La bataille d'Antietam, 17 septembre 1862

Histoire Universelle | Guerre de Sécession (Etats-Unis, 1861-1865)

Par le

 
 

Toujours vers 13 heures, la bataille d’Antietam entre dans sa troisième et dernière phase majeure. On se souvient que le plan de McClellan prévoyait une attaque secondaire contre l’aile droite confédérée, à mener par le IXème Corps d’Ambrose Burnside, à travers l’Antietam. Toutefois, la forte résistance rencontrée de l’autre côté du champ de bataille par les Ier, XIIème et IIème Corps, et les sanglants combats qui en ont découlé, ont obligé le général nordiste à modifier son plan. C’est désormais le IXème Corps qui va fournir l’effort principal, tant dans l’espoir de soulager la droite nordiste meurtrie et sous pression que dans celui de couper aux Sudistes leur seule voie de retraite. Les forces de Burnside ont l’avantage d’être encore relativement fraîches, et viennent justement de prendre pied sur la rive occidentale du cours d’eau. Le point focal de la bataille se déplace donc de nouveau, cette fois en direction du sud, vers un autre haut lieu : le pont inférieur, dont les Nordistes s’emparent à 13 heures. 

L’autre champ de bataille

Pour comprendre par quel cheminement les événements en sont arrivés là dans la partie méridionale du champ de bataille, il est nécessaire de remonter quelques heures en arrière. Comme sur la droite nordiste, l’aube ne fut pas de tout repos pour les combattants des deux camps. Les premières lueurs du jour ont, là aussi, permis aux tireurs d’élite et aux canons de donner de la voix. Les fantassins nordistes, massés sur la rive orientale en prévision de l’attaque à venir, en souffrent le plus, certaines unités étant contraintes de changer de position pour se mettre à l’abri. Ces péripéties s’ajoutent à des conditions déjà difficiles, pour des hommes ayant dormi comme ils l’ont pu dans une nuit fraîche et humide. Ici comme ailleurs, les officiers ont interdit de faire du feu, et le réveil est aussi maussade que brutal. David L. Thompson, soldat au sein du 9ème régiment de New York, une unité surnommée « zouaves de Hawkins » et qui porte encore l’uniforme coloré qui lui a valu son surnom, racontera comment, le besoin de caféine s’avérant trop impérieux, lui et ses camarades en viendront à mélanger café moulu et sucre en poudre pour les consommer tels quels.

Face à eux, les hommes de la division D.R. Jones sont encore moins bien lotis – et pas uniquement parce que le café est un luxe auquel ils n’ont plus droit depuis longtemps. Au sein de la brigade de James Kemper, le 17ème Virginie n’a pas touché une ration régulière depuis le 18 août. Le soldat Alexander Hunter raconte comment, à l’instar de tant d’autres soldats sudistes, il s’est nourri avec le peu que le Maryland avait à offrir à l’armée confédérée : « Des pommes et du maïs, du maïs et des pommes, étaient notre seul régime. Nous les consommions crus, rôtis, bouillis et frits, ils nous maintenaient en vie, rien de plus. » La fatigue, les privations, les désertions, les pertes au combat ont réduit les unités sudistes à des régiments squelettiques. Francis Winthrop Palfrey, qui sera après le conflit un de ses premiers historiens, a été fait prisonnier par les Sudistes pendant les combats sur la route de Hagerstown, dans la matinée. Transféré vers l’arrière, il croise des renforts confédérés qui attirent son attention. Il demande à l’un de ses gardiens s’il est devenu habituel dans l’armée sudiste que les régiments aient plus d’un drapeau – ce qui n’était généralement pas le cas précédemment. Il se voit répondre que l’unité en question est une brigade, pas un régiment. Le 17ème Virginie se voit réduit à 48 soldats et officiers, la compagnie où sert Alexander Hunter ne comptant plus que trois hommes.

La grande majorité des témoins, civils, militaires, amis ou ennemis, qui ont pu observer les soldats sudistes au cours de la campagne du Maryland, se sont demandé comment des hommes à l’apparence souvent décrite comme miséreuse, ont pu livrer un engagement aussi brutal que la bataille d’Antietam sans que celle-ci ne débouche sur l’anéantissement de leur armée. Les combattants confédérés sont non seulement émaciés et affamés, mais ils sont également, pour la plupart, en haillons. Alexander Hunter décrit ce qu’il portait ce jour-là : «  Mon costume se composait d’un pantalon élimé, une veste sale et tachée, un vieux chapeau rond dont le rebord était épinglé par une simple épine, une couverture salie par-dessus mon épaule, un havresac graisseux rempli de pommes et de maïs, une cartouchière pleine et un fusil. J’étais pieds nus et j’avais des ampoules aux deux pieds. » Comme ses camarades, il est aussi infesté de vermine et doit épouiller quotidiennement ses hardes, opération qui ne lui apporte qu’un répit de courte durée.

Fort de quatre divisions comprenant chacune deux brigades, le IXème Corps souffre néanmoins d’une certaine confusion dans son organisation. La raison en est Burnside lui-même. Bien que McClellan ait abandonné la veille le système des « grandes divisions » expérimenté durant la marche depuis Washington et la bataille de South Mountain, Burnside refuse d’entériner ce changement. Le général aux favoris se considère toujours comme le chef de toute l’aile droite de l’armée du Potomac, alors même que le IIème Corps n’est plus sous ses ordres et que le IXème se trouve à présent tout à gauche du déploiement nordiste. Vexé, Burnside, au lieu de les donner directement, transmet ses ordres pour le IXème Corps à Jacob Cox, qui avait succédé à Jesse Reno après sa mort à South Mountain. Toute la chaîne de commandement se trouve ainsi décalée : Eliakim Scammon se retrouve à la tête de la division Kanawha à la place de Cox, et Hugh Ewing remplace Scammon au commandement de sa brigade. Du moins est-ce là théorique, car certains officiers ne sont pas au courant ou affectent de ne pas l’être. De l’aveu même de Cox, cette situation sera génératrice de désordre, nombre d’officiers nordistes ne sachant pas précisément qui commande quoi.

En dépit de ces difficultés, le IXème Corps est déployé, au matin du 17 septembre, selon les grandes lignes du plan d’attaque prévu par McClellan. Burnside a divisé ses forces en deux groupes principaux. La division de Samuel Sturgis, avec les brigades de James Nagle et Edward Ferrero, aura pour mission de s’emparer du pont inférieur. Celle d’Isaac Rodman, qui comprend les brigades Harrison Fairchild – au sein de laquelle on retrouve le 9ème New York – et Edward Harland, doit franchir la rivière un peu plus en aval, à gué. Ces deux unités sont chacune renforcées par une des brigades de la division Scammon : Sturgis se voit adjoindre celle de George Crook, tandis que la division Rodman reçoit le renfort de la brigade Hugh Ewing. Enfin, la division d’Orlando Willcox, constituée des brigades de Benjamin Christ et Thomas Welsh, restera en réserve à la hauteur du pont inférieur. Elle aura pour mission, une fois que Sturgis aura pris le pont, d’occuper les hauteurs qui surplombent la rive occidentale de l’Antietam. Une fois que le reste du IXème Corps l’y aura rejoint, l’ensemble marchera vers Sharpsburg, s’interposant ainsi entre l’ennemi et sa seule voie de retraite et prenant à revers la gauche confédérée.

Sur le papier au moins, ces forces paraissent en mesure de balayer la maigre opposition qui lui fait face. On l’a vu, la principale position confédérée dans ce secteur se trouve sur les collines au sud de Sharpsburg. Le pont inférieur et les gués ne sont couverts que par des éléments avancés, d’autant plus réduits une fois que la brigade G.T. Anderson, puis la division J.G. Walker auront été transférées vers la gauche au cours de la matinée. Le pont n’est tenu que par deux régiments détachés de la brigade de Robert Toombs, les 2ème et 20ème Géorgie. Ils sont commandés par le colonel Henry Benning, Toombs étant demeuré en retrait avec le reste de la brigade. En tout, Benning a moins de 400 hommes. La veille, il a cherché à renforcer sa position en faisant creuser à ses hommes des tranchées sommaires. Des épaulements ont été édifiés avec les rondins d’une clôture, démontée à cette fin. Le tout présente l’avantage indéniable d’être bien dissimulé par la végétation qui couvre les rives de l’Antietam. En outre, la pente escarpée où se trouvent les hommes de Benning leur donne l’avantage de la hauteur, leur permettant de commander le pont et ses approches. Sur leur droite, le 50ème Géorgie a été prélevé sur la brigade Drayton pour couvrir les gués situés en aval, avec le renfort d’une batterie – deux autres étant placées face au pont inférieur.

Le pont de Burnside

En dépit des avantages dont bénéficient les défenseurs, bien peu auraient imaginé que la petite force sudiste allait parvenir à tenir en respect tout un corps d’armée pendant trois heures. Après la bataille, d’interminables controverses, surtout dans le camp nordiste, allaient être livrées pour déterminer les responsabilités de chacun dans ce retard. En dépit des estimations erronées de McClellan à propos des effectifs ennemis, il devint vite évident aux yeux de tous que si le IXème Corps était parvenu à s’emparer du pont inférieur plus tôt, et avait exploité ce succès en même temps qu’avaient lieu les attaques de l’aile droite nordiste plutôt qu’après elles, l’issue de la bataille en aurait été radicalement changée. Burnside affirmera n’avoir reçu l’ordre d’attaquer le pont inférieur qu’à 10 heures, alors que McClellan rapportera pour sa part avoir donné cet ordre dès 8 heures. Il est probable qu’aucun des deux ne dise la stricte vérité. Dans son rapport préliminaire, rédigé dans les jours qui ont suivi la bataille, McClellan ne souffle mot de l’incident. C’est seulement dans son rapport définitif, publié en août 1863, qu’il en fait état.

Or, sa situation personnelle a, entre temps, profondément changé. Little Mac a été relevé du commandement de l’armée du Potomac en novembre 1862, pour être remplacé précisément par… Ambrose Burnside. Ce dernier a lui-même été limogé depuis, mais McClellan, près d’un an après la bataille d’Antietam, est déjà considéré par beaucoup comme le futur candidat du parti démocrate à l’élection présidentielle de 1864. Il a donc tout intérêt, pour sa prometteuse carrière politique, à rejeter sur autrui – en l’occurrence Burnside – la responsabilité de n’avoir pu remporter à Antietam une victoire décisive sur la Confédération. C’est Jacob Cox, un peu plus neutre dans cette affaire, qui nous renseigne le mieux sur ces horaires contradictoires. Selon lui, McClellan aurait donné dès 7 heures, l’ordre non pas de s’emparer du pont inférieur, mais de se tenir prêt à l’attaquer. Le signal de l’assaut proprement dit n’est venu qu’à 9 heures. Il est toutefois à peu près certain que l’attaque proprement dite n’a commencé qu’une heure plus tard. Ce fait tend à corroborer l’affirmation de McClellan, confirmée par les comptes-rendus du corps des transmissions, que l’ordre a dû être répété une première fois, par sémaphore, puis une seconde – McClellan chargeant alors l’inspecteur-général de l’armée, Delos Sackett, de le remettre en mains propres à Burnside et de rester avec lui pour s’assurer de sa prompte exécution.

Le chef du IXème Corps n’était pourtant pas resté totalement inactif. Dès 9 heures, des affrontements entre éléments avancés avaient rejeté en arrière les piquets que Benning avait lancés sur la rive orientale, mais ils étaient restés sans suite. C’est seulement vers 10 heures que les choses sérieuses commencent. Avant d’envoyer Rodman vers le sud, Burnside a prélevé sur la brigade Harland le 11ème régiment du Connecticut. Déployé en tirailleurs, celui-ci approche du pont inférieur pour en sonder les défenses. En quelques minutes, les soldats nordistes sont fixés sur ce qui les attend : un feu nourri et précis, auquel ils ne peuvent que difficilement résister, leur cause des pertes considérables. Leur chef, le colonel Henry Kingsbury, est abattu. Ironie du sort, Kingsbury n’était autre que le beau-frère de D.R. Jones. La nouvelle de sa mort, aux mains de ses propres soldats, affectera considérablement le général sudiste, à la santé déjà fragile et entamée par les fatigues des campagnes de 1862. Parti en convalescence peu après la bataille d’Antietam, David Rumph Jones mourra à Richmond en janvier 1863.

Le principal problème des Nordistes est la configuration du terrain à traverser pour atteindre le pont. La rive orientale est aussi escarpée que ne l’est celle qu’occupent les Confédérés, ce qui rend difficile de s’approcher directement du pont tout en conservant une cohésion suffisante. Passer par la route n’est pas forcément une meilleure solution : avant d’atteindre le pont, elle longe la rivière sur plus de 250 mètres, contraignant un assaillant qui arriverait par ce côté-ci à exposer son flanc gauche aux tirs ennemis durant toute la marche d’approche. À 10 heures 30, Burnside tente d’abord une approche frontale en faisant avancer, cette fois en force, la brigade Crook. Cette dernière peine à maintenir sa formation en ligne de bataille à cause du relief. Désorganisée, elle offre une cible encore meilleure que le 11ème Connecticut aux fantassins géorgiens de Benning. Crook n’atteint même pas les abords du pont et doit se replier jusqu’au sommet du coteau, d’où ses hommes maintiennent leur feu, à distance, contre l’autre rive.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 10h - 13h face au pont inférieur.

1. Le 11ème Connecticut subit de lourdes pertes en sondant les défenses sudistes.

2. La brigade Crook ne parvient pas à s'approcher du pont.

3. Deux régiments de la brigade Nagle lancent des assauts répétés contre le pont, en vain.

4. La division Rodman ne parvient pas à franchir le gué par où elle devait prendre pied sur l'autre rive, et doit en chercher un autre plus en aval.

5. La brigade Crook parvient à amener un canon à prximité immédiate du pont pour soutenir la prochaine attaque nordiste.

6. Deux régiments de la brigade Ferrero réussisssent à franchir le pont inférieur.

7. Dans le même temps, la division Rodman commence à franchir l'Antietam au gué Snavely.

8. Face aux hommes de Rodman, le 50ème Géorgie se retire.

9. Les deux régiments de Benning se replient à leur tour et rejoignent le reste de la brigade Toombs, tandis que la division Sturgis s'installent sur les hauteurs qui dominent le pont.

Burnside se décide alors à faire entrer en jeu sa force principale, la division Sturgis. C’est la brigade Nagle qui reçoit l’ordre de s’emparer du pont. Cette fois, l’attaque empruntera la route, mais l’étroitesse de celle-ci ne permet d’y faire passer que deux régiments à la fois. Pour éviter un embouteillage mortel, Nagle sélectionne le 2ème Maryland et le 6ème New Hampshire pour monter à l’assaut, tandis que le reste de la brigade les soutiendra depuis les hauteurs. Les deux unités chargent au pas de course et baïonnette au canon, mais leur flanc gauche découvert s’avère fatal aux efforts des Fédéraux. À partir de 11 heures, les hommes de Nagle vont tenter malgré tout de s’emparer du pont inférieur, vraisemblablement à trois reprises. Nagle lui-même ne précise pas le nombre de ses tentatives, parlant seulement « d’assauts renouvelés », mais les sources sudistes, pour leur part, s’accordent sur le fait d’avoir repoussé cinq assauts distincts. Si l’on estime que le 11ème Connecticut a fourni le premier et la brigade Crook le second, on en conclut que la brigade Nagle en a mené trois – ou peut-être seulement deux si les Confédérés estiment avoir repoussé aussi l’attaque menée ultérieurement par la brigade Ferrero, ce qui est, ici comme ailleurs, une question de point de vue.

Les soldats de Nagle réussissent à atteindre le pont, mais pas à le traverser. À chaque fois, le feu ennemi est trop intense, et les pertes finissent par avoir raison de leurs assauts. Depuis son quartier général, McClellan s’impatiente. Il est midi passé, et le chef de l’armée du Potomac craint que l’incapacité de Burnside à traverser l’Antietam ne permette à Lee de masser toutes ses forces contre la droite nordiste et de l’écraser. Il renouvelle ses ordres, signifiant au commandant du IXème Corps qu’il doit s’emparer du pont à n’importe quel prix. Soucieux d’économiser ses forces, Burnside affecte la brigade Ferrero à l’attaque au lieu d’employer les deux régiments restants de Nagle. Derechef, deux régiments sont sélectionnés. Ils portent, ironiquement, le même numéro : 51ème Pennsylvanie et 51ème New York. Pour accroître leur motivation, les hommes se voient promettre le rétablissement d’une ration d’alcool qui leur a été supprimée quelques jours plus tôt, s’ils réussissent à s’emparer du pont.

D’autres facteurs, plus directs, vont jouer en leur faveur. D’une part, le feu de contre-batterie nordiste a fini par obliger les canons sudistes qui soutenaient Benning à se retirer. D’autre part, les fantassins de Crook ont réussi à placer un obusier de 12 livres directement en face du pont. Cette pièce légère à canon court, en bronze, avait été conçue pour servir sur les terrains accidentés de l’Ouest. Facile à déplacer, même à bras, cet obusier allait fournir un soutien rapproché efficace aux hommes de Ferrero. La suite, c’est Samuel Sturgis qui la raconte : « Ils entamèrent leur mortelle mission avec enthousiasme et, suivant une route moins exposée que celle des régiments ayant fourni les efforts précédents, dévalèrent au pas de course la pente menant au pont et franchirent le pont lui-même avec une impétuosité à laquelle l’ennemi ne put résister, et la bannière étoilée fut plantée sur l’autre rive à 13 heures, au milieu des acclamations les plus enthousiastes de toutes les parties du champ de bataille d’où elle pouvait être vue. » Le pont inférieur était aux mains des Nordistes. Les tentatives répétées du chef du IXème Corps pour s’en emparer dans de sanglants assauts frontaux allaient lui valoir d’être surnommé par la suite le « pont de Burnside ».
 
 

Pendant que la division Sturgis luttait pour s’emparer du pont, celle de Rodman n’était pas restée inactive. Sa tâche, pourtant, n’avait pas été facilitée. Harcelée par les tireurs embusqués sur l’autre rive, elle avait aussi été ralentie par un terrain tout aussi escarpé et boisé que celui qui commandait l’accès au pont inférieur, mais dépourvu de chemins et de voies carrossables. Pire, le premier gué, situé dans un coude de la rivière, s’était avéré impropre au passage d’une division en raison de la hauteur des rives à cet endroit. Il avait fallu en chercher un autre, qui s’était finalement présenté plus de 500 mètres en aval, à la hauteur de la ferme Snavely. Tout ceci avait pris beaucoup de temps, et il était presque 13 heures lorsque le 9ème New York, déployé en tirailleurs, avait commencé à le franchir sous le feu de l’artillerie et de l’infanterie ennemies. L’affaire, cependant, avait duré moins longtemps que celle du pont : aussitôt après que les Fédéraux avaient mis le pied sur l’autre rive, les Sudistes du 50ème Géorgie s’étaient repliés. Malgré les tirs des canons sudistes, la division Rodman avait pu traverser la rivière à peu près au moment où les hommes de Sturgis franchissaient en force le pont inférieur.

Pause inattendue

Les officiers confédérés concernés, à commencer par Toombs et Benning, ont donné leur propre version de ces deux événements : pour eux, c’est l’épuisement de leurs munitions, et l’irruption de Rodman sur leur droite, qui les a obligés à abandonner le pont, et non l’assaut de la brigade Ferrero. Quoi qu’il en soit, les deux régiments de Benning reculent en bon ordre tandis que le 50ème Géorgie rejoint la brigade Drayton. Toombs fait alors sa jonction avec Benning sur une position située dans un vaste champ de maïs, toujours avancée par rapport à la ligne principale qu’occupe la division D.R. Jones. Pendant ce temps, Sturgis et Rodman se rejoignent sur les collines qui surplombent l’Antietam. Ils y sont immédiatement soumis à un feu violent de l’artillerie sudiste, notamment de batteries du bataillon Washington, positionnées juste à la sortie de Sharpsburg. Sturgis : « Trop faibles pour avancer, nous pouvions seulement nous mettre à couvert et attendre des renforts, et ici nos troupes montrèrent leur héroïsme peut-être plus encore qu’auparavant, car l’ennemi ouvrit le feu à mitraille, obus et boulets, et les vecteurs de la destruction tombèrent comme la grêle au milieu d’elles, tuant et blessant en grand nombre et nous couvrant de poussière, et pourtant pas un homme ne quitta sa place si ce n’est pour évacuer un camarade blessé. »

Si le propos du général nordiste confirme son goût pour les phrases longues, il souligne également l’impossibilité pour sa division d’exploiter sa propre percée, face à des troupes sudistes dont il ignore la force réelle. Burnside est du même avis. Il décide de suspendre les opérations offensives en attendant d’avoir fait passer l’intégralité du IXème Corps sur l’autre rive. Cela inclut aussi les chariots de munitions, car les combats pour le pont ont bien vidé les cartouchières, et quatre ou cinq batteries d’artillerie. Le tout devant transiter uniquement par le pont, on ne tarde pas à assister à un interminable embouteillage. Il faudra deux heures pleines pour que le corps d’armée nordiste achève de se redéployer et soit prêt à attaquer de nouveau. Ce délai supplémentaire – après les quatre heures qui s’étaient écoulées entre l’ordre d’attaque de McClellan et la prise du pont – provoquera là aussi, a posteriori, de vives controverses. Burnside sera sévèrement critiqué – à commencer par McClellan, dont on a vu où se situait l’intérêt – pour ces deux heures perdues.

Si l’idée d’attendre la traversée de l’intégralité du IXème Corps pour frapper l’ennemi en force était louable, le délai nécessaire pour y parvenir allait s’avérer capital en regard de l’issue de la bataille. Certes, la division Sturgis était trop éprouvée pour continuer à avancer immédiatement, et elle avait tiré la plupart de ses cartouches. Mais la division Rodman n’avait été que légèrement engagée, et celle de Willcox était entièrement fraîche. Moyennant une attente plus courte, ces deux unités auraient pu poursuivre l’attaque, avec des chances raisonnables de repousser la division D.R. Jones, très étirée, et de prendre à revers le reste de l’armée confédérée sans rencontrer d’autre opposition. Une victoire décisive pour l’Union aurait alors pu être remportée… Mais les choses ne se sont pas passées ainsi, et de toute manière, ce ne sont pas les spéculations a posteriori qui font l’histoire. D’autant que le résultat de la bataille d’Antietam sera malgré tout décisif à bien des égards.

Ainsi, en l’absence de combats majeurs impliquant de l’infanterie, une accalmie s’installe sur le champ de bataille d’Antietam entre 13 heures et 15 heures. Accalmie toute relative, car les artilleurs des deux camps continuent à s’affronter sans relâche, visant les canons adverses… ou toute autre cible lorsque l’opportunité s’en présente. D.H. Hill manque ainsi de peu d’en faire les frais, sous le regard à demi amusé de James Longstreet, qui rapportera l’anecdote. Alors qu’il s’expose au sommet d’une colline pour mieux embrasser du regard la position que tiennent les restes de sa division, il est ajusté à longue distance par une pièce d’artillerie fédérale. Le boulet sectionne les deux jambes antérieures de son cheval, laissant le général sudiste dans une position inconfortable, mais sans autre conséquence pour lui que la perte de sa troisième monture depuis l’aube. Le champ de bataille demeure des plus dangereux pour tous : la division Richardson est accablée presque continuellement par l’artillerie sudiste, et les hommes de la brigade Irwin sont abattus par des tireurs d’élite confédérés ; de leur côté, les batteries nordistes déployées autour du bois Est et de la ferme Mumma s’en donnent à cœur joie contre les lignes ennemies qui leur font face.

Ce bombardement est d’ailleurs si meurtrier que les hommes de la division J.G. Walker, les plus exposés, reçoivent à deux reprises l’ordre de se tenir prêts à les charger, avant d’être rappelés à la dernière minute. Dans le camp nordiste aussi, on hésite à relancer l’offensive dans ce secteur. En début d’après-midi, la seconde division du VIème Corps, celle d’Henry Slocum, franchit l’Antietam à son tour par le pont supérieur. Franklin et Sumner s’opposent aussitôt sur l’usage qui doit être fait de ces troupes fraîches. Le commandant du IIème Corps souhaite envoyer immédiatement une de ses brigades vers sa droite, qu’il juge toujours excessivement faible. Franklin, pour sa part, veut envoyer la division Slocum à l’attaque contre l’église Dunker et le bois Ouest, utilisant les brigades de John Newton et Alfred Torbert en premier échelon et celle de Joseph Bartlett en réserve. Les deux généraux finissent par demander à McClellan de trancher la question. Le général en chef nordiste donne raison à Sumner : il ne souhaite pas gâcher les progrès déjà effectués depuis l’aube, et risquer de perdre le terrain conquis, en lançant inconsidérément à l’attaque de précieuses réserves. La division Slocum ne sera pas engagée.

La marche sur Sharpsburg

À 15 heures, le IXème Corps est enfin prêt à reprendre sa marche victorieuse contre Sharpsburg. Laissant en réserve la division Sturgis, Burnside a fait monter en ligne celle d’Orlando Willcox, qui formera la droite du corps d’armée, la brigade Christ à droite de la route qui monte du pont inférieur vers la ville, et celle de Welsh à gauche. En arrière, la brigade Crook leur servira de soutien. Rodman constituera, comme précédemment, la gauche. Gardant Ewing en deuxième échelon, il avancera avec les brigades Fairchild à droite et Harland à gauche. Burnside pourra compter sur le soutien partiel, le long de la route à péage de Boonsboro, du Vème Corps. Porter, en effet, est en train de faire traverser l’Antietam à deux batteries supplémentaires par le pont médian, dans le but de relever celles de l’artillerie à cheval. Elles sont accompagnées par quatre nouveaux bataillons de l’infanterie régulière, détachés de la division Sykes. Ces unités, toutefois, n’ont pas vocation à participer directement à l’attaque.

Côté sudiste, on s’apprête à faire face à cette nouvelle action avec les moyens du bord. La brigade indépendante d’Evans, qui soutient les batteries affrontant l’artillerie nordiste autour du pont médian, est déployée entre la ferme Piper et la route de Boonsboro. La division D.R. Jones prolonge sa ligne, avec en premier lieu la brigade de Richard Garnett, également en soutien de batteries, qui se tient immédiatement à l’est de Sharpsburg. Viennent ensuite les hommes de Joseph Walker, qui se tiennent de part et d’autre de la route venant du pont inférieur ; celle-ci remonte le long d’un profond ravin, lui-même creusé par un ruisseau. Plus au sud, de l’autre côté d’un verger, les brigades de Thomas Drayton et James Kemper forment la position principale, au sommet d’une colline. Plus au sud encore, en avant et à droite de Kemper, s’est positionné Toombs, qui a été renforcé par un régiment isolé – le 11ème Géorgie, détaché de la brigade G.T. Anderson. C’est une ligne bien mince, mais qui n’est plus tout à fait seule. À 14 heures 30, au grand soulagement de Lee, on a annoncé au quartier général de l’armée de Virginie septentrionale que la division A.P. Hill venait de franchir le Potomac. Elle est aussitôt envoyée vers la droite.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 14h - 15h.

1. D.H. Hill renforce la brigade Evans, restée pratiquement seule pour défendre le centre sudiste, par la brigade G.T. Anderson.

2. S'y joignent des groupes de traînards ralliés et commandés par Colquitt et Iverson, le tout formant une division ad hoc aux ordres d'Evans.

3. Les tirailleurs nordistes - l'infanterie régulière de la division Sykes - menacent les batteries confédérées placées à l'est de Sharpsburg.

4. Evans les refoule avec trois régiments confiés au colonel Stevens.

5. Stevens prend une position défensive avancée près de la ferme Sherrick.

6. Lorsque Burnside lance le IXème Corps en avant à 15 heures, Stevens est rapidement flanqué par la brigade Christ.

7. Pendant que la légion Holcombe et le 17ème Caroline du Sud se replient vers le nord, le 1er Géorgie recule vers l'ouest et s'appuie sur le moulin Newcomer.

8. Dès que Stevens est attaqué, les brigades Garnett et Joseph Walker se portent à son secours pour contenir l'attaque nordiste.

Une demi-heure plus tard, le lieutenant du corps des transmissions Joseph Gloskoski en repère, depuis sa station de la rive orientale de l’Antietam, les éléments de tête qui progressent sur la route de Harper’s Ferry. Il signale aussitôt cette information capitale à Burnside, lui indiquant que sa gauche risque d’être flanquée par les nouveaux arrivants. On ne saura pas si c’est faute de l’avoir reçue ou d’en avoir tenu compte, mais le général ne fera rien pour se couvrir – une erreur qui allait s’avérer lourde de conséquences. Alors qu’A.P. Hill approche, l’attaque de Burnside a été légèrement anticipée par un mouvement confédéré sur sa droite. La brigade Evans ayant déployé trois de ses cinq régiments en tirailleurs, elle est exagérément étirée et ne parvient plus à tenir suffisamment à distance les réguliers de Sykes, qui viennent menacer les artilleurs sudistes. Elle doit être renforcée. D.H. Hill lui envoie la brigade de G.T. Anderson et, malgré la répugnance qu’ils lui inspirent – « Le traînard est généralement un voleur et toujours un lâche, éperdu de honte ; il ne peut être maintenu dans les rangs que par une discipline stricte et sanguinaire », écrira-t-il d’eux – réussit à « ramasser » environ 250 isolés dans les rues de Sharpsburg, qu’il confie à Colquitt et au colonel Alfred Iverson Jr., le fils d’un sénateur de Géorgie.

Ces diverses unités forment une division ad hoc dont le commandement est confié à Evans. Les renforts envoyés par D.H. Hill lui permettent de faire avancer le reste de sa brigade, désormais dirigée par le colonel Peter Stevens, contre les tirailleurs nordistes. Les deux régiments de Caroline du Sud – le 17ème d’infanterie et la légion Holcombe – se voient adjoindre le 1er Géorgie, détaché de la brigade G.T. Anderson. Attaquant droit devant eux, les soldats sudistes réussissent à refouler leurs adversaires, franchissent la route de Boonsboro, et les poursuivent au-delà d’un champ de maïs situé à l’est de Sharpsburg, qui s’étire entre ladite route et celle qui mène au pont inférieur. Ce champ est flanqué d’un petit verger à sa lisière sud. Les soldats de Stevens finissent par s’arrêter en faisant face au pont médian. Quelques minutes plus tard, ils sont attaqués sur leur droite par la brigade Christ, et rejetés sur leur position de départ, Stevens récoltant une blessure au passage. Garnett et Joseph Walker avancent aussitôt pour s’interposer. Burnside a entamé sa marche vers Sharpsburg.

La droite sudiste en danger

Malgré le feu de contre-batterie des Fédéraux, l’artillerie sudiste fait tout son possible pour entraver la progression du IXème Corps. À court de munitions, le bataillon Washington a été relevé par celui de Stephen D. Lee. De son côté, Robert E. Lee a ordonné au général Pendleton de rassembler autant de canons à longue portée que possible, pour les déployer le long de la route de Harper’s Ferry. La brigade Fairchild est la plus exposée aux projectiles sudistes, avec plusieurs centaines de mètres de terrain découvert à franchir avant d’atteindre la position tenue par Kemper et Drayton. Progressant par bonds, au pas de course, elle marque une pause dans une première dépression, puis une seconde. Elle n’est reste pas moins exposée aux obus ennemis. Allongé comme ses camarades du 9ème New York, David L. Thompson regarde un de ses officiers placé derrière lui quand un shrapnel explose non loin de là : « Pendant que je le regardai, je vis passer entre lui et moi un manteau, plié et sanglé, volant et roulant jusque dans les fourrés. Un des obus à mitraille ennemis avait ouvert un sillon dans le crâne d’un jeune camarade et arraché son manteau de ses épaules. » Sous le feu, les minutes paraissent des heures. Thompson poursuit : « Un moment plus tard, j’entendis un homme maudire un camarade qui pesait un peu trop sur lui. Il maudissait un homme mort. »

La progression reprend bientôt. On doit à David L. Thompson un des témoignages les plus significatifs sur l’expérience du combat durant la guerre de Sécession : « Nous entendîmes durant toute la guerre que l’armée "brûlait du désir" de marcher à l’ennemi. Ce devait être vrai, car des correspondants de guerre fiables l’ont dit, et des rédacteurs en chef l’ont confirmé. Mais quand vous cherchiez qui souffrait de cette singulière démangeaison, c’était toujours ceux du régiment d’à côté qui l’avaient. La vérité, c’est que lorsque les balles s’enfoncent dans les troncs d’arbres et que les boulets brisent les crânes comme des coquilles d’œuf, le désir qui brûle dans le cœur de tout homme est de se trouver ailleurs. Entre la peur physique d’avancer et la peur morale de reculer, on se trouve exposé à un dilemme exceptionnellement embarrassant, auquel un trou dissimulé dans le sol fournirait une solution merveilleusement opportune. » Les combats livrés au sud de Sharpsburg ne seront pas moins acharnés que ceux ayant fait rage un peu plus tôt dans le champ de maïs Miller, près de l’église Dunker ou autour de Bloody Lane. Des affrontements d’une violence rare, faisant appel à des mécanismes primaires dépassant de loin les ressorts idéologiques traditionnels. Ici, plus de défense de sa patrie, de ses droits, ou même simplement de sa famille. Mus par la peur de passer pour des lâches, de faire défauts à leurs camarades, David L. Thompson et ses compagnons avancent.

Mus par les mêmes craintes, Alexander Hunter et les autres soldats de la brigade Kemper tiennent leur position. Eux aussi subissent le terrible feu de l’artillerie nordiste. « Durant le bombardement un obus explosa pas plus de dix pieds au-dessus de l’endroit où se tenait [le] 17ème, à plat ventre, et réduisit littéralement le pauvre Appich, de la compagnie E, en morceaux, le mutilant affreusement, et éclaboussant de sang tous ceux que se trouvaient autour. Le corps eut un sursaut, puis resta immobile. Un autre obus tomba en hurlant là où nous étions et explosa, et deux hommes de plus furent évacués ; mais à aucun moment la ligne ne bougea ou n’émit le moindre son. » L’épreuve dure un quart d’heure, puis un silence irréel s’installe. Alors que la brigade Fairchild approche, il s’installe une tension palpable dont Alexander Hunter rendra compte : « Les visages des hommes sont pâles, leurs traits figés, leurs cœurs palpitants, leurs muscles raides comme l’acier. Les officiers crient sur un ton de basse "Debout, les gars ! Debout ! Ils arrivent, tenez-vous prêts !" Le cliquetis des chiens de fusils qu’on arme court le long de la ligne, un bruit empreint de solennité – car lorsque vous l’entendez, vous savez que l’instant suprême est arrivé. »

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 15h - 15h30.

1. Les observateurs nordistes repèrent les premiers éléments de la division A.P. Hill en train d'arriver de Harper's Ferry, mais Burnside néglige de couvrir sa gauche en conséquence.

2. Christ et les deux régiments réguliers de Buchanan affrontent les brigades Joseph Walker et Garnett, mais la progression lente de Welsh sur leur gauche les dissuade d'attaquer plus franchement.

3. Relativement inexpérimentée, la brigade Harland se disloque rapidement et lance des attaques décousues que Toombs tient facilement à distance.

4. Cette situation créée une brèche entre Harland et Fairchild, poussant Rodman à la combler avec le 8ème Connecticut.

5. La brigade Fairchild prend d'assaut la position tenue par Drayton et Kemper.

6. Les deux brigades sudistes réussissent à former une nouvelle ligne de défense sur la route de Harper's Ferry.

7. Libérée de la menace que représentait Drayton sur sa gauche, la brigade Welsh peut flanquer la position tenue par les hommes de Joseph Walker, entraînant la retraite de tout le dispositif sudiste dans ce secteur.

8. La brigade Garnett se réfugie dans les rues de Sharpsburg.

9. En se retirant, Joseph Walker positionne sa brigade perpendiculairement à sa ligne précédente, de manière à prendre Welsh en enfilade pendant qu'il progresse vers Sharpsburg.

Les Sudistes retiennent leur feu jusqu’à ce que leurs ennemis débouchent sur un replat, à une cinquantaine de mètres de la position confédérée. Non loin de là, David L. Thompson et le 9ème New York reçoivent leur salve : « En un instant l’air était empli du sifflement des balles et du bourdonnement de la mitraille. La tension mentale était telle que je vis alors l’effet singulier mentionné, je crois, dans la vie de Goethe en une occasion similaire – le paysage entier, l’espace d’un instant, se teinta légèrement de rouge. » S’ensuit une meurtrière fusillade dans laquelle les Confédérés ont le dessous. Privés de leurs soutiens rapprochés d’artillerie, qui se sont repliés quelques minutes plus tôt devant l’avancée de Fairchild, les hommes de Kemper tombent comme des mouches. Le colonel du 17ème Virginie, Montgomery Corse, est blessé au pied. Des 48 hommes du régiment, 13 échapperont à la capture, la blessure ou la mort. C’en est trop pour les Virginiens, qui craquent et se replient, les Fédéraux finissant par charger la position. Hunter et deux de ses camarades jettent leurs fusils et se rendent, et le jeune soldat sudiste assistera à la fin de la bataille en prisonnier. La retraite de Kemper entraîne celle de la brigade Drayton. Leur reflux est marqué par la confusion mais le 15ème Caroline du Sud, qui se replie en bon ordre, permet aux deux brigades de se reformer plus à l’ouest, le long de la route de Harper’s Ferry.

Face à la division Willcox, la situation des Confédérés n’est guère meilleure. Lorsque les régiments de Stevens ont craqué, seule une partie du 17ème Caroline du Sud est parvenue à garder sa cohésion. Reculant vers le sud-ouest, elle se retranche autour d’un moulin de pierre situé le long de la route menant au pont inférieur, à droite des hommes de Joseph Walker. Poursuivant sa progression, Christ attaque ces derniers et la brigade Garnett avec, sur sa droite, le soutien actif des 2ème et 10ème régiments d’infanterie régulière de la brigade Buchanan. Toutefois, les Nordistes s’arrêtent bientôt, car Christ ne voient pas arriver Welsh sur sa gauche. Craignant de se trouver en position trop avancée, il décide d’attendre, engageant l’infanterie ennemie dans une fusillade à longue distance. Toutefois, la situation se débloque bientôt. Le repli de Kemper et Drayton, ainsi que le mouvement préalable de Joseph Walker, ont ouvert une large brèche dans laquelle ne tarde pas à s’engouffrer, justement, la brigade Welsh. Voyant que leur droite est tournée, Joseph Walker, Garnett et le 17ème Caroline du Sud décrochent en direction de Sharpsburg. Il semblerait que l’aile droite de l’armée sudiste soit en train de s’effondrer.
 
 

La seule partie de la ligne nordiste où l’avancée des Fédéraux ne semble pas irrésistible est celle, la plus à gauche, où la brigade Harland fait face aux Géorgiens de Robert Toombs. Déjà amputée du 11ème Connecticut, trop durement étrillé lors de sa tentative matinale contre le pont inférieur et resté sur la rive orientale de l’Antietam, l’unité nordiste se trouve réduite à trois régiments dont deux, le 16ème Connecticut à droite et le 4ème Rhode Island à gauche, participent à leur première grande bataille. Or, ce sont justement ces deux unités qui forment la première ligne de la brigade, Harland ayant gardé en réserve le 8ème Connecticut, plus aguerri. Pour ne rien arranger, des retards dans l’exécution des ordres donnés par Harland ont disloqué la brigade, et les deux régiments de tête sont incapables de se soutenir mutuellement. Le 16ème Connecticut lance une première attaque, que les tirailleurs sudistes réussissent à tenir à distance. Cette situation ouvre une brèche entre la brigade Harland et celle de Fairchild, qui a progressé beaucoup plus vite – ne serait-ce que parce que les unités sudistes qui lui font face sont placées plus loin en arrière.

Arrivée salvatrice

Pour maintenir la cohésion de ses lignes, Rodman a dû affaiblir encore la brigade Harland en lui prenant le 8ème Connecticut. Ce dernier rejoint rapidement la brigade Fairchild, sur sa gauche, mais dans le même temps Harland n’a pas progressé davantage, de sorte que Rodman est cette fois contraint de faire intervenir la brigade Ewing au pas de course. Il est 15 heures 40, et dans le grand champ de maïs, les choses vont s’accélérer. En effet, Toombs est en train d’être relevé par la première brigade de la division A.P. Hill, celle de Maxcy Gregg. Toutefois, l’opération n’est pas encore achevée lorsque Toombs reçoit l’ordre expresse de se replier pour aller se placer à droite de Kemper, sur la route de Harper’s Ferry. Il s’agit de soutenir une des batteries de la division d’A.P. Hill, celle du capitaine David McIntosh. Quelques minutes plus tard, Toombs apprend que McIntosh s’est imprudemment avancé pour se déployer au plus prêt du 8ème Connecticut en train de progresser. Sans soutien, les artilleurs sudistes ont été chassés de leurs pièces. Encore 200 mètres à faire, et les Nordistes, non seulement s’empareront des canons, mais atteindront la route de Harper’s Ferry – coupant à l’armée de Virginie septentrionale sa seule voie de retraite.

Toombs réagit immédiatement, faisant mettre sa brigade au pas de charge, et une course mortelle s’engage. Les Fédéraux atteignent à peine les canons de McIntosh que les Géorgiens les contre-attaquent avec férocité, faisant refluer le 8ème Connecticut. Dans le même temps, dans le grand champ de maïs, le 16ème Connecticut est aux prises avec deux des régiments de Gregg, les 1er et 12ème Caroline du Sud. Le 4ème Rhode Island vient à son secours et flanque les deux unités sudistes par la droite, les obligeant à reculer. Une fusillade nourrie et confuse a lieu, au milieu des plants de maïs à hauteur d’homme. Le colonel Daniel Hamilton, du 1er Caroline du Sud : « Le feu de mon régiment était rapide et les cartouches commencèrent à faire long feu et les charges à encrasser les fusilsDans certains cas les hommes durent utiliser des pierres pour forcer les cartouches dans le canon. » Soudain, Hamilton a la désagréable surprise de voir arriver sur sa droite un régiment en uniforme bleu. Il hésite sur la conduite à tenir, car il sait que les hommes de la division ont capturé des milliers d’uniformes fédéraux à Harper’s Ferry. Un coup de vent déploie finalement le drapeau du régiment et dévoile le Bonnie Blue Flag, un étendard sécessionniste bleu frappé d’une étoile blanche.

C’est le régiment des South Carolina Rifles – les Fusiliers de Caroline du Sud. Les soldats du 4ème Rhode Island sont victimes de la même méprise, mais eux ne la réalisent que lorsque les Sudistes sont passés sur leur gauche et commencent à les flanquer. L’unité nordiste tente de manœuvrer pour faire face, mais de nombreux officiers sont abattus, ce qui sème le désordre dans les rangs. Pris sous un tir croisé, assaillis par un ennemi qu’ils ne voient pas, les Nordistes inexpérimentés reculent, entraînant avec eux le 16ème Connecticut dans une retraite qui tourne vite à la panique, et les deux unités s’enfuient à toutes jambes jusque derrière l’Antietam. Lorsque le lieutenant-colonel Joseph Curtis cherchera à les rallier un peu plus tard, il ne trouvera que sept hommes sur la rive occidentale, qui avaient spontanément rejoint le 51ème Pennsylvanie de la brigade Ferrero.

Alors que Toombs se débarrasse du 8ème Connecticut et que Gregg met la brigade Harland en fuite, se joue un autre combat. Dans l’interstice laissé libre entre les brigades Toombs et Gregg – en raison de la position avancée du second – s’engouffre la brigade de Lawrence Branch, entraînant celle de James Archer sur sa gauche. Les deux unités sudistes marchent vers le nord-nord-ouest, à angle droit de la ligne de bataille principale, fonçant directement sur la gauche de la brigade Ewing. Ici encore, les uniformes bleus fraîchement capturés des Sudistes jouent en leur faveur : les Fédéraux se laissent approcher et ne réalisent leur méprise que trop tard. Isaac Rodman donne aussitôt des ordres pour qu’Ewing fasse front tant bien que mal, tandis que Fairchild réclame à son supérieur l’aide de la brigade Harland. Ignorant qu’elle est déjà en train de craquer, Rodman part la chercher au galop, mais reçoit une balle dans le poumon gauche dont il ne se remettra pas. Le général nordiste mourra le 30 septembre. Pour l’heure, il laisse sa division désorganisée et dans une situation précaire.

La brigade Ewing tente de résister en s’appuyant sur un muret en pierres, mais dans la confusion qui suit la blessure de Rodman, une partie des ordres se perdent. Il en va de même dans le camp sudiste : quand Archer ordonne à sa brigade de charger avec celle de Branch, un seul de ses régiments le suit, le reste croyant à un ordre de… repli ! Malgré cela, les hommes d’Ewing sont rapidement submergés et doivent reculer, aussitôt imités par ceux de Fairchild, serrés de près par les brigades Drayton, Kemper et Toombs. Par un destin étrangement symétrique avec son vis-à-vis confédéré Alexander Hunter, le soldat nordiste David L. Thompson est fait prisonnier alors qu’il est isolé de son régiment, ayant porté secours à des blessés. L’intervention de la brigade Crook, que Burnside envoie à la rencontre des nouveaux arrivants, permet d’éviter que la retraite nordiste ne se transforme en déroute. Crook est finalement repoussé lui aussi, mais il a gagné de précieuses minutes. Celles-ci permettent à la division Sturgis – Ferrero à gauche, Nagle à droite – de s’interposer. Sturgis met sur pied une ligne de défense solide sur les hauteurs qui surplombent le pont inférieur, sur laquelle les Confédérés viennent finalement buter avec de sérieuses pertes.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 15h30 - 17h30.

1. La brigade Gregg commence à relever les hommes de Toombs.

2. La batterie McIntosh s'installe sur une position trop avancée.

3. Elle est menacée par le 8ème Connecticut, qui oblige ses servants à reculer.

4. Ramenée en arrière pour se ravitailler en munitions, la brigade Toombs fait volte-face pour sauver la batterie McIntosh, donnant le signal de la contre-attaque.

5. Engagés par la brigade Harland, deux des régiments de la brigade Gregg sont flanqués et commencent à reculer.

6. Ils sont secourus par l'arrivée d'un troisième, qui flanque à son tour les hommes de Harland.

7. La brigade Harland déroute, laissant exposé tout le flanc gauche des Nordistes.

8. La brigade Branch attaque le flanc de la brigade Ewing.

9. La brigade Archer l'accompagne mais un seul de ses régiments a compris correctement l'ordre de son chef.

10. Ewing tente de faire face mais n'y parvient pas. Il bat en retraite à son tour.

11. Kemper et Drayton accompagnent Toombs dans sa contre-attaque, obligeant Fairchild, qui n'est plus soutenu sur sa gauche, à reculer aussi.

12. La brigade Welsh approche des premières maisons de Sharpsburg, mais sa progression est prise en enfilade par la brigade de Joseph Walker et privée de soutien par la déroute de la division Rodman. Welsh doit se replier à son tour.

13. Par effet d'entraînement, Christ, déjà contenu par l'artillerie sudiste, recule en voyant Welsh faire de même.

14. les 2ème et 10ème régiments d'infanterie régulière menacent les canons confédérés mais, pris sous le feu de leur propre artillerie et laissés sans soutien, ils interrompent leur attaque.

15. La brigade Crook intervient face à la contre-attaque sudiste et gagne de précieuses minutes avant de céder du terrain.

16. Son action permet à la division Sturgis de former une nouvelle ligne de défense, grâce à laquelle les Nordistes tiendront la tête de pont jusqu'à la nuit.

17. A.P. Hill envoie la brigade Pender en flanc-garde vers le gué Snavely...

18. ... et garde la brigade Brockenbrough en réserve, mettant un terme à l'affrontement.

Plus près de Sharpsburg, l’avantage des Nordistes aura également été de courte durée. En repliant sa brigade, Joseph Walker a flairé une bonne occasion de prendre les hommes de Welsh en enfilade car ceux-ci, en marchant sur la ville, lui présentent leur flanc droit. Il replace donc ses forces en haut du ravin, sur une ligne parallèle à la route qui mène au pont inférieur, et ouvre le feu. Welsh comprend rapidement la menace qui pèse sur lui. Malgré tout, il a toutes les peines du monde à réfréner l’enthousiasme de ses hommes. Les tuniques bleues approchent des premières maisons de Sharpsburg et se voient déjà déferler dans ses rues en infligeant à leurs ennemis une défaite décisive. Il parvient, non sans mal, à les faire reculer sur une position plus sûre, en attendant du soutien sur sa droite. La manœuvre de Joseph Walker, en effet, est pour le moins osée, puisqu’elle le conduit à présenter à l’ennemi son propre flanc gauche. D’autant que Garnett n’est plus là pour le couvrir.

Celui-ci a tenté de reformer sa brigade à l’entrée de Sharpsburg, mais la rue principale est battue par l’artillerie nordiste et Garnett a dû faire replier ses hommes encore plus en arrière, jusqu’à l’abri sommaire fourni par les rues transversales et les maisons de la bourgade. Il n’y a donc plus, pour couvrir la gauche de Joseph Walker, que les artilleurs de Stephen D. Lee. Ces derniers parviennent malgré tout à tenir la brigade Christ en respect en l’accablant de mitraille. Toutefois, les soldats des 2ème et 10ème régiments d’infanterie régulière, emportés par leur élan, continuent à progresser en direction de la ville, alors qu’ils sont censés se limiter à la couverture des batteries déployées autour du pont médian. Ils commencent à abattre les artilleurs sudistes, les obligeant à abandonner la plus avancée de leurs batteries. Les réguliers sont alors prêts à s’en emparer, mais c’est sans doute vers ce moment que les hommes de Christ se replient. La division Rodman enfoncée, Burnside a en effet rappelé celle de Willcox, avec l’ordre de tenir coûte que coûte le pont inférieur et ses abords. N’ayant plus de soutien, et devant prendre garde aux obus nordistes qui tombent trop court devant eux, les réguliers reculent aussi, jusqu’à leur ligne principale. Il est 16 heures passées, l’attaque de Burnside est repoussée, et la droite sudiste est sauvée.

Les derniers feux

La bataille d’Antietam, cependant, n’est pas encore terminée. Vers le milieu de l’après-midi – probablement autour de 16 heures – le colonel Irwin, excédé par les entreprises des tireurs confédérés qui maintiennent sa brigade sous pression, décide de s’en débarrasser. Il ordonne au 7ème régiment du Maine, qui se tient tout à gauche de ses lignes, d’aller chasser l’ennemi de la position qu’il a réoccupée, autour des bâtiments de la ferme Piper. Son chef, un jeune major de 21 ans du nom de Thomas Hyde, croit d’abord qu’il s’agit d’une simple action de tirailleurs, et détache une de ses compagnies à cet effet. Il est stupéfait lorsque son supérieur vient lui ordonner en personne d’engager son régiment dans son intégralité. L’instruction paraît si incongrue que Hyde la fait répéter, mais Irwin la lui confirme sèchement. L’affaire toute entière ressemble à une redite de la fameuse « charge de la brigade légère », un épisode de la guerre de Crimée – en 1854 – où la cavalerie britannique s’était fait massacrer par l’infanterie et l’artillerie russes, dans une attaque aussi glorieuse qu’absurde. Hyde, toutefois, n’a guère d’autre choix que de s’exécuter, et le 7ème Maine entame son attaque insensée.

Irwin n’a sans doute pas tardé à réaliser la portée de son ordre : envoyer en avant un unique régiment, sans soutien d’aucune sorte, dangereusement près de la ligne principale de l’ennemi. Il demande à un des régiments de la division French, placé immédiatement sur sa gauche, d’aller appuyer Hyde, mais son commandant refuse de s’exécuter sans un ordre exprès de son supérieur direct. Irwin observe avec anxiété le 7ème Maine traverser Bloody Lane. Chassant les tireurs ennemis des abords de la ferme Piper, les Nordistes continuent à avancer jusqu’à ce qu’une unité sudiste surgisse de derrière un mur de pierre qui longe la route à péage de Hagerstown, et tente de passer dans son dos. Pour y parer, Hyde doit changer de direction et se replier sur la colline située dans la partie nord du verger Piper. Là, les forces sudistes, dont les restes des brigades Posey, Pryor et G.T. Anderson, ne tardent pas à converger sur lui et l’assaillent sur trois côtés. Le jeune officier n’a bientôt plus d’autre choix que de se replier. Il est aidé en cela par Hancock, qui envoie à son soutien la seule batterie avancée dont il dispose.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 16h - 16h30 : l'équipée du 7ème Maine.

1. Irwin envoie le régiment refouler les tirailleurs sudistes qui harcèlent sa brigade depuis les abords de la ferme Piper, au-delà de Bloody Lane.

2. Après avoir rempli sa mission Hyde est assailli de flanc par une force sudiste.

3. Il fait front et recule dans le verger Piper, où il affronte les restes de trois brigades confédérées.

4. Le soutien de l'artillerie de Hancock, qui commande désormais la division Richardson, lui permet de se dégager.

5. Le 7ème Maine regagne sa position de départ.

Hyde réussira finalement à ramener le 7ème Maine à sa position de départ – au grand soulagement d’Irwin, qui ne tarira pas d’éloges sur son jeune subordonné dans son rapport sur l’incident. Cette attaque – guère utile au demeurant – d’une demi-heure n’en aura pas moins coûté cher au régiment, qui y laisse 98 hommes sur 191. L’action de Hyde lui vaudra de recevoir, près de trente ans plus tard, la plus haute décoration militaire des États-Unis – la Médaille d’honneur du Congrès. On notera que D.H. Hill rapportera l’incident de manière fort différente, comparant l’attaque du 7ème Maine à une « farce ». Pour lui, les Nordistes ont été bêtement pris par surprise et se sont enfuis sans demander leur reste : « Un cri et une salve les informèrent de ce dangereux voisinage. La peur chez le Yankee est aiguë ; l’information fut vite comprise, et fut suivie par la fuite la plus rapide qu’il m’ait été donné de voir. » Connaissant le parti-pris de D.H. Hill en la matière, il est difficile de considérer sa relation comme pertinente. Il n’en reste pas moins que son humour cassant, combiné à une plume acerbe et à son irrépressible mauvaise foi dès qu’il s’agit des Nordistes, en fait un des généraux dont les rapports sont souvent les plus amusants à lire.

Dans la maison Pry, où McClellan a installé son quartier général, l’heure n’est cependant pas à la plaisanterie. Le chef de l’armée du Potomac s’interroge sur la suite à donner à l’engagement, et en confère avec Porter et Sykes. Ce dernier suggère de tenter une dernière attaque au centre, par le pont médian. Il fait remarquer que l’essentiel de l’aile droite sudiste a convergé sur la tête de pont tenue par Burnside, alors que l’attaque du 7ème Maine a attiré l’attention d’une partie du centre ennemi vers la gauche, dégarnissant les abords est de Sharpsburg. Ce serait, du reste, un bon moyen de soulager le IXème Corps, toujours pressé par l’ennemi. McClellan est sensible à ces arguments, mais ne peut que constater que la division Sykes elle-même n’est pas en position de mener cette attaque : la majorité des brigades de Robert Buchanan et Charles Lovell a déjà été engagée en couverture de l’artillerie disposée autour du pont médian, et celle de Gouverneur Kemble Warren s’emploie à stopper les fugitifs sur les arrières de l’armée. Dans un premier temps, McClellan fait rappeler la division Morell, qu’il a envoyée un peu plus tôt renforcer Sumner sur la droite. Porter, toutefois, s’oppose à l’attaque suggérée, faisant remarquer à son supérieur « Rappelez-vous, mon général, que je commande la dernière réserve de la dernière armée de la République ». Cet avertissement solennel, que rapportera plus tard Sykes mais que Porter niera, réveille les vieux démons de McClellan, et la prudence l’emporte sur toute autre considération. Le général en chef laisse échapper sa dernière occasion de remporter une victoire décisive.

Au quartier général de l’armée de Virginie septentrionale, situé dans une maison isolée à l’ouest de Sharpsburg, Lee et ses subordonnés se demandent de quelle manière mettre à profit la résistance inopinée de leurs troupes, et exploiter au mieux la dernière petite heure de jour qu’il leur reste encore. Jackson propose de tourner la droite nordiste en profitant de la position avantageuse que fournit Nicodemus Hill, une idée qui séduit son supérieur. Vers 17 heures, le chef de l’aile gauche sudiste effectue personnellement une reconnaissance dans le secteur concerné, tandis que des éléments d’artillerie se placent sur la hauteur et prennent à partie les canons nordistes déployés autour de la ferme de Joseph Poffenberger. En quelques minutes, l’affaire est entendue : les artilleurs confédérés sont écrasés et leurs pièces réduites au silence. De son côté, Jackson ne peut que constater que la droite fédérale est trop bien ancrée sur le Potomac pour pouvoir être tournée. Son rapport, et celui de S.D. Lee, persuadent le général en chef sudiste d’abandonner l’idée d’une attaque.

De l’autre côté du champ de bataille, face à la tête de pont tenue par les Nordistes, les attaques confédérées faiblissent. La brigade de Robert Toombs cherche à poursuivre sa progression, mais de plus en plus prudemment, car son chef craint de revenir à portée des batteries lourdes ennemies, restées sur l’autre rive de l’Antietam. Après s’être emparé d’une clôture, il fait mettre ses hommes sur la défensive. Quoi qu’on pense du personnage, il est indéniable que sa prestation à Antietam a été excellente. Obstiné, faisant preuve d’initiative, bien aidé par Benning et par ses soldats, le général politique de Géorgie a été décisif à plusieurs reprises, que ce soit devant le pont inférieur, dans le grand champ de maïs, ou le long de la route de Harper’s Ferry – à cent lieues de son indiscipline des Sept Jours. Toombs, du reste, en aura pleinement conscience. Arguant de ses états de service à Sharpsburg – le nom donné à la bataille d’Antietam par les Confédérés – il demandera à être promu au commandement d’une division. Ses espoirs seront rapidement déçus, mais Toombs retombera aisément sur ses pattes : démissionnant de l’armée, il reprendra sa carrière politique avec l’espoir d’y faire fructifier ses exploits militaires.

Du reste, les soldats sudistes ont eux aussi souffert face au IXème Corps. Beaucoup de soldats manquent à l’appel, et pas forcément pour des raisons justifiables en regard des règlements militaires. Un des officiers de la brigade Toombs, le capitaine John McGregor, cite ainsi plusieurs sous-officiers et soldats, envoyés chercher de l’eau, mais n’ayant opportunément rejoint leur unité que le lendemain. De son côté, Richard Garnett tente de regrouper, à nouveau, des isolés dans les rues de Sharpsburg, de manière à renforcer le centre dangereusement exposé de l’armée sudiste. Les traînards, cependant, objectent qu’ils sont à la recherche de leurs unités et refusent de le suivre. Les Nordistes ne sont pas mieux lotis. Le lieutenant Samuel Benjamin, qui commande une unité d’artillerie placée en soutien de Burnside, lui fait savoir qu’il n’a plus de projectiles. En réponse, le général le prie de continuer à tirer des gargousses à blanc, afin d’attirer sur lui le tir des canons sudistes et de soulager ainsi ses troupes. Ce coup d’esbroufe réussit, mais soumet les pièces à un rude traitement : les évents de deux canons ont tellement chauffé que le métal fondu les a bouchés, les mettant hors service. Il est 17 heures 30 et le soleil est en train de se coucher ; peu à peu, fusillade et canonnade baissent en intensité. La bataille d’Antietam touche à sa fin. A.P. Hill a encore deux brigades en réserve, mais il préfère positionner celle de Dorsey Pender en flanc-garde sur sa droite, et économiser celle de John Brockenbrough, arrivée tardivement, en prévision d’une éventuelle reprise des combats le lendemain.

Quelques minutes après que le soleil ait disparu sous l’horizon, toujours afin de préparer au mieux sa division pour le jour suivant, A.P. Hill effectue une reconnaissance avancée en compagnie de ses commandants de brigades et du général Lee. Dans l’obscurité grandissante, le groupe de cavaliers est repéré par un tireur d’élite nordiste, qui les ajuste et tire. Sa balle atteint Lawrence Branch à la joue droite, traverse son crâne de part en part, détruisant au passage le cervelet et causant la mort du général sudiste, avant de ressortir au niveau de son oreille gauche. Le corps humain n’étant pas une motte de beurre, la boîte crânienne de Branch dévie suffisamment le mortel projectile pour que celui-ci aille finir sa course dans la cuisse de Maxcy Gregg, qui se tenait quelques mètres plus loin. Même si Gregg y survivra, une seule balle prive ainsi l’armée de Virginie septentrionale de deux généraux. Branch et Gregg font partie des dernières victimes de la bataille d’Antietam. Cette dernière, après douze heures sanglantes, peut-être considérée comme terminée, même si les piquets des deux camps continueront à échanger des coups de feu jusque vers 21 heures.
 
 
 

Le soleil naissant du jeudi 18 septembre 1862 darde de ses rayons la scène sordide qui s’étale sans pudeur dans les champs autour de Sharpsburg. Dans l’attente d’une hypothétique reprise des combats, les vivants ont dormi où la nuit les avait trouvés, souvent au milieu des morts. Prisonnier derrière les lignes nordistes, le soldat virginien Alexander Hunter décrit ce qu’il voit alors que ses gardiens lui font traverser le pont inférieur en direction de l’est.

« Les morts étaient nombreux. Un groupe de quatre types en bleu reposait ensemble là où ils étaient tombés – tous tués par l’explosion du même obus. Un des Géorgiens gisait face contre terre, le corps presque coupé en deux, comme s’il s’était fait rouler dessus par un train ; un boulet de canon l’avait atteint à la taille. Un autre de la brigade Toombs avait été abattu alors qu’il était en train de mettre en joue ; un œil était ouvert, tandis que l’autre était fermé, et un de ses bras était étendu comme s’il tenait encore son fusil, qui gisait à terre à côté de lui. La mort avait été soudaine, instantanée et indolore. L’arme avait servi ; une contraction spasmodique des doigts avait sans doute pressé la détente et libéré le projectile entravé. »

L’aube des morts

Dans un camp comme dans l’autre, les généraux sont prêts à en découdre à nouveau, échafaudant des plans d’attaque pour parvenir au résultat décisif – qui, malgré les immenses sacrifices consentis par leurs soldats la veille, s’est refusé à eux. McClellan avait initialement décidé de reprendre l’offensive dès le lendemain matin, suivant une suggestion de Franklin qui se propose d’emmener le VIème Corps à l’assaut de Nicodemus Hill. Mais il s’est finalement ravisé durant la nuit, préférant attendre les divisions de Darius Couch (IVème Corps) et Andrew Humphreys (Vème Corps) avant d’entreprendre de nouvelles opérations offensives. Ces deux unités n’arriveront finalement qu’assez tard dans la matinée – ce qui créera semble-t-il une vive controverse entre Humphreys, Porter et McClellan par la suite – et ne seront pas engagées : les Fédéraux n’attaqueront pas lors de la journée du 18. Le commandement nordiste en profite néanmoins pour renforcer le IXème Corps de Burnside avec une autre division du Vème Corps, celle de George Morell, mais une mauvaise compréhension des ordres fait croire à Burnside qu’il vient le relever au lieu de le renforcer, ce qui l’incite à replier son corps d’armée derrière l’Antietam. En dépit de cela, McClellan décide de relancer la bataille pour le lendemain, 19 septembre.

De son côté, Lee profiterait volontiers des atermoiements de son pusillanime adversaire, mais son armée a terriblement souffert. Dans la seule division J.R. Jones désormais commandée par Jubal Early, les brigades Douglass, James Walker et Hays totalisent à elles trois moins de 400 hommes présents sur 2.400 disponibles la veille avant le combat. Elles ont perdu près de 1.200 tués et blessés et plusieurs centaines d’autres soldats sont séparés de leurs unités. Seule la brigade personnelle d’Early forme encore une force suffisamment importante et cohérente pour mériter l’appellation de « brigade ». Même l’artillerie a subi des pertes considérables : par exemple, le bataillon de Stephen D. Lee a laissé sur le terrain 86 hommes sur 300 environ. Ayant compris qu’il ne pourrait vaincre McClellan par la force brute, Lee envisage de manœuvrer en déplaçant son armée jusqu’à Williamsport, d’où il menacerait les arrières nordistes et obligerait l’armée du Potomac à se mettre sur la défensive. L’inaction de McClellan au cours de la journée du 18 lui montre toutefois que son adversaire ne menacera probablement pas ses mouvements, et Lee ordonne de préparer la seule chose qu’il lui reste à faire : battre en retraite. S’il refuse de concéder la défaite – le général sudiste considérera toujours Antietam comme son plus grand exploit – il n’en reste pas moins que la campagne du Maryland est terminée.

Devant l’absence de combats le 18 septembre, des trêves informelles, parfois entrecoupées d’accrochages entre tirailleurs, voient le jour pour secourir les blessés et enterrer les morts. Le travail ne manque pas. En un seul jour, 3.654 hommes ont été tués et 17.292 autres blessés. Nordistes et Sudistes confondus, davantage d’Américains sont morts le 17 septembre 1862 à Antietam que durant n’importe quelle autre journée depuis que les États-Unis ont vu le jour. Le nombre des tués de la bataille est à comparer aux 2.402 morts de l’attaque japonaise contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941, ou aux 2.996 victimes des attentats du 11 septembre 2001. Si l’on y ajoute les disparus et les prisonniers, les pertes totales de la journée avoisinent les 23.000 hommes : les deux armées se sont littéralement saignées à blanc, avec un professionnalisme et une obstination qui feront pâlir les observateurs européens, jusque-là sceptiques sur l’intensité réelle du conflit et les qualités martiales des combattants de la guerre de Sécession.

L’armée du Potomac laisse sur le terrain, en tout, quelques 12.400 hommes, contre environ 10.300 à son adversaire. Si les pertes nordistes sont plus importantes en valeur absolue, celles de la Confédération sont proportionnellement bien supérieures. Cette disparité s’explique en grande partie parce que Lee a engagé activement la totalité de ses forces, à l’exclusion de la majeure partie de sa cavalerie et d’une ou deux brigades d’infanterie. McClellan s’est montré beaucoup plus avare de ses troupes, un défaut dont il était coutumier et lié, comme on le sait, à sa surestimation permanente des effectifs adverses. Sur les dix-neuf divisions de l’armée nordiste, cavalerie incluse, neuf ont été engagées en totalité et trois plus ou moins en partie, deux autres étant même absentes. McClellan n’a probablement pas fait combattre plus de 50.000 soldats le 17 septembre, alors que son armée en comptait 75.000. De ce fait, la supériorité numérique des Nordistes a été nettement atténuée vis-à-vis des 38.000 Confédérés qui leur faisaient face. De surcroît, jamais les Fédéraux n’ont attaqué en force de manière simultanée, leurs actions majeures se déroulant l’une après l’autre et permettant ainsi aux défenseurs sudistes d’éviter la saturation.

La bataille d’Antietam, une fois terminée, va générer une série d’ondes de choc à bien des égards. La première va frapper le public, surtout nordiste, en lui jetant en pleine face les horreurs de la guerre. L’armée du Potomac, en effet, a été accompagnée dans sa campagne du Maryland par le photographe Alexander Gardner. Ce dernier est équipé d’un laboratoire ambulant où il peut, le soir venu, développer les clichés pris durant la journée. Les précieuses photographies partent ensuite vers les rédactions de tout le Nord, où elles sont reproduites et publiées. Telles quelles. Lorsque Gardner peut visiter le champ de bataille en toute quiétude, les Nordistes ont déjà enterré la plupart de leurs morts, mais le terrain est encore jonché de cadavres sudistes. Par endroits, Bloody Lane, ce chemin creux si disputé, en est littéralement rempli. Six mois plus tôt à Shiloh, l’opinion publique avait découvert avec effroi l’hécatombe que représentait une bataille majeure. Mais c’était encore par l’intermédiaire de récits magnifiés, de listes abstraites de morts et de blessés, de gravures édulcorées. À Antietam, les photographies de Gardner font connaître à l’Amérique un spectacle dantesque que le noir et blanc n’atténue que bien faiblement. Une horreur graphique et crue, faite de visages méconnaissables aux traits gonflés par la putréfaction, de cadavres noircis et figés dans les postures les plus dérangeantes. Et cet affreux cauchemar s’est déroulé à moins de 100 kilomètres à vol d’oiseau de Washington.

La nuit des blessés

Si les morts étaient nombreux, les blessés l’étaient bien plus encore. Un cadavre a fini de souffrir, mais pour ceux dont la chair a été meurtrie par la balle, l’éclat d’obus ou la baïonnette, le calvaire ne fait que commencer. À Shepherdstown, Mary Mitchell et les autres habitants ont ouvert tout leur espace disponible pour accueillir autant de blessés que possible : mairie, écoles, salles de réunion, les six églises de la ville, et même une vieille usine désaffectée. Ces hôpitaux de fortune sont moins exposés que ceux établis directement sur le champ de bataille, comme par exemple la ferme Reel, incendiée par un obus. Pour tout confort, les blessés sont allongés sur de la paille, à même le sol, et recouverts d’une couverture – quand on en trouve une. La moindre étincelle, le moindre faux mouvement jetant une bougie à terre, leur fait courir le risque d’être transformés en torches vivantes. Devant l’indigence des services de santé de la Confédération, ce sont les habitants de la ville eux-mêmes qui prodiguent les soins. Mary Mitchell n’est pas tendre avec ceux qui devraient normalement s’acquitter de cette tâche : « Nul chirurgien n’était en vue. Quelques hommes, détachés comme infirmiers, étaient venus, mais ils étaient incompétents, bien sûr. »

Des critiques similaires, du reste, allaient être faites aux médecins militaires de l’Union, pourtant beaucoup mieux organisés. Elles sont suffisamment virulentes pour que le chirurgien Jonathan Letterman, chef du service de santé de l’armée du Potomac, les dénonce avec force dans son rapport sur la campagne. Sa comptabilité détaillée, toutefois, laisse apparaître que même les moyens nordistes sont encore insuffisants. Les 38 hôpitaux dont il a la charge comptaient déjà près de 30.000 patients début septembre, et allaient en accueillir 23.000 de plus durant la campagne du Maryland – aux plus de 10.000 blessés recensés par ses soins s’ajoutant des milliers de malades. Il n’y a toutefois que 224 médecins pour soigner tout ce monde. Dans le même laps de temps, 1.500 patients mourront, et plus de 2.000 autres, estropiés ou trop affaiblis, seront rendus à la vie civile. Contrant l’immobilisme des institutions militaires, l’initiative privée en faveur des blessés commence seulement à faire sentir ses effets.

Ainsi, pendant que l’artillerie nordiste déployée autour de la ferme de Joseph Poffenberger affrontait sans merci les canons sudistes placés sur Nicodemus Hill au matin du 17 septembre, et que les obus pleuvaient autour de l’hôpital de fortune qui venait d’y être installé, une femme de 41 ans se démenait pour y secourir les blessés des deux camps. Jusque-là secrétaire pour le bureau fédéral d’enregistrement des brevets – U.S. Patent Office – à Washington, Clara Barton avait multiplié les efforts pour, non seulement collecter des médicaments et du matériel de soins pour les soldats, mais également obtenir du département de la Guerre l’autorisation de les amener jusqu’aux armées en campagne. À force d’obstination, elle eut gain de cause un mois et demi avant la bataille d’Antietam. Après la guerre, Clara Barton allait apporter une contribution majeure à la création de la Croix Rouge américaine. En 1862, l’esprit d’équité prôné par l’institution fondée ultérieurement par le Suisse Henry Dunant n’avait pas attendu pour s’inviter sur les champs de bataille de la guerre de Sécession, au moins en théorie. Comme l’écrit Letterman, « L’humanité nous enseigne qu’un adversaire blessé et prostré n’est alors plus notre ennemi. »

Le 18 septembre, à 21 heures, l’armée de Virginie septentrionale commence à évacuer ses positions en profitant du couvert de la nuit. Lee ordonne au général Pendleton de placer un puissant détachement de son artillerie pour couvrir les environs du gué Boteler et de Shepherdstown, une arrière-garde soutenue par les restes des brigades Douglass et Armistead. Parallèlement, il envoie la cavalerie de Stuart vers Williamsport, en amont du Potomac, afin d’y faire diversion et de dissuader McClellan de serrer de trop près l’armée confédérée durant sa retraite. Lorsqu’à l’aube du 19 septembre, les tirailleurs nordistes commencent à avancer pour préparer l’assaut planifié la veille par leur chef, elles ne trouvent que des cadavres et des blessés intransportables. La poursuite fédérale est prudente, et les Nordistes s’arrêtent dès que les canons de Pendleton les accueillent au gué Boteler. Vers midi, les deux armées commencent à se livrer un violent duel d’artillerie de part et d’autre du Potomac.

Inévitablement, des obus ne tardent pas à tomber sur Shepherdstown, où ils sèment la panique. Le bruit s’étant répandu que le jaune était la couleur des hôpitaux, les habitants cherchent frénétiquement tout ce qui est de cette couleur pour l’arborer à leurs fenêtres ou sur leurs toits. Persuadés que les Nordistes vont traverser le Potomac dans les heures qui viennent, les blessés n’ont qu’une hâte : quitter la ville pour se retirer avec le reste de l’armée sudiste. « Tout ceux qui étaient capables de mettre un pied devant l’autre, ou pouvaient soudoyer ou supplier leurs camarades, partirent en hâte » écrit Mary Mitchell. Un sort souvent funeste attend ceux de cette pathétique caravane. « Des hommes avec la tête pansée marchaient sans chapeau sous le soleil, des hommes avec des pieds pansés boitaient sur la route caillouteuse ; des hommes avec le bras en écharpe, sans bras, avec une seule jambe, avec le dos ou les flancs pansés ; des hommes en ambulance, en fourgon, en chariot, en brouette, des hommes portés en civière ou soutenus par un camarade empli d’abnégation – tous ceux qui pouvaient ramper partirent, et ils partirent vers une mort quasi certaine. Ils ne pouvaient aller bien loin, ils s’écroulaient dans les fermes isolées, où ils étaient reçus avec autant de gentillesse que possible ; mais leurs blessures étaient gagnées par l’inflammation, leurs corps étaient affaiblis par la peur et l’épuisement : l’érysipèle, la mortification, la gangrène s’installaient ; et de longues rangées de tombes anonymes témoignent encore du résultat. »

Même les officiers supérieurs, pourtant les mieux lotis car soignés en priorité, ne se voient pas épargner leur lot de souffrances. John B. Gordon, blessé à cinq reprises sur Bloody Lane, connaît d’abord les affres des ambulances sommaires où sont prodigués des premiers soins qui le sont encore plus : « Je me retrouvai allongé sur une litière de paille dans une vieille grange, où nos blessés les plus graves avaient été rassemblés. » Le colonel sudiste survit miraculeusement à son évacuation vers Winchester, où l’armée confédérée s’est regroupée à l’issue de sa retraite. C’est dans un hôpital plus confortable qu’il s’efforce de récupérer de ses terribles blessures : « Mon visage était noir et informe – tellement enflé qu’un œil était entièrement clos, et l’autre presque complètement. Ma jambe droite, ainsi que mon bras et mon épaule gauche, étaient pansés et immobilisés avec des coussins. » C’est l’épouse de Gordon elle-même qui doit le nourrir malgré sa mâchoire fracassée, et lui enduire presque constamment le bras gauche, où l’infection menace, de teinture d’iode. Il faudra neuf mois à cette « gueule cassée » avant l’heure pour s’en remettre complètement, mais bien des blessés n’auront pas autant de chance.

Dernier affrontement à Shepherdstown

Dans l’après-midi, des éléments du Vème Corps nordiste commencent à se déployer sur la rive septentrionale du Potomac, McClellan ayant l’ordre de ne pas traverser sauf si une excellente occasion venait à se présenter. Fitz-John Porter la trouve finalement avec la luminosité déclinante du crépuscule, et se décide à sonder d’un peu plus près la position confédérée avec des unités n’ayant pas été engagées l’avant-veille – en l’occurrence prélevées sur les brigades de Charles Griffin et James Barnes, de la division Morell. Le coup de main réussit au-delà de toute espérance : refoulant aisément les soutiens des artilleurs sudistes, les Fédéraux s’emparent de cinq canons et sèment la panique au sein du commandement confédéré. Perdant son calme, Pendleton annonce à Lee que l’arrière-garde est enfoncée et que toute son artillerie a été capturée. Cette exagération conduit Lee à renvoyer en arrière, à marche forcée et en pleine nuit, toute la division d’A.P. Hill – désormais rejointe par la brigade d’Edward Thomas revenue de Harper’s Ferry. Pendant ce temps, les Nordistes se contentent de repasser le Potomac en emmenant avec eux leurs trophées.

Le lendemain, Porter décide de faire traverser des détachements plus importants au gué de Boteler, désormais sous contrôle nordiste, mais toujours avec une circonspection extrême. Aux brigades Griffin et Barnes s’en ajoutent deux autres de la division Sykes. Toutefois, l’arrivée massive de la division A.P. Hill ne tarde pas à tout remettre en cause. Pris en pleine traversée, Porter comprend rapidement que la tête de pont de Shepherdstown est indéfendable et ordonne de l’évacuer. Les Fédéraux y parviennent sans trop de pertes, mais l’ordre de repli n’est pas transmis correctement à tout le monde. C’est le cas pour un des régiments de Barnes, le 118ème Pennsylvanie, formé seulement trois semaines plus tôt et qui, comme environ un quart de l’armée du Potomac au moment de la campagne du Maryland, n’a ni entraînement ni expérience du combat. Son colonel, Charles Prevost, n’est pas plus expérimenté que ses hommes et refuse de reculer sans ordre direct de son commandant de brigade. Pour aggraver encore les choses, les fusils Enfield importés d’Angleterre pour armer l’unité sont défectueux. Les Pennsylvaniens ne peuvent pratiquement pas se défendre et sont vite submergés, effectuant finalement un repli précipité. Pris au piège, certains soldats se noient dans le Potomac. En tout, Le 118ème perdra environ 300 hommes sur 800.

La bataille de Shepherdstwon met un terme définitif à toute velléité de poursuite nordiste. Échaudé par la réaction vigoureuse de son adversaire, McClellan va rester sur la rive gauche du Potomac, laissant par la même occasion échapper l’armée ennemie jusqu’à Martinsburg, puis Winchester, sans être inquiétée. L’incapacité du chef nordiste à poursuivre Lee sera très vivement critiquée par la suite, mais à sa décharge, McClellan a aussi quelques bonnes raisons à faire valoir. Même s’il combat sur le territoire de l’Union, ses lignes de ravitaillement se sont quand même étirées d’une centaine de kilomètres en moins d’une semaine, et l’intendance a du mal à suivre. Les canons lourds, qui ont tiré toute la journée du 17 et ont encore servi les 19 et 20 septembre, ont pratiquement épuisé les stocks disponibles d’obus de 20 livres. Par-dessus tout, l’armée du Potomac a subi de grosses pertes et elle a, tout simplement, besoin de repos. Dans son rapport préliminaire, McClellan estime que la moitié des survivants du Ier Corps sont séparés de leurs unités. La chaîne de commandement n’a pas été épargnée. En l’espace de trois semaines, les armées nordistes ont perdu, en Virginie et dans le Maryland, trois commandants de corps d’armée et neuf généraux de division.

Toutefois, l’armée de Virginie septentrionale n’est pas en reste, et se trouve dans un état similaire, voire plus triste encore. En deux semaines de campagne dans le Maryland, la seule division D.H. Hill a perdu les deux tiers de ses effectifs en hommes et 25 officiers supérieurs sur 34. Six généraux – trois dans chaque camp – ont été tués ou mortellement blessés à Antietam, et une quarantaine d’officiers, en tout, ont été mis hors de combat alors qu’ils commandaient une brigade ou plus. Même s’il exagère sans doute les chiffres, le rapport de McClellan montre que l’armée sudiste a passablement souffert, ayant laissé dans le Maryland treize canons, une quarantaine de drapeaux et 15.000 armes légères, tandis que 6.000 prisonniers et traînards étaient cueillis par les Fédéraux. Pourtant, les forces sudistes vont se reconstituer avec une rapidité surprenante. Dès leur retour en Virginie, les traînards vont réapparaître comme par enchantement au sein de leurs unités. Fin octobre, Lee peut compter sur pas moins de 68.000 hommes, davantage de forces qu’il n’en avait en franchissant le Potomac deux mois plus tôt. D’autres isolés continueront à arriver à Winchester jusqu’en novembre.

La fin de la campagne du Maryland, 18-22 septembre 1862 (annotations de l'auteur sur une carte de la librairie Perry-Castaneda de l'Université du Texas).

1. 18 septembre, 21 heures : Lee commence à évacuer Sharpsburg et se replie vers la Virginie.

2. Il envoie Stuart créer une diversion vers Williamsport.

3. 19 septembre : McClellan découvre le départ des Confédérés et les poursuit prudemment.

4. Des éléments nordistes franchissent le Potomac à Shepherdstown et capturent plusieurs canons sudistes, semant la panique dans l'arrière-garde confédérée.

5. 20 septembre : la division A.P. Hill fait volte-face et refoule les Nordistes sur la rive gauche du Potomac.

6. L'armée de Virginie septentrionale atteint Martinsburg sans être poursuivie davantage.

7. Elle peut ainsi reculer jusqu'à Winchester pour se reposer et compléter ses effectifs.

8. 22 septembre : McClellan fait réoccuper Harper's Ferry, mais n'ira pas plus loin.

Encore aujourd’hui, il n’est pas simple de tirer des conclusions claires sur l’issue de la campagne du Maryland en général, et de la bataille d’Antietam en particulier. Sur cette dernière, les adeptes du courant historiographique de la « Cause perdue », à commencer par Jubal Early, n’hésitent pas à la considérer comme une nette victoire sudiste – même s’ils doivent pour cela jongler avec les chiffres, à coups d’extrapolations hasardeuses et de généralisations hâtives qui leur font surestimer largement la supériorité numérique réelle des Nordistes. D.H. Hill estimera même que la bataille aurait pu s’achever en triomphe pour la Confédération s’il n’y avait eu trois facteurs décisifs : la séparation des forces sudistes (mais son rôle dans la perte du l’ordre spécial numéro 191 le rend quelque peu partial sur ce point), le mauvais usage de l’artillerie (qui, au lieu de tenter de répliquer à son homologue nordiste, mieux armée et plus nombreuse, aurait dû selon lui concentrer ses feux sur l’infanterie), et le nombre particulièrement élevé de traînards et de déserteurs. Toute exagération mise à part, il est indéniable que l’armée confédérée a résisté de manière étonnante à un ennemi nettement supérieur en nombre, restant maîtresse du terrain jusqu’à pouvoir décrocher sans être réellement inquiétée.

Toutefois, la plupart des auteurs tendent aujourd’hui à considérer Antietam comme un match nul tactique. S’ils n’ont pas réussi à refouler les Sudistes de manière décisive, les Fédéraux n’en ont pas moins gagné du terrain, même si le prix à payer pour ces quelques hectomètres fut exorbitant. À plusieurs reprises, l’armée de Lee s’est trouvée au bord de l’effondrement, ne devant qu’à l’arrivée opportune de réserves ou à de terribles sacrifices d’éviter une déroute. James Longstreet reconnaîtra lui-même, selon son propre terme, que l’armée de Virginie septentrionale a été « écrasée ». Elle aurait même pu être détruite si le commandement nordiste avait mieux exploité les succès remportés localement : ceux de Greene autour de l’église Dunker, de la division Richardson entre Bloody Lane et la ferme Piper, ou du IXème Corps lors du franchissement de l’Antietam. Du reste, si les Confédérés n’ont pas battu en retraite le 17 septembre, ils ont tout de même fini par devoir le faire le lendemain soir. De premier abord, l’égalité tactique d’Antietam débouche ainsi sur une victoire stratégique de l’Union, puisque Lee se voit contraint de quitter le Maryland sans avoir atteint aucun de ses objectifs initiaux – hormis peut-être les grandes quantités d’équipement saisies à Harper’s Ferry.

Cette dernière vision nécessite pourtant d’être nuancée, elle aussi, ne serait-ce que parce que la campagne sudiste dans le Maryland était de toute manière condamnée à partir du moment où la découverte de l’ordre spécial numéro 191 avait convaincu McClellan de marcher vigoureusement contre Lee. Surtout, l’Union pouvait espérer beaucoup mieux de la bataille d’Antietam, dans laquelle elle s’était engagée dans une posture très favorable : supériorité numérique, défense de son propre sol et connaissance des plans de l’adversaire. Si les généraux des deux camps ont commis de graves erreurs, celles du commandement nordiste ont été particulièrement rédhibitoires. La prudence excessive de Sumner, sur l’aile droite fédérale, et la lenteur de Burnside, sur l’aile gauche, ne furent pas négligeables. Mais c’est surtout McClellan qui aurait pu mieux faire : en refusant, même avec ses propres raisons, d’engager en force les Vème et VIème Corps, le général nordiste s’est privé de la chance d’exploiter les avantages chèrement acquis par les autres éléments de son armée. McClellan est également à blâmer pour ne pas avoir poursuivi avec plus de vigueur un adversaire encore plus malmené que lui, un immobilisme qui n’allait pas tarder à lui coûter fort cher.

Au final, Antietam laisse l’amère impression d’un massacre sans équivalent perpétré en pure perte. Pourtant, la bataille livrée le 17 septembre allait constituer un vrai tournant de la guerre, non pas d’un point de vue strictement stratégique et militaire, mais sur le plan politique et idéologique. Elle allait en effet permettre au président nordiste Abraham Lincoln de publier un texte auquel il réfléchissait déjà depuis plusieurs mois, mais que la conjoncture ne lui permettait pas, raisonnablement, d’émettre. Un document daté du 22 septembre 1862, révolutionnaire à bien des égards – en dépit d’une certaine vacuité sur d’autres points – et intitulé Proclamation d’émancipation.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
A Lonely Grave, une photographie d'Alexander Gardner prise en septembre 1862 sur le champ de bataille d'Antietam. Un arbre mort, au pied duquel repose un soldat nordiste tué pendant l'affrontement, semble gardé par quelques vivants figés dans des attitudes variées.

 

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