Collision à Iuka
Quittant Tupelo, Price approcha le 13 septembre 1862 de Iuka, une petite station ferroviaire du Memphis & Charleston Railroad située à une trentaine de kilomètres à l’est de Corinth. Elle n’était tenue que par une petite garnison de 2.000 soldats nordistes, que son commandant fit évacuer hâtivement durant la nuit. Price et ses hommes s’emparèrent du dépôt qui s’y trouvait. Il devait y attendre que Van Dorn vienne le rejoindre avec 7.000 hommes supplémentaires, avant de lancer d’autres opérations contre les forces de Grant. Van Dorn, toutefois, suggéra plutôt que ce soit Price qui vienne à sa rencontre, ce à quoi le Missourien acquiesça. Le 19 septembre, Price ordonna à ses troupes de se tenir prêtes à quitter la place.
Grant, cependant, avait été prompt à réagir à son incursion. Arrivant en personne à Corinth avec deux divisions commandées par Edward Ord, il vint renforcer Rosecrans qui en avait deux autres. Sur la recommandation de Rosecrans, Grant décida d’employer cette force de 17.000 hommes dans une manœuvre complexe, destinée à prendre au piège Price et à détruire son armée. Pendant que les deux divisions d’Ord attaqueraient de front, directement depuis Corinth, celles de Rosecrans se lanceraient dans une marche de flanc destinée à couper aux Confédérés toute retraite. Rosecrans prévoyait d’emprunter pour cela deux routes distinctes, celles de Jacinto et de Fulton, qui lui permettraient d’atteindre Iuka depuis deux directions différentes – par le sud-ouest et le sud-est, respectivement. Le ciel, toutefois, l’empêcha de mener ce plan à bien : de fortes pluies transformèrent les médiocres routes de la région en bourbiers, ralentissant considérablement ses troupes. Le 18 septembre, Ord était déjà prêt à attaquer, mais Rosecrans était encore loin. Ce retard, et la crainte de voir ses deux divisions incapables de se soutenir mutuellement si elles arrivaient de deux directions à la fois, incitèrent ce dernier à abandonner son ordre de marche initial. Lorsqu’à l’aube du 19 septembre, la colonne Rosecrans se remit en marche, ce fut pour approcher Iuka par la seule route de Jacinto.
Côté sudiste, la brigade de Louis Hébert livra à cette position un assaut soutenu. Le général louisianais, capturé en mars à Pea Ridge puis échangé, fut repoussé à deux reprises par un feu nourri. Durant cette action, Little fut tué d’une balle dans la tête alors qu’il chevauchait juste à côté de Price. À la troisième tentative, la brigade Hébert parvint à s’emparer de la batterie nordiste du carrefour, qui avait perdu presque tous ses chevaux et dont la quasi-totalité des servants furent tués ou blessés. Price voulut pousser son avantage, prolongeant l’affrontement au-delà du coucher du soleil, mais les Confédérés ne progressèrent pas beaucoup plus. À l’entrée en jeu de la brigade Sullivan répondirent les tentatives sudistes pour déborder les ailes du dispositif fédéral en engageant les deux moitiés de la brigade de John Martin de part et d’autre de celle d’Hébert. La droite nordiste commença à reculer, mais l’arrivée de l’autre division de Rosecrans, commandée par David Stanley, permit de stopper la progression confédérée – non sans chance, car un des régiments sudistes suspendit son feu, confondant les renforts nordistes, dans la pénombre, avec des unités amies. Il fit bientôt trop sombre pour se battre, et vers 19 heures, la fusillade cessa.
D’autres zones d’ombres concernent sa relation avec Rosecrans. S’il était incontestablement agressif et entreprenant, qualités rares chez un général nordiste en 1862, Grant faisait aussi montre du sens politique aiguisé qui allait lui permettre, quelques années plus tard, de devenir la figure de proue incontestée du parti républicain, et d’être élu à deux reprises à la présidence des États-Unis. Grant avait une propension certaine à vouloir mettre sous l’éteignoir les subordonnés qu’il considérait comme de potentiels rivaux, que ce soit du point de vue politique ou sur le plan purement militaire, et c’était peut-être le cas avec Rosecrans. Le fait est qu’après l’avoir encensé dans un premier rapport écrit le lendemain de la bataille, Grant ne souffla mot de Rosecrans dans un second rapport, daté du 22 octobre, où il attribua tout le mérite de l’action livrée à Iuka au seul Charles Hamilton. D’aucuns ont même suggéré que Grant a délibérément laissé Rosecrans se débrouiller seul, faisant la sourde oreille au bruit de la bataille ou, à tout le moins, ignorant les nuages de fumée rapportés par certains des soldats d’Edward Ord. Grant, du reste, n’hésita pas à blâmer Rosecrans pour ne pas être parvenu à détruire l’armée de Price à Iuka, et il en concevra des doutes sur sa capacité à commander. Des éléments qui ne plaident guère en sa faveur – pas plus que les récits fluctuants qu’il donnera, au fil des ans, de cette affaire.
Quelles qu’aient été les responsabilités de chacun dans l’issue de la bataille livrée à Iuka, Grant, ayant perdu le contact avec Price, n’eut plus qu’à redéployer ses forces en prévision de la prochaine action de ses ennemis. Il envoya les deux divisions d’Ord rejoindre celle de Stephen Hurlbut à Bolivar, dans le Tennessee, au nord-ouest de Corinth. Leurs forces combinées s’élevaient à 12.000 hommes. Tandis que William Sherman tenait Memphis avec 7.000 soldats, Grant établit son quartier général à Jackson, en retrait par rapport à ses points d’appui principaux, où il garda 6.000 combattants en réserve. Reconnaissant toutefois en Corinth la pièce maîtresse de son dispositif, il y envoya deux autres divisions renforcer Rosecrans. Ce dernier y disposait en tout de 23.000 hommes : 15.000 dans la ville elle-même, et 8.000 autres dispersés entre cinq localités avoisinantes. Le principal problème des Fédéraux était qu’ils ne savaient pas du tout ce que leurs ennemis projetaient de faire. Pour ne rien arranger, Van Dorn et Price multipliaient les manœuvres destinées à les mystifier.
La curieuse stratégie de Van Dorn
Corinth, toutefois, n’était pas une cible facile, et de loin. Durant et après son siège, la ville avait été ceinturée de puissantes fortifications de campagne. Celles établies par les Confédérés eux-mêmes étaient principalement tournées vers le nord, et constituaient la ceinture la plus extérieure. Les Nordistes, toutefois, y avaient ajouté deux autres lignes de défense. L’une, intermédiaire, avait été baptisée « ligne Halleck », faisait surtout face au sud et consistait en de profonds abattis flanqués de redoutes. L’autre, aux abords immédiats du bourg et de la précieuse jonction ferroviaire, consistait en une série de batteries défendant Corinth tous azimuts. La majeure partie d’entre elles étant établies sur une colline s’élevant à moins d’un kilomètre au sud-ouest du dépôt de chemin de fer, ces défenses intérieures portaient le nom de « ligne de College Hill ». Le problème, pour les Nordistes, était qu’ils n’avaient pas suffisamment de forces pour tenir d’aussi formidables retranchements. Égale en nombre, l’armée de Rosecrans l’était également à celle de ses ennemis en organisation, les quatre divisions de Stanley, Hamilton, Thomas Davies et Thomas McKean comptant un total de dix brigades ; s’y ajoutait une petite division de deux brigades de cavalerie, commandée par John Mizner.
Earl Van Dorn n’avait-il donc rien appris de sa défaite de Pea Ridge ? Le Mississippien était avant tout un officier de cavalerie, depuis qu’il était sorti de West Point en 1842 – ironiquement, la même année que Rosecrans. Il raisonnait comme tel, cherchant à utiliser la mobilité pour surprendre l’adversaire et le frapper de manière brusque et décisive. C’était un exercice pour lequel il était tout à fait à son aise, comme le montrerait la suite de sa carrière. Mais en tant que commandant d’armée, Van Dorn n’avait apparemment pas compris qu’une force combinée constituée principalement d’infanterie, d’artillerie et de chariots de ravitaillement, ne pourrait jamais ni attaquer, ni se retirer aussi vite qu’une troupe formée exclusivement de soldats montés. Cette incompressible lenteur avait pour conséquence qu’au moindre grain de sable, l’armée toute entière pouvait se retrouver dans une situation extrêmement périlleuse. C’est ce qui s’était produit à Pea Ridge. Mais Van Dorn, apparemment, n’avait pas retenu la leçon – probablement parce qu’il n’avait simplement pas compris les causes de sa défaite.
Sources
- Page consacrée aux batailles de Iuka et Corinth, avec plusieurs documents, notamment le récit fait par Charles Hamilton pour la série Battles and Leaders.
- Sur le même site, les rapports officiels de Rosecrans, Grant, Van Dorn et Price sur les batailles de Iuka et Corinth.
- La page du Civil War Preservation Trust consacrée à la bataille de Iuka.