L'enfance peu connue d'Hadrien
Né à Italica (en Bétique, au sud de l'Espagne actuelle) ou à Rome (les sources sont contradictoires) le 24 janvier 76, Publius Aelius Hadrianus est issu d'une famille sénatoriale depuis la préture de son père Ælius Hadrianus Afer. Ce dernier est le cousin germain du futur empereur Trajan. On sait peu de choses sur l'enfance d'Hadrien. Après le décès de son père alors qu'il n'avait que dix ans, son éducation aurait été confiée selon l'Histoire Auguste à Trajan et au chevalier romain P. Acilius Attianus dont on connait peu de choses jusqu'à sa préfecture du prétoire attestée seulement à partir de 114 mais qui a certainement commencé plus tôt. Les trois hommes nouent des liens privilégiés dès cette époque. Hadrien développe aussi dès cette époque une passion pour le grec qui lui vaut le surnom de Graeculus. Il fait également de nombreux aller-retour entre Rome et Italica.
L'ascension d'un provincial
Après avoir exercé diverses magistratures subalternes, il entame sa carrière militaire vers 94 en tant que tribun militaire dans des provinces rhénanes et danubiennes. Il était déjà aux côtés de Trajan lorsque celui-ci est adopté par l'empereur Nerva. Cependant à des calomnies, il est tenu à l'écart par celui-ci. Mais grâce à Plotine, il entre à nouveau en grâce et devient sénateur puis questeur en 101. Sa carrière militaire ne s'arrête pas pour autant et prend part aux campagnes contre les Daces. Celles-ci lui permettent en 106 de devenir gouverneur de Pannonie inférieure (Hongrie et Serbie actuelles) où il doit contenir les attaques suèves. En 108, il devient consul suffect. Le jeune homme bénéficie de l'indéfectible soutien de l'impératrice Plotine mais Trajan ne l'adopte toujours pas.
L'arrivée au pouvoir
L'accession au trône d'Hadrien ne s'est pas faite sans heurts. Il est difficile de savoir si Trajan l'a clairement désigné comme successeur avant de succomber le 8 août 117. Dion Cassius soutient que ce n'était pas le cas. Il nous raconte avec assez de précision comment Hadrien accède au poste suprême « Hadrien, lorsqu'il fut proclamé empereur, était à Antioche, métropole de la Syrie dont il était gouverneur [...].
Hadrien écrivit au sénat pour prier ce corps de lui confirmer l'empire, protestant qu'il ne voulait, ni en ce moment ni dans un autre, qu'on lui décernât aucun honneur, comme c'était auparavant la coutume, qu'il ne l'eût demandé. Les os de Trajan furent mis sous sa colonne ; quant aux jeux Parthiques, ils furent célébrés pendant plusieurs années ; dans la suite, ils furent abolis. »[2] Il décline au même moment le triomphe qui lui est accordé par le sénat mais en fait célébrer un à son père adoptif montrant ainsi sa piété filiale.
Cette succession n'a pas été uniquement contestée par Dion Cassius. Il semble que des pans assez larges du Sénat n'étaient pas d'accord avec le déroulement des évènements. Un groupe de sénateur a, peut-être, tenté d'assassiner le nouvel empereur. Il fait exécuter par l'intermédiaire de son préfet du prétoire Attianus (dont on a mentionné l'existence précédemment) sans les avoir entendus quatre consulaires à l'origine du complot. Il est difficile de savoir si ces exécutions étaient justifiées ou non : ces généraux du règne précédent représentaient certainement des menaces sérieuses pour le jeune prince. Les relations avec le Sénat s'enveniment alors et expliquent, en partie, la pratique autoritaire du pouvoir qu'exerce Hadrien.
Les passions d'Hadrien
Antinoé est fondée sur le lieu du drame. Hadrien le fera diviniser ce qui n'est pas sans poser de problèmes car on ne divinisait jusqu'alors que les membres de la famille impériale. Ce culte se développa dans tout l'Empire. De nombreuses statues rappellent aujourd'hui l'extraordinaire beauté de ce jeune éphèbe et la ferveur qu'il a suscitée. L'obélisque du Pincio à Rome est un monument qui était destiné à la mémoire d'Antinous et qui, selon les dernières recherches, proviendrait de la villa Adriana de Tivoli.
La villa Adriana et le Panthéon témoignent de la passion de l'empereur pour l'architecture et les arts. Ces bâtiments sont des chefs d'œuvre de l'art romain qui témoignent de l'ambition d'Hadrien pour la ville éternelle. Il a restauré de nombreux bâtiments mais a placé sur ces derniers des inscriptions mentionnant les commanditaires originaux (ce qui a pu poser des problèmes pour les historiens). Ce ne sont pas de simples restaurations : le Panthéon « restauré » est très éloigné du bâtiment origine. Que ce soit la villa Adriana ou le Panthéon, les techniques romaines sont poussées dans leurs derniers retranchements et ont bénéficié des avancées les plus récentes dans le domaine de la construction (en particulier le ciment ou l'opus caementicium).
Hadrien ne s'est pas seulement intéressé à l'architecture mais aussi à la poésie, les belles-lettres et à la peinture. Il est difficile de savoir quelle place il a eue dans les arts à cette époque. On sait cependant qu'il était un grand collectionneur comme l'on révélait les nombreuses statues de la villa Adriana retrouvées lors des fouilles depuis la Renaissance. Les goûts de l'empereur étaient donc très éclectiques et ont permis d'expérimenter des combinaisons artistiques innovantes.
Stabiliser l'Empire
Le mur d'Hadrien, long de « 80 miles », avait pour objectif de montrer dans le paysage la puissance de Rome. Il fut aussi un moyen pour Hadrien de restaurer la discipline (point sur lequel nous reviendrons ultérieurement) au sein de l'armée en lui faisant exécuter des travaux très importants de fortifications. En matérialisant la frontière, le monde se divisait un peu plus en deux ceux qui étaient membres de la Romanitas et de la Barbaritas. Le mur interrompait aussi selon Patrick Galliou les mouvements de transhumance saisonnière des ovins et des bovins entre le sud de l'Écosse et le nord de la Bretagne. Bien entendu, le mur n'était pas si imperméable et les contacts ont perduré après la construction. Dans tout l'Empire, des légions se fixent et modifient le recrutement qui devient de plus en plus local. De plus, Hadrien crée des unités de cavalerie lourde (cataphractaires) semblables à celles de l'Empire parthe.
Des monnaies avec la légende Disciplina Augusti rappellent l'importance que revêtait pour Hadrien la chose militaire et la restauration de la discipline. L'Histoire Auguste aborde longuement cette politique :
« Il s'attacha à relever la discipline militaire que, depuis Auguste, la négligence des princes avait laissé tomber peu à peu. Il rétablit aussi l'ordre dans l'exercice des emplois et dans les dépenses. Il ne fut plus permis à personne de s'absenter de l'armée sans de justes motifs ; car désormais ce fut le mérite, et non la faveur des soldats, qui décida du choix des tribuns. Il encourageait d'ailleurs les autres par son exemple ; il faisait à pied vingt milles tout chargé de ses armes ; il faisait détruire dans son camp les salles, les portiques, les galeries et les berceaux de verdure ; il se montrait la plupart du temps vêtu de la manière la plus simple, il n'avait ni or à son baudrier, ni agrafes de pierreries, à peine une poignée d'ivoire à son épée. Il visitait les soldats malades dans leurs quartiers ; il choisissait lui-même ses campements ; il ne donnait le sarment de centurion qu'à des gens robustes et d'une bonne réputation ; il ne créait tribuns que des hommes mûrs, ou du moins d'un âge à unir la sagesse et la prudence à l'énergie qu'exige cette charge. Il ne souffrait point qu'un tribun reçût quoi que ce fût d'un soldat ; il éloigna d'eux tout ce qui flattait la mollesse, il fit même des réformes dans leur équipage militaire et dans les ustensiles dont ils se servaient. Il jugeait lui-même de l'âge des soldats, de peur que, contre l'ancien usage, il n'y en eût dans les camps de trop jeunes pour suffire aux travaux et aux dangers de la guerre, ou de trop vieux pour qu'il n'y eût point d'inhumanité à les y retenir ; il s'attachait à les connaître et à savoir leur nombre. »
Harmoniser l'Empire
Ceci n'est pas qu'un discours : en Espagne où ont été retrouvés des documents épigraphiques mentionnent des règlements dans le domaine agricole ou minier datant de cette époque. Les voyages en Orient montrent son attrait particulier pour cette partie de l'Empire et pour l'hellénisme. Dans cette optique, il cherche à mieux intégrer les élites hellénophones en créant le Panhellénion à Athènes, institution à caractère religieux visant à regrouper tous les Grecs.
De plus, il fait restaurer ou construire de nombreux bâtiments et crée de nouvelles cités Hadrianouthérai (Balikésir), Andrinople (Edirne) ou encore Antinoé sur le lieu où Antinoüs a succombé en Égypte. L'évergétisme sous son règne est florissant. Enfin, contrairement à une idée répandue, Hadrien n'accélère pas l'intégration des élites provinciales au sénat (déjà bien avancée sous Trajan) au contraire celle-ci recule sensiblement. Contrairement à une idée répandue, la progression des orientaux est stoppée sous son règne. En revanche il favorise l'intégration des élites africaines au Sénat. Ces actions ont pour but d'harmoniser l'Empire : les provinces passent du statut de simples territoires dominés par Rome à celui de composantes à part entière de l'Empire participant à la gloire et à la prospérité de Rome.
Réformer l'Empire
Hadrien a beaucoup réformé l'empire. Il divise l'Italie en quatre districts qu'il confie à des consulaires (ex-consuls) rognant ainsi une prérogative sénatoriale. Ces sénateurs rendent la justice dans ces districts et remplacent le préteur pérégrin. Cette réforme administrative s'accompagne d'un important changement dans le recrutement des fonctionnaires : les chevaliers vont occuper les hauts postes de l'administration remplaçant les affranchis qui vont être attachés aux postes subalternes. En matière judiciaire, il fait adopter en 131 l'Édit perpétuel de Publius Salvius Julianus qui compile les édits prétoriens (des préteurs) et curules (des édiles curules) précédents. Cet édit approuvé par sénatus-consulte est perpétuel.
Un véritable code juridique est adopté rationalisant un peu plus le droit romain et rompant ainsi avec le traditionnel édit des préteurs qui devait être promulgué chaque année (bien que dans les faits ils reprenaient l'édit de leurs prédécesseurs en le modifiant parfois). L'empereur s'entoure de nombreux grands juristes qui composent le conseil impérial. Avec ses nombreux rescrits, il devient la référence en matière judiciaire. L'œuvre d'Hadrien consiste donc à renforcer le pouvoir impérial. Cette politique centralisatrice suscite beaucoup de réticences de la part des milieux sénatoriaux hostiles à un empereur qui conçoit son pouvoir d'une manière trop monarchique. Il poursuit en cela la politique initiée par Claude ou Domitien qui leur valurent à eux aussi quelques soucis.
La fin de règne difficile d'Hadrien
Hadrien doit affronter comme nous l'avons évoqué précédemment une révolte en Judée de 132 à 135 menée par Bar-Kokhba suite à la dégradation des relations entre les Juifs et les Romains provoquée par la construction à Jérusalem d'un temple de Jupiter à l'emplacement du Second Temple de Jérusalem détruit en 70 par les Romains. La répression entraine de nombreuses victimes et se conclut par la destruction de la ville de Jérusalem. La colonie Ælia Capitolina lui succède. Hadrien réorganise la province la renomme Syrie Palestine et accroit le nombre de troupes en garnison. L'empereur a été très affecté par ces évènements comme l'illustrent sa lettre au Sénat et son refus du triomphe à Rome.
Hadrien revoit ces plans. Il adopte alors l'ancien proconsul d'Asie et membre du Conseil impérial Titus Aurelius Fulvius Antoninus Boionius Arrius, le futur Antonin le Pieux et lui confère la puissance tribunicienne et lui accorde le titre de César. Il doit son ascension à sa fidélité à l'empereur. Ce dernier est cependant contraint d'adopter à son tour Lucius Aelius Verus, fils de l'héritier récemment décédé et le jeune homme de 17 ans Marcus Annius Verus, le futur Marc Aurèle, qu'Hadrien avait déjà fait chevalier une décennie plus tôt.
De nombreux liens familiaux unissent ces différents héritiers. Cette succession n'est pas qu'un simple choix des meilleurs prétendants au trône mais celui de consolider une dynastie et de résoudre des problèmes politiques. Cette succession complexe révèle également qu'Hadrien considérait que le règne de son successeur serait court et que les vrais héritiers désignés étaient trop jeunes encore pour régner (Lucius Verus n'a que 8 ans en 138). Il décède à Baïes, le 10 juillet 138. Antonin le Pieux, nouvel empereur, aura beaucoup de difficulté pour faire diviniser son prédécesseur.
Hadrien est un des empereurs les plus importants du IIe siècle en transformant radicalement l'Empire dans bien des domaines. Détesté par les élites sénatoriales par sa pratique monarchique du pouvoir, cet esthète annonce pourtant d'une certaine manière celle des Sévères au début IIIe siècle. Certaines de ses réalisations ne lui survivront pas mais le Panthéon et la villa d'Hadrien demeurent indissociablement liés à son legs et à celui de Rome. Thorsten Opper a écrit qu'il était presque impossible de parler de cet empereur aujourd'hui sans mentionner dans le même temps le livre de Marguerite Yourcenar les Mémoires d'Hadrien qui fait partie intégrante de la réception moderne de l'histoire de l'empereur. Un projet de film avait même vu le jour dans les années 2000 ayant pour base ce classique ... Une occasion manquée de voir ce personnage à l'écran dans un péplum qui aurait été loin des topoi du début du XXIe siècle.
[1] ILS, 308 = CIL, III, 550
[2] http://www.mediterranees.net/histoire_romaine/dion/Hadrien.html
Bibliographie
- Dossiers d'archéologie, HS n° 19 (juin 2002) : Hadrien.
- Histoire Antique & Médiévale, n° 274 (juin 2009) : La dynastie des Antonins.
- L'Empereur Hadrien, de Rémy Poignault et Raymond Chevallier. Que Sais-Je, 1998.
- Roman, Yves, Hadrien, l'empereur virtuose, Paris, Payot, 2008.
- Zosso, François, Zingg, Christian, Les empereurs romains : 27 av. J.-C.-476 ap. J.-C., Paris, Éd. Errance, 2009.