l’aval, l’Arkansas en flammes finit par exploser vers midi. Sa brève carrière de trois semaines ainsi achevée, le navire sudiste cessait d’être une menace pour les forces fluviales de l’Union.
Parallèlement, les navires nordistes qui patrouillaient sur le Mississippi commencèrent à être pris à partie de plus en plus fréquemment par des tireurs isolés et des groupes de partisans. Comme il l’avait été à Baton Rouge au mois de mai, Farragut se montra impitoyable. Après une nouvelle attaque, il fit incendier et bombarder Donaldsonville, entre Baton Rouge et la Nouvelle-Orléans, le 9 août – non sans avoir laissé aux habitants le temps d’évacuer la ville. Il n’y eut donc aucune victime, mais la rudesse de l’occupation nordiste n’était pas faite pour diminuer l’activité de la guérilla sudiste, bien au contraire. Pendant ce temps, l’agressivité des Confédérés commençait à inquiéter le général Butler, qui manquait toujours autant de soldats. Décidant de se concentrer autour de la Nouvelle-Orléans, il fit évacuer Baton Rouge le 21 août, après qu’une grande partie de la ville, déjà endommagée par les combats du 5, eût été détruite pour ne pas servir de base à l’armée sudiste.
Après sa retraite à Baton Rouge, Breckinridge avait envoyé 1.500 hommes, commandés par Daniel Ruggles, occuper Port Hudson. Le site présentait une configuration similaire à celle de Vicksburg, quoique moins imposante. Port Hudson était entouré de collines escarpées, dont les à-pics surplombaient le fleuve d’environ 25 mètres. Le Mississippi y formait un méandre serré, faisant des navires nordistes des cibles d’autant plus faciles. L’emplacement était donc facile à fortifier et à défendre. Il présentait aussi un intérêt stratégique certain. Situé juste en aval du confluent du Mississippi et de la Red River, Port Hudson permettait de protéger cette dernière des incursions nordistes. Or, en l’absence de voie ferrée d’importance, la Red River constituait la principale voie de communication entre l’Outre-Mississippi (Texas, Louisiane, Arkansas) et le reste de la Confédération. Elle pourrait donc continuer à bénéficier des ressources de ces régions tant qu’elle contrôlait la portion du Mississippi entre Vicksburg et Port Hudson. Ces deux dernières villes allaient du même coup devenir, pour le Nord, des objectifs prioritaires pour l’année à venir.
Sources
- Article sur la bataille de Baton Rouge et les opérations connexes.
- Résumé factuel de la bataille de Baton Rouge.
- Article général sur la bataille.
- Version numérique du magazine nordiste Harper’s Weekly du 6 septembre 1862, rapportant la bataille de Baton Rouge.