La campagne du Maryland
Alors que l’armée de Virginie septentrionale goûtait un repos bien mérité, mais précaire, dans le comté de Fairfax aux portes de Washington, Robert Lee écrivit à Jefferson Davis, le 3 septembre 1862. Non pour lui demander quelles étaient ses instructions pour la suite des opérations, mais pour lui annoncer ce que lui, Lee, avait décidé de faire, et se disposait à mener à bien sans délai – à moins que le président confédéré y voit une objection.
Le général sudiste passait en fait davantage de temps, dans sa missive, à réclamer à Davis des munitions, dont il craignait qu’elles vinssent à manquer, et des chaussures. Le prestige de Lee était devenu suffisamment grand pour qu’il puisse désormais imposer sa vision stratégique à l’homme auprès duquel il aurait dû normalement se contenter de prendre ses ordres. Le jour même, autrement dit sans attendre de réponse, il emmena ses troupes vers le nord, lançant une campagne dont l’issue et les conséquences se révèleraient décisives dans le déroulement du conflit – et dans l’histoire des États-Unis.
Lee avait en fait décidé d’envahir le Maryland – avec l’arrière-pensée de pousser ensuite jusqu’en Pennsylvanie. L’idée n’était pas nouvelle : Stonewall Jackson l’avait déjà soumise à Davis, en vain, dans les mois précédents. Les raisons de Lee étaient nombreuses. La première relevait de la pure logique militaire : venant d’arracher l’initiative à deux armées nordistes en à peine plus de deux mois, Lee aurait commis une faute grossière en restant inactif au lieu de chercher à profiter de son avantage. Du reste, demeurer sur la défensive n’était ni dans la nature de l’agressif chef confédéré, ni dans ses moyens. Une inaction prolongée permettrait immanquablement aux forces nordistes, désormais concentrées autour de Washington, de se réorganiser en pansant leurs blessures, et elles étaient mieux à même de le faire que l’armée sudiste, toujours à court de presque tout. Lee aurait pu se lancer dans le siège de Washington, mais il savait pertinemment que son armée était trop faible pour se lancer dans une telle opération. Même démoralisées, les troupes fédérales étaient plus nombreuses et solidement retranchées, ce qui rendait chimérique toute velléité de s’emparer de la capitale de l’Union.
Il aurait fallu pour cela que l’armée de Virginie septentrionale ait une artillerie lourde suffisante, ce qui n’était pas le cas. Qui plus est, soutenir un siège impliquait une intendance bien pourvue et qui fonctionnât correctement, or c’était justement là que le bât blessait. La Virginie, dévastée par les opérations militaires menées depuis mars et déjà éprouvée par l’occupation de vastes portions de son territoire par les Nordistes, avait de moins en moins de ressources à offrir à ses défenseurs. Ces derniers n’ont jamais, à aucun moment de la guerre, vécu dans la profusion, mais à la fin de l’été 1862 l’armée de Virginie septentrionale commençait sérieusement à manquer de tout : de munitions et de chaussures, comme Lee le faisait remarquer explicitement à Davis, mais également d’uniformes, de vivres et même de chevaux – y compris, chose préoccupante entre toutes, pour assurer le transport de l’artillerie.
Mais l’opération lancée par Lee n’était pas seulement une question d’intendance. Son importance politique était évidente. Lee espérait qu’à son arrivée, le Maryland, qui comptait une forte minorité sécessionniste, se soulèverait en masse contre « l’occupant » nordiste. Le fait que l’État, au printemps 1861, ait tenté de demeurer neutre et ait opposé une certaine résistance au passage des troupes fédérales, alimentait cette opinion. En coupant Washington du reste de l’Union, un soulèvement général du Maryland, en particulier à Baltimore, était de nature à placer le gouvernement fédéral en très fâcheuse posture. Accessoirement, Lee espérait compléter les rangs sévèrement éclaircis de son armée grâce aux Marylandais pro-sudistes qui, espérait-il, viendraient s’y enrôler. Il fut, de ce point de vue, assez mal inspiré, car la majorité des sécessionnistes du Maryland résidaient dans l’est de l’État, à l’exact opposé de la région qu’il était sur le point d’envahir.
Plus généralement, cette orientation nouvelle constituait un changement majeur par rapport à la stratégie confédérée, jusque-là purement défensive. Pourtant, Davis se contenta d’entériner la décision de son général, sans émettre d’objection. Le président sudiste avait déjà, un peu plus tôt, donné son aval à une offensive du même genre, en l’occurrence l’invasion du Kentucky par les armées de Braxton Bragg et Edmund Kirby Smith. Mais le Kentucky était revendiqué par la Confédération, dont il faisait partie – fût-ce à l’instigation d’une législature « croupion ». Son invasion revêtait donc davantage, aux yeux de Davis, d’une campagne de libération que d’une occupation pure et simple. C’était différent pour le Maryland, qui n’avait jamais fait sécession de quelque manière que ce soit, et demeurait donc légalement, même du point de vue sudiste, partie intégrante de l’Union. Davis fit pourtant sienne la stratégie de Lee, se bornant à rédiger à son intention une proclamation destinée aux habitants du Maryland et leur expliquant que les soldats sudistes venaient à eux en libérateurs et non en conquérants. Toutefois, lorsque ce texte parvint à Lee, son armée était déjà dans le Maryland, et le général avait édité une autre proclamation de son crû.
Deux armées renforcées
Lee avait une bonne raison supplémentaire de se mettre en route sans tarder. La Virginie désormais presque libre de troupes fédérales, le général sudiste avait pu faire venir de Richmond les divisions McLaws (quatre brigades) et D.H. Hill (cinq brigades), qu’il affecta respectivement à l’aile droite de Longstreet et à l’aile gauche de Jackson. La capitale sudiste n’étant plus menacée, Lee racla même les fonds de tiroir en rameutant la petite division de John George Walker, dont les deux brigades furent confiées, elles aussi, à Longstreet. Les forces de ce dernier furent également réorganisées pour éviter que le fidèle lieutenant de Lee ne se retrouvât avec sept divisions à commander. Les divisions Kemper et Wilcox furent dissoutes, leurs chefs retournèrent au commandement de leurs brigades, et leurs forces furent affectées, respectivement, aux divisions D.R. Jones et R.H. Anderson – lesquelles comportaient désormais six brigades chacune. La division Hood et la brigade indépendante d’Evans, en revanche, gardèrent leur organisation d’origine.
En tout, Longstreet pouvait compter sur 21 brigades et Jackson sur 19 autres. Le commandant de l’aile gauche sudiste n’avait pas autant réorganisé ses forces que son homologue de l’aile droite. Tout juste s’était-il contenté de retirer à Starke le commandement temporaire de son ancienne division pour la confier à John R. Jones, désormais remis de la blessure reçue à Malvern Hill deux mois auparavant. Lee avait appris à imiter les Nordistes en organisant sa réserve d’artillerie, confiée à William Pendleton et comprenant quatre bataillons et plusieurs batteries indépendantes. La division de cavalerie de J.E.B. Stuart, quant à elle, gardait son articulation en trois brigades héritée de la campagne précédente. Au total, Lee emmenait vers le nord environ 55.000 hommes, les renforts reçus compensant les pertes subies depuis le début du mois d’août. Le général sudiste ne laissait derrière lui que le strict minimum de troupes, et comptait surtout sur l’inaction de son principal adversaire.
Indubitablement adroit dans cet exercice, Little Mac réussira à remettre ses troupes sur le pied de guerre en quelques jours. Il incorpore tout d’abord les trois corps de l’armée de Virginie à celle du Potomac, en les renumérotant selon l’ordre standard des armées de l’Union. Le 3ème Corps reprend ainsi sa désignation d’origine – Ier Corps – et se voit confié à Joseph Hooker, McDowell étant alors considéré comme le principal responsable de la défaite nordiste lors de la seconde bataille de Bull Run. Les 1er et 2ème Corps, quant à eux, deviennent les XIème et XIIème Corps d’armée. Si Franz Sigel conserve son commandement, il n’en va pas de même pour Banks – non que celui-ci soit particulièrement à blâmer, son unité n’ayant pas joué de rôle direct lors des derniers combats, mais il faut quelqu’un pour chapeauter les défenses de Washington et Banks se voit affecter ce rôle statique. Lui succède Joseph Mansfield, un officier qui commandait jusque-là une division du VIIème Corps dans la région de Norfolk, et qui malgré une longue carrière dans l’armée régulière n’a pris part à aucun combat majeur depuis le début de la guerre.
Une nouveauté introduite par McClellan concerne la cavalerie. Copiant l’organisation sudiste, le général nordiste décide de regrouper l’essentiel de ses forces montées en une unique division comportant cinq brigades et confiée à Alfred Pleasonton. Ces brigades, toutefois, sont de taille modeste comparativement à leurs contreparties sudistes : toutes, sauf une, ne comptent que deux régiments quand la moyenne confédérée se situe à quatre ou cinq. De surcroît, les officiers sont inexpérimentés et les unités peu habituées à opérer en masse. L’artillerie, toujours commandée par le colonel – et bientôt général – Henry Hunt, compense par sa redoutable puissance de feu cette infériorité de la cavalerie nordiste. Hunt dispose de 66 batteries. C’est à peu près autant que les Confédérés, mais les batteries nordistes sont généralement à six canons au lieu de quatre, donnant à l’Union un avantage notable dans ce domaine. En tout, McClellan dispose d’environ 84.000 hommes – une nette supériorité numérique annulée par sa propension à surestimer les effectifs de l’ennemi.
Le nombre de déserteurs augmenta rapidement : beaucoup de soldats sudistes estimaient s’être engagés pour une guerre défensive et considéraient que l’invasion d’un État de l’Union, fût-il esclavagiste, n’entrait pas dans le cadre de leur devoir. Les ordres stricts donnés par Lee restèrent sans effet. En dépit des attentes des Sudistes, le pays qu’ils occupaient n’avait guère à offrir que du maïs encore vert, qui à la longue rendait les soldats malades. En quelques jours, les effectifs sudistes fondirent de plusieurs milliers d’hommes.
Une armée divisée
Lee avait également commis l’erreur de renvoyer vers l’arrière les soldats dépourvus de chaussures, craignant que les routes empierrées du Maryland ne les mettent hors de combat pour de bon, mais ceci incita nombre d’entre eux à se débarrasser discrètement de leur chausses – le général leur offrant une occasion unique de déserter en toute légalité. Ces pertes subies avant même la bataille décisive qu’espérait Lee ne furent pas compensées par les enrôlements de volontaires pro-sudistes, loin s’en fallait. En fait, le chef de l’armée de Virginie septentrionale s’était montré exagérément optimiste dans la plupart de ses pronostics. Il y eut bien quelques engagements, mais en vérité, la majorité des Marylandais dont le sentiment sécessionniste était suffisamment fort pour rejoindre l’armée de la Confédération l’avait déjà fait l’année précédente. La seule prédiction de Lee à s’avérer correcte concernait l’inaction de McClellan. L’armée du Potomac demeurait ainsi en posture défensive au nord de Washington, comme si elle attendait que les forces ennemies vinssent l’attaquer – ce dont Lee n’avait naturellement aucune intention.
Dans le camp nordiste, on se trouvait effectivement plus enclin à la défense qu’à l’attaque. La première inquiétude passée, Lincoln et Halleck prirent les mesures nécessaires pour faire face à l’invasion. John Wool concentra l’essentiel de son VIIIème Corps d’armée à Baltimore pour en assurer solidement la défense. Le commandement fédéral envoya en Pennsylvanie John F. Reynolds, qui commandait jusque-là la division des Pennsylvania Reserves du Ier Corps, pour qu’il en mobilise la puissante milice. Reynolds, lui-même pennsylvanien, parvint à mettre sur pied une force de 50.000 hommes. L’avancée des Confédérés menaçait également les arrières des garnisons nordistes installées dans la vallée de la Shenandoah, à Winchester, Martinsburg et Harper’s Ferry. Les deux premières furent évacuées. En revanche, et malgré l’insistance de McClellan, qui en aurait volontiers récupéré les 14.000 hommes, la troisième fut laissée en place.
Le début de la campagne du Maryland, en septembre 1862. Lee marche sur Frederick, poursuivi de très loin par McClellan, tandis que les garnisons nordistes de Winchester et Martinsburg se replient sur Harper's Ferry. Wool avec le VIIIème Corps et Banks avec les IIIème et XIème Corps se mettent en posture défensive, respectivement à Baltimore et Washington. Carte de l'auteur, à partir d'un fond de la cartothèque Perry-Castaneda.
Cette décision allait à la fois donner à Lee l’occasion de remporter une nouvelle victoire et, dans le même temps, de commettre une erreur dont il allait amèrement se repentir par la suite. Le Sudiste avait compté sur l’évacuation rapide de toute la Vallée, qu’il comptait utiliser comme axe de ravitaillement pour obtenir ce qu’il avait demandé à Davis le 3 septembre – en premier lieu des munitions. Or, il s’était une nouvelle fois trompé, car la puissante garnison de Harper’s Ferry coupait toujours cet axe. Ce fait, et d’autres informations plus ou moins erronées, l’incitèrent à diviser son armée. Non seulement Harper’s Ferry entre des mains fédérales constituait pour lui un obstacle, mais elle renfermait aussi d’importantes quantités d’équipement et de munitions – précisément ce dont il avait besoin. Mais Lee devait également tenir compte d’une autre menace, ses services de renseignements lui ayant indiqué que la milice de Pennsylvanie commençait à se concentrer à Hagerstown, au nord-ouest de Frederick.
Rédigées par Robert Chilton, l’adjudant – c’est-à-dire, aux États-Unis comme au sein de la Confédération, le responsable de l’administration d’une unité militaire – de l’armée de Virginie septentrionale, des copies de cet ordre, baptisé « ordre spécial numéro 191 », sont envoyées à Jackson, Longstreet et à tous les commandants de division. L’ordre est mis à exécution dès le lendemain, 10 septembre. Pendant que Jackson, McLaws et Walker convergent sur Harper’s Ferry, Longstreet atteint rapidement Hagerstown. C’est pour s’apercevoir qu’en fait de concentration de miliciens, il n’y a même pas sur place l’équivalent d’une compagnie. Le flanc de l’armée de Lee se trouve ainsi sécurisé sans coup férir, et Longstreet retourne sans attendre à Boonsboro. La dispersion des forces sudistes leur permet aussi de couvrir davantage de terrain, limitant ainsi l’impact des réquisitions auprès d’une population locale qui, pourtant, continue à se montrer guère accueillante. Au moins l’armée n’est-elle pas menacée : McClellan et ses hommes ont quitté Washington le 7 septembre, mais ils marchent à une allure d’escargot – il leur faudra ainsi près d’une semaine pour atteindre Frederick.
Le siège de Harper’s Ferry
Harper’s Ferry est située au confluent du Potomac et de la Shenandoah, sur un terrain relativement escarpé. Étant placée tout au bout de la péninsule formée par les deux cours d’eau, la ville en elle-même est relativement facile à défendre, à condition toutefois de tenir solidement les collines qui l’entourent. Celles situées immédiatement à l’ouest de Harper’s Ferry, les Bolivar Heights, sont relativement basses, mais offrent une bonne position défensive contre toute approche directe. Au nord, les Maryland Heights, situées comme leur nom l’indique dans le Maryland, de l’autre côté du Potomac, commandent les deux ponts sur ce fleuve – le pont de chemin de fer du Baltimore & Ohio et un pont de bateaux construit par le génie nordiste. Quant aux Loudoun Heights, dont le nom faisait lui aussi figure de pléonasme puisqu’elles se trouvaient dans le comté de Loudoun en Virginie, elles ne contrôlaient aucun pont – la Shenandoah n’en était pas pourvue à cet endroit – mais offraient une position de tir parfaite pour prendre à revers des défenses installées sur les Bolivar Heights.
Avec 14.000 hommes, la garnison de Harper’s Ferry avait largement les moyens d’étendre son périmètre défensif pour englober ces hauteurs stratégiques, se mettant ainsi en position de soutenir un siège en bonne et due forme. Il n’en sera rien. L’homme qui commande à Harper’s Ferry est un colonel de l’armée régulière, Dixon S. Miles. Bien qu’ayant une longue carrière derrière lui, c’est un officier assez mal noté. Lors de la première bataille de Bull Run, il commandait une division qui était restée l’arme au pied pendant tout l’engagement, vraisemblablement parce que Miles était en état d’ébriété. Blâmé pour ce motif par une cour martiale, il n’avait pour cette raison jamais été promu général des volontaires, conservant simplement son grade de l’armée régulière. Le commandement de l’arsenal de Harper’s Ferry – ainsi que de sa garnison – est essentiellement un placard pour cet officier.
Le 12 septembre en fin de journée, les éléments de tête de la colonne McLaws – en l’occurrence la brigade de Joseph Kershaw – atteignent ces défenses. Accueillis par un feu nourri, les Confédérés stoppent leur progression et attendent de se regrouper. Le lendemain, les hommes de Kershaw renouvellent leur attaque dès 6 heures 30. Le colonel Ford, qui s’est opportunément fait porter pâle, a laissé le commandement de sa force à Eliakim Sherrill, qui exhorte ses soldats à résister… avec succès. Le premier assaut frontal est repoussé, ainsi qu’un deuxième. Les Nordistes tiennent ainsi jusqu’en début d’après-midi, lorsque Sherrill est cruellement blessé au visage et que la brigade de William Barksdale entreprend de contourner le flanc droit de leur position. Les Fédéraux commencent alors à reculer tandis que Ford reprend le commandement. Bien qu’il dispose encore d’un millier d’hommes en réserve, il néglige de les engager et préfère ordonner à ses forces de repasser le Potomac pour se réfugier dans Harper’s Ferry. À 16 heures 30, McLaws est maître des Maryland Heights.
Il n’est plus seul : Jackson et Walker sont arrivés presque simultanément dans la matinée. Les généraux sudistes sont très étonnés de trouver vides de troupes les hauteurs qui entourent la ville et entreprennent aussitôt d’y hisser leur artillerie – un exercice périlleux car le terrain est escarpé. Miles, de son côté, demeure passif. Ses subordonnés le pressent de contre-attaquer pour reprendre au moins les Maryland Heights et briser l’encerclement, mais leur chef demeure confiant. Il semble ne pas réaliser qu’avec l’artillerie sudiste dans son dos, ses positions sur les Bolivar Heights seront virtuellement intenables. Durant la nuit, quelques cavaliers nordistes parviendront à s’exflitrer de la place pour aller demander du secours à McClellan. Ce dernier a cependant ses propres soucis, s’étant mis à poursuivre les Confédérés plus franchement. Il se contente donc d’exhorter Miles à tenir aussi longtemps que possible, jusqu’à ce qu’il puisse venir délivrer la garnison assiégée.
Au matin du 15 septembre, Jackson déclenche une préparation d’artillerie en vue de l’assaut, prévu pour 8 heures. Les positions nordistes sont prises sous un tir croisé qui ne laisse aucun abri. En quelques minutes, il devient évident que la garnison va être écrasée. Réalisant enfin que sa situation est désespérée, Miles fait hisser le drapeau blanc pour signifier qu’il capitule, au milieu de soldats consternés et furieux de son comportement – certains rapportant ensuite que Miles, de nouveau, était ivre. Quelques instants plus tard, un obus tiré d’on ne sait trop où – l’historien David Eicher considérera même plausible qu’il l’ait été, délibérément, par des artilleurs nordistes – blesse grièvement Miles en lui arrachant presque tout le mollet gauche. Les hommes sollicités pour porter son brancard refusent les uns après les autres, et un temps interminable s’écoule avant qu’il ne soit évacué. Il mourra le lendemain. Au prix de 39 tués et 247 blessés, Jackson s’empare de la place stratégique de Harper’s Ferry et de tout ce qui s’y trouve, y compris plus de 12.000 prisonniers nordistes. Ne pouvant s’encombrer d’autant de captifs, le général sudiste les fait rapidement libérer sur parole.
La chute de Harper’s Ferry résonnait comme une nouvelle humiliation pour l’Union, encore une fois victime d’un choix mal avisé de commandant. Jackson ouvrait ainsi un axe de ravitaillement pour l’armée de Virginie septentrionale et éliminait la dernière menace sérieuse qui pesait sur les arrières confédérés.
En outre, ses hommes purent profiter des vivres et de l’équipement stockés dans la ville, et qui furent les bienvenus après des semaines de privations quasi continuelles. Toutefois, les soldats sudistes n’allaient guère avoir le temps de se reposer. Lee, qui ne se croyait pas menacé, s’est soudainement retrouvé pris à la gorge par un McClellan étonnamment hardi. Au moment même où les soldats de McLaws montaient à l’assaut des Maryland Heights, un événement, à première vue insignifiant, avait complètement changé le cours de la campagne.
Coup du sort
Au soir du 12 septembre, l’armée du Potomac approche prudemment de Frederick, autour de laquelle est toujours déployée la division D.H. Hill. La poursuite des Nordistes étant pour le moins lente, l’arrière-garde sudiste n’est pas réellement menacée et peut tranquillement se préparer à rejoindre les troupes de Longstreet à Boonsboro. Le lendemain à l’aube, D.H. Hill lève le camp et se retire sans hâte en direction du nord-ouest. Il ne sera pas inquiété. Quelques heures plus tard, les Fédéraux entrent à Frederick, qui leur réserve l’accueil enthousiaste dont avait vainement rêvé Robert Lee une semaine auparavant. La cavalerie confédérée masquant efficacement les mouvements de l’armée sudiste, McClellan demeure dans le flou quant aux véritables intentions de son adversaire, désormais à l’abri derrière les Appalaches.
Le même jour, vers 10 heures du matin, un détachement d’infanterie nordiste découvre le campement que l’état-major de D.H. Hill a évacué quelques heures plus tôt seulement. En cherchant des indices susceptibles de les éclairer sur les plans des rebelles, le caporal Barton Mitchell met la main sur un paquet apparemment anodin : trois cigares enroulés dans une feuille de papier qu’un aide de camp de D.H. Hill a négligemment oublié de prendre avec lui ou fait tomber en quittant les lieux. Une jolie trouvaille, la solde d’un caporal ne permettant guère de s’offrir ce genre de luxe. Toutefois, le plus important ici n’allait pas être le contenu, mais le contenant. Sur le papier est griffonné un ordre. Lorsqu’il le lit, le caporal Mitchell comprend rapidement qu’il détient une source de renseignements de la plus haute importance.
Il s’agit en fait d’une copie de « l’ordre spécial 191 », celui-là même qui indique explicitement et par le menu les routes et les objectifs des différentes parties de l’armée confédérée. Lorsqu’il a reçu cet ordre le 9 septembre, Stonewall Jackson a pris l’initiative d’en adresser une copie à ses commandants de division, sans savoir que Lee en avait déjà fait rédiger à leur attention. Selon toute vraisemblance, seule la copie faite sur l’ordre de Jackson a été transmise à D.H. Hill. L’ordre original faisant doublon, un officier de l’état-major de D.H. Hill – on ne découvrira jamais lequel précisément – aura sans doute prit la liberté de réemployer la désormais inutile feuille de papier pour son usage personnel. Toujours est-il que la découverte du fantassin nordiste remonte toute la chaîne de commandement, avant d’être finalement transmise à McClellan en fin d’après-midi.
L’idée de McClellan est de lancer une partie de ses forces aux trousses de D.H. Hill, sur la droite, pour s’emparer de Turner’s et Fox’s Gap et occuper l’aile de Longstreet. Pendant ce temps, la gauche nordiste frappera à Crampton’s Gap pour s’interposer entre Longstreet et Jackson, qui assiège Harper’s Ferry. Il pourra ainsi écraser Longstreet, isolé sur la rive nord du Potomac, avant qu’il ne soit renforcé par Jackson, réduisant la supériorité numérique supposée de l’ennemi. Pour mettre ce plan à exécution, McClellan regroupe ses corps d’armée en trois ailes ou « grandes divisions ». L’aile gauche, qui sera confiée à Franklin, comprendra son VIème Corps renforcé par la division Couch et marchera sur la cluse de Crampton. Burnside emmènera la droite, constituée par les Ier et IXème Corps, attaquer celles de Turner et Fox. Le centre, avec les IIème et XIIème Corps et sous les ordres de Sumner, restera en réserve. Quant au Vème Corps, resté plus longtemps à Washington, il n’est pas encore à pied d’œuvre.
Batailles sur South Mountain
Dès les premières heures du 14 septembre, l’armée nordiste se met en route vers les cluses à marche forcée. Le soleil est à peine levé quand la cavalerie nordiste engage les premiers avant-postes confédérés au pied de Fox’s Gap. Cette dernière, escarpée et très boisée, commande une route secondaire qui mène à Sharpsburg. Mais elle s’ouvre également sur un chemin de traverse qui permet de rejoindre Turner’s Gap sans emprunter la route principale, dite « route fédérale » (car ouverte en 1811 par le gouvernement à travers les Appalaches), qui mène à Boonsboro. Les deux passages ne sont alors défendus que par deux brigades : la cluse de Fox est tenue par celle de Samuel Garland, la cluse de Turner par celle d’Alfred Colquitt. Le reste de la division D.H. Hill est en train de se porter vers le sud-ouest pour renforcer les défenses dangereusement dégarnies de Crampton’s Gap, conformément à un ordre de Lee reçu la veille au soir.
L’engagement de cavalerie n’est qu’un prélude. Dès 9 heures, la division de tête du IXème Corps, sous Jacob D. Cox, attaque la position tenue par Garland. L’unité fédérale comprend deux brigades de l’Ohio commandées par George Crook et Eliakim Scammon. On la surnomme « division Kanawha » parce que les unités qui la composent ont servi dans cette vallée de Virginie occidentale au début de la guerre, déjà sous le commandement de Cox. Bien soutenue par l’artillerie nordiste, la brigade Scammon assaille les Caroliniens du Nord de Garland d’abord sur leur gauche, puis au centre, les mettant bientôt dans une situation critique. D.H. Hill, qui observe la scène depuis le sommet de Turner’s Gap, réalise qu’il a face à lui le gros de l’armée nordiste – en fait l’aile droite et, plus en arrière, le centre – et fait en toute hâte rappeler le reste de sa division. Il alerte également Lee et Longstreet, qui s’empressent de lui envoyer du secours.
La bataille de South Mountain, 14 septembre 1862 : les combats de Fox's et Turner's Gap. Carte de Steven Stanley pour le Civil War Preservation Trust.
À Fox’s Gap, les Confédérés s’appuient sur les murets de pierre qui servent à délimiter les rares champs cultivés des environs, et offrent une bonne protection aux défenseurs. Malgré tout, les Sudistes luttent à un contre trois. Garland est mortellement blessé, sa brigade est submergée. Elle n’échappera à l’anéantissement qu’en perçant vers l’arrière. À 10 heures, les Fédéraux sont maîtres de la cluse, la seule chose leur faisant face étant un régiment de cavalerie sudiste. Pourtant, Cox va échouer à tirer parti de la situation. Il envoie dans un premier temps des tirailleurs en direction de Turner’s Gap, mais ceux-ci sont rapidement pris à partie et n’insistent pas. Ignorant la force réelle des Confédérés, Cox préfère temporiser et attendre le reste du IXème Corps. Puisque Burnside coordonne l’action de l’aile droite, le commandement de son corps d’armée est assuré par Jesse Reno.
L’étrange passivité des Nordistes devant Fox’s Gap n’est, en réalité, pas totalement fortuite – même si elle les prive d’une belle occasion tactique. Burnside retient le IXème Corps à dessein : en effet, plutôt que d’assaillir Turner’s Gap de front, il a mis au point une manœuvre visant à arriver sur la cluse par une autre route flanquant la gauche des Confédérés. Cette tâche incombe au Ier Corps, et Burnside veut que l’assaut sur les deux ailes sudistes soit coordonné. Le temps perdu à préparer l’attaque permet l’arrivée de nouveaux renforts confédérés. Les deux brigades de la division Hood et deux autres de la division D.R. Jones sont envoyées vers la cluse de Fox, tandis que les trois autres brigades de D.R. Jones et la brigade indépendante d’Evans vont renforcer les défenses de la cluse de Turner. Quelques minutes plus tard, la canonnade reprend, et les deux corps d’armée nordiste se mettent à gravir les pentes de South Mountain.
Vent de panique
À Fox’s Gap, la division Willcox attaque en plaçant ses deux brigades en chevron, évitant ainsi d’être prise en enfilade par l’artillerie sudiste. Néanmoins, la bataille devient confuse dans les épais sous-bois qui couvrent les pentes de la montagne, et les Fédéraux ne progressent guère. Face à Turner’s Gap, Hooker a fait détacher la brigade des Black Hats de Gibbon dans une attaque frontale de diversion, tandis que le reste du corps d’armée effectue un mouvement tournant contre la gauche sudiste. La division Meade frappe ainsi la brigade Rodes, bientôt renforcée par celle d’Evans, à 17 heures. Les troupes sudistes résistent aussi longtemps qu’elles le peuvent mais, dépassées en nombre, elles finissent par abandonner le sommet qu’elles défendaient. Toutefois, les assaillants ont été sévèrement malmenés eux aussi, et le soleil déclinant empêche les Fédéraux de tirer pleinement parti de leur succès.
De son côté, le reste de la division Hatch livre aux brigades sudistes de Richard Garnett et James Kemper une lutte acharnée pour une clôture et le couvert sommaire qu’elle offre. Les Fédéraux s’en emparent les premiers, mais leurs adversaires contre-attaquent furieusement en dépit de leur infériorité numérique – à tel point que ce sont les Nordistes qui auront l’impression d’être dépassés en nombre. Hatch, blessé dans l’action, est remplacé par Abner Doubleday. La lutte se poursuit jusqu’en début de soirée, les Fédéraux étant relevés par la division Ricketts et les Confédérés par la brigade de Joseph Walker. Le soleil est déjà couché lorsque les hommes de Gibbon, retardés par les tirailleurs sudistes, entrent enfin en action. Sous l’œil de Hooker et de McClellan, les Black Hats gravissent la pente qui mène à la cluse de Turner et marchent droit sur la brigade Colquitt. Bien qu’accablés de mitraille, ils ne fléchissent pas, arrachant à McClellan ce mot d’admiration : « Ils doivent être de fer ! » Un correspondant de guerre ayant eu l’heur de saisir ses paroles les transmettra à son journal, et l’article qui s’ensuivra vaudra à l’unité des « Chapeaux noirs » un nouveau surnom : Iron Brigade, la Brigade de Fer.
Les « hommes de fer » atteignent le muret défendu par les soldats de Colquitt vers 21 heures, mais l’obscurité les oblige à se retirer peu après. À Fox’s Gap, Reno n’était pas parvenu à gagner de terrain face aux défenses sudistes, désormais solidement installées au sommet de la cluse. De plus, le couvert végétal, et la certitude d’avoir face à eux des forces bien plus importantes qu’en réalité, empêchent les Fédéraux de pousser pleinement leurs attaques. C’est en voulant éclairer cette situation confuse que Reno, parti mener personnellement une reconnaissance, est mortellement blessé vers 19 heures d’une balle dans la poitrine. Lorsque les derniers coups de feu épars laissent place aux cris des blessés, à 22 heures, les Confédérés tiennent toujours les deux cluses. Lee, toutefois, s’interroge sur la pertinence de rester sur place jusqu’au lendemain. Il sollicite l’opinion de ses subordonnés. Tant Longstreet que D.H. Hill sont du même avis : mieux placée, notamment grâce au sommet pris par Meade, l’artillerie nordiste les taillera en pièces dès l’aube. Qui plus est, des nouvelles alarmantes ne tardent pas à arriver au quartier général sudiste.
La journée est cependant trop avancée pour que Franklin puisse profiter plus avant de son succès. Malgré tout, la chute de Crampton’s Gap place l’armée sudiste dans une situation extrêmement périlleuse. S’il ne se replie pas immédiatement, Lee court le risque de voir son armée effectivement coupée en deux, précisément ce que McClellan cherche à faire. Avec Jackson encore occupé par le siège de Harper’s Ferry, il devrait alors faire face, seul, à toute l’armée du Potomac, alors que sa voie de retraite la plus directe est doublement coupée – par les hommes de Franklin et la garnison de Harper’s Ferry. Seule consolation pour le général sudiste : la résistance de Fox’s et Turner’s Gap a permis au précieux train de ravitaillement confédéré de se mettre hors de portée, pour le moment, de la poursuite nordiste. La campagne du Maryland, déjà un échec en tant que telle, menace de se muer en désastre pour le Sud. Lee ordonne donc à toutes ses forces de converger vers Sharpsburg. Durant la nuit, ses soldats éreintés se retirent des cluses qu’ils ont tenues toute la journée.
Lee, avec les forces combinées de Longstreet et D.H. Hill, arrive à Sharpsburg dans la matinée du 15 septembre, pendant que les cavaliers sudistes sont chassés de Boonsboro. Sa situation demeure précaire, car les Nordistes l’ont suivi de près : les premiers éléments fédéraux le rejoignent dès l’après-midi et le soir même, le gros de l’armée du Potomac lui fait face. Malgré cela, McClellan conserve sa circonspection habituelle et hésite à attaquer un adversaire qu’il croit, encore et toujours, supérieur en nombre.
Prélude au carnage
La position qu’occupe l’armée de Virginie septentrionale est bonne, mais sans plus. La ligne confédérée est ancrée à gauche sur un méandre du Potomac, serpente parmi les basses collines situées immédiatement au nord de Sharpsburg, puis rejoint l’Antietam Creek qui, elle-même, va se jeter un peu plus au sud dans le Potomac. Le terrain est favorable à la défense : si les collines ne sont pas très hautes, les champs cultivés qui les parsèment sont entrecoupés de bois, de clôtures, de vergers, de fourrés, de ruisseaux qui constituent autant de points d’appui. Les routes à péages, notamment celles menant à Hagerstown au nord et Boonsboro à l’est, y contribuent également. Ces voies macadamisées, construites par des intérêts privés et entretenues par les revenus des péages, sont fermées par les traditionnelles barrières de rondins qui allaient devenir une des caractéristiques physiques récurrentes des affrontements de la guerre de Sécession – en premier lieu parce qu’elles offrent aux combattants un abri sommaire.
Les défenses sudistes ne sont toutefois pas exemptes de faiblesses majeures. La première puise sa source dans l’infériorité numérique de l’armée confédérée. Même en comptant sur l’arrivée prochaine d’A.P. Hill, Lee, dont les effectifs sont affaiblis par les pertes, les désertions et l’état d’épuisement des soldats après deux mois et demi de campagnes quasi incessantes, ne pourra pas espérer compter sur plus de 38.000 hommes. Face à lui, McClellan dispose d’environ le double, mais fort heureusement pour la Confédération, il l’ignore. Pour cette raison, Lee n’a pu étirer suffisamment son dispositif, si bien qu’il a dû laisser libres les collines situées plus au nord, et qui surplombent celles qu’il occupe lui-même. De même, le cours de l’Antietam n’a pu être tenu sur une plus grande longueur, laissant la gauche sudiste, en particulier, d’autant plus vulnérable. Il convient d’ajouter que l’armée a le Potomac dans son dos, ce qui implique qu’en cas de défaite, le gué de Boteler, qui permet de rejoindre Harper’s Ferry en longeant la rive droite du fleuve, sera sa seule voie de retraite.
En revanche, le pont supérieur est hors de portée de l’ennemi. En fin d’après-midi, McClellan ordonne à la division Meade de l’emprunter pour mener une reconnaissance en force. Un sérieux accrochage met aux prises la brigade Seymour aux Texans de Hood, mais confirme que le pont est sûr et peut être emprunté massivement pour assaillir le centre et la gauche confédérés, plus vulnérables. Le général nordiste vient de recevoir ses derniers renforts avec l’arrivée du Vème Corps. Bien que s’estimant dépassé en nombre, il sait que chaque jour qui passe risque d’accentuer encore ce désavantage supposé. Qui plus est, aucun des deux adversaires n’est désireux de mettre sans combattre un terme à une campagne dans laquelle aucun affrontement décisif n’a encore été livré. Contrairement à leurs habitudes respectives, McClellan décide donc d’attaquer dès le lendemain à l’aube, et Lee de l’attendre – d’autant plus que l’action menée par Meade a dévoilé les intentions de son adversaire au Virginien, qui s’empresse de renforcer le secteur menacé.
Dans l’arène
Le plan de McClellan prévoit l’engagement de plus de la moitié de son armée contre la gauche sudiste. Le Ier Corps, suivi par le XIIème, prendra possession des collines situées au nord des lignes ennemies, d’où l’artillerie nordiste pourra fournir un appui efficace. Le IIème Corps les soutiendra si nécessaire, ou exploitera la situation en cas de percée victorieuse. Enfin, le VIème Corps accompagnera la manœuvre en troisième échelon, pour servir de réserve en cas de besoin. Au centre, la division de cavalerie s’assurera le contrôle du pont médian, derrière lequel le Vème Corps d’armée restera en réserve générale. Quant à la gauche, elle devra se contenter d’un rôle de diversion. Burnside coordonnera – davantage de son propre chef que sur l’ordre de McClellan – les efforts du IXème Corps – dont le commandement direct échoit donc à Jacob Cox – dans des attaques limitées contre le pont inférieur, le but étant d’obliger Lee à dégarnir sa gauche pour parer à cette menace. Enfin, pour empêcher les Sudistes de déboucher sur ses arrières depuis Harper’s Ferry, McClellan envoie la division Couch occuper les Maryland Heights.
Dans la soirée du 16 septembre, et durant la nuit qui suit, d’importantes forces nordistes traversent l’Antietam par le pont supérieur en préparation de l’assaut du lendemain. Pratiquement au contact de l’ennemi par le biais de la brigade Seymour, le Ier Corps est prêt à avancer dès les premières lueurs de l’aube. Le XIIème Corps, quant à lui, se tient légèrement en retrait, mais n’en est pas moins intégralement passé sur la rive occidentale de l’Antietam. Quant au IIème Corps, s’il demeure encore côté est, il se tient prêt à franchir le cours d’eau dès que l’ordre lui en sera donné. Le VIème Corps, en revanche, n’est pas encore entièrement concentré. Dans un premier temps au moins, les Ier, XIIème et IIème Corps seront donc les seules forces immédiatement disponibles pour l’attaque principale, car l’obstacle que forme la rivière et le déploiement convexe de l’armée nordiste limitent considérablement la capacité des Fédéraux à faire passer rapidement des forces d’un bout à l’autre du champ de bataille.
Les forces sudistes tenant, à l’inverse, des lignes concaves autour de Sharpsburg, elles pourront plus aisément se soutenir mutuellement en cas de besoin. La cavalerie de Stuart ancre la position confédérée sur les rives du Potomac, tout à l’ouest du champ de bataille. Le corps d’armée de Jackson, ensuite, fait globalement face au nord et au nord-est : une moitié de la division Lawton (les brigades Early et Hays) tient la gauche, suivie par la division J.R. Jones. À partir de 22 heures, l’autre moitié de la division Lawton (avec les brigades de Douglass et James Walker) relève les hommes de Hood, que Lee laissera à la disposition de Jackson en tant que réserve. Enfin, D.H. Hill couvre le centre de l’armée confédérée, jusqu’à l’Antietam. Les effectifs sudistes étant trop ténus pour constituer une ligne de défense continue, les forces de Jackson sont généralement déployées en deux lignes, sur des points d’où elles pourraient facilement se porter vers toute brèche pour la colmater.
Étant beaucoup moins bien loti en termes de forces, Longstreet n’a guère ce loisir pour tenir l’aile droite de l’armée sudiste. La brigade Evans couvre les approches du pont médian, tandis que la division D.R. Jones est déployée le long de l’Antietam, mais un peu en retrait du cours d’eau pour échapper aux tirs de l’artillerie nordiste. Seule une petite force avancée, confiée à Robert Toombs, tient les abords escarpés du pont inférieur. Plus au sud, la division de J.G. Walker défend pour sa part l’accès aux gués de l’Antietam situés en aval. McLaws et R.H. Anderson sont en route et devraient arriver dans la matinée du 17. Quant à A.P. Hill, il a été rappelé de Harper’s Ferry et sa division est attendue à Sharpsburg d’ici la fin de la journée – moins la brigade d’Edward Thomas qui y a été laissée en garnison. Ainsi, l’armée de Virginie septentrionale sera pratiquement au complet, pour la première fois depuis une semaine.
En fait, les sentinelles des deux camps sont par endroits si proches les unes des autres qu’elles peuvent s’entendre chuchoter dans l’obscurité – les officiers ayant évidemment interdit de faire du feu. Vers 3 heures du matin, des coups de feu tirés par des piquets énervés dégénèrent en sérieux accrochage. Tirés d’un sommeil précaire au milieu d’un sous-bois humide, les soldats des deux camps tirent à l’aveuglette, ajustant comme ils le peuvent leur feu en se guidant sur les éclairs jaillissant des fusils ennemis. Le caractère vain de l’échange finit par prévaloir, et un semblant de calme revient sur le bois Est. Le décor ainsi planté, le soleil allait pouvoir se lever sur douze heures de carnage.
Le jour se lève
À 5 heures 30, la clarté est suffisante pour que l’artillerie fédérale entre en action. Visant toutes les cibles qui s’offrent à elle de sa position dominante, elle accable brigades et batteries confédérées depuis la colline Poffenberger, tandis que les puissants canons Parrott de 20 livres en fer forgé – au moins trois batteries – déployées sur la rive orientale de l’Antietam prennent les positions sudistes en enfilade. En quelques minutes, les canons confédérés ripostent. Stuart fait déployer son artillerie à cheval, puis d’autres batteries, sur Nicodemus Hill, tandis que l’infatigable Stephen D. Lee engage son bataillon depuis les hauteurs situées immédiatement au nord de Sharpsburg. Leurs canons tentent de défier ceux de leurs adversaires, mais les Fédéraux sont supérieurs en nombre, en qualité et en puissance de feu, si bien que les artilleurs sudistes souffriront beaucoup de ce duel.
L’infanterie nordiste, qui ne tarde pas à entrer dans l’arène à son tour, est prise pour cible elle aussi. Les deux camps déploient des batteries supplémentaires pour fournir un soutien avancé à leurs fantassins, emplissant l’air du bourdonnement de la mitraille et du sifflement des boulets. Au moins les défenseurs sudistes ont-ils la possibilité de rester allongés sous ce déluge, du moins tant qu’ils ne sont pas attaqués directement. En fait, la configuration du champ de bataille et les positions de l’artillerie sont telles que les canons des deux belligérants sont placés de manière à accabler mutuellement leurs cibles de leurs tirs croisés : les Fédéraux depuis le nord et l’est, les Confédérés à l’ouest et au sud. Dans cette symphonie meurtrière, chaque instrument joue sa propre partition : les canons en fer forgé, plus précis et à la portée accrue, cherchent à réduire au silence les batteries ennemies, tandis que les pièces en bronze vomissent leurs projectiles sur les fantassins. Des années plus tard, S.D. Lee devait se remémorer ce concert brutal comme d’un « enfer d’artillerie ».
Dès que les batteries nordistes ont ouvert le feu, l’infanterie bleue s’est mise en marche. Le plan de Hooker prévoit une progression plein sud, sur un front étroit, avec la division Doubleday à droite, celle de Ricketts à gauche, et celle de Meade en réserve – hormis la brigade Seymour, déjà dangereusement proche de l’ennemi, comme on l’a vu. Des quatre unités de Doubleday, c’est la Brigade de Fer de John Gibbon qui mènera l’assaut, tandis que Marsena Patrick et Walter Phelps se tiendront immédiatement en arrière, respectivement à droite et à gauche de Gibbon. Quant à William Hofmann, sa brigade sera gardée en arrière pour couvrir les batteries installées autour de la ferme J. Poffenberger, et ses régiments ne seront pas engagés. Ricketts, qui n’a que trois brigades, a adopté une disposition similaire : George Hartsuff en fer de lance, appuyé par Abram Duryée sur sa droite et William Christian sur sa gauche. Son premier objectif sera de rejoindre Seymour, en position avancée tout à gauche du Ier Corps.
Le maïs de Monsieur Miller
Les premiers soldats nordistes à affronter leurs homologues sont évidemment ceux qui ont dormi le moins longtemps – les hommes de Truman Seymour. L’aube les voit renouveler aussitôt l’affrontement incomplètement interrompu par la nuit. Rapidement, les tirailleurs nordistes ont le dessus et chassent les Confédérés du bois Est. En atteignant la lisière, les Fédéraux se retrouvent confrontés à la brigade commandée par James Walker. Celle-ci se trouve dans une situation délicate, car l’artillerie ennemie prend sa droite en enfilade, et la brigade Seymour bénéficie presque entièrement du couvert fourni par la végétation – alors que les hommes de James Walker sont déployés au milieu d’un champ labouré. Toutefois, le régiment le plus à droite de Seymour est lui à découvert, et James Walker fait manœuvrer trois de ses propres régiments pour qu’ils concentrent leur feu sur ce point vulnérable.
Dans le même temps, la division Doubleday se déploie en ligne de bataille dans le bois Nord et avance vers le sud, le long de la route à péage de Hagerstown et immédiatement à l’est de celle-ci. Sous le feu de l’artillerie sudiste, les soldats de Gibbon traversent les vastes parcelles de la ferme Miller : un champ labouré, un verger attenant aux bâtiments de la ferme proprement dits, puis un vallon d’où remonte un champ de trèfle. Brumeuse, l’aube dissipe rapidement l’humidité pour faire place à une journée qui s’annonce radieuse malgré quelques nuages. Hooker, qui suit de près la progression de son corps d’armée, remarque alors que le soleil rasant se reflète dans les baïonnettes des soldats sudistes dissimulés dans le champ de maïs Miller, au-delà du champ de trèfle – sans doute les tirailleurs que Marcellus Douglass a fait déployer en avant de sa brigade. Le maïs est pratiquement à hauteur d’homme, offrant ainsi un excellent couvert visuel, mais la longueur des baïonnettes trahit ceux qui les portent.
Le champ de maïs Miller est un espace rectangulaire d’assez grandes dimensions : 400 mètres de largeur sur 230 de profondeur, soit environ dix hectares ceinturés de clôtures en rondins. C’est loin d’être le seul champ de maïs à proximité de Sharpsburg – il y en a des dizaines – mais les violents combats du début de matinée allait se focaliser sur sa possession, le transformant en un des lieux emblématiques de la bataille, avec Bloody Lane et le pont de Burnside. Lorsqu’on parle d’Antietam, « le champ de maïs » désigne presque universellement celui de D.R. Miller, alors que les rapports d’officiers sur la bataille en mentionnent au moins une bonne demi-douzaine d’autres. L’acharnement de la lutte qui allait s’y dérouler, cependant, allait complètement éclipser les autres dans la mémoire collective – et du même coup, en faire ce qui fut probablement l’espace le plus disputé de la guerre.
1. L'artillerie fédérale ouvre le feu depuis la colline Poffenberger et la rive orientale de l'Antietam.
2. Les canons sudistes, placés sur Nicodemus Hill et autour de l'église Dunker, rispostent et attaquent l'infanterie nordiste qui avance.
3. Seymour repousse les piquets sudistes dans le bois Est et attaque James Walker.
4. Hooker fait dégager la lisière nord du champ de maïs Miller par deux batteries avancées.
5. Gibbon entre dans le champ et affronte Douglass.
6. Menacé sur sa droite, il fait passer sa seconde ligne de l'autre côté de la route de Hagerstown.
7. Gibbon étant toujours menacé d'être flanqué, Doubleday envoie la brigade Patrick couvrir sa droite.
8. Prises sous le feu croisé de l'artillerie sudiste, les brigades Hartsuff et Christian s'arrêtent. Ricketts envoie Duryée en avant pour les relayer.
Dans le même temps, Early est envoyé soutenir Stuart sur Nicodemus Hill, tandis que Lawton emmène la brigade Hays renforcer le reste de sa division.
À la vue des baïonnettes scintillant au-dessus des plans de maïs, Hooker n’hésite pas à employer les grands moyens. Retenant momentanément son infanterie, il fait avancer deux batteries qui ouvrent le feu à courte distance. Le résultat, décrit par Hooker lui-même, ne se fait pas attendre : « En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire chaque plant de maïs dans la plus grande partie septentrionale du champ fut coupé aussi nettement que s’il l’avait été avec un couteau, et les tués reposaient en lignes précisément là où ils se tenaient en rang un instant plus tôt. Jamais il ne m’avait été donné d’observer un champ de bataille aussi terrible et sanglant. » La brigade Gibbon, qui avance sur deux lignes, peut pénétrer sans opposition dans le champ Miller… provisoirement. D’autre tireurs sudistes ne tardent pas à prendre à partie son flanc droit, ancré sur la route à péage, et Gibbon préfère envoyer sa seconde ligne traverser cette route pour couvrir sa droite.
Les hommes de Douglass, appuyés sur la clôture méridionale du champ, ouvrent le feu sur un adversaire qu’ils voient à peine, mais que leur artillerie, ayant l’avantage de la hauteur, bombarde sans relâche. La gauche de Gibbon, formée par les 2ème et 6ème régiments du Wisconsin, s’en trouve fortement ralentie alors que sa droite, avec le 7ème Wisconsin et le 19ème Indiana, continue d’avancer. Elle n’ira pas beaucoup plus loin, étant rapidement confrontée à la première ligne de la division J.R. Jones : les brigades d’Andrew Grigsby et John Penn, qui résistent vigoureusement. Gibbon risquant toujours d’être flanqué, Doubleday envoie Patrick étendre sa ligne et s’emparer du bois Ouest, sur lequel s’appuie l’ennemi. Les Sudistes, dans un premier temps, tiennent bon, mais subissent de lourdes pertes. Les officiers ne sont pas épargnés : Penn, puis son successeur A.C. Page sont blessés, tandis que J.R. Jones lui-même est sonné lorsqu’un obus nordiste explose un peu trop près de sa tête. Il est aussitôt évacué, et William Starke lui succède à la tête de sa division.
Terreurs matinales
Un peu plus à gauche, les choses vont de travers pour les soldats de James Ricketts. Le général Hartsuff est touché à la cuisse dès le début de l’action en voulant mener une reconnaissance, et la confusion qui s’ensuit conduit sa brigade à stopper. Les deux unités qui le suivent ne sont pas mieux loties. Elles sont accablées sous le feu d’enfer de l’artillerie confédérée, et les nerfs de plus d’un lâchent. La brigade Seymour, et en particulier le 6ème régiment des Pennsylvania Reserves qui doit soutenir seul le feu de trois régiments sudistes, commence à souffrir de la situation. Dans ces conditions, toutes les occasions sont bonnes pour s’éloigner de la zone des combats. Son chef, le colonel William Sinclair, allait ainsi noter dans son rapport : « […] le régiment fut grandement réduit en nombre à cause d’hommes emmenant les blessés vers l’arrière sans mes ordres. »
Sous un tel déluge de projectiles, les galons d’officier n’immunisent pas davantage contre la peur. Le colonel Joseph Fisher, du 5ème régiment de la même brigade, signale ainsi que « Le capitaine Collins, de la compagnie K, voit par quelque étrange fatalité sa santé défaillir à l’approche de pratiquement toutes les batailles, et j’ai le regret de dire que dans notre dernière lutte, de laquelle dépendait tant, le capitaine ne s’est pas montré, et qu’il est à présent absent sans permission en règle. » Alors que Seymour aurait grand besoin de soutien, celui-ci tarde à arriver. À la tête de sa brigade, le colonel Christian cède lui aussi à la panique : il met pied à terre et, abandonnant ses hommes, s’enfuit terrorisé vers l’arrière. Convoqué par son supérieur le soir même, il est contraint de démissionner pour éviter la cour martiale. Sa santé mentale ne se remettra jamais de son expérience à Antietam et de l’humiliation qui s’ensuivit, et il mourra interné en 1887. Toujours est-il que privés eux aussi de chefs, ses soldats s’arrêtent à leur tour.
Il y a toutefois urgence pour les Nordistes, car la situation de Ricketts laisse une brèche importante entre Gibbon et Seymour. Ricketts fait donc avancer sa seule brigade encore immédiatement disponible, celle de Duryée, qui passe en première ligne. Celle-ci progresse finalement vers le sud, son aile droite dans le champ de maïs et son aile gauche dans le bois Est. Duryée est frappé par le spectacle de désolation qui accompagne sa progression : « Les morts laissés par l’ennemi dans le champ étaient presque alignés comme à la parade », écrira-t-il. Parallèlement, Walter Phelps a commencé à soutenir Gibbon, dont la gauche est débordée par brigade Douglass et se trouve dangereusement exposée. Phelps, qui se tient à une vingtaine de mètres seulement en arrière, peut ainsi intervenir très rapidement. Bientôt, la pression des Fédéraux commence à devenir trop forte pour la brigade Douglass, qui se met à reculer. Son chef est tué en tentant de la rallier. Les soldats sudistes, toutefois, se ressaisissent rapidement grâce à l’arrivée de renforts.
1. James Walker fait concentrer le feu de trois de ses régiments contre le 6ème Pennsylvania Reserves, le régiment le plus exposé de la brigade Seymour.
2. Attaqué par l'aile gauche de Gibbon appuyé par Phelps, Douglass est tué et sa brigade recule.
3. Hays contre-attaque et fait reculer Duryée, emmenant avec lui les hommes de Douglass.
4. Le 6ème Pennsylvania Reserves craque, entraînant avec lui le reste de la brigade Seymour.
5. James Walker, voyant avancer Hays sur sa gauche, avance lui aussi.
6. Assailli par Phelps et la brigade Hartsuff, et accueilli par les salves de mitraille d'une batterie avancée nordiste, Hays doit se replier.
7. La brigade Douglass est entraînée dans leur retraite par les soldats de Hays.
Sur la route de Hagerstown
Le repli des trois brigades de la division Lawton, qui ont laissé dans l’affaire plus de la moitié de leurs effectifs, permet à la gauche de Gibbon, toujours suivie de près par Phelps, d’aller soutenir sa droite face à la première ligne de la division J.R. Jones. Gibbon a également fait déployer une batterie d’artillerie en position très avancée, sur une position légèrement surélevée juste au sud de la ferme Miller – un emplacement où s’élèvent une grange et plusieurs meules de foin. Cette unité – la compagnie B du 4ème régiment d’artillerie – était celle que commandait Gibbon avant la guerre dans l’armée régulière. Désormais aux ordres du capitaine Campbell, elle déchaîne sur les positions sudistes un feu qui, combiné à celui qui prend leur droite en enfilade depuis le champ de maïs, oblige finalement les brigades Grigsby et Penn à se replier vers le bois Ouest.
Parallèlement, les artilleurs de Stuart, qui continuent à affronter leurs homologues fédéraux, voient leurs pertes en hommes et en chevaux augmenter. Occupé à diriger le feu de ses batteries, le chef de la cavalerie confédérée n’en observe pas moins le repli de l’infanterie sudiste le long de la route de Hagerstown. Si les Fédéraux continuent à progresser et déferlent sur le bois Ouest, il risque lui-même d’être isolé du reste de l’armée, avec uniquement ses cavaliers et la brigade Early pour protéger ses canons. Par conséquent, il décide vers 6 heures 30 de reculer vers le sud, jusqu’à une autre colline plus facile à défendre, et aussi plus éloignée des canons nordistes de la ferme J. Poffenberger. C’est probablement ce mouvement, observé par Marsena Patrick, qui pousse Hooker à lui ordonner de détacher un de ses régiments, le 23ème New York, pour protéger le flanc droit du Ier Corps. Gibbon n’ayant lui-même pas de réserves, Patrick doit également lui envoyer le 80ème New York en soutien direct de la batterie Campbell, si bien que la brigade Patrick se trouve réduite à deux régiments, les 21ème et 35ème New York.
1. Désormais commandée par Truman Seymour, la brigade Christian intervient pour couvrir le repli de la brigade Seymour.
2. Isolé par le repli de Hays, James Walker se replie sur sa position initiale.
3. Commençant à manquer de munitions, James Walker recule de nouveau.
4. L'aile gauche de Gibbon se rabat vers la droite pour prendre en enfilade la brigade Penn.
5. La batterie Campbell s'installe directement face aux Sudistes pour les accabler de mitraille.
6. Craignant d'être débordé, Stuart fait reculer son artillerie et ses soutiens en direction du sud.
7. Interprétant ce mouvement comme une menace contre sa droite, Hooker fait détacher le 23ème New York de la brigade Patrick pour y parer.
8. Passant par le bois Ouest, le reste de la brigade Patrick flanque celle de Grigsby.
9. Assaillie de trois côtés, la première ligne de la division J.R. Jones finit par reculer.
Côté sudiste, William Starke ne demeure pas passif. Après avoir rallié les débris des brigades Grigsby et Penn, il lance en avant le reste de la division dont il a désormais la charge : sa propre brigade et celle d’Edward Warren. Cette nouvelle contre-attaque sudiste surprend la brigade Gibbon dans une position délicate. En effet, son aile gauche s’est rabattue le long de la route de Hagerstown pour flanquer la première ligne sudiste, et se trouve désormais positionnée obliquement par rapport à la ligne de bataille principale. Accessoirement, sa progression plus rapide a créé une brèche entre elle et le reste de la brigade, ce qui d’une part expose le 6ème Wisconsin à être flanqué, et d’autre part laisse la batterie Campbell exposée à une attaque directe de l’ennemi.
Starke n’a pas manqué de relever ce point faible et emmène sa brigade droit sur lui, laissant la brigade Warren se charger d’accrocher l’aile gauche de Gibbon. Les Confédérés viennent s’appuyer contre les barrières qui délimitent la route à péage, d’où ils prennent les 2ème et 6ème Wisconsin en enfilade. Néanmoins, les Fédéraux réagissent immédiatement. Phelps, qui suit toujours Gibbon de très près, envoie le 2ème régiment des U.S. Sharpshooters colmater la brèche qui s’est ouverte au centre de sa brigade. Les tireurs d’élite aux uniformes verts en paient le prix fort et déplorent de lourdes pertes, subissant de plein fouet toute la puissance de feu de la brigade Starke, mais leur intervention soulage efficacement les deux régiments du Wisconsin. Séparés seulement par la largeur de la route, Nordistes et Sudistes se fusillent sans merci à bout portant. Les hommes de Starke ne réalisent pas encore que les trois régiments qu’ils affrontent ne forment qu’une enclume.
1. Starke lance en avant sa brigade et celle d'E.T.H. Warren en visant la brèche qui s'est ouverte entre les deux ailes de la brigade Gibbon.
2. Phelps fait intervenir le 2ème U.S. Sharpshooters pour la colmater.
3. Obliquant vers la gauche, la droite de Gibbon et la brigade Patrick prennent à revers les Sudistes, provoquant leur repli.
4. Grigsby parvient à rallier la brigade Stonewall près de la ferme A. Poffenberger.
Le marteau ne tarde pas à apparaître, sur leur gauche et dans leur dos, sous la forme de l’aile droite de Gibbon et de la brigade Patrick. Cette force de quatre régiments accable les Confédérés d’un tir croisé dévastateur, et en quelques instants leur position devient intenable. Les pertes sont terribles. Starke est percé de trois balles et meurt dans l’heure qui suit, et le colonel Jesse Williams, qui ne lui succède que quelques minutes, est grièvement touché à la poitrine. Tous les officiers supérieurs de la brigade sont tués ou blessés, le moins sérieusement étant le colonel Edmund Pendleton, du 15ème Louisiane, légèrement atteint par une balle de mitraille qui lui passe entre les deux jambes. Bientôt, les hommes en gris n’ont plus qu’à sonner le sauve-qui-peut général en direction du sud-ouest, pour se réfugier dans le bois Ouest. Là, le colonel Grigsby parvient à rallier sa propre unité – la brigade Stonewall – et à joindre ses forces à celles de Leroy Stafford, qui réussit à regrouper quelques éléments de celle de Starke.
Texans en colère
Il est à présent 7 heures, et la situation de la gauche confédérée toute entière apparait comme extrêmement critique. En dehors de la brigade Early, de celle de James Walker et des quelques soldats que Grigsby tient encore sous sa coupe, les divisions J.R. Jones et Lawton peuvent être considérées comme virtuellement hors de combat. Jackson, qui communique fiévreusement avec Lee, Longstreet et Stuart par l’intermédiaire de ses estafettes – au nombre desquelles figure un jeune garçon de douze ans, dont Stuart fera l’éloge dans son rapport sur la bataille – n’a plus que la division Hood à lancer dans le combat. Sachant que cela ne pourrait suffire qu’un temps, il demande des renforts de toute urgence. Lee, dans le même temps, sait que l’arrivée de McLaws et R.H. Anderson, qui ont franchi le Potomac, est imminente. En attendant, il accepte de prélever sur sa droite la brigade de George T. Anderson pour l’envoyer vers le nord.
Les deux brigades de la division Hood, commandées respectivement par William Wofford et Evander Law, sont demeurées jusque-là dans une relative sécurité, au sud du bois Ouest. Après avoir été mis en alerte au tout début de la bataille, les hommes de Hood, en majorité texans, ont repris la routine du camp et allumé des feux pour préparer un petit déjeuner impatiemment attendu – l’intendance confédérée vient en effet de leur distribuer leur première ration depuis trois jours et ils sont affamés. Malheureusement pour eux, c’est au moment où l’effondrement des hommes de Starke rend nécessaire leur intervention. Les soldats sudistes s’exécutent, mais ils sont furieux et bien décidés à se venger sur les Yankees. Vers 7 heures, ils débouchent du bois Ouest en hurlant sauvagement. Alexander Hunter, soldat dans une autre unité de l’armée de Virginie septentrionale, attribuera d’ailleurs la légendaire férocité du Rebel Yell à… la faim, tout simplement.
La division Hood attaque vers le nord, à l’est de la route de Hagerstown. Wofford est à gauche avec la Texas Brigade, Law à droite. Hood, qui sait très bien que ses forces ne sont pas assez nombreuses pour tenir tête au Ier Corps nordiste au grand complet, galope encore plus à droite pour avoir le soutien de la brigade James Walker. Il parvient à obtenir le concours de certains de ses régiments, qui ont encore quelques cartouches, et les renforce en prélevant à Wofford le 5ème Texas. Il réclame également la coopération de Roswell Ripley, mais celui-ci n’avancera pas. Les hommes en gris sont violemment pris à partie dès qu’ils sortent du bois, particulièrement sur la gauche où les lignes nordistes sont les plus proches. Une heure et demie à peine après les premiers coups de canon, les combats n’ont pas diminué d’intensité, loin s’en faut. Au sujet de l’attaque de sa division, Hood devait écrire : « Je fus alors témoin du plus terrible affrontement de toute la guerre. »
1. Leroy Stafford ramène les restes de la brigade Starke et rejoint celle de Grigsby.
2. La division Hood attaque le champ de maïs Miller.
3. Elle est soutenue sur sa droite par James Walker, que rejoint le 5ème Texas.
4. La brigade Ripley est sollicitée mais ne bouge pas.
5. Prises de flanc, l'aile gauche de Gibbon et la brigade Phelps sont repoussées par Wofford.
6. Law et James Walker repoussent les brigades Hartsuff (Coulter) et Christian (Seymour), ainsi que la batterie Thompson.
7. Pour faire face à la situation, Hooker fait avancer le reste de la division Meade.
8. Patrick et l'aile droite de Gibbon avancent pour flanquer la Texas Brigade alors que celle-ci progresse vers le nord.
L’élan initial des Sudistes met en déroute l’aile gauche de Gibbon, car les Texans s’abattent sur son flanc. Les soldats du Wisconsin et les Sharpshooters entraînent le reste de la brigade Phelps dans leur repli, ouvrant aux Confédérés la route du champ de maïs. De leur côté, Law et James Walker repoussent les hommes de Hartsuff et Christian, qui ont à présent relevé presque complètement les brigades Duryée et Seymour. Les Nordistes reculent à peu près en bon ordre à travers le champ Miller et le bois Est, suivis de près par leurs ennemis. Le capitaine James Thompson, qui commande une des batteries nordistes les plus avancées, voudrait contrer leur progression à coups de boîtes à mitraille, mais il renonce finalement à le faire lorsqu’il réalise que le champ de maïs est constellé de blessés nordistes qu’il risquerait de massacrer. Lui aussi doit reculer ; sa batterie ayant perdu pas moins de 23 chevaux, il devra le faire en deux temps. Les Confédérés finissent par atteindre l’extrémité nord du champ de maïs et du bois Est, où les Fédéraux tentent de s’arc-bouter avec le renfort d’éléments épars des brigades Duryée et Seymour. Parallèlement, Hooker fait avancer ses dernières réserves : les deux brigades encore fraîches de la division Meade, commandées par Robert Anderson et Albert Magilton.
Sur la gauche de Hood, les choses ne se passent pas aussi bien pour les Sudistes. Après le succès initial, Wofford ne tarde pas à constater que la gauche de sa brigade ralentit fortement. Sa progression même l’a exposé à une contre-attaque de flanc menée par l’aile droite de Gibbon et par la brigade Patrick. Ses hommes subissent de lourdes pertes. La légion Hampton, une unité de Caroline du Sud attachée à sa brigade, perd tous ses porte-drapeaux les uns après les autres, comme le rapportera son chef le lieutenant-colonel Martin Gary : « Nous avançâmes rapidement sur eux, sous un feu nourri, et n’étions pas allés très loin quand Herod Wilson, de la compagnie F, le porteur du drapeau, fut abattu. Il fut repris par James Esters de la compagnie E, et il fut abattu. Il fut alors pris par C.P. Poppenheim, de la compagnie A, et lui aussi fut abattu. Le major J.H. Dingle, Jr., le récupéra alors, s’écriant "Légion, suivez votre drapeau !" […] Il porta le drapeau jusqu’à la lisière du champ de maïs près de la route à péage sur notre gauche, et, alors qu’il le brandissait courageusement à 50 mètres de l’ennemi et face à trois drapeaux fédéraux, il fut tué. »
L’avance se poursuit
Afin d’y remédier, Wofford prélève sur sa droite le 4ème régiment du Texas pour l’envoyer vers la gauche. La manœuvre parvient à soulager le flanc de la brigade, qui tient sa position. Toutefois, elle a aussi créé une brèche dans la ligne sudiste. Malgré les projectiles qui pleuvent sans cesse dessus, le maïs du champ de D.R. Miller est encore suffisamment haut et dense pour que le 1er Texas perde le contact avec le reste de la brigade. Le régiment continue donc à marcher vers le nord, isolé, tandis que les autres se rabattent vers la gauche en tentant de repousser Gibbon. Les positions se retrouvent ainsi curieusement inversées par rapport à l’engagement précédent : les deux camps se font face de part et d’autre de la route de Hagerstown, mais Wofford se tient là où Gibbon et Phelps se trouvaient précédemment, tandis que Gibbon et Patrick occupent désormais la même position que tenait Starke un peu plus tôt.
Bien qu’étant en difficulté, le chef de la Brigade de Fer ne se démonte pas et engage ses soutiens les plus proches – le 80ème New York et la batterie Campbell. Gibbon en fait redéployer les canons pour faire face à l’avancée ennemie dans le champ de maïs, pointant et servant personnellement une de ses pièces. Lorsque le 18ème Géorgie apparaît de l’autre côté de la route, les artilleurs ouvrent le feu à coups redoublés, fauchant sans distinction hommes et maïs et ouvrant de sanglantes trouées dans les rangs des Géorgiens. Contre toute attente, pourtant, les Sudistes soutiennent ce déluge de plomb et ripostent, abattant les artilleurs à bout portant. En quelques minutes, la batterie Campbell perd 40 hommes et 33 chevaux – l’effectif normal d’une batterie nordiste étant théoriquement de 84 officiers, sous-officiers et soldats. Campbell lui-même est blessé à l’épaule et son cheval est criblé de balles. La riposte sudiste oblige finalement les artilleurs à abandonner leurs pièces, mais l’infanterie bleue continue obstinément à tenir sa position. Elle s’appuie en cela sur un affleurement rocheux, quasiment parallèle à la route et légèrement en retrait de celle-ci.
1. Wofford fait passer le 4ème Texas sur sa gauche pour affronter la brigade Patrick.
2. Le 18ème Géorgie est mitraillé à bout portant par la batterie Campbell, mais réussit à la réduire au silence.
3. La présence inopinée du 1er Texas au nord du champ de maïs oblige la brigade Robert Anderson et une partie de celle de Magilton à reculer.
4. Le 6ème Pennsylvania Reserves tient bon et affronte la brigade Law.
5. Les brigades Hartsuff et Christian contiennent Law et James Walker, puis décrochent à l'approche du XIIème Corps.
De son côté, le 1er Texas a poursuivi sans relâche la brigade Phelps en pleine retraite. Ses hommes ont chargé avec une telle férocité que leur chef, le lieutenant-colonel Philip Work, éprouve les pires difficultés à les tenir. Il ne parvient finalement à les réfréner que lorsqu’ils atteignent la clôture septentrionale du champ de maïs. Là, les Sudistes découvrent les brigades Robert Anderson et Magilton en train d’avancer droit sur eux, à travers le verger Miller et le champ de trèfle, et soutenues par une batterie déployée sur une petite éminence, à portée de fusil. Work, qui ignore où se trouve le reste de la brigade, fait demander des renforts en urgence et, malgré son infériorité numérique flagrante, décide de résister. Contre toute attente, le tir des Texans cueille à froid les Nordistes : Robert Anderson recule, ainsi que l’aile droite de Magilton. Le 1er Texas pointe alors ses fusils vers la batterie nordiste et commence à lui causer des pertes.
Hooker, en effet, avait déjà demandé des renforts depuis un certain temps. Le XIIème Corps de Joseph Mansfield, qui a campé à un mile en arrière des forces de Hooker, s’est tenu près dès l’aube. La résistance acharnée qu’il a rencontrée a conduit le chef du Ier Corps à largement surestimer les effectifs de l’ennemi, aussi n’a-t-il pas tardé à faire appel à Mansfield. Le XIIème Corps est une unité de valeur très inégale. Formé initialement par les unités qui ont servi dans la vallée de la Shenandoah et en Virginie septentrionale sous les ordres de Banks, il a laissé une partie de ses régiments les plus expérimentés à Washington, tandis que d’autres nouvellement créés sont venus compléter ses rangs. Ainsi, la majorité de ses soldats sont sous l’uniforme depuis quelques semaines tout au plus, et les officiers ne sont guère plus expérimentés. Cinq des régiments du corps d’armée n’ont même suivi aucune espèce d’entraînement, et un autre – le 1er du district de Columbia – est intégralement absent, officiers compris, en raison des désertions ou des maladies.
Bref commandement
Le XIIème Corps, cinq brigades articulées en deux divisions, progresse le long de la route de Smoketown, une artère secondaire en provenance du nord-nord-est qui rejoint la route à péage de Hagerstown à la hauteur de l’église Dunker, après avoir traversé le bois Est. La division d’Alpheus Williams, composée des brigades de Samuel Crawford et George Henry Gordon, ouvre la marche, suivie par la division George Greene et ses trois brigades, respectivement commandées par William Goodrich, Henry Stainrook et Hector Tyndale. Mansfield, qui s’est forgé en quelques jours une réputation de meneur d’hommes parmi la troupe, dirige personnellement son corps d’armée de l’avant. Toutefois, une série d’erreurs de sa part, et la confusion qui en résultera, vont révéler son inexpérience du terrain et celle de ses soldats.
Dès qu’il arrive à proximité des combats, Mansfield ordonne que ses forces soient déployées en ordre de bataille. Quelques instants plus tard, il se ravise : le général nordiste craint en effet que l’inexpérience de ses hommes ne les rende difficiles à contrôler et la formation en ligne de bataille, très étirée, ne facilite pas la transmission des ordres. La nature hachée du terrain qu’il traverse risque de désorganiser ses brigades, particulièrement dans le cas des nouvelles recrues, encore peu habituées à manœuvrer. Il leur fait donc adopter une formation prévue par les manuels, mais assez peu usitée dans les faits, la colonne par compagnie, dans laquelle chaque régiment présente un front d’une compagnie et se trouve donc déployé sur vingt rangs de profondeur au lieu de deux. Ils sont ainsi plus resserrés, ce qui permet aux officiers supérieurs de les encadrer plus facilement.
La troisième erreur de Mansfield lui coûtera plus cher encore. Le général nordiste ignore la position de réelle de l’ennemi. À sa décharge, il était déjà en marche lorsque Hood a déclenché son attaque, et peut difficilement être informé en temps réel de la progression adverse. Aussi est-il très surpris lorsque la brigade Crawford, en pointe, stoppe devant un petit champ de maïs situé juste au nord du bois Est et commence à ouvrir le feu. Craignant que ses soldats ne soient en train de tirer par erreur sur des unités du Ier Corps, Mansfield galope vers le front des troupes. Il lui faut plusieurs minutes pour s’assurer que ce sont bien des Sudistes – en l’occurrence les brigades Law et James Walker – que les soldats de Crawford affrontent. Quelques instants plus tard, il reçoit une balle dans la poitrine, du côté droit, qui lui cause une blessure fatale dont il décèdera le lendemain. C’était son troisième jour seulement à la tête du XIIème Corps. En-dessous de lui, toute la chaîne de commandement remonte d’un cran : Williams prend la tête du corps, Crawford récupère sa division, et la brigade de ce dernier échoit à Joseph Knipe.
Hood est repoussé
Les deux régiments s’exécutent, mais le reste de la brigade ne leur fournit guère de soutien et le feu de l’ennemi – le 5ème Texas et ce qui reste des forces de James Walker – est trop intense. Les Pennsylvaniens doivent reculer. Pour ne rien arranger, la brigade G.H. Gordon arrive derrière celle de Crawford, et elle n’est guère moins confuse. Alors qu’il reforme ses rangs, le 46ème a la désagréable surprise de se faire tirer dans le dos par le 27ème Indiana, un des régiments de G.H. Gordon. La méprise est rapidement dissipée mais ajoute à la confusion. Williams préfère alors ramener la brigade Crawford en arrière pour qu’elle se mette en ligne correctement. Il va lui falloir un moment, et beaucoup d’efforts, avant que le XIIème Corps ne soit convenablement déployé et prêt à entrer efficacement dans le combat.
Heureusement pour l’Union, George Meade, de son côté, est parvenu à reprendre ses hommes en main. La brigade de Robert Anderson se regroupe rapidement, et marche à nouveau sur la position tenue par le 1er Texas en approchant par sa gauche. Le régiment sudiste est toujours privé de soutien sur ses deux flancs, et la force nordiste qui l’assaille tient une ligne beaucoup plus longue que la sienne. Tant et si bien que les Texans se trouvent bientôt exposés à un tir croisé qui leur cause des pertes effrayantes, et n’ont plus d’autre choix que de retraiter au pas de course à travers le champ de maïs. Ils y laissent leur drapeau : son porteur est abattu au milieu du champ, où le maïs est encore suffisamment dense pour empêcher les autres survivants de s’en apercevoir. Lorsque les Sudistes se regroupent derrière le couvert précaire fourni par une hauteur immédiatement au sud du champ, le lieutenant-colonel Work n’a plus avec lui que 40 hommes. Ils étaient 226 le matin même. Cela représente un taux de pertes supérieur à 80%. Durant tout le reste de la guerre, aucun autre régiment ne perdra une telle proportion de ses effectifs en un seul engagement.
1. L'attaque initiale du XIIème Corps s'effectue dans la confusion, Mansfield est mortellement blessé au bout de quelques minutes.
2. Alors que la brigade Crawford cale sous le feu ennemi, le 124ème Pennsylvanie perd le contact avec elle.
3. Le colonel Knipe parvient à rallier le 128ème Pennsylvanie et à le faire charger avec le 46ème New York, sans succès.
4. Le 27ème Indiana (brigade G.H. Gordon) tire dans le dos du 46ème New York, ajoutant à la confusion.
5. La brigade Robert Anderson se regroupe et attaque le 1er Texas, l'obligeant à s'enfuir.
6. Le reste de la brigade Wofford se replie et se rallie au sud du champ de maïs.
7. Gibbon retire le reste de sa brigade et la batterie Campbell sur le bois Nord.
8. Magilton regroupe ses forces et flanque la brigade Law, obligeant le reste des Confédérés à battre en retraite.
La retraite du 1er Texas entraîne rapidement celle du reste de la brigade Wofford, dont les régiments décrochent les uns après les autres pour se regrouper à l’orée du bois Ouest, juste au nord de l’église Dunker. Enfin soulagé de la pression exercée par les Confédérés, Gibbon fait d’abord replier les canons de la batterie Campbell, dont les pertes ont été à ce point élevées qu’une seule de ses trois sections peut être servie efficacement. Puis, ce qui reste de la brigade Gibbon recule jusqu’au bois Nord, sous la protection des hommes de Patrick – qui, eux, continuent à tenir les abords du bois Ouest. La brigade de Robert Anderson poussera jusqu’au sud du champ de maïs Miller, mais sera ensuite contenue par la Texas Brigade regroupée et ne poussera pas beaucoup plus loin.
Plus à l’est, la brigade Magilton s’est aussi ralliée, grâce au sang froid du 8ème Pennsylvania Reserves qui n’a pas craqué et a gardé sa cohésion. Tandis que Robert Anderson assaille le 1er Texas, Magilton s’abat sur la gauche de la brigade Law et l’oblige à reculer. Par effet d’entraînement, son repli entraîne avec lui la brigade de James Walker, et finalement le 5ème Texas. Alors que Magilton poursuit les Sudistes à travers le bois Est, la division Hood se concentre, dans un relatif bon ordre, à proximité de l’église Dunker. Elle y restera encore un moment, tenant en respect les tirailleurs avancés par la division Meade. Sur les quelques 2.000 soldats que Hood a emmenés au combat à peine une heure auparavant, la moitié d’entre eux git à présent, morts et blessés confondus, dans le champ de maïs et le bois Est. Plus tard dans la journée, lorsque Nathan Evans croisera John Hood sur le champ de bataille et lui demandera où se trouve sa division, le Texan d’adoption (Hood était né au Kentucky) lui répondra laconiquement « sur le terrain, morte ».
D.H. Hill entre dans la danse
Ne laissant à Stuart qu’un seul de ses régiments – le 13ème de Virginie – pour couvrir ses batteries, Early emmène les six autres, dans un premier temps, vers l’arrière, derrière le bois Ouest. De sa division, il ne trouve nulle trace : les survivants sont éparpillés à travers la campagne et ne forment rien qui ressemble à une unité militaire. En revanche, il rejoint les quelques centaines d’hommes de la division J.R. Jones qui ont pu être reformés et que commande désormais le colonel Grigsby. Prenant la tête de cette petite division ad hoc, Jubal Early l’emmène à travers le bois Ouest, d’où elle débouche en arrière et sur la droite de la brigade Patrick, toujours appuyée sur l’affleurement rocheux d’où elle a affronté la brigade Wofford. Prise à revers, sa position n’est plus tenable, et Patrick se replie en bon ordre vers un muret de pierre qui court entre le bois Ouest et la ferme Miller. Early ne cherche pas à les y presser, de sorte que la première préoccupation des soldats nordistes, une fois en position, sera de… faire le café.
Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 8h - 8h30.
Il est 8 heures 30, et le champ Miller est à nouveau sous contrôle sudiste. Toutefois, Hooker, qui est l’officier nordiste le plus élevé en grade à être toujours en vie dans ce secteur du champ de bataille, a encore des cartes dans sa manche. Ce sont à présent quatre batteries avancées qui sont déployées au nord du champ. En dépit de la déroute prématurée de la brigade Goodrich, le XIIème Corps est à présent convenablement déployé, et ses unités les moins sûres ont été laissées en soutien de batteries, en arrière. La division Williams s’est décalée vers la droite, la brigade Crawford ayant sa droite ancrée sur la route à péage de Hagerstown, et celle de G.H. Gordon prolongeant la ligne jusqu’à celle de Smoketown. La division Greene a pris sa place face au bois Est, avec les brigades Tyndale à droite et Stainrook à gauche. D’autres soutiens sont attendus : deux des trois divisions du puissant IIème Corps sont en train de traverser l’Antietam au pont supérieur.
Le XIIème Corps se reprend
Les troupes sudistes ne sont pas dans une situation idéale pour soutenir cette nouvelle contre-attaque. Quelques minutes plus tôt, Roswell Ripley a reçu une balle dans le cou, et ne doit qu’à la chance d’avoir la vie sauve : le projectile a été amorti par son nœud de cravate. Bien qu’évacué, il reprendra le commandement de sa brigade au bout d’une heure et demie, après s’être fait soigner. Mais pour l’heure, son absence entraîne l’arrêt de sa brigade, qui laisse ainsi celle de Colquitt sans soutien sur sa gauche. La situation de McRae est moins enviable encore. Ses hommes, qui ont été durement éprouvés à South Mountain et y ont subi de grosses pertes, sont inquiets et leur moral est vacillant. Le terrain sur lequel ils se trouvent n’arrange pas les choses : le bois Est, avec ses épais fourrés et les affleurements rocheux typiques de la région, désorganise encore un peu plus une brigade dont la cohésion est déjà incertaine.
Rumeurs et contrordres imaginaires se répandent dans les rangs avec une rapidité déconcertante. Le capitaine Thomas Garrett, du 5ème régiment de Caroline du Nord, décrira ainsi l’atmosphère qui règne alors au sein de la brigade : « Un état de confusion difficile à décrire s’ensuivit. Différents ordres contradictoires (ou plutôt des suggestions prenant cette forme, peut-être) se diffusèrent le long de la ligne, les hommes du rang étant laissés libres de les relayer par leurs officiers, de sorte qu’il devint complètement impossible de discerner lesquels émanaient de la bonne autorité. » Les marches et contremarches qui en résultent, alors que le couvert végétal empêche les différents éléments de la brigade de se voir entre eux, ralentissent sensiblement les hommes de McRae. Ceux-ci se retrouvent du coup très en arrière par rapport à Colquitt, et celui-ci n’est donc pas non plus couvert sur sa droite.
Lorsque les hommes de McRae le réalisent, c’est la panique. Certains officiers sont aussi nerveux que leurs soldats, ce qui aggrave encore le problème. Thomas Garrett : « À ce moment, et pendant que je dirigeais ce mouvement, le capitaine Thomson, compagnie G, vint à moi, et d’une manière et sur un ton très excités me cria "Ils nous flanquent ! Regardez, il doit y avoir une brigade entière !" Je lui ordonnai de garder le silence et de regagner sa place. Les hommes, jusque-là, étaient loin d’être calmes, mais quand cette indiscrétion eut lieu une panique se déclencha, et malgré les efforts des serre-files et des officiers, ils commencèrent à craquer et à s’enfuir. » La brigade s’écroule. McRae tente d’organiser une résistance à la lisière sud du bois. Il est blessé – atteint superficiellement au front – mais, bien qu’il refuse de se faire soigner, ses efforts sont vains et il ne peut tenir ses hommes plus longtemps. Ceux-ci ne s’arrêteront pas avant d’avoir atteint les premières maisons de Sharpsburg, où ils seront « cueillis » plus tard dans la journée, et ralliés en petits groupes ad hoc.
1. La division Williams se redéploie au nord du champ de maïs.
2. La division Greene marche sur le bois Est.
3. Ripley blessé, sa brigade est à l'arrêt.
4. Ralentie par des ordres contradictoires, la brigade McRae est isolée dans le bois Est.
5. La division Williams attaque la brigade Colquitt qui résiste.
6. La brigade McRae tente d'avancer mais elle est interceptée par Stainrook, flanquée et mise en fuite.
7. Colquitt est finalement flanqué par Tyndale et déroute après un bref corps-à-corps.
En dépit de l’absence de tout soutien et des pertes considérables qu’elle subit, la brigade Colquitt continue à résister. Les hommes de G.H. Gordon ont même dû suspendre momentanément leur feu, au début de l’engagement, pour attendre que les rescapés de la brigade de Robert Anderson se mettent à l’abri, et ont subi des pertes sans pouvoir riposter. C’est finalement une charge de Tyndale contre la droite de Colquitt qui emporte la décision. Le bref corps-à-corps qui s’ensuit ajoute à la violence du baptême du feu pour les soldats du XIIème Corps, dont certains ne sont même pas encore complètement équipés. Le major John Collins, du 5ème Ohio, rapporte ainsi : « […] au milieu du maïs, notre régiment engagea un régiment de Géorgie dans un combat au corps à corps, usant de la crosse des fusils, une partie des hommes n’ayant pas de baïonnettes. » Le repli de Colquitt entraîne avec lui la brigade Ripley avant qu’elle puisse se ressaisir, alors que G.H. Gordon et ses hommes poursuivent les Confédérés à travers le champ de maïs, au pas de charge et baïonnette au canon. Colquitt parviendra à regrouper ses hommes en partie et rejoindra rapidement D.H. Hill. Quant à Ripley, il ralliera une fraction de sa brigade en revenant de l’ambulance où il s’est fait soigner.
Nouveau commandant
Ce que Hooker n’a, en revanche, pas remarqué, c’est que la même balle – ou peut-être une autre – l’a également blessé lui, au pied. Il continue à chevaucher pendant plusieurs minutes, s’informant sur la situation et donnant ses ordres, puis finit par s’effondrer : il perd du sang, et l’hémorragie l’a affaibli. Le commandant du Ier Corps doit être évacué. Sa blessure s’avérera finalement sans conséquences graves, mais elle prive l’aile droite nordiste de son coordinateur à un moment crucial. Après une courte pause, le XIIème Corps reprend néanmoins sa marche en avant. La division Williams disperse les derniers restes des brigades Colquitt et Ripley qui se trouvent encore devant elle, puis se rapproche de la division Hood. Celle-ci est trop affaiblie pour soutenir une nouvelle attaque, aussi Lee préfère-t-il temporiser en sachant que McLaws et R.H. Anderson ne sont plus qu’à quelques minutes de marche de la zone des combats. Plutôt que de laisser Hood exposé sans soutien, il le fait reculer de quelques centaines de mètres.
1. Menacé par la progression du XIIème Corps, Hood est replié hors du bois Ouest.
2. Sumner fait reculer la division Williams jusqu'au bois Est, pour laisser la place à la division Sedgwick.
3. Le 125ème Pennsylvanie du colonel Higgins poursuit sur sa lancée et entre dans le bois Ouest, désormais vide.
4. La division Sedgwick approche en direction de l'ouest, avec pour objectif de tourner l'aile gauche confédérée.
5. Sumner envoie des renforts à Higgins et déploie des éléments de la brigade Goodrich dans le bois Ouest pour couvrir les flancs de Sedgwick.
6. Confronté à l'avancée simultanée de la brigade Goodrich au nord et de la division Sedgwick à l'est, Early manoeuvre pour y faire face, puis se replie en deux temps sur la ferme A. Poffenberger.
Toutefois, le repli de la division Williams ne se déroule pas entièrement comme prévu. Ses deux brigades ne sont pas inquiétées par l’ennemi, mais le 125ème Pennsylvanie, pour sa part, prend position dans le bois Ouest, à proximité immédiate de l’église Dunker. Assez symétrique à l’avancée de la brigade Goodrich, ce mouvement laisse à penser qu’il s’agit là d’une décision délibérée de Sumner afin de sécuriser la gauche de l’attaque à venir. Toutefois, dans son rapport sur la bataille, le colonel Knipe suggère plutôt que le 125ème n’a pas reçu l’ordre de se replier et a simplement poursuivi sur sa lancée jusqu’à ce que son chef réalise sa position isolée. Le colonel Higgins, lui, reste muet sur ce point. Le fait qu’il ait été renforcé, par un autre régiment de la brigade Crawford (le 124ème Pennsylvanie) et par la légion Purnell (un élément de la brigade Goodrich) est plutôt de nature à faire incliner vers la première hypothèse, en suggérant que Sumner a estimé que le seul 125ème était insuffisant pour cette tâche. Le propre rapport de Sumner n’est quant à lui pas assez détaillé pour permettre de trancher la question.
Un peu plus à gauche du dispositif nordiste, la division Greene, elle, va rester en place. Dépassant la lisière méridionale du bois Est, elle s’est emparée de la ferme Mumma, que les Sudistes ont incendiée plus tôt dans la matinée, pour éviter qu’elle ne serve de repaire aux tireurs d’élite fédéraux. Continuant sa progression, Greene a atteint une éminence située juste à l’est de l’église Dunker. Cette position constitue un excellent emplacement pour de l’artillerie et Greene a donc reçu l’ordre de le tenir. Une batterie lui est envoyée mais malheureusement pour les Nordistes, ses caissons à munitions sont presque vides et il faut en envoyer une autre la relever. Pendant ce temps, les canons sudistes ont commencé à prendre pour cible les fantassins fédéraux. Greene les fait alors reculer de quelques dizaines de mètres afin qu’ils bénéficient du couvert fourni par la ligne de crête, et dispose ses deux brigades en chevron pour éviter qu’elles ne soient prises en enfilade.
Manœuvres dans le bois Ouest
Alors que la division Williams recule, la division de tête du IIème Corps fait son apparition sur le champ de bataille. Les trois brigades de Sedgwick, commandées respectivement par Willis Gorman, Napoleon Dana et Oliver Howard (qui revient de convalescence après la perte de son bras droit à Seven Pines), passent derrière la division Greene et marchent droit vers l’ouest. Elles forment trois lignes de bataille successives séparées par des intervalles de 50 mètres environ. En dépit des obstacles en tous genres – barrières, rochers, déclivités, et même une portion du bois Est – qu’elle traverse, la division Sedgwick avance au pas de course, ce qui finit par affecter la qualité de son déploiement et par distendre les intervalles. À 9 heures, la seule force d’infanterie sudiste qui s’interpose entre elle et l’artillerie de Stuart est celle que Jubal Early a amalgamé à sa brigade.
Dans un premier temps, le général confédéré découvre, de sa position bien dissimulée dans le bois Ouest, les 60ème et 78ème New York en approche. C’est en replaçant ses troupes pour y faire face qu’il découvre la division Sedgwick en train de marcher droit sur lui en menaçant son flanc. Laissant Grigsby tenir le front, il déplace sa brigade de manière à couvrir sa droite, puis recule légèrement. Early réclame des renforts : Lee lui fait dire que l’arrivée de McLaws et R.H. Anderson est à présent imminente. Parallèlement, le chef de l’armée de Virginie septentrionale, constatant que la pression sur son aile droite n’est pas encore forte, décide d’y prélever une autre unité, en comptant sur l’immobilisme habituel de son adversaire. Ce sera la division J.G. Walker, forte de deux brigades. Mais pour l’instant, Early ne peut encore compter que sur lui-même. Il recule à nouveau jusqu’à la limite occidentale du bois Ouest, de manière à se trouver à portée immédiate du soutien de l’artillerie déployée juste en arrière.
1. La brigade Gorman débouche du bois Ouest et affronte l'artillerie de Stuart et ses soutiens ainsi que les hommes de Grigsby.
2. Early manoeuvre pour flanquer le 34ème New York.
3. Désorganisée par l'attaque d'Early, la gauche de Gorman stoppe et le 59ème New York vient tirer dans son dos, accroissant la confusion.
4. La brigade G.T. Anderson arrive au son du canon et attaque le 125ème Pennsylvanie près de l'église Dunker.
Ses hommes prennent appui sur les bâtiments et les clôtures de la ferme A. Poffenberger – un patronyme courant, dans cette région peuplée majoritairement, comme la Pennsylvanie voisine, de colons d’ascendance allemande ou néerlandaise. Grigsby fait face au nord-est, Early à l’est. La masse bleue finit par s’engouffrer dans le bois Ouest. Lorsque Gorman en sort quelques minutes plus tard, il est immédiatement pris à partie, face à lui par l’artillerie sudiste, sur sa droite par les tirailleurs du 13ème Virginie, auxquels se sont joints quelques cavaliers de la brigade de Fitzhugh Lee, et sur sa gauche par les hommes de Grigsby. Ces derniers opposant la plus forte résistance, la progression nordiste s’infléchit légèrement vers la gauche. Par effet d’entraînement, puisque la gauche de Gorman « cale », celle de deux autres brigades nordistes bute sur elle, entraînant une certaine confusion. D’autant plus que Jubal Early n’est pas resté inactif : pendant que les soldats de Grigsby servent d’enclume, il fait manœuvrer sa propre brigade comme un marteau pour flanquer la gauche de la progression nordiste.
Une division en déroute
La manœuvre est judicieuse, car les hommes de Grigsby sont en train de craquer – Leroy Stafford récoltant au passage une blessure au pied – et la brigade Gorman avance à travers la ferme A. Poffenberger. Les deux brigades marchent à la rencontre l’une de l’autre et s’engagent mutuellement, mais l’issue du combat va se décider ailleurs. Le 34ème New York, le 125ème Pennsylvanie et leurs soutiens, seules forces nordistes couvrant la gauche de Sedgwick, sont submergés par l’arrivée de Barksdale et ne tardent pas à s’enfuir. Les Confédérés lancés à leur poursuite font alors irruption sur les arrières de la division fédérale, où leur feu fauche leurs ennemis en masse et sème le désordre. Napoleon Dana est touché à la jambe gauche, et John Sedgwick reçoit pas moins de trois balles au poignet, à la jambe et à l’épaule, mais ni l’un ni l’autre ne se font évacuer immédiatement – ils survivront tous les deux. Dana tente d’organiser tant bien que mal la défense de son flanc gauche, mais les brigades nordistes sont trop proches les unes des autres et se gênent pour manœuvrer.
Gorman tente d’y remédier de sa propre initiative en décalant sa brigade vers la droite, mais dans le tumulte, un seul de ses régiments reçoit son ordre. Sumner, qui galope partout pour encourager ses soldats flanqués, donne oralement à Oliver Howard l’ordre de faire face à l’attaque ennemie en réorientant sa brigade vers la gauche. Mais là encore, le fracas des coups de feu limite la compréhension : le bruit est si fort que Howard a compris davantage les gestes que la parole. Interprétant de travers les intentions de Sumner, il emmène sa brigade vers la droite en tournant le dos aux Confédérés, en dépit de l’opinion du colonel Joshua Owen, du 69ème Pennsylvanie, qui lui suggère de faire front dans l’autre sens. Dans son rapport, Howard atténuera la portée de ce mouvement en le réduisant à un « changement de position »… Aggravée par cette fausse manœuvre, la situation des Nordistes tourne à la débâcle. Sans Howard pour couvrir ses arrières, Dana n’a plus qu’à se retirer lui aussi, sous le feu infernal des Sudistes. La brigade Gorman recule aussitôt après.
1. La division McLaws arrive enfin sur la zone des combats.
2. Alors que la division tourne à gauche pour frapper le flanc de Sedgwick, Sanders emmène par erreur une partie de sa brigade vers la droite.
3. Parallèlement, la brigade Semmes est envoyée couvrir l'artillerie de Stuart.
4. Attaqué par Gorman, Grigsby recule.
5. Semmes et Gorman se rencontrent et s'affrontent dans la ferme A. Poffenberger.
6. Submergées, les maigres forces qui couvrent la gauche de Sedgwick craquent et s'enfuient.
7. Emmenée par Barksdale, la division McLaws s'abat sur le flanc et les arrières de Sedgwick.
8. Gorman tente de se décaler vers la droite pour permettre au reste de la division Sedgwick de se déployer face à l'assaillant, mais un seul de ses régiments exécute son ordre.
9. Suite à une erreur de compréhension, Howard envoie sa brigade vers la droite, et non vers la gauche, comme le lui a ordonné Sumner.
10. Incapable de faire face à McLaws, la division Sedgwick s'écroule et s'enfuit vers le bois Nord.
Ceux de la brigade Goodrich – les 60ème et 78ème New York – ont été emportés par la déroute de la division Sedgwick, si bien que la situation demeure préoccupante pour Sumner. La fougue de l’attaque sudiste conduit ce dernier à surestimer largement l’ennemi, et il craint que toute la droite nordiste ne soit submergée. À son tour, il fait demander par sémaphore des renforts à McClellan, demande auquel le chef de l’armée du Potomac répond en faisant traverser l’Antietam à la dernière division du IIème Corps, ainsi qu’aux éléments disponibles du VIème Corps. Parallèlement, Sumner ordonne au XIIème Corps de charger l’ennemi, pour ralentir sa progression et couvrir la retraite de Sedgwick. La division Williams s’exécute à travers le champ de maïs Miller, mais les choses tournent mal. Déjà diminuée de plusieurs détachements, la brigade Crawford est rapidement entraînée par les soldats de Sedgwick en déroute, et Crawford lui-même est blessé à la cuisse droite en tentant de la rallier.
George H. Gordon, quant à lui, parvient à préserver la cohésion de ses forces, pourtant elles-mêmes déjà diminuées de deux régiments trop éprouvés et laissés en soutien de batteries. Toutefois, regrouper les trois autres prend du temps et lorsque sa brigade atteint la partie occidentale du champ de maïs, il n’y a plus rien à soutenir : la division Sedgwick s’est réfugiée dans le bois Nord et au-delà, où ses officiers tentent de regrouper leurs hommes avec l’aide de ce qui reste du Ier Corps. Son attaque n’en a pas moins le mérite de soulager la pression exercée sur les forces qui, autour de la brigade Patrick et des hommes de Sully, tiennent toujours les abords de la ferme Miller. Contraint de faire face, Barksdale laisse deux de ses régiments sur sa gauche et emmène les deux autres à la rencontre de G.H. Gordon. Avec l’aide de G.T. Anderson, il finit par le repousser et le poursuit à travers le champ de maïs, jusqu’à menacer les batteries avancées nordistes. Gordon ayant pris la tête de la division après la blessure de Crawford, il est remplacé par Thomas Ruger, qui est lui-même blessé dans l’action.
1. Le 19ème Massachusetts et le 1er Minnesota parviennent à former une ligne de défense dans le bois Ouest et stoppent la brigade Early.
2. Attaqués de nouveau par la brigade Armistead, les deux régiments se replient.
3. Ils se reforment sur la ligne tenue par la brigade Patrick.
4. La division Williams est envoyée soutenir la division Sedgwick en pleine retraite, mais la brigade Crawford est rapidement prise dans la déroute.
5. Pour faire face à la division Williams, Barksdale emmène une partie de sa brigade et celle de G.T. Anderson vers la droite.
6. Les Sudistes affrontent G.H. Gordon dans le champ de maïs et l'obligent à reculer.
7. Un ordre impromptu ramène G.T. Anderson en arrière, obligeant Barksdale à se retirer du champ de maïs.
8. Patrick et les trois régiments rescapés de la division Sedgwick repoussent deux assauts confédérés.
9. Ils sont finalement flanqués par deux batteries sudistes (non figurées sur la carte) et par la brigade Semmes.
10. Les Fédéraux se replient sur le bois Nord, tenu par les restes de la division Doubleday.
11. La brigade Semmes occupe la ferme Miller, dont elle se retirera vers 10h45.
Pendant ce temps, Patrick et Sully continuent à s’accrocher au muret qui borde la grange Miller et ses meules de foin, au milieu de rochers qui constituent autant de retranchements naturels. Les Nordistes repoussent une première attaque contre leur gauche, puis une seconde contre leur droite. Les pertes confédérées sont sévères, et Lewis Armistead est blessé à la tête de sa brigade. C’est finalement la brigade Semmes qui réussit à tourner la droite nordiste, avec l’appui de deux batteries que Stuart a audacieusement fait avancer jusque sur Nicodemus Hill. Prise en enfilade, la ligne nordiste est intenable, et les tuniques bleues doivent se replier jusqu’au bois Nord. Les Confédérés s’emparent de la ferme Miller et y font quelques dizaines de prisonniers. Il est approximativement 10 heures. La division Sedgwick a été intégralement chassée du bois Ouest et mise hors de combat, avec pertes et fracas, en une demi-heure à peine. Elle y a laissé la moitié de ses effectifs. Les Sudistes ne pousseront pas plus loin. Eux aussi étrillés, ils resteront environ trois quarts d’heure sur leur position, mais celle-ci est trop exposée à l’artillerie nordiste, et Lee les fera replier dans le bois Ouest pour les mettre à l’abri.
Combats pour une église
La manœuvre est judicieuse, car Kershaw est en train d’être renforcé par la petite division de J.G. Walker, avec les brigades de Robert Ransom à gauche et Van Manning à droite. Les rapports de ces unités sur la bataille étant fragmentaires, le déroulement précis de l’attaque demeure incertain. Il semble que Manning se soit déployé sur la droite de Kershaw et que Ransom soit demeuré en réserve derrière celui-ci. Les Sudistes chargent avec impétuosité la batterie qui coiffe la hauteur derrière laquelle s’abrite la division Greene. Les canons nordistes leur adressent une, puis deux charges de mitraille, mais ils continuent sur leur lancée et s’approchent à une trentaine de mètres, commençant à abattre les artilleurs. Ces derniers doivent s’abriter. Greene donne alors le signal de la riposte : ses deux brigades – Tyndale à droite, Stainrook à gauche – se lèvent, avancent de quelques mètres, et déchargent à bout portant une salve meurtrière.
1. Greene attaque sur l'ordre de Sumner mais se ravise aussitôt pour laisser venir les Confédérés.
2. La division J.G. Walker arrive en soutien de Kershaw.
3. Les Confédérés assaillent la hauteur tenue par Greene, mais sont repoussés par un feu nourri à bout portant.
4. La brigade Manning se désagrège : le 46ème Caroline du Nord rejoint les forces de Kershaw...
5. ... tandis que le colonel Cooke rallie le 27ème Caroline du Nord et le 3ème Arkansas...
6. ... et que le reste de la brigade s'enfuit.
Le feu nordiste est d’autant plus nourri que dans l’intervalle, les hommes de Greene ont pu être ravitaillés en munitions. Presque vides, les cartouchières – qui peuvent porter quarante coups – ont été remises à plein, ainsi que les poches, dans lesquelles les soldats ont fourré un surplus de vingt cartouches. Les Confédérés sont abattus en masse : « Si terrifiant était notre feu que l’ennemi tombait comme l’herbe sous la faux » écrira le major Orrin Crane, du 9ème régiment de l’Ohio. Dans la brigade Kershaw, le 7ème Caroline du Sud est décimé, les préposés au drapeau sont tous abattus, et le drapeau lui-même est perdu car sa hampe a été brisée par les balles. La brigade bat en retraite. Celle de Manning connaît un
Greene ne les poursuit pas dans cette direction. Dès que l’ennemi a craqué, sa division a mis baïonnette au canon et s’est mise à progresser vers l’ouest, en direction de l’église. Elle attaque bientôt la lisière du bois Ouest, où Kershaw tente de rallier ses hommes. Sa résistance sera brève, car il n’y trouve aucun soutien pour venir à son aide : il semble qu’à ce moment la brigade Ransom ait déjà été retirée pour une raison non spécifiée – peut-être envoyée vers la gauche pour venir en aide aux unités engagées autour de la ferme Miller. Greene s’empare ainsi de toute la partie orientale du bois Ouest, puis s’arrête, car sa progression l’a laissé excessivement avancé par rapport au reste des positions sudistes. Qui plus est, il a dû laisser une partie de ses forces en soutien des canons qui garnissent encore sa position précédente, et Sumner, toujours préoccupé par la situation globale de l’aile droite nordiste, n’autorise G.H. Gordon à lui envoyer des renforts qu’au compte-gouttes : le 13ème New Jersey, le 27ème Indiana, et pour finir la légion Purnell.
1. La division Greene passe à l'attaque et s'empare des abords de l'église Dunker.
2. Sumner lui envoie trois régiments en renforts.
3. Kershaw et les régiments qui l'ont rejoint se replient à l'ouest du bois.
4. Les deux brigades de la division Hood se déploient de manière à rassembler autant de fuyards que possible sur les arrières sudistes.
5. Le reste des forces sudistes engagées contre Sedgwick reculent pour se mettre sur la défensive.
Côté sudiste, on n’a plus guère de réserves à lancer en avant dans l’espoir de reprendre le terrain perdu. Les brigades qui ont combattu dans le bois Ouest et autour de la ferme Miller ont été très éprouvées et leurs effectifs ont fondu. Certaines sont à ce point éclaircies qu’elles ne permettent même pas de tenir un front continu. Seule celle de Ransom n’a, semble-t-il, pas été trop durement engagée, mais elle est insuffisante, à elle seule, pour monter une contre-attaque. Les Confédérés se contentent donc de tenir une ligne discontinue, orientée globalement vers l’est, en attendant d’hypothétiques renforts que l’arrivée future d’A.P. Hill, ou l’évolution de la situation dans les autres parties du champ de bataille, permettraient d’envoyer vers l’aile gauche de l’armée de Virginie septentrionale. En résumé, aucun des deux camps ne se sent en mesure de continuer ses attaques, de sorte qu’à partir de 10 heures 30, la situation dans ce secteur devient stable pour la première fois depuis cinq heures de temps.
Un chemin si tranquille
Un peu plus tôt, alors que les brigades de Colquitt, Ripley et McRae affrontent le XIIème Corps dans le champ de maïs et le bois Est, D.H. Hill envoie à leur soutien la brigade de Robert Rodes, constituée de cinq régiments de l’Alabama. Toutefois, lorsque Rodes entame sa marche vers le bois Est, les trois brigades susmentionnées sont déjà en pleine retraite, et il n’est rien qu’il puisse faire pour les secourir, excepté mettre en place une bonne position défensive sur laquelle les unités en déroute pourront se reformer. Or, Rodes a justement une telle position devant lui : il s’agit d’un modeste chemin vicinal, bordé de clôtures, qui court d’ouest en est – et fait donc face au nord – avant de s’infléchir légèrement vers l’est-sud-est, puis le sud – tout en marquant plusieurs zigzags. Ce chemin relie la route à péage de Hagerstown, qu’elle quitte au sud de l’église Dunker, à celle de Boonsboro, qu’elle rejoint à quelques encablures à l’est de Sharpsburg, face au pont médian.
Rodes s’y installe sans doute aux environs de 9 heures, envoyant ses tirailleurs en avant jusqu’à la ferme Roulette. Ses hommes commencent aussitôt à démanteler les barrières qui bordent le chemin pour en faire un talus improvisé. Alfred Colquitt parvient à rallier les restes de sa brigade sur sa gauche, prenant appui sur Bloody Lane. Avec l’arrivée en cours de la division R.H. Anderson, D.H. Hill peut même envisager de former là une ligne de défense continue. Il poste donc sa dernière brigade, commandée par George Burgwyn Anderson et qui comprend quatre régiments de Caroline du Nord, à droite de celle de Rodes. Dans le même temps, les éléments de la brigade Sanders qui ont suivi leur chef et se sont retrouvés séparés du reste de la division McLaws se sont placés sur la gauche de Colquitt, prolongeant la ligne de bataille sudiste jusqu’à la route de Hagerstown, au-delà de laquelle se regroupent les restes de la brigade Ripley. À peine quelques minutes plus tard, les combats pour Bloody Lane commencent. Ils vont durer près de quatre heures.
French bute sur Bloody Lane
Vers 9 heures 30, la division French se déploie, comme celle de Sedgwick, en trois lignes de batailles successives, et commence à gravir la pente qui mène au chemin creux. En tête, la brigade Weber chasse d’abord les piquets sudistes de la ferme Roulette, puis marche sur une batterie que les Confédérés ont déployée en avant de la brigade Rodes et l’oblige à se replier. Décrire les combats qui ont lieu ensuite demeure encore aujourd’hui un exercice difficile pour l’historien, car on est confronté au manque de sources. Le nombre élevé d’officiers supérieurs tués ou blessés a sensiblement perturbé la chaîne de commandement, et beaucoup d’entre eux n’ont pas écrit de rapport après la bataille. On ne dispose ainsi que d’un seul document de ce genre pour la brigade Weber, et dans le camp adverse, un unique rapport nous est resté pour toute la division R.H. Anderson. Préciser l’action de ces unités durant le combat n’est donc possible que de manière incertaine, en s’appuyant sur les mentions qui en sont faites dans d’autres unités, et ces sources indirectes sont parfois contradictoires.
Il est ainsi très difficile de déterminer à quel moment la division R.H. Anderson est arrivée en soutien des hommes de D.H. Hill. Le fait qu’elle suivait immédiatement celle de McLaws, engagée peu après 9 heures 30 dans le bois Ouest, laisse supposer qu’elle soit parvenue à la hauteur de Bloody Lane peu de temps après, au moment où l’attaque de French commençait ou dans les minutes qui suivirent. Certains récits confédérés, cependant, laissent entendre une entrée en action beaucoup plus tardive… mais celle-ci n’expliquerait pas pourquoi les officiers de la division French décrivent bel et bien deux lignes d’infanterie sudiste le long de Bloody Lane. Les seules brigades de Rodes et G.B. Anderson n’avaient sans doute pas assez de soldats pour doubler leur ligne sur une longueur de plus de 500 mètres, sachant qu’il faut compter quatre hommes au mètre pour former une ligne de bataille – et donc huit si on la double. Il est donc raisonnable de penser qu’au moment où Weber lance son attaque, une première brigade – sans doute celle de Roger Pryor – vient d’arriver pour se placer derrière Rodes. Par la suite Carnot Posey viendra faire de même avec G.B. Anderson, et Ambrose Wright prolongera la ligne sudiste vers la droite. Les deux autres brigades de R.H. Anderson, commandées par William Parham et Alfred Cumming, se placeront probablement en réserve.
L’incertitude est également renforcée par les grandes disparités des heures données – lorsqu’elles le sont. Une fois engagé au combat, le commandant d’une unité a généralement mieux à faire que de regarder sa montre, a fortiori de noter l’heure. Cette dernière est donc le plus souvent estimée, avec une assez grande marge d’erreur. D’autant que les progrès récents de la psychologie cognitive en général, et de la psychologie du combat en particulier, tendent à montrer qu’une personne, prise ou même engagée activement dans une fusillade – situation stressante s’il en est – se voit affectée de nombreux dysfonctionnements perceptifs et mémoriels. Ces effets incluent notamment une altération de la perception du temps, majoritairement dans le sens d’une surestimation des durées écoulées. Des confusions, omissions et trous de mémoire peuvent survenir, voire même, dans certains cas, des faux souvenirs. On comprend donc d’autant mieux les divergences qui peuvent apparaître d’une source à l’autre, et la difficulté qu’il peut y avoir à tenter de tirer de ces récits un déroulement clair des événements, un siècle et demi après les faits. L’exposé qui suit ne saurait donc avoir la prétention d’être exact, surtout pas à la minute près.
1. La division French vient se placer à gauche de la division Greene (non figurée sur la carte, mais engagée dans le bois Ouest autour de l'église Dunker), et repousse les tirailleurs sudistes qui tiennt la ferme Roulette.
2. La division R.H. Anderson arrive et se déploie derrière les forces de D.H. Hill qui tiennt le chemin creux.
3. Weber attaque Rodes mais le 5ème Maryland s'enfuit.
4. Le 14ème Connecticut monte en ligne pour colmater la brèche et renouveler l'attaque.
5. La brigade Morris avance mais tire dans le dos des hommes de Weber.
6. La brigade Weber lance au moins deux assauts infructueux.
La brigade Weber est accueillie par le feu concentré de Rodes et de ses soutiens dès qu’elle franchit la ligne de crête, mais elle continue à avancer jusqu’à une vingtaine de mètres de l’ennemi avant d’ouvrir le feu. Elle charge aussitôt, mais l’intensité du feu sudiste sème la confusion dans ses rangs. En son centre, le 5ème régiment du Maryland panique et
Ce plan, à l’évidence, n’a pas fonctionné comme prévu. Confronté à la brèche ouverte dans sa ligne par la fuite du 5ème Maryland, Andrews appelle de sa propre initiative Morris à son secours. Ce dernier lui envoie le 14ème Connecticut, que ses officiers sont parvenus à rallier. Le reste de la brigade Morris avance également, mais les deux régiments restants s’arrêtent juste en arrière de la ligne de crête et commencent à faire feu sur les positions confédérées de loin, tirant au passage dans le dos des hommes de Weber. Ceux-ci, après un premier moment de flottement, recommencent à avancer, sans pour autant parvenir à éjecter les Confédérés de leur position. Les récits des deux camps semblent s’accorder sur le fait que les forces d’Andrews – le 14ème Connecticut et les deux régiments restants de la brigade Weber, soit les 1er Delaware et 4ème New York – ont ainsi lancé deux assauts, peut-être trois. Elles souffrent terriblement de la fusillade, le lieutenant-colonel Sanford Perkins, du 14ème Connecticut, rapportant que « Notre drapeau est criblé par les balles et les obus, et sa hampe est brisée. » Pourtant, malgré quelques fléchissements passagers, les Nordistes réussissent à chaque fois à se ressaisir, maintenant la pression sur leurs adversaires.
Contre-attaques désordonnées
Face à l’acharnement d’Andrews et de ses soldats, les Sudistes ne restent pas inactifs. Rodes, en premier lieu, tente d’abord de tirer parti de la confusion que le retrait du 5ème Maryland et la blessure de Weber ont provoquée dans les rangs fédéraux. Il s’efforce d’organiser une contre-attaque pour déborder la droite des lignes nordistes, qui ne s’étendent pas jusqu’à la route à péage de Hagerstown. Rodes peine cependant à obtenir du soutien. À sa gauche, Colquitt ne s’avance pas assez, se contentant semble-t-il de couvrir le flanc de la brigade Rodes avec une ligne de tirailleurs. Sur sa droite, le 6ème régiment de l’Alabama, commandé par John Brown Gordon – que D.H. Hill surnomme « le chevalier Bayard de l’armée » en raison de sa propension à faire étalage de sa bravoure sous le feu ennemi – n’a pas reçu son ordre d’attaquer. Enfin, la brigade Pryor, derrière lui, ne l’a pas suivi.
Il y a une bonne raison à cela. Quelques minutes après avoir signifié à D.H. Hill qu’il mettait sa division à sa disposition, R.H. Anderson est atteint à la cuisse par un éclat d’obus et doit être évacué. L’officier suivant dans la chaîne de commandement étant justement Pryor, il paraît vraisemblable que ce dernier n’est pas avec sa brigade au moment de l’attaque de Rodes, étant allé prendre le commandement de la division. Le colonel John Hately, qui lui succède à la tête de la brigade, n’a probablement pas reçu de consignes autres que celles de soutenir les défenseurs de Bloody Lane. Faute de support, donc, et confronté à l’avancée du 14ème Connecticut, Rodes doit bientôt interrompre sa manœuvre et revenir sur sa position de départ, suivi de près par Andrews. Ce sont même les Alabamiens qui se retrouvent momentanément en difficulté, car leur chef a du mal à les faire rester dans le chemin creux et doit s’employer pour les empêcher de reculer davantage. Il y parviendra.
À sa droite, G.B. Anderson va lui aussi tenter de flanquer la division French, cette fois par la gauche. Mais cette tentative n’est pas coordonnée à celle de Rodes, comme si G.B. Anderson menait une bataille, et Rodes une autre. Jusque-là, la brigade de Caroline du Nord a été peu engagée, si ce n’est à distance par la gauche de Weber et, derrière lui, la brigade Morris. Son chef la lance en avant alors que, selon toute vraisemblance, Rodes a déjà été rejeté sur sa position initiale. French la contre aussitôt en envoyant à sa rencontre la brigade Kimball. Les deux unités s’affrontent de part et d’autre d’un petit ravin, quasiment perpendiculaire à Bloody Lane, dans lequel court le chemin qui mène à la ferme Roulette. Kimball coupe court à une tentative pour déborder sa gauche en étendant ses lignes dans cette direction. Là aussi, une fusillade sans merci a lieu a parfois quelques mètres de distance seulement. Après la bataille, en examinant leur drapeau, les hommes de 8ème Ohio, un des régiments de Kimball, y trouveront pas moins de dix-sept impacts de balles. Le 132ème Pennsylvanie, pour sa part, perd son colonel au bout de quelques minutes, et laissera dans l’affrontement la moitié de ses hommes. Sumner comparera plus tard la solidité de la brigade Kimball au Rocher de Gibraltar, ce qui lui vaudra le surnom de Gibraltar Brigade.
1. Rodes lance une contre-attaque contre Weber.
2. Colquitt le soutient faiblement en déployant des tirailleurs sur sa gauche.
3. Le 6ème Alabama n'attaque pas et Pryor ne soutient pas Rodes.
4. La brigade Weber se décale vers la droite pour faire face à l'attaque de Rodes.
5. Sans soutien, Rodes doit se replier.
6. Pendant ce temps, le reste de la brigade Morris a été ramenée en arrière.
7. G.B. Anderson lance à son tour une attaque, cette fois contre la gauche de French.
8. French y pare en engageant la brigade Kimball.
9. G.B. Anderson est blessé et sa brigade recule.
10. Kimball poursuit les Sudistes et attaque Bloody Lane à son tour.
11. La brigade G.B. Anderson lance une nouvelle contre-attaque mais celle-ci tourne court à l'approche de renforts nordistes.
La charge des Irlandais
La brigade Meagher comprend quatre régiments, dont trois de l’État de New York – 63ème, 69ème et 88ème – sont effectivement constitués d’immigrants irlandais, contrairement au quatrième, attaché temporairement à la brigade, le 29ème Massachusetts. Les soldats nordistes sont gênés dans leur progression par une barrière, 300 mètres en avant de Bloody Lane, où des tireurs sudistes isolés leur causent des pertes. Une fois l’obstacle passé, les Fédéraux avancent jusqu’à cinquante mètres des lignes confédérées. Malgré l’épreuve qui les attend, leur moral reste au zénith. Meagher : « En arrivant à ce contact proche et fatal avec l’ennemi, les officiers et soldats de la brigade brandirent leurs épées et leurs képis, en poussant les hourrahs les plus enthousiastes pour leur général, George B. McClellan, et pour l’armée du Potomac ». Le chef de l’Irish Brigade lui ordonne de mettre baïonnette au canon, puis de tirer deux salves avant de charger.
Vacillante pendant quelques minutes, la brigade réussit à se regrouper autour du 29ème Massachusetts et surtout du 88ème New York. Ce dernier gagnera l’admiration de Richardson qui leur lancera « Bravo, le 88ème, je ne vous oublierai jamais », déclenchant l’enthousiasme dans ses rangs pourtant dramatiquement éclaircis. Les Nordistes continuent alors à échanger salve sur salve avec leurs adversaires, subissant des pertes énormes. L’Irish Brigade perdra à Antietam 540 hommes dont 113 tués, soit près de 60% de son effectif initial. Les soldats nordistes passent ainsi près d’une heure exposés au feu ennemi. Dans de telles conditions, porter un objet aussi voyant et facile à ajuster qu’un drapeau devient l’assurance d’une réduction drastique de son espérance de vie. Le 63ème New York voit ainsi seize hommes se succéder à la garde de son étendard, tous étant abattus au bout de quelques minutes, voire de quelques secondes. Pourtant, les Fédéraux tiennent bon, ramassant – comme les autres combattants depuis le début de la bataille – les cartouches des morts et des blessés pour continuer à tirer.
1. French consolide sa droite en mélangeant des éléments des brigades Weber et Morris.
2. La division Richardson entre en action, repoussant les tirailleurs confédérés devant elle.
3. La brigade Meagher attaque la première.
4. Elle reçoit le soutien d'une partie de la brigade Kimball.
5. Le 29ème Massachusetts stoppe prématurément son avance, disloquant la brigade.
6. Resté sans soutien, le 88ème New York doit interrompre sa charge.
7. La brigade Meagher se ressaisit et maintient la pression, prenant notamment en enfilade la droite de Rodes.
En dépit de la meilleure position des Confédérés, le feu nordiste n’est pas dénué d’efficacité. Le problème est particulièrement aigu à la jonction des brigades Rodes et G.B. Anderson, car Bloody Lane y forme un virage. La brigade Meagher affrontant les hommes de G.B. Anderson sur une ligne parallèle à la leur, ce qui signifie que la position tenue
Dans les minutes qui suivent, l’officier sudiste est encore frappé plus haut sur la même jambe, puis au bras et à l’épaule gauche. Finalement, un dernier projectile lui fracasse le visage, entrant par la joue gauche et sortant par la mâchoire. Tombé face contre terre, il ne doit qu’à son képi, préalablement troué par une autre balle, de ne pas se noyer dans son propre sang, qui s’écoule par l’orifice ainsi ménagé. Le colonel sudiste survivra – et mènera une brillante carrière militaire jusqu’à la fin du conflit – mais restera défiguré. Pratiquement aucun de ses portraits photographiques ultérieurs ne montrera son profil gauche, les rares clichés pris de trois-quarts face laissant deviner une spectaculaire cicatrice sur la joue où l’avait frappé la balle nordiste. Ses soldats, pourtant, résisteront à cette fusillade, dont l’intensité finit par décroître. Même en fouillant les cadavres, les hommes de Meagher commencent à manquer de cartouches. Ils sont engagés depuis près d’une heure et n’ont reçu aucune aide de la part du reste de la division. Informé de la situation, Richardson ordonne qu’ils soient relevés par la brigade Caldwell, et que l’attaque contre la droite rebelle soit renouvelée.
Chronologie d’un tournant
Jusque-là, la brigade Caldwell est restée étrangement inactive. Déployée à gauche et légèrement en retrait de celle de Meagher, sur une ligne parallèle à la sienne, elle est pourtant idéalement placée pour menacer la droite sudiste et tenter de la tourner. Elle n’en fait rien, se contentant d’échanger des coups de feu avec des tireurs avancés ennemis pendant que l’Irish Brigade attaque seule la position confédérée. Son inaction est tellement surprenante que Richardson finit par s’impatienter. Une rumeur court sur le champ de bataille, selon laquelle Caldwell serait parti en arrière « se cacher derrière une meule de foin ». Le fait demeure encore incertain aujourd’hui. Dans son rapport sur la bataille, Caldwell décrit l’action de sa brigade comme s’il avait été présent du début à la fin, mais se fait beaucoup plus détaillé à partir d’un moment précis – alors que la brigade est déjà engagée depuis un certain temps. Du reste, l’examen minutieux des différents récits sur la brigade Caldwell montre qu’à l’évidence, ses actions ont dû bien davantage aux initiatives de certains de ses officiers plutôt qu’aux ordres de Caldwell. On peut raisonnablement penser que Caldwell a été absent au début de l’engagement, pour une cause indéterminée n’ayant pas forcément de rapport avec la rumeur ayant couru sur son compte, avant de rejoindre son unité plus tard.
Toujours est-il que, sans doute vers 11 heures 45, la brigade de Caldwell relève celle de Meagher par une manœuvre impeccable : la première se décale vers la droite en conservant son déploiement et vient se placer en arrière de la seconde, qui décroche alors, compagnie après compagnie, « comme à la parade » – pour reprendre l’expression employée par un témoin oculaire. Aussitôt après, les troupes fraîches de l’Union avancent et ouvrent le feu à leur tour. Le récit de la bataille devient alors complexe, car les événements, dans les minutes qui suivent, s’accélèrent dramatiquement – non seulement sur Bloody Lane, mais également dans le bois Ouest. La situation va évoluer de minute en minute, et situer dans le temps une action par rapport à une autre devient pratiquement impossible. Les divergences des témoignages sont parfois grandes, le général Greene situant par exemple beaucoup plus tard la reprise des combats autour de l’église Dunker, aux alentours de 13 heures 30. Néanmoins, la majorité des rapports concordent pour affirmer que les deux actions à venir ont été simultanées et livrées autour de midi. C’est, du reste, plus cohérent avec les durées indiquées par Greene, qui affirme avoir tenu les environs de l’église pendant « près de deux heures ». Or, on est à peu près certain qu’il s’en était emparé peu après 10 heures.
1. J.G. Walker attaque Greene avec le soutien de Barksdale et Early.
2. Pris en enfilade, le 111ème Pennsylvanie craque le premier.
3. La brèche ainsi créée provoque la retraite de toute la division Greene.
4. Ayant épuisé leurs munitions, les batteries avancées nordistes se replient également avec leurs soutiens.
5. Les Nordistes se retirent vers le bois Est, tandis que leurs ennemis menacent la droite de French.
En cette fin de matinée, James Longstreet est très inquiet de la situation générale des lignes confédérées. Celles-ci sont très étirées en raison de la présence de Greene autour de l’église Dunker, et le général sudiste craint que la position avancée des Fédéraux dans ce secteur ne leur permette d’ouvrir une brèche au cas où ils recevraient des renforts. N’ayant aucune profondeur, le dispositif confédéré serait à coup sûr irrémédiablement enfoncé. Longstreet décide donc de prendre les devants, bien qu’il n’ait aucune troupe fraîche à laquelle confier cette mission. À défaut, il charge la division J.G. Walker, à présent suffisamment réorganisée, de déloger Greene du bois Ouest. La brigade Ransom, qui a été assez peu
Leur tâche va être facilitée par le déploiement même de la division Greene. Très avancées et privées de soutien d’infanterie comme d’artillerie, ses deux brigades forment toujours un chevron pour éviter d’être flanquées, et forment pratiquement un angle droit. Celle de Stainrook fait face au sud et se trouve en partie à découvert, celle de Tyndale à l’ouest, en plein milieu du bois. Cet angle constitue un point vulnérable s’il est convenablement assailli, car les deux unités ne peuvent correctement se soutenir l’une l’autre. Constamment harcelés par les tireurs confédérés qui s’abritent derrière les rochers du bois Ouest ou les ajustent depuis les hauteurs au sud, les soldats nordistes sont à présent assaillis en force. Pendant que Ransom frappe Tyndale de front, les régiments combinés de Hall et Cooke attaquent à la jonction des deux brigades nordistes. Dans le même temps, Barksdale déborde la droite de la division fédérale. Très rapidement, les deux ailes de la brigade Tyndale craquent : la droite recule et sur la gauche, le 28ème Pennsylvanie se débande, entraînant dans sa fuite le 111ème régiment du même État qui forme la droite de Stainrook. Tyndale est grièvement blessé à la tête et à l’abdomen, et la division Greene doit abandonner complètement sa position.
Menace sur le flanc nordiste
Le « cri des rebelles » retentit une fois de plus alors que les soldats fédéraux refluent du bois Ouest, au-delà de l’église Dunker. Les Confédérés assaillent alors la hauteur située à l’est de cette dernière, où les canons du capitaine John Tompkins et le 102ème New York tentent de les ralentir en les accablant de plomb. Mais les caissons à munitions sont vides. La batterie Tompkins a tiré ses 1.050 projectiles de tous types en trois heures seulement, ce qui implique un feu quasiment continu durant ce laps de temps – 175 coups par pièce en 180 minutes. Après la bataille, ses canons Parrott de 10 livres seront à ce point ruinés par cet usage intensif qu’ils devront être mis au rebut, la batterie recevant des pièces neuves – des canons de 3 pouces. Toujours est-il que faute de munitions pour continuer à se battre, les artilleurs nordistes doivent évacuer la place, laissant sur le terrain dix-neuf hommes et dix chevaux tués ou blessés. Naturellement, le 102ème New York, qui les soutenait, ne s’attarde pas non plus, seul face à la marée grise.
Bien que n’ayant pas démérité – elle a été une des unités nordistes les plus longuement engagées au cours de la bataille – compte tenu de l’inexpérience de la majorité de ses soldats, la division Greene est cette fois hors de combat pour de bon. Elle se réfugie, plus ou moins en bon ordre, sous la protection d’autres batteries situées au-delà de la ferme Mumma et en lisière du bois Est. Le résultat de l’attaque sudiste dépasse toutes les espérances de Longstreet. Non seulement la menace Greene est éliminée, mais ce sont à présent les lignes nordistes qui présentent une brèche conséquente. Emportés par leur élan, les hommes de J.G. Walker et leurs soutiens, auxquels se joint la brigade Sanders, s’y engouffrent avec enthousiasme, menaçant de déboucher sur les arrières de la division French déjà engagée sur Bloody Lane. Alors que les éléments de pointe des Confédérés approchent dangereusement de la ferme Roulette, c’est tout le centre nordiste qui voit sa situation compromise.
1. Continuant sur sa lancée, J.G. Walker menace de prendre à revers la division French.
2. French envoie l'aile droite de la brigade Kimball pour protéger sa droite.
3. Le colonel Frank emmène deux régiments, auxquels Richardson en ajoute un troisième, pour contrer la progression sudiste vers la ferme Roulette.
4. La brigade Sanders soutient J.G. Walker sur sa droite.
5. French envoie également des éléments de la brigade Morris vers la ferme Roulette.
6. Les Nordistes réussissent à refouler les assaillants.
7. Parallèlement, la brigade Irwin flanque Barksdale et Early et les oblige à reculer.
8. La brigade Brooks est envoyée complètement sur la droite, empêchant W.F. Smith d'exploiter le succès d'Irwin.
9. Irwin doit stopper sa progression au niveau de la hauteur qui domine l'église Dunker.
Bataille pour un chemin, querelles d’historiens
Malheureusement, Carter manque d’hommes pour servir toutes ses pièces, tant et si bien que Longstreet doit lui envoyer ses aides de camp pour l’aider dans cette tâche pendant que lui-même tient leurs chevaux par la bride. Connaissant la propension de Longstreet à se mettre en avant, l’anecdote, qu’il rapporte dans ses mémoires, aurait pu être apocryphe, mais elle est corroborée par d’autres récits, de surcroît contemporains des événements. Cela ne l’empêchera pas d’attribuer à cette action – et à celle du 27ème Caroline du Nord, dont les dernières salves font vaciller momentanément les Nordistes – tout le mérite d’avoir stoppé la progression d’Irwin, ce qui n’est au mieux, comme on l’a vu, qu’une vision partielle – et, dans ce cas précis, partiale – de la réalité. C’est, du reste, une constante dans les rapports d’officiers, ces derniers justifiant plus volontiers le repli de leur unité par le manque de munitions ou l’absence de soutien que par l’action directe de l’ennemi. Dans un camp comme dans l’autre, ce genre d’euphémisme est, dira-t-on sans mauvais jeu de mots, de bonne guerre.
Cette dernière vision des événements est basée principalement sur le rapport de D.H. Hill, lui-même reposant en substance sur celui de Robert Rodes. Alors que la division J.G. Walker est engagée autour de la ferme Roulette, Rodes est atteint par des éclats d’obus. Craignant d’être sérieusement touché, il se retire pour se faire soigner, mais l’examen de ses blessures révèle qu’elles sont en réalité superficielles. Dans l’intervalle, le lieutenant-colonel James Lightfoot, qui a succédé à John B. Gordon à la tête du 6ème Alabama, est confronté de nouveau à un tir d’enfilade meurtrier qui vient de sa droite. En l’absence de son supérieur direct, ce jeune officier d’à peine 23 ans sollicite de D.H. Hill l’autorisation de faire manœuvrer son régiment de manière ce qu’il fasse front dans la direction d’où proviennent les tirs, et l’obtient. Toutefois, l’ordre transmis aux soldats par les officiers a été compris par erreur « face about » – « demi-tour » – et le régiment commence à reculer au lieu de simplement se replacer. Interpellé par ce mouvement inattendu, un officier d’un régiment voisin demande alors à Lightfoot si l’ordre est valable pour toute la brigade, et ce dernier – peut-être occupé à donner des contrordres pour rectifier le placement de ses troupes – répond par l’affirmative, si bien que toute la brigade se met à décrocher. Lorsque Rodes revient auprès de ses hommes, le retrait s’est transformé en déroute et il n’y a plus rien qui puisse être fait pour ramener la brigade sur sa position initiale.
1. La division Hood, envoyée se positionner autour de l'église Dunker, prend la brigade Irwin en enfilade.
2. Servie par l'état-major de Longstreet, la batterie Carter concentre son feu sur Irwin.
3. Le 27ème Caroline du Nord contre-attaque avec ses dernières cartouches. Accablée et sans soutien, la brigade Irwin se met sur la défensive.
4. Pendant ce temps, la brigade Caldwell attaque Bloody Lane.
5. La brigade Wright, la plus exposée, craque la première.
6. Son repli entraîne celui d'une partie de la brigade G.B. Anderson, qui craint d'être débordée.
7. Ce recul permet à Barlow de positionner ses deux régiments de manière à prendre le reste de la ligne confédérée en enfilade.
8. Pour y faire face, le 6ème Alabama manoeuvre, mais l'ordre est mal compris et toute la brigade Rodes recule.
9. La deuxième ligne sudistes tente d'enrayer la retraite, mais elle est emportée à son tour dans la débâcle.
10. Des unités éparses de la division French appuient l'attaque de Caldwell.
11. La position confédérée sur Bloody Lane s'effondre, entraînant avec elles les réserves sudistes. Les éléments confédérés qui n'ont pas fui se rendent aux Nordistes.
Dès lors, il devient possible de déterminer un enchaînement plausible aux événements. Sa droite moins protégée martelée par le feu nordiste, Wright est blessé et ses hommes commencent à reculer. Leur repli découvre la droite de G.B. Anderson ce qui affecte autant leur position que leur moral. En effet, le capitaine Andrew Griffith, du 14ème Caroline du Nord, rapporte avoir dû battre en retraite sur l’information que l’ennemi était passé dans le dos des Confédérés. La brigade G.B. Anderson commence alors à s’effondrer, de manière inégale car certains détachements – notamment sur la droite de la brigade – continuent à résister. La brigade Caldwell est prompte à exploiter cette situation, profitant des brèches ainsi ouvertes. Le colonel Francis Barlow, qui exerce le commandement combiné de deux régiments de l’État de New York – le 61ème et le 64ème – et dirige de ce fait l’aile droite de la brigade nordiste, fait manœuvrer ses hommes de sa propre initiative, de manière à prendre en enfilade la position ennemie. L’effet de son feu concentré est quasi immédiat, transformant Bloody Lane en piège mortel. Frappant latéralement, les balles qui manquent leur cible ricochent sur les talus du chemin creux et font mouche en deuxième intention, fracassant qui une jambe, qui une cheville, qui un pied sudistes. C’est sans doute en voulant faire face à cette tempête de plomb que Lightfoot a commis sa bévue.
Autre champ de maïs, autre carnage
Des éléments des brigades Pryor et Posey sont lancés en avant pour colmater les brèches dans la ligne sudiste, mais ils ne tiennent pas plus de quelques minutes face aux Nordistes qui les fusillent à bout portant, et à la peur plus ou moins déraisonnable d’être tournés – rien n’indique en effet qu’à ce moment, les hommes de Caldwell soient déjà en train de poursuivre la brigade Wright en fuite. La panique et la confusion s’installent, le retrait inopiné de la brigade Rodes ne faisant qu’aggraver la situation. Les groupes de soldats sudistes qui tentent de résister se font massacrer, à tel point que Barlow finit par ordonner à ses deux régiments de cesser le feu pendant que son second, le lieutenant-colonel Nelson Miles – sans parenté avec le vaincu d’Harper’s Ferry – somme les Confédérés de se rendre. Ces derniers obtempèrent, laissant Barlow maître de Bloody Lane. Les Nordistes feront à cette occasion 400 prisonniers et s’empareront de deux drapeaux – maigres consolations symboliques aux lourdes pertes qu’ils subissent. Leur prestation d’Antietam vaudra à Barlow et à Miles de poursuivre tous les deux une brillante carrière d’officiers, mais pour eux, la journée n’est pas encore terminée.
De son côté, D.H. Hill a bien tenté de renverser la vapeur en jetant dans la bataille ses dernières réserves – les brigades de William Parham et Alfred Cumming – mais elles ont vite été noyées dans le flot des soldats déconfits qui refluent à travers les terres de la ferme Piper et sont incapables d’opposer une résistance sérieuse. Pour ne rien arranger, ses officiers tombent les uns après les autres. Cumming est blessé, de même que John Hately qui avait remplacé Roger Pryor à la tête de sa brigade, et Robert H. Jones qui avait pris la succession de Wright. Il est approximativement 12 heures 30 et l’évidence s’impose : le centre confédéré est en passe d’être complètement enfoncé. Le seul espoir de D.H. Hill réside dans la capacité de ses officiers et serre-files à rallier au moins une partie de leurs forces le long du chemin qui mène de la route à péage de Hagerstown à la ferme Piper, où un petit mur de pierres offre une bonne protection. Le général sudiste peut toutefois compter sur la brigade Sanders, qui s’accroche à sa position le long de la route de Hagerstown, et sur la batterie Miller, que le bataillon de la Washington Artillery vient de lui envoyer en soutien rapproché.
1. Les régiments de la division French qui accompagnent Caldwell s'arrêtent, laissant vulnérable la droite des Nordistes.
2. La brigade Sanders réussit à maintenir sa cohésion, tenant à distance les régiments de la brigade Brooke que commande le colonel Frank.
3. Alors que la résistance sudiste se ressaisit, le 7ème New York panique momentanément avant d'être rallié par Caldwell.
4. D.H. Hill tente d'exploiter la situation en flanquant les Nordistes avec les restes de la brigade Rodes.
5. Le colonel Barlow déjoue son attaque, l'obligeant à se retirer.
6. Richardson engage le reste de la brigade Brooke pour colmater la brèche que la manoeuvre de Barlow a ouverte dans la ligne nordiste.
7. Une tentative sudiste pour flanquer la gauche nordiste est prise de vitesse par le colonel Cross avec deux régiments.
8. D.H. Hill rassemble ses dernières forces dans une attaque frontale dans le verger Piper, mais Barlow fait face avec le soutien de Brooke.
9. Peut-être échaudé par les multiples contre-attaques ennemies, Richardson ordonne à ses forces de reculer sur une position plus sûre. Il est mortellement blessé peu après.
L’action de Barlow ayant ouvert une brèche dans la ligne nordiste, Richardson, qui suit toujours de près la progression de sa division, s’empresse d’y envoyer ses dernières réserves, en l’occurrence les 57ème et 66ème New York, de la brigade Brooke. Alors que les Nordistes sont en passe de sortir du champ de maïs, leurs ennemis déclenchent une nouvelle contre-attaque destinée à les flanquer, cette fois par la gauche. Les forces sudistes, qui comprennent notamment des survivants des brigades G.B. Anderson et McRae, progressent au pas de course vers une élévation située au coin sud-est du champ de maïs Piper. Là encore, c’est l’initiative d’un officier nordiste qui va les prendre de court. Le colonel Edward Cross, qui commande le 5ème New Hampshire et tient la gauche de la brigade Caldwell, détecte le mouvement ennemi et réagit aussitôt. Entraînant avec eux le 81ème Pennsylvanie, Cross et ses hommes prennent les Confédérés de vitesse et atteignent le mamelon avant eux. Les Sudistes sont contraints de se replier, mais pas avant d’avoir vainement tenté par deux fois de prendre d’assaut la position tant convoitée. La brigade G.B. Anderson perd à cette occasion un nouveau commandant, Risden Bennett étant sonné par le souffle d’un obus nordiste.
Percée sans lendemain
Les contre-attaques énergiques mais désespérées développées par D.H. Hill sur les flancs de Caldwell ne sont pourtant pas vaines. Elles permettent au général confédéré de gagner le temps nécessaire pour organiser un nouveau contre, cette fois en plein centre. La brigade de G.T. Anderson, que Longstreet est parvenu à lui envoyer, la mènera avec l’aide des hommes de Sanders et les restes de la brigade Pryor. Les Sudistes chargent à travers le verger Piper où s’est déployée la batterie Miller, dont les pièces de bronze vomissent des doubles charges de mitraille. Malgré la fatigue et le danger, les soldats en gris continuent à se battre avec férocité. Ils n’en sont pas moins soumis à un besoin physiologique impérieux, compte tenu de l’heure et des combats épuisants qu’ils livrent : manger. D.H. Hill s’en fera le témoin : « En chargeant les Yankees à travers un verger de pommiers, même face à la perspective immédiate de la mort devant eux, je remarquai des hommes dévorant avidement des pommes. »
Face à cette nouvelle menace, Barlow et ses hommes changent à nouveau d’orientation. Accablés de mitraille, ils s’abritent comme ils le peuvent derrière les arbres fruitiers. Barlow lui-même est atteint par un petit éclat au visage et une balle de mitraille au bas-ventre. Alors que Miles le remplace, ses hommes tiennent bon. Richardson, qui n’a reçu jusque-là aucun soutien rapproché d’artillerie et en réclame frénétiquement depuis un long moment, finit par en obtenir avec la batterie du capitaine William Graham. Cette dernière se met en place sur une position exposée, mais parvient à concentrer son feu, avec celui d’autres unités nordistes, sur la batterie confédérée. Celle-ci finit par être réduite au silence, le feu nordiste faisant même exploser un de ses caissons à munitions – un événement suffisamment spectaculaire pour être remarqué sur une bonne partie du champ de bataille, à tel point que sa destruction sera revendiquée par plusieurs batteries nordistes. Ainsi privée de soutien, l’attaque sudiste finit par être repoussée. Rien ne semble empêcher les Fédéraux de s’emparer des bâtiments de la ferme Piper, dont ils s’approchent déjà, et où s’accrochent les restes durement étrillés du centre confédéré.
1. La division Richardson assume une nouvelle position près de Bloody Lane. L'Irish Brigade relève les hommes de Caldwell tandis que W.S. Hancock reprend la division en main.
2. Pour dissuader les Nordistes de lancer une nouvelle attaque, D.H. Hill, qui possède un avantage local en artillerie, maintient la pression à distance.
3. Pour contrebattre les batteries sudistes, McClellan ordonne à Pleasonton de faire traverser le pont médian à son artillerie à cheval, sous la protection de ses cavaliers.
4. Les batteries nordistes sont menacées par l'avancée des tirailleurs sudistes.
5. Pour contrer la menace, Porter envoie à Pleasonton des détachements de fantassins réguliers de la division Sykes, qui prennent l'avantage.
L’autre champ de bataille
Pour comprendre par quel cheminement les événements en sont arrivés là dans la partie méridionale du champ de bataille, il est nécessaire de remonter quelques heures en arrière. Comme sur la droite nordiste, l’aube ne fut pas de tout repos pour les combattants des deux camps. Les premières lueurs du jour ont, là aussi, permis aux tireurs d’élite et aux canons de donner de la voix. Les fantassins nordistes, massés sur la rive orientale en prévision de l’attaque à venir, en souffrent le plus, certaines unités étant contraintes de changer de position pour se mettre à l’abri. Ces péripéties s’ajoutent à des conditions déjà difficiles, pour des hommes ayant dormi comme ils l’ont pu dans une nuit fraîche et humide. Ici comme ailleurs, les officiers ont interdit de faire du feu, et le réveil est aussi maussade que brutal. David L. Thompson, soldat au sein du 9ème régiment de New York, une unité surnommée « zouaves de Hawkins » et qui porte encore l’uniforme coloré qui lui a valu son surnom, racontera comment, le besoin de caféine s’avérant trop impérieux, lui et ses camarades en viendront à mélanger café moulu et sucre en poudre pour les consommer tels quels.
La grande majorité des témoins, civils, militaires, amis ou ennemis, qui ont pu observer les soldats sudistes au cours de la campagne du Maryland, se sont demandé comment des hommes à l’apparence souvent décrite comme miséreuse, ont pu livrer un engagement aussi brutal que la bataille d’Antietam sans que celle-ci ne débouche sur l’anéantissement de leur armée. Les combattants confédérés sont non seulement émaciés et affamés, mais ils sont également, pour la plupart, en haillons. Alexander Hunter décrit ce qu’il portait ce jour-là : « Mon costume se composait d’un pantalon élimé, une veste sale et tachée, un vieux chapeau rond dont le rebord était épinglé par une simple épine, une couverture salie par-dessus mon épaule, un havresac graisseux rempli de pommes et de maïs, une cartouchière pleine et un fusil. J’étais pieds nus et j’avais des ampoules aux deux pieds. » Comme ses camarades, il est aussi infesté de vermine et doit épouiller quotidiennement ses hardes, opération qui ne lui apporte qu’un répit de courte durée.
Fort de quatre divisions comprenant chacune deux brigades, le IXème Corps souffre néanmoins d’une certaine confusion dans son organisation. La raison en est Burnside lui-même. Bien que McClellan ait abandonné la veille le système des « grandes divisions » expérimenté durant la marche depuis Washington et la bataille de South Mountain, Burnside refuse d’entériner ce changement. Le général aux favoris se considère toujours comme le chef de toute l’aile droite de l’armée du Potomac, alors même que le IIème Corps n’est plus sous ses ordres et que le IXème se trouve à présent tout à gauche du déploiement nordiste. Vexé, Burnside, au lieu de les donner directement, transmet ses ordres pour le IXème Corps à Jacob Cox, qui avait succédé à Jesse Reno après sa mort à South Mountain. Toute la chaîne de commandement se trouve ainsi décalée : Eliakim Scammon se retrouve à la tête de la division Kanawha à la place de Cox, et Hugh Ewing remplace Scammon au commandement de sa brigade. Du moins est-ce là théorique, car certains officiers ne sont pas au courant ou affectent de ne pas l’être. De l’aveu même de Cox, cette situation sera génératrice de désordre, nombre d’officiers nordistes ne sachant pas précisément qui commande quoi.
Sur le papier au moins, ces forces paraissent en mesure de balayer la maigre opposition qui lui fait face. On l’a vu, la principale position confédérée dans ce secteur se trouve sur les collines au sud de Sharpsburg. Le pont inférieur et les gués ne sont couverts que par des éléments avancés, d’autant plus réduits une fois que la brigade G.T. Anderson, puis la division J.G. Walker auront été transférées vers la gauche au cours de la matinée. Le pont n’est tenu que par deux régiments détachés de la brigade de Robert Toombs, les 2ème et 20ème Géorgie. Ils sont commandés par le colonel Henry Benning, Toombs étant demeuré en retrait avec le reste de la brigade. En tout, Benning a moins de 400 hommes. La veille, il a cherché à renforcer sa position en faisant creuser à ses hommes des tranchées sommaires. Des épaulements ont été édifiés avec les rondins d’une clôture, démontée à cette fin. Le tout présente l’avantage indéniable d’être bien dissimulé par la végétation qui couvre les rives de l’Antietam. En outre, la pente escarpée où se trouvent les hommes de Benning leur donne l’avantage de la hauteur, leur permettant de commander le pont et ses approches. Sur leur droite, le 50ème Géorgie a été prélevé sur la brigade Drayton pour couvrir les gués situés en aval, avec le renfort d’une batterie – deux autres étant placées face au pont inférieur.
Le pont de Burnside
En dépit des avantages dont bénéficient les défenseurs, bien peu auraient imaginé que la petite force sudiste allait parvenir à tenir en respect tout un corps d’armée pendant trois heures. Après la bataille, d’interminables controverses, surtout dans le camp nordiste, allaient être livrées pour déterminer les responsabilités de chacun dans ce retard. En dépit des estimations erronées de McClellan à propos des effectifs ennemis, il devint vite évident aux yeux de tous que si le IXème Corps était parvenu à s’emparer du pont inférieur plus tôt, et avait exploité ce succès en même temps qu’avaient lieu les attaques de l’aile droite nordiste plutôt qu’après elles, l’issue de la bataille en aurait été radicalement changée. Burnside affirmera n’avoir reçu l’ordre d’attaquer le pont inférieur qu’à 10 heures, alors que McClellan rapportera pour sa part avoir donné cet ordre dès 8 heures. Il est probable qu’aucun des deux ne dise la stricte vérité. Dans son rapport préliminaire, rédigé dans les jours qui ont suivi la bataille, McClellan ne souffle mot de l’incident. C’est seulement dans son rapport définitif, publié en août 1863, qu’il en fait état.
Or, sa situation personnelle a, entre temps, profondément changé. Little Mac a été relevé du commandement de l’armée du Potomac en novembre 1862, pour être remplacé précisément par… Ambrose Burnside. Ce dernier a lui-même été limogé depuis, mais McClellan, près d’un an après la bataille d’Antietam, est déjà considéré par beaucoup comme le futur candidat du parti démocrate à l’élection présidentielle de 1864. Il a donc tout intérêt, pour sa prometteuse carrière politique, à rejeter sur autrui – en l’occurrence Burnside – la responsabilité de n’avoir pu remporter à Antietam une victoire décisive sur la Confédération. C’est Jacob Cox, un peu plus neutre dans cette affaire, qui nous renseigne le mieux sur ces horaires contradictoires. Selon lui, McClellan aurait donné dès 7 heures, l’ordre non pas de s’emparer du pont inférieur, mais de se tenir prêt à l’attaquer. Le signal de l’assaut proprement dit n’est venu qu’à 9 heures. Il est toutefois à peu près certain que l’attaque proprement dite n’a commencé qu’une heure plus tard. Ce fait tend à corroborer l’affirmation de McClellan, confirmée par les comptes-rendus du corps des transmissions, que l’ordre a dû être répété une première fois, par sémaphore, puis une seconde – McClellan chargeant alors l’inspecteur-général de l’armée, Delos Sackett, de le remettre en mains propres à Burnside et de rester avec lui pour s’assurer de sa prompte exécution.
Le principal problème des Nordistes est la configuration du terrain à traverser pour atteindre le pont. La rive orientale est aussi escarpée que ne l’est celle qu’occupent les Confédérés, ce qui rend difficile de s’approcher directement du pont tout en conservant une cohésion suffisante. Passer par la route n’est pas forcément une meilleure solution : avant d’atteindre le pont, elle longe la rivière sur plus de 250 mètres, contraignant un assaillant qui arriverait par ce côté-ci à exposer son flanc gauche aux tirs ennemis durant toute la marche d’approche. À 10 heures 30, Burnside tente d’abord une approche frontale en faisant avancer, cette fois en force, la brigade Crook. Cette dernière peine à maintenir sa formation en ligne de bataille à cause du relief. Désorganisée, elle offre une cible encore meilleure que le 11ème Connecticut aux fantassins géorgiens de Benning. Crook n’atteint même pas les abords du pont et doit se replier jusqu’au sommet du coteau, d’où ses hommes maintiennent leur feu, à distance, contre l’autre rive.
1. Le 11ème Connecticut subit de lourdes pertes en sondant les défenses sudistes.
2. La brigade Crook ne parvient pas à s'approcher du pont.
3. Deux régiments de la brigade Nagle lancent des assauts répétés contre le pont, en vain.
4. La division Rodman ne parvient pas à franchir le gué par où elle devait prendre pied sur l'autre rive, et doit en chercher un autre plus en aval.
5. La brigade Crook parvient à amener un canon à prximité immédiate du pont pour soutenir la prochaine attaque nordiste.
6. Deux régiments de la brigade Ferrero réussisssent à franchir le pont inférieur.
7. Dans le même temps, la division Rodman commence à franchir l'Antietam au gué Snavely.
8. Face aux hommes de Rodman, le 50ème Géorgie se retire.
9. Les deux régiments de Benning se replient à leur tour et rejoignent le reste de la brigade Toombs, tandis que la division Sturgis s'installent sur les hauteurs qui dominent le pont.
Burnside se décide alors à faire entrer en jeu sa force principale, la division Sturgis. C’est la brigade Nagle qui reçoit l’ordre de s’emparer du pont. Cette fois, l’attaque empruntera la route, mais l’étroitesse de celle-ci ne permet d’y faire passer que deux régiments à la fois. Pour éviter un embouteillage mortel, Nagle sélectionne le 2ème Maryland et le 6ème New Hampshire pour monter à l’assaut, tandis que le reste de la brigade les soutiendra depuis les hauteurs. Les deux unités chargent au pas de course et baïonnette au canon, mais leur flanc gauche découvert s’avère fatal aux efforts des Fédéraux. À partir de 11 heures, les hommes de Nagle vont tenter malgré tout de s’emparer du pont inférieur, vraisemblablement à trois reprises. Nagle lui-même ne précise pas le nombre de ses tentatives, parlant seulement « d’assauts renouvelés », mais les sources sudistes, pour leur part, s’accordent sur le fait d’avoir repoussé cinq assauts distincts. Si l’on estime que le 11ème Connecticut a fourni le premier et la brigade Crook le second, on en conclut que la brigade Nagle en a mené trois – ou peut-être seulement deux si les Confédérés estiment avoir repoussé aussi l’attaque menée ultérieurement par la brigade Ferrero, ce qui est, ici comme ailleurs, une question de point de vue.
Pause inattendue
Les officiers confédérés concernés, à commencer par Toombs et Benning, ont donné leur propre version de ces deux événements : pour eux, c’est l’épuisement de leurs munitions, et l’irruption de Rodman sur leur droite, qui les a obligés à abandonner le pont, et non l’assaut de la brigade Ferrero. Quoi qu’il en soit, les deux régiments de Benning reculent en bon ordre tandis que le 50ème Géorgie rejoint la brigade Drayton. Toombs fait alors sa jonction avec Benning sur une position située dans un vaste champ de maïs, toujours avancée par rapport à la ligne principale qu’occupe la division D.R. Jones. Pendant ce temps, Sturgis et Rodman se rejoignent sur les collines qui surplombent l’Antietam. Ils y sont immédiatement soumis à un feu violent de l’artillerie sudiste, notamment de batteries du bataillon Washington, positionnées juste à la sortie de Sharpsburg. Sturgis : « Trop faibles pour avancer, nous pouvions seulement nous mettre à couvert et attendre des renforts, et ici nos troupes montrèrent leur héroïsme peut-être plus encore qu’auparavant, car l’ennemi ouvrit le feu à mitraille, obus et boulets, et les vecteurs de la destruction tombèrent comme la grêle au milieu d’elles, tuant et blessant en grand nombre et nous couvrant de poussière, et pourtant pas un homme ne quitta sa place si ce n’est pour évacuer un camarade blessé. »
Si l’idée d’attendre la traversée de l’intégralité du IXème Corps pour frapper l’ennemi en force était louable, le délai nécessaire pour y parvenir allait s’avérer capital en regard de l’issue de la bataille. Certes, la division Sturgis était trop éprouvée pour continuer à avancer immédiatement, et elle avait tiré la plupart de ses cartouches. Mais la division Rodman n’avait été que légèrement engagée, et celle de Willcox était entièrement fraîche. Moyennant une attente plus courte, ces deux unités auraient pu poursuivre l’attaque, avec des chances raisonnables de repousser la division D.R. Jones, très étirée, et de prendre à revers le reste de l’armée confédérée sans rencontrer d’autre opposition. Une victoire décisive pour l’Union aurait alors pu être remportée… Mais les choses ne se sont pas passées ainsi, et de toute manière, ce ne sont pas les spéculations a posteriori qui font l’histoire. D’autant que le résultat de la bataille d’Antietam sera malgré tout décisif à bien des égards.
Ce bombardement est d’ailleurs si meurtrier que les hommes de la division J.G. Walker, les plus exposés, reçoivent à deux reprises l’ordre de se tenir prêts à les charger, avant d’être rappelés à la dernière minute. Dans le camp nordiste aussi, on hésite à relancer l’offensive dans ce secteur. En début d’après-midi, la seconde division du VIème Corps, celle d’Henry Slocum, franchit l’Antietam à son tour par le pont supérieur. Franklin et Sumner s’opposent aussitôt sur l’usage qui doit être fait de ces troupes fraîches. Le commandant du IIème Corps souhaite envoyer immédiatement une de ses brigades vers sa droite, qu’il juge toujours excessivement faible. Franklin, pour sa part, veut envoyer la division Slocum à l’attaque contre l’église Dunker et le bois Ouest, utilisant les brigades de John Newton et Alfred Torbert en premier échelon et celle de Joseph Bartlett en réserve. Les deux généraux finissent par demander à McClellan de trancher la question. Le général en chef nordiste donne raison à Sumner : il ne souhaite pas gâcher les progrès déjà effectués depuis l’aube, et risquer de perdre le terrain conquis, en lançant inconsidérément à l’attaque de précieuses réserves. La division Slocum ne sera pas engagée.
La marche sur Sharpsburg
À 15 heures, le IXème Corps est enfin prêt à reprendre sa marche victorieuse contre Sharpsburg. Laissant en réserve la division Sturgis, Burnside a fait monter en ligne celle d’Orlando Willcox, qui formera la droite du corps d’armée, la brigade Christ à droite de la route qui monte du pont inférieur vers la ville, et celle de Welsh à gauche. En arrière, la brigade Crook leur servira de soutien. Rodman constituera, comme précédemment, la gauche. Gardant Ewing en deuxième échelon, il avancera avec les brigades Fairchild à droite et Harland à gauche. Burnside pourra compter sur le soutien partiel, le long de la route à péage de Boonsboro, du Vème Corps. Porter, en effet, est en train de faire traverser l’Antietam à deux batteries supplémentaires par le pont médian, dans le but de relever celles de l’artillerie à cheval. Elles sont accompagnées par quatre nouveaux bataillons de l’infanterie régulière, détachés de la division Sykes. Ces unités, toutefois, n’ont pas vocation à participer directement à l’attaque.
Côté sudiste, on s’apprête à faire face à cette nouvelle action avec les moyens du bord. La brigade indépendante d’Evans, qui soutient les batteries affrontant l’artillerie nordiste autour du pont médian, est déployée entre la ferme Piper et la route de Boonsboro. La division D.R. Jones prolonge sa ligne, avec en premier lieu la brigade de Richard Garnett, également en soutien de batteries, qui se tient immédiatement à l’est de Sharpsburg. Viennent ensuite les hommes de Joseph Walker, qui se tiennent de part et d’autre de la route venant du pont inférieur ; celle-ci remonte le long d’un profond ravin, lui-même creusé par un ruisseau. Plus au sud, de l’autre côté d’un verger, les brigades de Thomas Drayton et James Kemper forment la position principale, au sommet d’une colline. Plus au sud encore, en avant et à droite de Kemper, s’est positionné Toombs, qui a été renforcé par un régiment isolé – le 11ème Géorgie, détaché de la brigade G.T. Anderson. C’est une ligne bien mince, mais qui n’est plus tout à fait seule. À 14 heures 30, au grand soulagement de Lee, on a annoncé au quartier général de l’armée de Virginie septentrionale que la division A.P. Hill venait de franchir le Potomac. Elle est aussitôt envoyée vers la droite.
1. D.H. Hill renforce la brigade Evans, restée pratiquement seule pour défendre le centre sudiste, par la brigade G.T. Anderson.
2. S'y joignent des groupes de traînards ralliés et commandés par Colquitt et Iverson, le tout formant une division ad hoc aux ordres d'Evans.
3. Les tirailleurs nordistes - l'infanterie régulière de la division Sykes - menacent les batteries confédérées placées à l'est de Sharpsburg.
4. Evans les refoule avec trois régiments confiés au colonel Stevens.
5. Stevens prend une position défensive avancée près de la ferme Sherrick.
6. Lorsque Burnside lance le IXème Corps en avant à 15 heures, Stevens est rapidement flanqué par la brigade Christ.
7. Pendant que la légion Holcombe et le 17ème Caroline du Sud se replient vers le nord, le 1er Géorgie recule vers l'ouest et s'appuie sur le moulin Newcomer.
8. Dès que Stevens est attaqué, les brigades Garnett et Joseph Walker se portent à son secours pour contenir l'attaque nordiste.
Ces diverses unités forment une division ad hoc dont le commandement est confié à Evans. Les renforts envoyés par D.H. Hill lui permettent de faire avancer le reste de sa brigade, désormais dirigée par le colonel Peter Stevens, contre les tirailleurs nordistes. Les deux régiments de Caroline du Sud – le 17ème d’infanterie et la légion Holcombe – se voient adjoindre le 1er Géorgie, détaché de la brigade G.T. Anderson. Attaquant droit devant eux, les soldats sudistes réussissent à refouler leurs adversaires, franchissent la route de Boonsboro, et les poursuivent au-delà d’un champ de maïs situé à l’est de Sharpsburg, qui s’étire entre ladite route et celle qui mène au pont inférieur. Ce champ est flanqué d’un petit verger à sa lisière sud. Les soldats de Stevens finissent par s’arrêter en faisant face au pont médian. Quelques minutes plus tard, ils sont attaqués sur leur droite par la brigade Christ, et rejetés sur leur position de départ, Stevens récoltant une blessure au passage. Garnett et Joseph Walker avancent aussitôt pour s’interposer. Burnside a entamé sa marche vers Sharpsburg.
La droite sudiste en danger
Malgré le feu de contre-batterie des Fédéraux, l’artillerie sudiste fait tout son possible pour entraver la progression du IXème Corps. À court de munitions, le bataillon Washington a été relevé par celui de Stephen D. Lee. De son côté, Robert E. Lee a ordonné au général Pendleton de rassembler autant de canons à longue portée que possible, pour les déployer le long de la route de Harper’s Ferry. La brigade Fairchild est la plus exposée aux projectiles sudistes, avec plusieurs centaines de mètres de terrain découvert à franchir avant d’atteindre la position tenue par Kemper et Drayton. Progressant par bonds, au pas de course, elle marque une pause dans une première dépression, puis une seconde. Elle n’est reste pas moins exposée aux obus ennemis. Allongé comme ses camarades du 9ème New York, David L. Thompson regarde un de ses officiers placé derrière lui quand un shrapnel explose non loin de là : « Pendant que je le regardai, je vis passer entre lui et moi un manteau, plié et sanglé, volant et roulant jusque dans les fourrés. Un des obus à mitraille ennemis avait ouvert un sillon dans le crâne d’un jeune camarade et arraché son manteau de ses épaules. » Sous le feu, les minutes paraissent des heures. Thompson poursuit : « Un moment plus tard, j’entendis un homme maudire un camarade qui pesait un peu trop sur lui. Il maudissait un homme mort. »
La progression reprend bientôt. On doit à David L. Thompson un des témoignages les plus significatifs sur l’expérience du combat durant la guerre de Sécession : « Nous entendîmes durant toute la guerre que l’armée "brûlait du désir" de marcher à l’ennemi. Ce devait être vrai, car des correspondants de guerre fiables l’ont dit, et des rédacteurs en chef l’ont confirmé. Mais quand vous cherchiez qui souffrait de cette singulière démangeaison, c’était toujours ceux du régiment d’à côté qui l’avaient. La vérité, c’est que lorsque les balles s’enfoncent dans les troncs d’arbres et que les boulets brisent les crânes comme des coquilles d’œuf, le désir qui brûle dans le cœur de tout homme est de se trouver ailleurs. Entre la peur physique d’avancer et la peur morale de reculer, on se trouve exposé à un dilemme exceptionnellement embarrassant, auquel un trou dissimulé dans le sol fournirait une solution merveilleusement opportune. » Les combats livrés au sud de Sharpsburg ne seront pas moins acharnés que ceux ayant fait rage un peu plus tôt dans le champ de maïs Miller, près de l’église Dunker ou autour de Bloody Lane. Des affrontements d’une violence rare, faisant appel à des mécanismes primaires dépassant de loin les ressorts idéologiques traditionnels. Ici, plus de défense de sa patrie, de ses droits, ou même simplement de sa famille. Mus par la peur de passer pour des lâches, de faire défauts à leurs camarades, David L. Thompson et ses compagnons avancent.
Mus par les mêmes craintes, Alexander Hunter et les autres soldats de la brigade Kemper tiennent leur position. Eux aussi subissent le terrible feu de l’artillerie nordiste. « Durant le bombardement un obus explosa pas plus de dix pieds au-dessus de l’endroit où se tenait [le] 17ème, à plat ventre, et réduisit littéralement le pauvre Appich, de la compagnie E, en morceaux, le mutilant affreusement, et éclaboussant de sang tous ceux que se trouvaient autour. Le corps eut un sursaut, puis resta immobile. Un autre obus tomba en hurlant là où nous étions et explosa, et deux hommes de plus furent évacués ; mais à aucun moment la ligne ne bougea ou n’émit le moindre son. » L’épreuve dure un quart d’heure, puis un silence irréel s’installe. Alors que la brigade Fairchild approche, il s’installe une tension palpable dont Alexander Hunter rendra compte : « Les visages des hommes sont pâles, leurs traits figés, leurs cœurs palpitants, leurs muscles raides comme l’acier. Les officiers crient sur un ton de basse "Debout, les gars ! Debout ! Ils arrivent, tenez-vous prêts !" Le cliquetis des chiens de fusils qu’on arme court le long de la ligne, un bruit empreint de solennité – car lorsque vous l’entendez, vous savez que l’instant suprême est arrivé. »
1. Les observateurs nordistes repèrent les premiers éléments de la division A.P. Hill en train d'arriver de Harper's Ferry, mais Burnside néglige de couvrir sa gauche en conséquence.
2. Christ et les deux régiments réguliers de Buchanan affrontent les brigades Joseph Walker et Garnett, mais la progression lente de Welsh sur leur gauche les dissuade d'attaquer plus franchement.
3. Relativement inexpérimentée, la brigade Harland se disloque rapidement et lance des attaques décousues que Toombs tient facilement à distance.
4. Cette situation créée une brèche entre Harland et Fairchild, poussant Rodman à la combler avec le 8ème Connecticut.
5. La brigade Fairchild prend d'assaut la position tenue par Drayton et Kemper.
6. Les deux brigades sudistes réussissent à former une nouvelle ligne de défense sur la route de Harper's Ferry.
7. Libérée de la menace que représentait Drayton sur sa gauche, la brigade Welsh peut flanquer la position tenue par les hommes de Joseph Walker, entraînant la retraite de tout le dispositif sudiste dans ce secteur.
8. La brigade Garnett se réfugie dans les rues de Sharpsburg.
9. En se retirant, Joseph Walker positionne sa brigade perpendiculairement à sa ligne précédente, de manière à prendre Welsh en enfilade pendant qu'il progresse vers Sharpsburg.
La seule partie de la ligne nordiste où l’avancée des Fédéraux ne semble pas irrésistible est celle, la plus à gauche, où la brigade Harland fait face aux Géorgiens de Robert Toombs. Déjà amputée du 11ème Connecticut, trop durement étrillé lors de sa tentative matinale contre le pont inférieur et resté sur la rive orientale de l’Antietam, l’unité nordiste se trouve réduite à trois régiments dont deux, le 16ème Connecticut à droite et le 4ème Rhode Island à gauche, participent à leur première grande bataille. Or, ce sont justement ces deux unités qui forment la première ligne de la brigade, Harland ayant gardé en réserve le 8ème Connecticut, plus aguerri. Pour ne rien arranger, des retards dans l’exécution des ordres donnés par Harland ont disloqué la brigade, et les deux régiments de tête sont incapables de se soutenir mutuellement. Le 16ème Connecticut lance une première attaque, que les tirailleurs sudistes réussissent à tenir à distance. Cette situation ouvre une brèche entre la brigade Harland et celle de Fairchild, qui a progressé beaucoup plus vite – ne serait-ce que parce que les unités sudistes qui lui font face sont placées plus loin en arrière.
Arrivée salvatrice
Pour maintenir la cohésion de ses lignes, Rodman a dû affaiblir encore la brigade Harland en lui prenant le 8ème Connecticut. Ce dernier rejoint rapidement la brigade Fairchild, sur sa gauche, mais dans le même temps Harland n’a pas progressé davantage, de sorte que Rodman est cette fois contraint de faire intervenir la brigade Ewing au pas de course. Il est 15 heures 40, et dans le grand champ de maïs, les choses vont s’accélérer. En effet, Toombs est en train d’être relevé par la première brigade de la division A.P. Hill, celle de Maxcy Gregg. Toutefois, l’opération n’est pas encore achevée lorsque Toombs reçoit l’ordre expresse de se replier pour aller se placer à droite de Kemper, sur la route de Harper’s Ferry. Il s’agit de soutenir une des batteries de la division d’A.P. Hill, celle du capitaine David McIntosh. Quelques minutes plus tard, Toombs apprend que McIntosh s’est imprudemment avancé pour se déployer au plus prêt du 8ème Connecticut en train de progresser. Sans soutien, les artilleurs sudistes ont été chassés de leurs pièces. Encore 200 mètres à faire, et les Nordistes, non seulement s’empareront des canons, mais atteindront la route de Harper’s Ferry – coupant à l’armée de Virginie septentrionale sa seule voie de retraite.
C’est le régiment des South Carolina Rifles – les Fusiliers de Caroline du Sud. Les soldats du 4ème Rhode Island sont victimes de la même méprise, mais eux ne la réalisent que lorsque les Sudistes sont passés sur leur gauche et commencent à les flanquer. L’unité nordiste tente de manœuvrer pour faire face, mais de nombreux officiers sont abattus, ce qui sème le désordre dans les rangs. Pris sous un tir croisé, assaillis par un ennemi qu’ils ne voient pas, les Nordistes inexpérimentés reculent, entraînant avec eux le 16ème Connecticut dans une retraite qui tourne vite à la panique, et les deux unités s’enfuient à toutes jambes jusque derrière l’Antietam. Lorsque le lieutenant-colonel Joseph Curtis cherchera à les rallier un peu plus tard, il ne trouvera que sept hommes sur la rive occidentale, qui avaient spontanément rejoint le 51ème Pennsylvanie de la brigade Ferrero.
La brigade Ewing tente de résister en s’appuyant sur un muret en pierres, mais dans la confusion qui suit la blessure de Rodman, une partie des ordres se perdent. Il en va de même dans le camp sudiste : quand Archer ordonne à sa brigade de charger avec celle de Branch, un seul de ses régiments le suit, le reste croyant à un ordre de… repli ! Malgré cela, les hommes d’Ewing sont rapidement submergés et doivent reculer, aussitôt imités par ceux de Fairchild, serrés de près par les brigades Drayton, Kemper et Toombs. Par un destin étrangement symétrique avec son vis-à-vis confédéré Alexander Hunter, le soldat nordiste David L. Thompson est fait prisonnier alors qu’il est isolé de son régiment, ayant porté secours à des blessés. L’intervention de la brigade Crook, que Burnside envoie à la rencontre des nouveaux arrivants, permet d’éviter que la retraite nordiste ne se transforme en déroute. Crook est finalement repoussé lui aussi, mais il a gagné de précieuses minutes. Celles-ci permettent à la division Sturgis – Ferrero à gauche, Nagle à droite – de s’interposer. Sturgis met sur pied une ligne de défense solide sur les hauteurs qui surplombent le pont inférieur, sur laquelle les Confédérés viennent finalement buter avec de sérieuses pertes.
1. La brigade Gregg commence à relever les hommes de Toombs.
2. La batterie McIntosh s'installe sur une position trop avancée.
3. Elle est menacée par le 8ème Connecticut, qui oblige ses servants à reculer.
4. Ramenée en arrière pour se ravitailler en munitions, la brigade Toombs fait volte-face pour sauver la batterie McIntosh, donnant le signal de la contre-attaque.
5. Engagés par la brigade Harland, deux des régiments de la brigade Gregg sont flanqués et commencent à reculer.
6. Ils sont secourus par l'arrivée d'un troisième, qui flanque à son tour les hommes de Harland.
7. La brigade Harland déroute, laissant exposé tout le flanc gauche des Nordistes.
8. La brigade Branch attaque le flanc de la brigade Ewing.
9. La brigade Archer l'accompagne mais un seul de ses régiments a compris correctement l'ordre de son chef.
10. Ewing tente de faire face mais n'y parvient pas. Il bat en retraite à son tour.
11. Kemper et Drayton accompagnent Toombs dans sa contre-attaque, obligeant Fairchild, qui n'est plus soutenu sur sa gauche, à reculer aussi.
12. La brigade Welsh approche des premières maisons de Sharpsburg, mais sa progression est prise en enfilade par la brigade de Joseph Walker et privée de soutien par la déroute de la division Rodman. Welsh doit se replier à son tour.
13. Par effet d'entraînement, Christ, déjà contenu par l'artillerie sudiste, recule en voyant Welsh faire de même.
14. les 2ème et 10ème régiments d'infanterie régulière menacent les canons confédérés mais, pris sous le feu de leur propre artillerie et laissés sans soutien, ils interrompent leur attaque.
15. La brigade Crook intervient face à la contre-attaque sudiste et gagne de précieuses minutes avant de céder du terrain.
16. Son action permet à la division Sturgis de former une nouvelle ligne de défense, grâce à laquelle les Nordistes tiendront la tête de pont jusqu'à la nuit.
17. A.P. Hill envoie la brigade Pender en flanc-garde vers le gué Snavely...
18. ... et garde la brigade Brockenbrough en réserve, mettant un terme à l'affrontement.
Celui-ci a tenté de reformer sa brigade à l’entrée de Sharpsburg, mais la rue principale est battue par l’artillerie nordiste et Garnett a dû faire replier ses hommes encore plus en arrière, jusqu’à l’abri sommaire fourni par les rues transversales et les maisons de la bourgade. Il n’y a donc plus, pour couvrir la gauche de Joseph Walker, que les artilleurs de Stephen D. Lee. Ces derniers parviennent malgré tout à tenir la brigade Christ en respect en l’accablant de mitraille. Toutefois, les soldats des 2ème et 10ème régiments d’infanterie régulière, emportés par leur élan, continuent à progresser en direction de la ville, alors qu’ils sont censés se limiter à la couverture des batteries déployées autour du pont médian. Ils commencent à abattre les artilleurs sudistes, les obligeant à abandonner la plus avancée de leurs batteries. Les réguliers sont alors prêts à s’en emparer, mais c’est sans doute vers ce moment que les hommes de Christ se replient. La division Rodman enfoncée, Burnside a en effet rappelé celle de Willcox, avec l’ordre de tenir coûte que coûte le pont inférieur et ses abords. N’ayant plus de soutien, et devant prendre garde aux obus nordistes qui tombent trop court devant eux, les réguliers reculent aussi, jusqu’à leur ligne principale. Il est 16 heures passées, l’attaque de Burnside est repoussée, et la droite sudiste est sauvée.
Les derniers feux
La bataille d’Antietam, cependant, n’est pas encore terminée. Vers le milieu de l’après-midi – probablement autour de 16 heures – le colonel Irwin, excédé par les entreprises des tireurs confédérés qui maintiennent sa brigade sous pression, décide de s’en débarrasser. Il ordonne au 7ème régiment du Maine, qui se tient tout à gauche de ses lignes, d’aller chasser l’ennemi de la position qu’il a réoccupée, autour des bâtiments de la ferme Piper. Son chef, un jeune major de 21 ans du nom de Thomas Hyde, croit d’abord qu’il s’agit d’une simple action de tirailleurs, et détache une de ses compagnies à cet effet. Il est stupéfait lorsque son supérieur vient lui ordonner en personne d’engager son régiment dans son intégralité. L’instruction paraît si incongrue que Hyde la fait répéter, mais Irwin la lui confirme sèchement. L’affaire toute entière ressemble à une redite de la fameuse « charge de la brigade légère », un épisode de la guerre de Crimée – en 1854 – où la cavalerie britannique s’était fait massacrer par l’infanterie et l’artillerie russes, dans une attaque aussi glorieuse qu’absurde. Hyde, toutefois, n’a guère d’autre choix que de s’exécuter, et le 7ème Maine entame son attaque insensée.
Irwin n’a sans doute pas tardé à réaliser la portée de son ordre : envoyer en avant un unique régiment, sans soutien d’aucune sorte, dangereusement près de la ligne principale de l’ennemi. Il demande à un des régiments de la division French, placé immédiatement sur sa gauche, d’aller appuyer Hyde, mais son commandant refuse de s’exécuter sans un ordre exprès de son supérieur direct. Irwin observe avec anxiété le 7ème Maine traverser Bloody Lane. Chassant les tireurs ennemis des abords de la ferme Piper, les Nordistes continuent à avancer jusqu’à ce qu’une unité sudiste surgisse de derrière un mur de pierre qui longe la route à péage de Hagerstown, et tente de passer dans son dos. Pour y parer, Hyde doit changer de direction et se replier sur la colline située dans la partie nord du verger Piper. Là, les forces sudistes, dont les restes des brigades Posey, Pryor et G.T. Anderson, ne tardent pas à converger sur lui et l’assaillent sur trois côtés. Le jeune officier n’a bientôt plus d’autre choix que de se replier. Il est aidé en cela par Hancock, qui envoie à son soutien la seule batterie avancée dont il dispose.
1. Irwin envoie le régiment refouler les tirailleurs sudistes qui harcèlent sa brigade depuis les abords de la ferme Piper, au-delà de Bloody Lane.
2. Après avoir rempli sa mission Hyde est assailli de flanc par une force sudiste.
3. Il fait front et recule dans le verger Piper, où il affronte les restes de trois brigades confédérées.
4. Le soutien de l'artillerie de Hancock, qui commande désormais la division Richardson, lui permet de se dégager.
5. Le 7ème Maine regagne sa position de départ.
Hyde réussira finalement à ramener le 7ème Maine à sa position de départ – au grand soulagement d’Irwin, qui ne tarira pas d’éloges sur son jeune subordonné dans son rapport sur l’incident. Cette attaque – guère utile au demeurant – d’une demi-heure n’en aura pas moins coûté cher au régiment, qui y laisse 98 hommes sur 191. L’action de Hyde lui vaudra de recevoir, près de trente ans plus tard, la plus haute décoration militaire des États-Unis – la Médaille d’honneur du Congrès. On notera que D.H. Hill rapportera l’incident de manière fort différente, comparant l’attaque du 7ème Maine à une « farce ». Pour lui, les Nordistes ont été bêtement pris par surprise et se sont enfuis sans demander leur reste : « Un cri et une salve les informèrent de ce dangereux voisinage. La peur chez le Yankee est aiguë ; l’information fut vite comprise, et fut suivie par la fuite la plus rapide qu’il m’ait été donné de voir. » Connaissant le parti-pris de D.H. Hill en la matière, il est difficile de considérer sa relation comme pertinente. Il n’en reste pas moins que son humour cassant, combiné à une plume acerbe et à son irrépressible mauvaise foi dès qu’il s’agit des Nordistes, en fait un des généraux dont les rapports sont souvent les plus amusants à lire.
De l’autre côté du champ de bataille, face à la tête de pont tenue par les Nordistes, les attaques confédérées faiblissent. La brigade de Robert Toombs cherche à poursuivre sa progression, mais de plus en plus prudemment, car son chef craint de revenir à portée des batteries lourdes ennemies, restées sur l’autre rive de l’Antietam. Après s’être emparé d’une clôture, il fait mettre ses hommes sur la défensive. Quoi qu’on pense du personnage, il est indéniable que sa prestation à Antietam a été excellente. Obstiné, faisant preuve d’initiative, bien aidé par Benning et par ses soldats, le général politique de Géorgie a été décisif à plusieurs reprises, que ce soit devant le pont inférieur, dans le grand champ de maïs, ou le long de la route de Harper’s Ferry – à cent lieues de son indiscipline des Sept Jours. Toombs, du reste, en aura pleinement conscience. Arguant de ses états de service à Sharpsburg – le nom donné à la bataille d’Antietam par les Confédérés – il demandera à être promu au commandement d’une division. Ses espoirs seront rapidement déçus, mais Toombs retombera aisément sur ses pattes : démissionnant de l’armée, il reprendra sa carrière politique avec l’espoir d’y faire fructifier ses exploits militaires.
« Les morts étaient nombreux. Un groupe de quatre types en bleu reposait ensemble là où ils étaient tombés – tous tués par l’explosion du même obus. Un des Géorgiens gisait face contre terre, le corps presque coupé en deux, comme s’il s’était fait rouler dessus par un train ; un boulet de canon l’avait atteint à la taille. Un autre de la brigade Toombs avait été abattu alors qu’il était en train de mettre en joue ; un œil était ouvert, tandis que l’autre était fermé, et un de ses bras était étendu comme s’il tenait encore son fusil, qui gisait à terre à côté de lui. La mort avait été soudaine, instantanée et indolore. L’arme avait servi ; une contraction spasmodique des doigts avait sans doute pressé la détente et libéré le projectile entravé. »
L’aube des morts
Dans un camp comme dans l’autre, les généraux sont prêts à en découdre à nouveau, échafaudant des plans d’attaque pour parvenir au résultat décisif – qui, malgré les immenses sacrifices consentis par leurs soldats la veille, s’est refusé à eux. McClellan avait initialement décidé de reprendre l’offensive dès le lendemain matin, suivant une suggestion de Franklin qui se propose d’emmener le VIème Corps à l’assaut de Nicodemus Hill. Mais il s’est finalement ravisé durant la nuit, préférant attendre les divisions de Darius Couch (IVème Corps) et Andrew Humphreys (Vème Corps) avant d’entreprendre de nouvelles opérations offensives. Ces deux unités n’arriveront finalement qu’assez tard dans la matinée – ce qui créera semble-t-il une vive controverse entre Humphreys, Porter et McClellan par la suite – et ne seront pas engagées : les Fédéraux n’attaqueront pas lors de la journée du 18. Le commandement nordiste en profite néanmoins pour renforcer le IXème Corps de Burnside avec une autre division du Vème Corps, celle de George Morell, mais une mauvaise compréhension des ordres fait croire à Burnside qu’il vient le relever au lieu de le renforcer, ce qui l’incite à replier son corps d’armée derrière l’Antietam. En dépit de cela, McClellan décide de relancer la bataille pour le lendemain, 19 septembre.
Devant l’absence de combats le 18 septembre, des trêves informelles, parfois entrecoupées d’accrochages entre tirailleurs, voient le jour pour secourir les blessés et enterrer les morts. Le travail ne manque pas. En un seul jour, 3.654 hommes ont été tués et 17.292 autres blessés. Nordistes et Sudistes confondus, davantage d’Américains sont morts le 17 septembre 1862 à Antietam que durant n’importe quelle autre journée depuis que les États-Unis ont vu le jour. Le nombre des tués de la bataille est à comparer aux 2.402 morts de l’attaque japonaise contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941, ou aux 2.996 victimes des attentats du 11 septembre 2001. Si l’on y ajoute les disparus et les prisonniers, les pertes totales de la journée avoisinent les 23.000 hommes : les deux armées se sont littéralement saignées à blanc, avec un professionnalisme et une obstination qui feront pâlir les observateurs européens, jusque-là sceptiques sur l’intensité réelle du conflit et les qualités martiales des combattants de la guerre de Sécession.
La bataille d’Antietam, une fois terminée, va générer une série d’ondes de choc à bien des égards. La première va frapper le public, surtout nordiste, en lui jetant en pleine face les horreurs de la guerre. L’armée du Potomac, en effet, a été accompagnée dans sa campagne du Maryland par le photographe Alexander Gardner. Ce dernier est équipé d’un laboratoire ambulant où il peut, le soir venu, développer les clichés pris durant la journée. Les précieuses photographies partent ensuite vers les rédactions de tout le Nord, où elles sont reproduites et publiées. Telles quelles. Lorsque Gardner peut visiter le champ de bataille en toute quiétude, les Nordistes ont déjà enterré la plupart de leurs morts, mais le terrain est encore jonché de cadavres sudistes. Par endroits, Bloody Lane, ce chemin creux si disputé, en est littéralement rempli. Six mois plus tôt à Shiloh, l’opinion publique avait découvert avec effroi l’hécatombe que représentait une bataille majeure. Mais c’était encore par l’intermédiaire de récits magnifiés, de listes abstraites de morts et de blessés, de gravures édulcorées. À Antietam, les photographies de Gardner font connaître à l’Amérique un spectacle dantesque que le noir et blanc n’atténue que bien faiblement. Une horreur graphique et crue, faite de visages méconnaissables aux traits gonflés par la putréfaction, de cadavres noircis et figés dans les postures les plus dérangeantes. Et cet affreux cauchemar s’est déroulé à moins de 100 kilomètres à vol d’oiseau de Washington.
La nuit des blessés
Si les morts étaient nombreux, les blessés l’étaient bien plus encore. Un cadavre a fini de souffrir, mais pour ceux dont la chair a été meurtrie par la balle, l’éclat d’obus ou la baïonnette, le calvaire ne fait que commencer. À Shepherdstown, Mary Mitchell et les autres habitants ont ouvert tout leur espace disponible pour accueillir autant de blessés que possible : mairie, écoles, salles de réunion, les six églises de la ville, et même une vieille usine désaffectée. Ces hôpitaux de fortune sont moins exposés que ceux établis directement sur le champ de bataille, comme par exemple la ferme Reel, incendiée par un obus. Pour tout confort, les blessés sont allongés sur de la paille, à même le sol, et recouverts d’une couverture – quand on en trouve une. La moindre étincelle, le moindre faux mouvement jetant une bougie à terre, leur fait courir le risque d’être transformés en torches vivantes. Devant l’indigence des services de santé de la Confédération, ce sont les habitants de la ville eux-mêmes qui prodiguent les soins. Mary Mitchell n’est pas tendre avec ceux qui devraient normalement s’acquitter de cette tâche : « Nul chirurgien n’était en vue. Quelques hommes, détachés comme infirmiers, étaient venus, mais ils étaient incompétents, bien sûr. »
Des critiques similaires, du reste, allaient être faites aux médecins militaires de l’Union, pourtant beaucoup mieux organisés. Elles sont suffisamment virulentes pour que le chirurgien Jonathan Letterman, chef du service de santé de l’armée du Potomac, les dénonce avec force dans son rapport sur la campagne. Sa comptabilité détaillée, toutefois, laisse apparaître que même les moyens nordistes sont encore insuffisants. Les 38 hôpitaux dont il a la charge comptaient déjà près de 30.000 patients début septembre, et allaient en accueillir 23.000 de plus durant la campagne du Maryland – aux plus de 10.000 blessés recensés par ses soins s’ajoutant des milliers de malades. Il n’y a toutefois que 224 médecins pour soigner tout ce monde. Dans le même laps de temps, 1.500 patients mourront, et plus de 2.000 autres, estropiés ou trop affaiblis, seront rendus à la vie civile. Contrant l’immobilisme des institutions militaires, l’initiative privée en faveur des blessés commence seulement à faire sentir ses effets.
Le 18 septembre, à 21 heures, l’armée de Virginie septentrionale commence à évacuer ses positions en profitant du couvert de la nuit. Lee ordonne au général Pendleton de placer un puissant détachement de son artillerie pour couvrir les environs du gué Boteler et de Shepherdstown, une arrière-garde soutenue par les restes des brigades Douglass et Armistead. Parallèlement, il envoie la cavalerie de Stuart vers Williamsport, en amont du Potomac, afin d’y faire diversion et de dissuader McClellan de serrer de trop près l’armée confédérée durant sa retraite. Lorsqu’à l’aube du 19 septembre, les tirailleurs nordistes commencent à avancer pour préparer l’assaut planifié la veille par leur chef, elles ne trouvent que des cadavres et des blessés intransportables. La poursuite fédérale est prudente, et les Nordistes s’arrêtent dès que les canons de Pendleton les accueillent au gué Boteler. Vers midi, les deux armées commencent à se livrer un violent duel d’artillerie de part et d’autre du Potomac.
Même les officiers supérieurs, pourtant les mieux lotis car soignés en priorité, ne se voient pas épargner leur lot de souffrances. John B. Gordon, blessé à cinq reprises sur Bloody Lane, connaît d’abord les affres des ambulances sommaires où sont prodigués des premiers soins qui le sont encore plus : « Je me retrouvai allongé sur une litière de paille dans une vieille grange, où nos blessés les plus graves avaient été rassemblés. » Le colonel sudiste survit miraculeusement à son évacuation vers Winchester, où l’armée confédérée s’est regroupée à l’issue de sa retraite. C’est dans un hôpital plus confortable qu’il s’efforce de récupérer de ses terribles blessures : « Mon visage était noir et informe – tellement enflé qu’un œil était entièrement clos, et l’autre presque complètement. Ma jambe droite, ainsi que mon bras et mon épaule gauche, étaient pansés et immobilisés avec des coussins. » C’est l’épouse de Gordon elle-même qui doit le nourrir malgré sa mâchoire fracassée, et lui enduire presque constamment le bras gauche, où l’infection menace, de teinture d’iode. Il faudra neuf mois à cette « gueule cassée » avant l’heure pour s’en remettre complètement, mais bien des blessés n’auront pas autant de chance.
Dernier affrontement à Shepherdstown
Dans l’après-midi, des éléments du Vème Corps nordiste commencent à se déployer sur la rive septentrionale du Potomac, McClellan ayant l’ordre de ne pas traverser sauf si une excellente occasion venait à se présenter. Fitz-John Porter la trouve finalement avec la luminosité déclinante du crépuscule, et se décide à sonder d’un peu plus près la position confédérée avec des unités n’ayant pas été engagées l’avant-veille – en l’occurrence prélevées sur les brigades de Charles Griffin et James Barnes, de la division Morell. Le coup de main réussit au-delà de toute espérance : refoulant aisément les soutiens des artilleurs sudistes, les Fédéraux s’emparent de cinq canons et sèment la panique au sein du commandement confédéré. Perdant son calme, Pendleton annonce à Lee que l’arrière-garde est enfoncée et que toute son artillerie a été capturée. Cette exagération conduit Lee à renvoyer en arrière, à marche forcée et en pleine nuit, toute la division d’A.P. Hill – désormais rejointe par la brigade d’Edward Thomas revenue de Harper’s Ferry. Pendant ce temps, les Nordistes se contentent de repasser le Potomac en emmenant avec eux leurs trophées.
Le lendemain, Porter décide de faire traverser des détachements plus importants au gué de Boteler, désormais sous contrôle nordiste, mais toujours avec une circonspection extrême. Aux brigades Griffin et Barnes s’en ajoutent deux autres de la division Sykes. Toutefois, l’arrivée massive de la division A.P. Hill ne tarde pas à tout remettre en cause. Pris en pleine traversée, Porter comprend rapidement que la tête de pont de Shepherdstown est indéfendable et ordonne de l’évacuer. Les Fédéraux y parviennent sans trop de pertes, mais l’ordre de repli n’est pas transmis correctement à tout le monde. C’est le cas pour un des régiments de Barnes, le 118ème Pennsylvanie, formé seulement trois semaines plus tôt et qui, comme environ un quart de l’armée du Potomac au moment de la campagne du Maryland, n’a ni entraînement ni expérience du combat. Son colonel, Charles Prevost, n’est pas plus expérimenté que ses hommes et refuse de reculer sans ordre direct de son commandant de brigade. Pour aggraver encore les choses, les fusils Enfield importés d’Angleterre pour armer l’unité sont défectueux. Les Pennsylvaniens ne peuvent pratiquement pas se défendre et sont vite submergés, effectuant finalement un repli précipité. Pris au piège, certains soldats se noient dans le Potomac. En tout, Le 118ème perdra environ 300 hommes sur 800.
Toutefois, l’armée de Virginie septentrionale n’est pas en reste, et se trouve dans un état similaire, voire plus triste encore. En deux semaines de campagne dans le Maryland, la seule division D.H. Hill a perdu les deux tiers de ses effectifs en hommes et 25 officiers supérieurs sur 34. Six généraux – trois dans chaque camp – ont été tués ou mortellement blessés à Antietam, et une quarantaine d’officiers, en tout, ont été mis hors de combat alors qu’ils commandaient une brigade ou plus. Même s’il exagère sans doute les chiffres, le rapport de McClellan montre que l’armée sudiste a passablement souffert, ayant laissé dans le Maryland treize canons, une quarantaine de drapeaux et 15.000 armes légères, tandis que 6.000 prisonniers et traînards étaient cueillis par les Fédéraux. Pourtant, les forces sudistes vont se reconstituer avec une rapidité surprenante. Dès leur retour en Virginie, les traînards vont réapparaître comme par enchantement au sein de leurs unités. Fin octobre, Lee peut compter sur pas moins de 68.000 hommes, davantage de forces qu’il n’en avait en franchissant le Potomac deux mois plus tôt. D’autres isolés continueront à arriver à Winchester jusqu’en novembre.
La fin de la campagne du Maryland, 18-22 septembre 1862 (annotations de l'auteur sur une carte de la librairie Perry-Castaneda de l'Université du Texas).
1. 18 septembre, 21 heures : Lee commence à évacuer Sharpsburg et se replie vers la Virginie.
2. Il envoie Stuart créer une diversion vers Williamsport.
3. 19 septembre : McClellan découvre le départ des Confédérés et les poursuit prudemment.
4. Des éléments nordistes franchissent le Potomac à Shepherdstown et capturent plusieurs canons sudistes, semant la panique dans l'arrière-garde confédérée.
5. 20 septembre : la division A.P. Hill fait volte-face et refoule les Nordistes sur la rive gauche du Potomac.
6. L'armée de Virginie septentrionale atteint Martinsburg sans être poursuivie davantage.
7. Elle peut ainsi reculer jusqu'à Winchester pour se reposer et compléter ses effectifs.
8. 22 septembre : McClellan fait réoccuper Harper's Ferry, mais n'ira pas plus loin.
Toutefois, la plupart des auteurs tendent aujourd’hui à considérer Antietam comme un match nul tactique. S’ils n’ont pas réussi à refouler les Sudistes de manière décisive, les Fédéraux n’en ont pas moins gagné du terrain, même si le prix à payer pour ces quelques hectomètres fut exorbitant. À plusieurs reprises, l’armée de Lee s’est trouvée au bord de l’effondrement, ne devant qu’à l’arrivée opportune de réserves ou à de terribles sacrifices d’éviter une déroute. James Longstreet reconnaîtra lui-même, selon son propre terme, que l’armée de Virginie septentrionale a été « écrasée ». Elle aurait même pu être détruite si le commandement nordiste avait mieux exploité les succès remportés localement : ceux de Greene autour de l’église Dunker, de la division Richardson entre Bloody Lane et la ferme Piper, ou du IXème Corps lors du franchissement de l’Antietam. Du reste, si les Confédérés n’ont pas battu en retraite le 17 septembre, ils ont tout de même fini par devoir le faire le lendemain soir. De premier abord, l’égalité tactique d’Antietam débouche ainsi sur une victoire stratégique de l’Union, puisque Lee se voit contraint de quitter le Maryland sans avoir atteint aucun de ses objectifs initiaux – hormis peut-être les grandes quantités d’équipement saisies à Harper’s Ferry.
Au final, Antietam laisse l’amère impression d’un massacre sans équivalent perpétré en pure perte. Pourtant, la bataille livrée le 17 septembre allait constituer un vrai tournant de la guerre, non pas d’un point de vue strictement stratégique et militaire, mais sur le plan politique et idéologique. Elle allait en effet permettre au président nordiste Abraham Lincoln de publier un texte auquel il réfléchissait déjà depuis plusieurs mois, mais que la conjoncture ne lui permettait pas, raisonnablement, d’émettre. Un document daté du 22 septembre 1862, révolutionnaire à bien des égards – en dépit d’une certaine vacuité sur d’autres points – et intitulé Proclamation d’émancipation.