Le Kentucky à la croisée des chemins
L’atmosphère festive salue la présence de Braxton Bragg et d’Edmund Kirby Smith : les deux généraux sont venus apporter toute la solennité nécessaire à la cérémonie d’entrée en fonction de Richard Hawes, le gouverneur confédéré du Kentucky. Bien que l’État fît partie – selon sa minorité sécessionniste – de la Confédération, le poste était resté vacant depuis que son précédent titulaire, George W. Johnson, avait été mortellement blessé à Shiloh, où il servait dans le rang comme simple soldat. La cérémonie est bientôt troublée par un grondement, qui s’avère rapidement bien trop régulier pour être celui du tonnerre. Pendant que les festivités sont écourtées, Bragg reçoit la confirmation qu’il s’agit bien du son du canon : les Fédéraux sont passés à l’offensive, et marchent sur Frankfort.
L’avancée brutale de l’armée nordiste est d’autant plus surprenante que rien, dix jours auparavant, ne laissait présager que Don Carlos Buell et ses troupes seraient prêts à marcher sur leurs ennemis à brève échéance. Pas moins de dix divisions se trouvaient groupées à Louisville, en plus des deux que Buell avait laissées à Nashville pour en assurer la sécurité. Le général nordiste recourut à une organisation inédite en les numérotant selon une seule et même série, une innovation qui demeura sans lendemain. Ces éléments, trop nombreux pour être commandés efficacement de façon directe, obligèrent Buell à introduire dans l’Ouest le système des corps d’armée déjà appliqué en Virginie. Il employa toutefois sa propre numérotation, là aussi de façon temporaire. Buell confia le Ier Corps à Alexander McCook et y affecta les 2ème, 3ème et 10ème divisions, respectivement commandées par Joshua Sill, Lovell Rousseau et James S. Jackson. Le IIème Corps revint à Thomas Crittenden, avec la 4ème division de William S. Smith, la 5ème d’Horatio Van Cleve et la 6ème de Thomas Wood. Quant au IIIème Corps, il fut initialement confié à William Nelson et constitué des 1ère, 9ème et 11ème divisions, aux ordres respectifs d’Albin Schoepf, Jefferson C. Davis et Philip Sheridan. Une dernière division, la 12ème, restait en réserve sous le commandement d’Ebenezer Dumont.
Toujours le 29 septembre, Buell reçoit une autre mauvaise nouvelle, et non des moindres. La lenteur de sa campagne contre Chattanooga, à laquelle s’était ajoutée sa molle et infructueuse poursuite de Bragg, avait souverainement déplu autant à Halleck qu’à Lincoln. L’occupation de la plus grande partie du Kentucky par les Confédérés posait un sérieux problème politique au président nordiste, et ternissait l’avantage qu’il pouvait tirer de la « victoire » d’Antietam. Il fallait attaquer sans attendre, et Lincoln craignait que Buell ne soit pas l’homme de la situation. Le télégramme présidentiel est donc sans appel : Buell doit remettre le commandement de l’armée de l’Ohio à George Henry Thomas, qui commandait jusque-là les forces laissées à Nashville, et que Buell venait de rappeler à lui pour en faire son second. Thomas était, de manière assez ironique au vu du tour que prenait la guerre depuis que Lincoln avait émis sa proclamation d’émancipation, un propriétaire d’esclaves de Virginie qui avait choisi de rester fidèle à l’Union – un acte qui lui vaudra le mépris de sa famille pour le restant de ses jours. Il connaît bien le Kentucky pour y avoir livré plusieurs batailles mineures durant l’hiver. Toutefois, et en dépit de la forte pression exercée par plusieurs officiers de l’armée n’ayant qu’une confiance très limitée en Buell, Thomas n’est guère enclin à prendre à sa place. Il refuse le commandement de l’armée, obligeant de fait Lincoln à suspendre l’exécution de son ordre. Buell conserve ainsi l’armée de l’Ohio, mais il n’a plus le choix : s’il veut avoir une chance de ne pas être limogé dès qu’un autre général suffisamment expérimenté sera disponible, il doit passer à l’offensive sur-le-champ.
Après une ultime journée de préparatifs, Buell met son armée en marche le 1er octobre. Son objectif est Bardstown, où se trouve l’armée de Bragg ; chacun des trois corps nordistes doit s’en approcher par une route différente. Afin d’empêcher Kirby Smith de venir prêter main-forte à Bragg, Buell lance une feinte : renforcée par la division Dumont et l’essentiel de la cavalerie fédérale, la division Sill, prélevée sur le Ier Corps, doit marcher sur Frankfort. Sill dispose en tout de 19.000 hommes, Buell en garde 58.000 avec lui. Les Confédérés sont beaucoup moins nombreux. Les 27.000 hommes que Bragg avait emmenés de Chattanooga se sont vus réduits par les pertes au combat, les désertions et les rigueurs de la marche. Ses quatre divisions sont organisées en deux ailes : celles de Patton Anderson et Simon Buckner forment l’aile gauche, aux ordres de William Hardee ; celles de Jones Withers et Benjamin Cheatham constituent l’aile droite, confiée à Leonidas Polk – ce dernier assumant également le commandement de l’ensemble en l’absence de Bragg. Kirby Smith peut compter sur 19.000 soldats, répartis en trois divisions – celles de Carter Stevenson, Henry Heth et Thomas Churchill – mais ces forces sont dispersées entre Frankfort et Lexington, bien loin de Bardstown. Les forces confédérées n’avaient reçu comme renforts qu’une petite force de 3.000 hommes en provenance de Virginie. Commandée par Humphrey Marshall, elle devait initialement couper la retraite de la garnison nordiste de la cluse de la Cumberland – mission dans laquelle elle avait échoué.
Un affrontement imprévu
Son plan de concentration devenu caduc par la force des choses, Bragg doit en improviser un autre. Le 5 octobre, il ordonne à ses troupes de converger vers Harrodsburg, à quinze kilomètres au nord de Danville et à une cinquantaine de kilomètres au sud de Frankfort. Pendant que Polk échappe de justesse aux Nordistes lancés à sa poursuite, Kirby Smith commence à rassembler son armée à Versailles, sur la rive nord-est de la rivière Kentucky, en vue de rejoindre Harrodsburg. Le lendemain, Bragg change d’avis et lui ordonne d’y rester. En effet, depuis sa démonstration du 4 octobre, Sill n’a pas progressé d’un mètre et n’a toujours pas occupé Frankfort, de sorte que Bragg nourrit désormais l’espoir de maintenir les forces de Smith sur la Kentucky tout en rassemblant sa propre armée à Harrodsburg. Polk commence d’ailleurs à y arriver, mais en ordre dispersé. Pour éviter un embouteillage, aux conséquences forcément désastreuses dans la mesure où il est poursuivi, Polk a ordonné à Hardee d’emprunter une autre route avec ses deux divisions. Ces dernières ont pris du retard et, au matin du 7 octobre, elles ne sont encore qu’à Perryville, quinze kilomètres au sud-ouest de Harrodsburg, avec l’armée nordiste sur leurs talons.
Modeste village, Perryville n’en est pas moins une cible de choix pour Buell. Il s’agit d’un nœud routier important. Pas moins de six axes partent de la petite bourgade : une fois qu’ils en seront maîtres, les Fédéraux pourront tout aussi bien marcher directement sur Harrodsburg, ou pousser vers l’est en direction de Danville pour tenter de passer dans le dos des Confédérés et tenter de couper leur principale de retraite vers la cluse de la Cumberland et le Tennessee oriental. Les trois corps d’armée nordistes profitent d’ailleurs du réseau routier pour marcher sur Perryville, chacun depuis une direction différente : Crittenden suit la route de Lebanon, par le sud-ouest ; Gilbert vient de l’ouest, suivant la route de Springfield, la plus directe ; quant à McCook, il arrive par le nord-ouest et la route de Mackville. Buell souhaite attaquer lui aussi dès que possible, mais une semaine de marche a considérablement étiré son armée. Constatant qu’elle ne serait pas entièrement à pied d’œuvre au matin du 8 octobre, il décide de remettre l’opération au lendemain. Tous les facteurs semblent réunis pour que les alentours de Perryville restent relativement calmes, rien ne laissant présager qu’une bataille majeure allait être livrée ce jour-là.
De l’accrochage à la bataille générale
À 3 heures, la brigade de Daniel McCook Jr est au contact de l’ennemi, mais il fait encore trop sombre pour qu’une action véritablement décisive soit menée. Daniel McCook est le frère cadet d’Alexander McCook, qui commande le Ier Corps de l’armée de Buell. Pour cette famille de l’Ohio, la cause de l’Union est un véritable sacerdoce auquel se consacrent tous les hommes du clan. Robert McCook, le général tué en août dans l’Alabama au cours d’un accrochage avec des cavaliers sudistes, était leur frère. Il n’était pas le premier à trouver la mort : leur frère Charles avait été mortellement blessé lors de la première bataille de Bull Run. Ces décès n’avaient aucunement diminué l’ardeur des McCook : quatre autres frères, ainsi que leur propre père, serviront dans l’armée nordiste durant la guerre – de même que leur oncle et cinq de leurs cousins. Sur ces quinze hommes de la famille McCook, quatre en tout allaient être tués au combat, et un cinquième allait mourir quelques années plus tard des séquelles d’une blessure de guerre.
La clarté de l’aube naissante devient bientôt suffisante, vers 5 heures, pour que l’affrontement de tirailleurs se mue en une avancée en bonne et due forme. Cette fois, le 7ème Arkansas n’est pas de taille et se replie, laissant Daniel McCook maître du terrain. Un répit de courte durée, une heure et demie plus tard, les Confédérés reviennent, cette fois en force puisque le régiment de l’Arkansas a rejoint le reste de sa brigade. Commandée par St. John Liddell, elle tente vainement de reprendre le contrôle de Peters Hill aux environs de 6 heures 30. Son échec permet à Sheridan de rejoindre Daniel McCook avec ses deux brigades restantes, sous Nicholas Gruesel et Bernard Laiboldt. Gilbert l’accompagne ; il décide de lancer un petit détachement de cavalerie en avant pour sonder la force réelle des Confédérés dans le secteur. Les cavaliers nordistes sont bientôt repoussés. Alors que Gilbert rebrousse chemin pour aller rejoindre ses autres divisions, Sheridan décide de pousser un peu plus fort contre le dispositif confédéré. La brigade Laiboldt avance vers 8 heures 30, repoussant aisément les Sudistes à l’est d’un petit affluent de la Doctor’s Creek. Dans les minutes qui suivent, avec le soutien du reste de la division, elle gravit les pentes d’une autre colline, Bottom Hill. Dépassé en nombre, Liddell ne peut que retarder la progression des Fédéraux.
Bragg voit sa tâche facilitée par le commandement nordiste lui-même. Au moment où Bragg met sa stratégie au point, Liddell doit reculer à nouveau sous la pression de Sheridan. Sa brigade se redéploye aux abords immédiats de Perryville, désormais directement menacée par les Fédéraux. Mais quelques minutes plus tard, Gilbert revient sur Peters Hill pour constater que Sheridan est beaucoup plus avancé qu’il ne le pensait. Craignant qu’une brusque contre-attaque ne mette à mal sa division sans que le reste du corps d’armée ne puisse la soutenir, le général nordiste lui ordonne de revenir sur sa position de départ. Sheridan proteste, mais doit s’exécuter. Ce répit inattendu va permettre aux Sudistes de reprendre le terrain perdu, et surtout de redéployer leurs troupes en vue de l’attaque à venir. Buell, de son côté, n’est au courant de rien ou presque. Quelques jours auparavant, il s’est blessé dans une chute de cheval, et les séquelles en sont encore suffisamment douloureuses pour qu’il ne puisse remonter en selle. Par conséquent, il se trouve assez loin en arrière et n’exerce pas de contrôle strict sur ses différents commandants de corps d’armée. Pour lui, les combats que lui a rapportés Gilbert ne sont guère que des accrochages.
Vers la mi-journée, le corps d’armée McCook commence à se déployer à gauche de celui de Gilbert. Les combats ont pratiquement cessé depuis que Sheridan a replié ses forces sur Peters Hill. Les hommes de la division Rousseau peuvent voir, à quelques encablures au nord de Perryville, d’énormes nuages de poussière s’élever dans le ciel. Le relief, toutefois, leur en masque la cause. Habitués à voir leur adversaire se retirer sans combattre, la plupart d’entre eux pensent que les Confédérés sont en train d’évacuer la ville. Il n’est toutefois pas question d’attaquer : avant d’aller rejoindre Buell à son quartier général, McCook a ordonné de ne pas bouger. Personne n’imagine, dans les rangs nordistes, que cette poussière est soulevée par la division Cheatham, en train de se positionner pour les attaquer de flanc.
Perryville, bataille de la soif
La situation est suffisamment calme pour inciter Lovell Rousseau à envoyer la brigade de William Lytle puiser de l’eau dans les mares de la Doctor’s Creek. Lytle, un avocat de l’Ohio, est aussi un homme de lettres à qui ses poésies ont valu avant la guerre une renommée nationale. À présent colonel, il envoie le 42ème régiment de l’Indiana à la corvée d’eau sous la protection du 10ème de l’Ohio, déployé en tirailleurs sur la rive opposée. Ce dernier y est rapidement pris à partie par les Confédérés : des éléments avancés des brigades de Sterling Wood et Bushrod Johnson, en train de prendre position sur une autre colline située au nord-ouest de Perryville, Chatham Hill, en vue de l’attaque sudiste à venir. Les fantassins sudistes, en fait, protègent leurs canons, qui sont en train d’être mis en batterie. Bientôt, les soldats de l’Ohio reculent, obligeant leurs camarades de l’Indiana à interrompre leur tâche. Les deux régiments retraversent le lit asséché de la Doctor’s Creek pour rejoindre leur brigade, que son commandant fait aussitôt déployer en position défensive.
De retour vers 13 heures, McCook finit par ordonner à ses artilleurs de cesser le feu, car il ne voit venir aucune attaque et souhaite appliquer à la lettre ses instructions – ne pas déclencher d’engagement le jour même. Les artilleurs sudistes, eux, continuent à tirer, mais leur feu n’est guère efficace car leurs pièces – dont une large proportion de petits canons de 6 livres en bronze – sont trop peu puissantes. Ce bombardement finit par être entendu jusqu’au quartier général de Buell, où Gilbert se trouve à nouveau. Persuadés de n’avoir rien à craindre de leur ennemi, les deux hommes interprètent les coups de canon comme des… tirs d’entraînement exécutés par les artilleurs de la division Sheridan. Excédé par ce qu’il commence à percevoir comme une insubordination manifeste, Gilbert fait ordonner sèchement à Sheridan de « cesser cet inutile gaspillage de poudre » et d’économiser ses munitions pour l’attaque du lendemain. Prévenu peu après 14 heures, Sheridan se le tiendra pour dit et restera pratiquement l’arme au pied pour le restant de la journée, alors même qu’une bataille majeure se déroulera devant ses yeux.
De la manœuvre de flanc à l’attaque frontale
La brigade de Daniel Donelson est la première à s’élancer. La traversée de la Chaplin s’avère difficile, moins en raison de l’eau, qui a pratiquement disparu, que des pentes escarpées qui s’élèvent de part et d’autre du lit de la rivière. L’opération prend du temps, et il est près de 14 heures 30 lorsque ses soldats – trois régiments du Tennessee, les deux autres ayant été envoyés en soutien de batteries – débouchent en ordre de bataille sur les hauteurs. Les officiers sudistes réalisent immédiatement qu’en fait de flanc sans protection, ils font face à une ligne solidement déployée sur une position qui surplombe la leur. Donelson décide malgré tout de marcher droit sur la batterie nordiste située devant lui, à la jonction des brigades Starkweather et Harris. À la tête du 16ème Tennessee, le colonel John Savage tient cet ordre pour suicidaire. Méprisant Donelson, qu’il tient pour un ivrogne incompétent, il ordonne à son régiment de charger au pas de course, alors que le reste de la brigade avance normalement.
Ainsi disloquée, la brigade Donelson l’est encore davantage par le feu ennemi : depuis Open Knob, la batterie Parsons l’accable sur sa droite, tandis qu’un des régiments de Harris la prend bientôt en enfilade sur sa gauche. Ces tirs croisés font littéralement fondre les effectifs en quelques minutes. Carroll Clark, un des soldats sudistes engagés, racontera dans ses mémoires : « Les gars tombaient morts et blessés autour de moi et je pensais que nous allions tous être tués. Certains de mes copains d’école et de mes camarades de jeu, des voisins et des amis, ont perdu leur vie là-bas… Si vous voulez savoir ce qu’un soldat ressent dans une bataille comme celle-là, vous allez devoir le demander à quelqu’un d’autre. Je ne saurais l’expliquer, mais je n’avais aucun espoir de m’en sortir vivant. » Alors que Savage veut changer l’axe de l’attaque pour marcher sur la batterie Parsons, Cheatham ordonne à Donelson de continuer selon le plan initial. En lieu et place, il envoie la brigade Maney étendre sa ligne vers la droite pour la réduire au silence. Son intervention sera toutefois trop tardive : lorsqu’elle entrera en jeu, la brigade Donelson aura déjà eu son compte et aura commencé à reculer, Savage récoltant une blessure au passage.
Peu avant 15 heures, c’est au tour de Bushrod Johnson d’entrer en action contre la droite de Lytle. Ses hommes franchissent le gué, complètement à sec, qui permet à la route de Mackville de passer la Doctor’s Creek à la hauteur de la ferme Bottom. Alors que sa brigade commence à remonter la pente, elle est prise à partie par sa propre artillerie, dont le tir est trop court. Elle est à ce point désorganisée que très vite, les défenseurs nordistes – pourtant limités au seul 3ème régiment de l’Ohio – ont le dessus depuis leur position en hauteur. Une fusillade sans merci se déroule au milieu des murets de pierre qui délimitent la ferme Bottom, dont la grange remplie de blessés prend feu. Les deux camps ont tôt fait d’épuiser leurs stocks de munitions. Tentant de coordonner l’action de la gauche sudiste, Hardee décide de relever la brigade Johnson par celle de Patrick Cleburne. Parallèlement, une autre brigade, celle de Daniel W. Adams, devra profiter de l’assèchement de la Doctor’s Creek pour tenter de tourner l’extrémité droite de la position nordiste.
Des airs d’Antietam
Pendant que l’affrontement devient peu à peu général entre le corps d’armée de McCook et le gros des forces confédérées, des combats dramatiques continuent de se dérouler tout au nord du champ de bataille. Après s’être décalée vers la droite, la brigade Maney a pu se déployer sans être repérée sous le couvert par la brigade de cavalerie de John Wharton, qui protège efficacement l’extrémité droite du dispositif confédéré. Le terrain favorise son approche : le relief ainsi qu’un bois lui permettent de s’approcher de son objectif sans être vu, d’autant plus facilement que la batterie Parsons et la brigade Terrill ont leur attention accaparée par l’engagement contre la brigade Donelson. Lorsque les hommes de Maney atteignent la clôture qui sépare le bois du pré qui s’étale au pied d’Open Knob, un peu avant 15 heures, ils se trouvent à guère plus d’une centaine de mètres de la batterie nordiste – c’est-à-dire largement à portée de fusil. Reconnaissant immédiatement le danger mortel qui pèse sur ses canons, Terrill ordonne au 123ème Illinois de charger les nouveaux arrivants, dans l’espoir de gagner le temps nécessaire au reste de la brigade pour se redéployer et faire front.
Le régiment nordiste affronte donc, seul, toute une brigade sudiste. James Streshly Jackson, le commandant de la division, observe personnellement le 123ème mener l’attaque. Il n’a guère confiance dans cette unité dépourvue d’expérience, incorporée dans l’armée fédérale un mois plus tôt, et dont le moral lui paraît chancelant. Il n’y est lui-même pas étranger, exigeant de ses recrues des marches incessantes par une chaleur caniculaire et ne prêtant aucune attention à leur bien-être, tant physique que psychologique. La veille au soir, Jackson et ses deux commandants de brigade, Terrill et Webster, avaient discuté avec d’autres officiers du risque encouru sur un champ de bataille. Les trois hommes en avaient conclu que si leurs soldats avaient compris quelque chose à la loi des probabilités, ils ne craindraient certainement pas d’aller au combat, le risque d’y être tué ou blessé étant, d’après Jackson et ses subordonnés, extrêmement faible.
Au pied d’Open Knob, les cinq régiments tennesséens de Maney, déployés sur deux lignes – trois devant, les deux autres réserves – accueillent les recrues de l’Illinois comme il se doit. Sam Watkins, un soldat du 1er Tennessee qui laissera plus tard des mémoires sur sa participation au conflit, résumera la lutte inégale ainsi : « Deux lignes de bataille nous affrontèrent. Nous tuâmes presque tout le monde dans la première […]. » Watkins exagère quelque peu, car en réalité le 123ème Illinois ne perdit « que » le quart de son effectif – 189 hommes sur 772. Les soldats nordistes n’ont que le temps de tirer leur première salve avant d’être accablés par la riposte confédérée. Ils perdent pied et refluent en désordre vers l’arrière. Au même moment, Jackson, qui fait une cible parfaite sur son cheval, reçoit deux balles dans la poitrine et meurt quelques minutes plus tard, laissant le commandement de la division à Terrill. L’intervention du 123ème Illinois est toutefois suffisante pour permettre aux défenseurs d’Open Knob de faire face à la brigade Maney.
Maney tente de débloquer la situation en étendant sa ligne sur ses deux flancs, mais sa brigade reste bloquée par le feu d’enfer auquel elle est soumise. Il reçoit peu après l’appui, sur sa gauche, de la brigade d’Alexander P. Stewart, que Cheatham a fait entrer en jeu pour relever celle de Donelson. Ses soldats réussissent finalement à passer de l’autre côté de la barrière en nombre suffisamment grand pour charger la position nordiste. À l’approche des assaillants, les défenseurs commencent à craquer. Pressentant le pire, Terrill ordonne de faire évacuer la batterie Parsons, mais il est trop tard : la plupart des chevaux ont été abattus et ceux parmi les servants qui n’ont pas été tués ou blessés se sont, pour beaucoup d’entre eux, enfuis. Ils sont remplacés par des fantassins du 105ème de l’Ohio, mais ceux-ci ne pourront pas faire grand-chose pour sauver les canons. Après un bref corps-à-corps, les Confédérés s’emparent de sept des huit canons de la batterie. Le lieutenant Parsons, qui refuse d’abandonner ses pièces, doit être traîné vers l’arrière au sens littéral du terme. Terrill tente de reformer sa brigade à contre-pente, mais les hommes de Maney poursuivent les siens de trop près pour que sa manœuvre soit efficace. Il est 15 heures 30, et il revient à présent à la brigade de John Starkweather d’empêcher l’effondrement de l’aile gauche nordiste.
La brigade Starkweather occupe alors une hauteur située à moins de 500 mètres au sud-ouest d’Open Knob. La position nordiste est encore mieux pourvue en artillerie que la précédente, puisque deux batteries complètes – soit douze canons – y sont installées. Leur emplacement est à peu près aussi élevé que le sommet d’Open Knob, ce qui oblige Maney à continuer son attaque sans tarder, faute de quoi la colline qu’il vient tout juste de conquérir sera intenable. Rousseau, toutefois, a pris la décision de placer un des régiments de la brigade Starkweather, le 21ème Wisconsin, en position avancée. Lui aussi n’a jamais vu le feu. Son positionnement est loin d’être idéal : il est déployé dans une dépression, au milieu d’un champ de maïs dont la hauteur des plants réduit considérablement la visibilité. Les batteries placées derrière tirent, par-dessus la tête de ses soldats, des projectiles dont la trajectoire est parfois dangereusement basse. Pour ne rien arranger, l’unité est désorganisée par les hommes de Terrill, qui se replient de manière plus ou moins ordonnée à travers ses rangs.
Un corps d’armée au bord de la rupture
Du combat qui se déroule devant eux, les « bleus » du 21ème Wisconsin ne voient pratiquement rien, si ce n’est les hommes de la brigade Terrill défilant parmi eux dans des états variables de panique. Seul Terrill, qui tente de garder un semblant de contrôle sur ses troupes, informe le 21ème Wisconsin de l’arrivée imminente d’une puissante force confédérée. La confirmation vient quelques minutes plus tard lorsqu’un autre régiment du Wisconsin – le 1er – commence à faire feu dans le dos du 21ème, sur une cible située légèrement en avant de celui-ci mais toujours invisible. Malheureusement, le feu de leurs camarades est encore occasionnellement trop court, tuant ou blessant des soldats du 21ème. Ces derniers entrent finalement en contact avec l’ennemi lorsqu’il pénètre dans le champ de maïs. Le temps de deux salves, les hommes du Wisconsin parviennent à stopper la progression sudiste. Mais la lutte est inégale : les Confédérés qui les fusillent à moins de vingt mètres sont deux fois plus nombreux qu’eux, et l’arrivée de la brigade Stewart déborde largement leur droite. Quelques minutes de ce traitement suffisent à provoquer l’effondrement du régiment nordiste.
Cette dernière, située à une centaine de mètres à peine en arrière de la position précédente, présente l’avantage défensif non négligeable d’être parcourue, sur pratiquement toute sa longueur, par un muret de pierre qui offre un couvert appréciable aux soldats nordistes. Ainsi protégés, les soldats de Starkweather, renforcés par ceux de la brigade Terrill qui ont pu être ralliés, parviennent à stopper les Confédérés une première fois. Maney tente bien de déborder la position nordiste par la droite, mais sa manœuvre est déjouée par une contre-attaque nordiste qui lui cause de lourdes pertes. Vers 16 heures 30, un ultime assaut tourne court : quelques minutes plus tôt, Stewart a commencé à ramener sa brigade en arrière, laissant Maney sans aucun soutien. L’officier sudiste se retrouve même sous pression à son tour : les deux régiments de son aile droite sont chancelants, et son artillerie commence à avoir le dessous face à celle des Nordistes. Il doit ordonner au reste de ses forces de résister pied à pied pendant que ses canons se replacent sur une position moins exposée. Ils y parviendront, mais les velléités offensives de la brigade Maney sont cette fois terminées pour de bon.
Moins de deux heures se sont écoulées depuis que Maney et ses soldats sont entrés en action, mais elles ont paru une éternité à tous ceux qui les ont vécues aux premières loges. Le soldat E.K. Martin, du 79ème Pennsylvanie (un des régiments de Starkweather) se rappellera ainsi : « Nos cartouchières étaient vides, aussi nous empruntâmes celles des morts. Nos fusils étaient à ce point brûlants, à cause de notre tir incessant, que nous ne pouvions même plus en tenir le canon avec nos mains. Nous étions noyés de fumée, assourdis par le crépitement de la mousquèterie, et nos gorges étaient sèches et brûlantes. » Pour leurs vis-à-vis sudistes, la fin des attaques ne signifie pas pour autant le repos dont tous, pourtant, auraient bien besoin. Il faut porter secours aux innombrables blessés, une tâche qui ajoutera à la mémoire de Sam Watkins de nouvelles scènes d’horreur dont il se serait probablement bien passé : « Nous aidâmes à évacuer un homme du nom de Hodge, qui avait eu la mâchoire inférieure arrachée, et dont la langue pendait encore. […] Et aussi le lieutenant Woldridge, qui avait eu les deux yeux crevés. Je le trouvai en train d’errer dans un roncier… » Et le vétéran, qui couchait vingt ans après les faits ses souvenirs sur le papier, d’ajouter : « Je ne peux raconter la moitié, ou même m’en rappeler à cette date tardive, des images de sang et de souffrance dont je fus le témoin sur le champ de bataille de Perryville. »
Entre vacarme et silence
Le recul de l’aile droite de McCook, cependant, est loin de s’apparenter à une déroute. Bien soutenus par leur artillerie, les Nordistes reculent pied à pied, contestant chaque mètre de terrain qu’ils abandonnent aux assaillants et leur causant des pertes sensibles. Wood reçoit ainsi une légère blessure à la tête. En revanche, c’est plus grave pour William Lytle. Atteint lui aussi à la tête alors qu’il s’efforce de préserver la cohésion de sa brigade, le poète et officier nordiste est intransportable. À ses hommes, il lance « Je ne peux pas faire plus, laissez-moi mourir ici » avant de s’effondrer. Laissé pour mort dans la confusion, il est capturé par les Sudistes. Contre toute attente, sa blessure ne sera pas mortelle. Soigné et remis sur pied par les Confédérés, Lytle sera échangé quelques semaines plus tard et reprendra sa carrière militaire.
Le long de la route de Springfield, le calme qui régnait jusque-là a lui aussi cédé sa place au tumulte de la fusillade. Les succès de Cleburne et Adams contre l’aile droite des Nordistes ont poussé Bragg à faire renforcer la sécurité de son aile gauche. Pour la couvrir, il fait avancer la brigade de Samuel Powell. Ce dernier ne s’attend pas à rencontrer de résistance sérieuse, car le silence total de Sheridan depuis le début de l’après-midi et son absence de réaction à la manœuvre d’Adams ont persuadé le commandement sudiste que les Fédéraux ne sont pas présents en force à cet endroit. Powell commence sa progression à 16 heures 15. Il ne réalise pas immédiatement qu’il a en face de lui une division toute entière – trois brigades contre ses trois régiments – car les premières forces qu’il rencontre sont un régiment isolé qui a tôt fait de reculer. Ce succès initial persuade Sheridan que les Confédérés l’attaquent en force. Aussi demande-t-il d’urgence des renforts à Robert Mitchell, qui lui envoie la brigade de William Carlin. Cependant, Powell déchante rapidement lorsqu’il s’attaque à la ligne principale de la division Sheridan. L’arrivée de Carlin, sur sa gauche, le convainc finalement de battre en retraite vers 17 heures. Mitchell ordonne à son subordonné de pousser son avantage en direction de Perryville, mais un ordre exprès de Gilbert, encore une fois, l’oblige à faire stopper Carlin.
La bataille de Perryville, 8 octobre 1862 : situation vers 16 heures 15. Maney oblige Starkweather à reculer encore pendant que les Nordistes se reforment autour de la ferme Russell. Carte de Hal Jespersen (www.cwmaps.org).
Alors qu’ils quittent la table, Buell et Gilbert entendent à nouveau un bruit de canonnade qui paraît venir de la division Sheridan. Compte tenu de l’ordre formel donné précédemment, les deux hommes commencent enfin à se demander si une bataille sérieuse n’est pas en train d’être livrée. Quelques minutes plus tard ils sont rejoints par un aide de camp d’Alexander McCook. Le chef de l’aile gauche nordiste essaye désespérément d’obtenir des renforts auprès du commandant de la division de réserve du corps d’armée Gilbert, Albin Schoepf, mais ce dernier refuse d’abord de lui en envoyer de sa propre initiative. Réalisant enfin l’ampleur de la situation, Buell ordonne à Gilbert de prélever deux brigades sur son corps d’armée pour les envoyer au secours de McCook : ce seront celles de Michael Gooding et James Steedman. Il ordonne également à Crittenden d’envoyer la division Wood vers le nord pour renforcer le centre de l’armée. Buell manque toutefois une occasion en or : celle de prendre Perryville et de couper Bragg de ses arrières. Face à tout le corps d’armée Crittenden, le bourg n’est plus défendu que par la brigade Powell et l’écran de cavalerie fourni par les hommes de Joseph Wheeler – mais ils ne seront pas attaqués, leur agressivité ayant persuadé Crittenden qu’il fait face à des forces bien plus importantes qu’en réalité.
Bataille crépusculaire
Il est maintenant 17 heures passées et le soleil commence à se coucher. La brigade Maney n’est plus en état d’attaquer de nouveau mais partout ailleurs, l’armée confédérée regroupe ses forces pour tenter de briser la résistance nordiste dans un ultime assaut. Au centre, la brigade d’Alexander Stewart remonte en ligne, rameutant avec elle des éléments de la brigade Donelson et celle, encore relativement fraîche, de Sterling Wood. À gauche, Adams et Cleburne avancent de nouveau contre la ferme Russell. Enfin, Hardee fait avancer la dernière réserve de l’armée sudiste, la brigade de St. John Liddell, contre l’avis de Buckner qui voudrait la garder intacte dans l’éventualité où les choses tourneraient mal. Mais Hardee sent une victoire décisive à sa portée : pour lui, les Fédéraux sont au bord de l’effondrement. Les événements vont initialement lui donner tort : les hommes de Stewart et Donelson n’ont plus grand-chose à donner, laissant très vite ceux de Wood prendre les choses en main.
Autour de la ferme Russell, les restes entremêlés des brigades Lytle, Harris et Webster réussissent à repousser leurs assaillants, qui arrivent par le sud-est. Cleburne et Adams se retirent ; durant la manœuvre, le second est pris à partie par l’artillerie de la division Sheridan, qui entre enfin en action depuis ses positions sur Peters Hill. Il est trop tard, cependant, pour que ce soutien soit d’une quelconque aide pour le corps d’armée McCook. Épuisés et désorganisés, les défenseurs nordistes cherchent frénétiquement des munitions pour continuer le combat, mais les cartouchières comme les poches des morts et des blessés sont à présent toutes vides. Qui plus est, les Fédéraux doivent faire face à la pression renouvelée de la brigade Wood. L’heure de vérité sonne à 17 heures 30 : les Nordistes commencent à reculer vers l’intersection entre la route de Mackville et celle de Benton, un carrefour baptisé Dixville Crossroads.
Si ce dernier tombe, le corps d’armée d’Alexander McCook sera virtuellement coupé du reste de l’armée nordiste. Alors qu’il est plus de 18 heures et qu’il ne reste plus que quelques minutes de jour, la brigade Gooding fait subitement son apparition au sud-ouest de la ferme Russell, se déploie en ligne de bataille et attaque immédiatement la brigade Wood. Cette dernière ne peut soutenir le choc de troupes fraîches, et perd bientôt du terrain. Son repli s’effectue dans une atmosphère de plus en plus sombre, et dans la confusion la plus complète. L’unité ne perd pas sa cohésion, mais officiers et soldats ne savent plus très bien sur qui ils tirent. Dans la nuit naissante, tous les uniformes se mettent à se ressembler, et des cris de « cessez le feu ! » fusent de régiments qui craignent que des alliés leur tirent dessus. La brigade Liddell, qui entre en ligne pour prêter main forte à celle de Wood, suspend bientôt son feu pour cette raison : une ligne d’infanterie a pris position juste devant elle sans pouvoir être identifiée. Leonidas Polk, qui se trouve à proximité, est persuadé qu’il s’agit d’une unité sudiste. Faute d’aide de camp disponible, il chevauche lui-même en avant pour s’en assurer.
Cet ultime succès restera toutefois sans suite. Il est 19 heures et, en dépit de la pleine lune, la visibilité est trop mauvaise pour espérer continuer le combat. Polk ordonne à Liddell de stopper sa brigade et d’attendre de nouveaux ordres, en dépit des protestations de son subordonné qui espère encore exploiter son succès. Eût-il autorisé à poursuivre son action que Liddell n’aurait probablement pu aller beaucoup plus loin : la brigade Steedman était déjà déployée derrière celle de Gooding, couvrant son repli. Peu après, à son quartier général, Bragg reçoit des informations alarmantes de la part de Wheeler et Powell : les Fédéraux sont présents en force aux abords immédiats de Perryville et menacent très sérieusement la gauche de l’armée confédérée. Si la ville tombe, Bragg court le risque d’être isolé et anéanti sans que le reste des forces confédérées du Kentucky puissent se porter à son secours. C’est alors seulement qu’il comprend qu’il ne fait pas face à un simple détachement nordiste en mission de diversion, mais à toute l’armée de Buell. Estimant ne pas avoir d’autre choix, il décide alors de se replier vers Harrodsburg. Avant minuit, les soldats sudistes commencent à repasser sur la rive orientale de la Chaplin.
Le Nord entre soulagement et déception
Perryville fut une bataille d’échelle relativement restreinte, dans l’absolu : 16.000 Confédérés y avaient affronté 22.000 Nordistes. Mais les combats furent d’une intensité rarement atteinte, au point d’en être comparable aux grands affrontements, passés et à venir, du conflit. En ce sens, Perryville constitue le pendant, dans l’Ouest, de la bataille d’Antietam, livrée trois semaines plus tôt. Plus de 1.400 hommes, en tout, y perdirent la vie. Le Nord y laissa près de 4.300 tués, blessés et disparus, le Sud 3.400. Pour les deux camps, les pertes dépassaient 20% des effectifs ayant réellement pris part au combat. Des chiffres particulièrement éloquents, si l’on considère que la majorité des pertes ont été à déplorer entre le début de l’attaque sudiste, vers 14 heures 30, et le coucher du soleil, moins de quatre heures plus tard. Perryville laissa également un souvenir traumatique pour la majorité de ceux qui y prirent part, y compris pour des vétérans endurcis – comme par exemple Sam Watkins, qui servit pourtant toute la guerre dans l’armée sudiste et fut le témoin de nombreuses batailles majeures.
Aussi Bragg, enfin rejoint par Kirby Smith à Harrodsburg, décida – cette fois pour de bon – de quitter le Kentucky. Après une semaine durant laquelle, bien aidés par l’inaction d’un Buell toujours précautionneux, les Confédérés rassemblèrent tout ce qui pouvait leur être utile – et en premier lieu le bétail des vertes prairies du Kentucky – l’armée sudiste se mit en route vers le sud-est. Retournant dans le Tennessee par la cluse de la Cumberland, elle regagna Chattanooga dans une ambiance maussade. Bragg, en effet, fut sévèrement critiqué, en particulier par ses subordonnés, pour ne pas avoir concentré plus tôt ses forces afin de livrer une bataille décisive à même de pérenniser, en cas de succès, la présence confédérée dans le Kentucky. En retour, Bragg fit peser la responsabilité de ses insuccès sur ses officiers, en premier lieu Polk et Hardee. La polémique qui s’ensuivit lui valut d’être convoqué à Richmond, où ses excellentes relations avec Jefferson Davis lui permirent de conserver son commandement. En revanche, l’incident fut le point de départ d’une relation orageuse avec la plupart de ses subordonnés, qui allait peser sur l’efficacité des troupes sudistes dans l’Ouest pour toute l’année à venir.
Celui que ses hommes appelaient affectueusement « le vieux Rosey » avait incontestablement gagné en notoriété après ses prestations à Iuka et Corinth, en dépit des commentaires équivoques de Grant à son sujet. Si le haut commandement nordiste put craindre pendant un temps de le voir sombrer lui aussi dans la passivité – il demeura inactif pendant deux mois – Rosecrans allait bientôt avoir l’occasion de prouver qu’il n’était pas vraiment fait de la même étoffe qu’un Buell. Plus généralement, la bataille de Perryville marqua la fin de ce qui fut peut-être, pour l’Union, la plus sévère crise de toute la guerre. Septembre 1862 marqua en effet le seul moment du conflit où les armées nordistes furent acculées à la défensive sur presque tous les fronts, et où les Confédérés saisirent à pleines mains l’initiative qui leur était ainsi offerte en portant la guerre loin de leur territoire, dans les États-frontière. En l’espace de trois semaines, une série de victoires chèrement acquises – Antietam, Iuka, Corinth, Perryville – permit à l’Union de reprendre la main. Perryville fut donc, en quelque sorte, le point final de cette période décisive. De ce point de vue, elle constitue un événement majeur, mais souvent oublié, de la guerre de Sécession.
Sources
- Site sur la bataille de Perryville, riche en documents.
- Robert S. CAMERON, Staff Ride Handbook for the Battle of Perryville, 8 October 1862, Fort Leavenworth, Combat Studies Institute Press, ca. 2000 [en ligne, accédé le 3 février 2013]
- Article général sur la bataille de Perryville.
- Le rapport officiel d’Alexander McCook sur la bataille.
- Charles C. GILBERT, On the field of Perryville, Battles and Leaders of the Civil War, volume 3, pp. 52-59, New York, The Century, 1888.
- J. Montgomery WRIGHT, Notes of a staff officer at Perryville, Battles and Leaders of the Civil War, volume 3, pp. 60-70, New York, The Century, 1888.
- Récit de la bataille de Perryville par Samuel R. Watkins, soldat au 1er régiment d’infanterie du Tennessee.
- Stuart W. SANDERS, Battle of Perryville : 21st Wisconsin Infantry Regiment’s Harrowing Fight, America’s Civil War, septembre 2002 [en ligne].
- Stuart W. SANDERS, Literally covered with the dead and the dying : Leonidas Polk and the battle of Perryville, en ligne [accédé le 3 février 2013].