La marche sur Corinth
Sur l’ordre de Grant, Rosecrans réunit toutes ses forces à Corinth, hormis une brigade de la division McKean, commandée par John Oliver, qui fera office d’avant-poste à Chewalla. Grant ordonne également à Ord d’aller prêter main forte à Rosecrans. Lorsque les Confédérés peuvent enfin reprendre la route le matin du 2 octobre, Oliver craint rapidement de voir l’ennemi le couper de ses arrières. Il évacue la localité, si bien que Van Dorn et ses hommes peuvent bivouaquer le soir même à Chewalla, sans avoir rencontré d’opposition. L’assaut sur Corinth, distante d’une douzaine de kilomètres, sera pour le lendemain.
Compte tenu de son problème d’effectifs, Rosecrans a opté pour une défense en profondeur. Il a déployé, en avant des anciens retranchements confédérés, la brigade Oliver – cette dernière ayant pour mission de ralentir la progression ennemie. En retrait, légèrement en avant de la ligne Halleck, se tient le reste de la division, soient les brigades de John McArthur et Marcellus Crocker. La division Davies est immédiatement à droite de cette position, tandis que celle de Hamilton, à l’est du Mobile & Ohio Railroad, est plus avancée et pratiquement à la hauteur des tranchées de la ligne extérieure. Quant à la division Stanley, elle est tenue en réserve au sud-ouest de Corinth. De son côté, Van Dorn, qui n’a qu’une vague idée des dispositions nordistes, prévoit de lancer Lovell dans une attaque directe le long de la route de Chewalla. Espérant que cette action conduira Rosecrans à dégarnir sa droite, il lancera alors contre elle le reste de son armée, entre la route de Memphis et le Mobile & Ohio.
Les choses changent lorsque la brigade d’Albert Rust entre en scène, tout à droite du dispositif confédéré. Ses soldats de l’Alabama et du Kentucky chargent à la baïonnette, au pas de course, droit sur la position fédérale, obligeant finalement McArthur à reculer vers 11 heures. L’intervention de la brigade de Silas Baldwin, que Davies envoie au secours de McArthur et dont le chef est blessé dans l’action, permet de ralentir la progression sudiste pendant un temps, mais la loi du nombre finit par parler : Van Dorn fait peser l’essentiel de son armée contre seulement une fraction de celle de Rosecrans. La situation des Nordistes devient d’autant plus critique qu’en reculant, McArthur a laissé exposée la gauche de Davies, auquel il a, pour ne rien arranger, emprunté quatre régiments supplémentaires sans l’en informer. Son flanc est donc complètement sans protection, et la division Maury s’empresse de l’attaquer pendant que celle d’Hébert entre en jeu sur son front. Les hommes de Davies opposent une résistance désespérée, mais ils perdent bientôt leurs deux autres commandants de brigade : Pleasant Hackleman reçoit une balle dans le cou dont il meurt quelques heures plus tard, Richard Oglesby un projectile dans les poumons auquel il survivra. La division Davies parvient malgré tout à éviter la déroute, et tente de se rétablir sur la ligne Halleck, à laquelle McArthur s’efforce de tenir.
À l’approche de 15 heures, un étrange flottement semble régner dans l’armée nordiste. Malgré l’intensité des combats et les difficultés rencontrées, les réserves sont restées l’arme au pied. Rosecrans semble étrangement passif. En réalité, il commence seulement à comprendre que la poussée ennemie en cours constitue son attaque principale, et non feinte destinée à éloigner ses forces d’une action d’enveloppement contre son flanc gauche, comme il le croyait initialement. Resté seul avec la brigade Crocker, McKean n’a noté aucun mouvement de troupes suspect dans ce secteur du champ de bataille – et pour cause, puisqu’il n’a face à lui que la brigade de cavalerie de William H. Jackson, qui agit en flanc-garde de la droite sudiste. Libéré de ses craintes par cette observation, Rosecrans ordonne à McKean de rejoindre le reste de sa division, et fait se redéployer celle de Stanley sur College Hill. L’inaction apparente de Rosecrans, toutefois, pèse sur le moral de ses troupes, et le bruit court dans les lignes nordistes qu’il aurait été tué… Informé de la rumeur, le général entreprend aussitôt de la démentir. Il passera le reste de la journée à chevaucher inlassablement les endroits les plus exposés, criant aux traînards des encouragements ou des insultes – suivant la source – et manquant d’être réellement abattu à plusieurs reprises.
Pendant ce temps, les Confédérés renouvellent leurs assauts contre la ligne Halleck. De nouveau, l’artillerie nordiste joue un rôle déterminant en tenant les assaillants en respect. Tirant leurs munitions plus vite qu’elles ne les reçoivent, les deux batteries de Davies finissent par se retirer au bout d’une heure et demie, lorsque leurs caissons sont vides. Sans leur soutien, les fantassins nordistes résistent crânement malgré tout. Bien qu’ayant reçu cent cartouches par homme le matin, ils ont presque épuisé leurs munitions vers 17 heures, mais en reçoivent in extremis de nouvelles. Ce n’est que lorsque la brigade sudiste de John C. Moore, de la division Maury, parvient à s’enfoncer telle un coin entre les divisions Davies et McKean, que les Fédéraux abandonnent la position. Rosecrans fait alors intervenir une des brigades de Stanley, celle de Joseph Mower, pour couvrir le repli de Davies. Les Fédéraux résistent un moment, vers 18 heures, aux alentours d’une habitation isolée surnommée « la Maison Blanche », mais finissent par se replier sur la ligne de College Hill. Lorsque Hamilton commence enfin son attaque de flanc, le soleil est pratiquement couché, rendant futile sa tentative. Tandis que l’obscurité tombe sur Corinth, les Confédérés sont à moins d’un kilomètre du dépôt ferroviaire, et les Nordistes sont pratiquement adossés aux premières maisons de la ville.
L’assaut final ?
Persuadés d’être sur le point de l’emporter, Van Dorn aussi bien que Rosecrans regretteront de n’avoir pas eu une heure de jour supplémentaire pour développer leurs attaques respectives. Le général sudiste profite de l’obscurité pour redéployer ses troupes. Son plan pour le lendemain est l’exact opposé de celui qui a été le sien le 3 octobre : à Hébert, renforcé par la brigade de William Cabell – prélevée sur la division Maury – de fixer les forces nordistes en attaquant à gauche ; le reste de l’armée attaquera alors, Maury au centre, Lovell à droite. Rosecrans, de son côté, replace ses divisions de manière à ce que les points les plus exposés soient tenus par les troupes ayant le moins combattu. La division Stanley tient ainsi le centre, entre les batteries Williams et Robinett, qui protègent le dépôt ferroviaire. McKean a été placé sur sa gauche et en retrait ; Davies tient les abords immédiats de la ville, jusqu’à la batterie Powell, située au nord de Corinth. Enfin, Hamilton couvrira la droite : la brigade Sullivan au niveau de la batterie Powell, celle de N.B. Buford en flanc-garde et en arrière, pour parer à toute tentative de débordement.
Van Dorn est persuadé qu’il va réussir à enfoncer les lignes nordistes et « finir le travail » en prenant Corinth – une idée qui était déjà la sienne au matin du deuxième jour de la bataille de Pea Ridge. Celle de Corinth, en bien des points, en est manifestement une réédition. Il néglige cependant plusieurs facteurs cruciaux. Les Fédéraux, tout d’abord, sont dans une situation où leurs lignes sont resserrées, appuyées sur de solides fortifications, et le dos au mur – ils n’ont plus d’autre alternative que de résister coûte que coûte. Ses propres hommes, en outre, ont beaucoup souffert. Dans tout l’Ouest américain, l’été 1862 a été particulièrement sec. C’est cette sécheresse, en faisant baisser le niveau du Mississippi de manière anormale, qui a contraint Farragut à lever son blocus de Vicksburg. Les pluies qui ont détrempé les routes au moment de la bataille de Iuka n’ont été qu’un épisode pluvieux sans lendemain. Ce que l’on surnomme au Québec « l’été des Indiens », qui n’est pas un simple redoux avant l’automne mais une vraie saison chaude, brève mais intense, s’est à présent abattu sur la région. La chaleur est écrasante. Même dans une région humide et semi-marécageuse comme celle de Corinth, beaucoup de ruisseaux sont à sec. Épuisés par les marches et les combats, accablés par la chaleur dans leurs uniformes de laine, les soldats sudistes souffrent aussi de la soif. Au matin du 4 octobre, beaucoup d’entre eux sont incapables de rejoindre les rangs, et l’armée confédérée s’en trouve affaiblie d’autant.
À 4 heures du matin, trois batteries confédérées, que Van Dorn a fait masser contre la gauche nordiste, ouvrent le feu. Elles ont pour mission de se livrer à un simulacre de bombardement préliminaire, une précaution de plus pour désorienter Rosecrans avant l’attaque de la division Hébert – qui est, elle-même, une diversion. Hébert doit avancer dès qu’il fera suffisamment jour, mais alors que le soleil commence à poindre, l’aile gauche des Sudistes demeure silencieuse. Le faux bombardement se transforme en un duel d’artillerie en règle qui se prolongera pendant trois heures, mettant sérieusement à mal les canons sudistes – qui ne peuvent, contrairement à leurs adversaires, bénéficier du couvert des redoutes. Interloqué face à l’inaction de son subordonné, Van Dorn envoie trois aides de camp à la recherche d’Hébert, mais celui-ci est introuvable. C’est finalement à 7 heures que le Cajun se présente de lui-même au quartier général de Van Dorn… mais c’est pour se faire porter pâle. Martin Green, qui n’a jamais exercé de commandement divisionnaire, le remplace au pied levé. Le temps qu’il prenne en main son nouveau commandement, il est 8 heures passées. Ses quatre brigades avancent de manière désordonnée et celle de Cabell est même restée en arrière.
Maury se décide alors à tenter un troisième assaut, faisant de nouveau appel à la brigade Moore. Cette fois, la manœuvre est plus élaborée : alors que la brigade fera mine de contourner la batterie Robinett par la gauche, un de ses régiments s’en séparera inopinément pour la charger directement. Le colonel William Rogers, un ancien compagnon d’armes de Jefferson Davis au Mexique, se porte volontaire pour effectuer cette action à la tête de la 2ème légion du Texas. Le coup de main manque de réussir. Rogers est abattu alors qu’il plante le drapeau de son unité sur le parapet de la batterie Robinett. Ses hommes réussissent à submerger les défenseurs. Un des commandants de brigade de Stanley, Joseph Mower, est blessé au cou et, dans la tourmente, il se fait capturer. Quelques instants plus tard, un de ses régiments, le 11ème Missouri, renverse le cours de l’action. Son colonel l’a judicieusement fait allonger et maintenu en réserve ; lorsque les soldats nordistes se lèvent et ouvrent le feu, l’effet de surprise est suffisant pour briser l’élan des Confédérés. Le 11ème Missouri contre-attaque et reprend la batterie Robinett, rejetant pour de bon la division Maury en arrière, peu après 11 heures. Quant à Mower, les Nordistes le récupèreront plus tard dans la journée, dans un hôpital de campagne évacué par leurs ennemis.
Poursuites et regrets
Plus au nord, la division Hamilton reçoit également l’ordre de Rosecrans de rétablir la situation. N.B. Buford se porte à la rencontre de la brigade Colbert et bloque sa progression, l’empêchant de flanquer l’armée nordiste. Quant à la seconde ligne de la brigade Sullivan, elle parvient à rallier une partie de la division Davies derrière une crête, stoppe les Confédérés, puis contre-attaque. Lentement, les Sudistes sont repoussés, malgré l’intervention tardive de la brigade Cabell, jusqu’à ce que Sullivan reprenne la batterie Powell. Ses soldats n’ayant pratiquement plus de munitions, Van Dorn décide finalement de les faire reculer. Il a surtout compris qu’insister davantage serait futile : sa chance de s’emparer de Corinth est passée. Peu après avoir ordonné à la division Lovell, jusque-là restée inactive, de sonder la gauche nordiste, il change d’avis et l’envoie de l’autre côté du champ de bataille pour couvrir le repli de la division Hébert – puis, bientôt, de toute l’armée. Bien qu’un combat d’arrière-garde entre tirailleurs va se poursuivre durant une bonne partie de la journée, dès midi, la bataille de Corinth est essentiellement terminée.
En dépit de sa petite échelle, l’affrontement a été meurtrier. Les Nordistes ont eu environ 2.500 morts et blessés, leurs adversaires ayant perdu pour leur part plus de 4.200 hommes. Le nombre de tués dépasse les 800. La situation de Van Dorn est alors critique. Ses hommes sont épuisés et à la merci d’une poursuite vigoureuse. Les tirailleurs nordistes qui marquent l’armée confédérés en retraite cueillent de nombreux traînards qui, assoiffés, ne peuvent plus suivre. Il n’y aura, en dépit de cela, aucune poursuite. Dans l’après-midi, Rosecrans reçoit des renforts sous la forme d’une brigade, venue à marche forcée de Jackson et commandée par un des protégés et hommes de confiance de Grant, James Birdseye McPherson. Toutefois, ces soldats sont fatigués, comme le reste de l’armée nordiste, et Rosecrans décide de laisser ses troupes se reposer jusqu’au lendemain matin. Une décision que Grant regrettera vivement, et qui alimentera encore la controverse entre les deux généraux. À la décharge de Rosecrans, il convient de signaler qu’il ne peut guère compter sur sa cavalerie, puisqu’il l’a largement dispersée pour couvrir son flanc gauche alors qu’il croyait encore celui-ci menacé.
En résistant toute la journée, les soldats de Dabney Maury ont réussi à sauver les précieux chariots de ravitaillement et de munitions de l’armée confédérée. Durant la nuit, les éclaireurs de Van Dorn parviennent à trouver, sans trop de difficulté grâce à la sécheresse, un autre point de passage sur la Hatchie. Efficacement couverte par la division Lovell, l’armée sudiste franchit la rivière sans encombre avant de se replier sur Ripley, puis Holly Springs. Une fois encore, William Rosecrans a laissé échapper sa proie. Une fois encore, Earl Van Dorn a mené son armée au bord de l’anéantissement en suivant un plan téméraire. Les deux hommes, toutefois, allaient connaître des destins dissemblables. Tandis que Rosecrans allait poursuivre son ascension, Van Dorn allait payer l’addition. La bataille de Corinth s’était soldée par un échec pour la Confédération, un échec coûteux qui plus est, et n’influa guère, en fin de compte, sur l’issue des opérations dans le Kentucky. Épouvantée par les lourdes pertes subies – pratiquement un cinquième des forces engagées – l’opinion publique sudiste réclama la tête de Van Dorn. Dès le 10 octobre, il fut subordonné à un nouveau commandement confié au général John Pemberton, puis traduit en cour martiale. Il allait toutefois être acquitté, mais ne retrouverait jamais le commandement d’une armée.
Sources
- Article général sur la bataille de Corinth.
- Page du Civil War Preservation Trust consacrée à la bataille de Corinth.
- Robert C. SUHR, Battle of Corinth, America’s Civil War, mai 1999 [en ligne].
- Récit de la bataille de Corinth dans le magazine nordiste Harper’s Weekly du 1er novembre 1862.
- Article du site Tennessee in the Civil War sur la bataille du pont Davis.
- Page du Civil War Preservation Trust sur la bataille du pont Davis