La fée aux origines de la littérature
Depuis neuf siècles, les fées se mêlent aux domaines littéraires et artistiques, aux mythes et aux légendes. C'est au milieu du XIIe siècle que naît le roman dont le mot désigne la langue romane, héritière du latin et ancêtre du français. Celui-ci détourne l'usage de l'écrit jusque là réservé à la transmission du savoir et à la religion.
Entrée en scène des fées
Unissant leur destin au quotidien des hommes, imparfaites, éphémères et fascinantes, sont apparues des créatures féminines d'essence surnaturelles : nymphes, dryades, apsaras (nymphes célestes hindoues, Walkyries etc.. La fée présente une identité unique qui parle d'une relation particulière et inédite au monde spirituel d'un échange étroit entre ce monde-ci et l'autre monde. Issue des croyances populaires, elle est d'une grande beauté et peut distribuer richesses et bienfaits. Dans le milieu paysan existe une dénomination variée pour les esprits des bois et des eaux.
Dans ce mot résonne la notion d'enchantement, de la merveille (au sens médiéval du terme ce qui est contraire à l'ordre de la nature) qui le dépasse dans la beauté ou dans l'horreur. A la naissance du personnage, différents termes sont utilisés : déesse, nymphe, femme des forêts, démone ou succube ..sans que l'on puisse s'accorder sur eux. Difficile de cerner la nouvelle venue, qui emprunte aux déesses et aux esprits de la nature des panthéons grecs et latins autant qu'à ceux des bois et des eaux des anciens Germains. En elle se recomposent diverses traditions de l'Europe, donnant une nouvelle dimension au légendaire, ce qui lui permet de prendre place dans une société devenue chrétienne.
Une naissance dans le monde celtique
Le caractéristiques de nos fées se trouvent chez ''la Ban Sîd '' (la femme de l'autre monde) de la mythologie celtique. Les cheveux d'or, la peau pâle, la bouche rouge, les cils noirs, dévoilée plus que vêtue de blanc, de vert et d'or, elle navigue sur une barque de cristal ou monte un cheval harnaché d'argent, accompagnée de musique. Ses domaines de prédilection sont les eaux douces, la mer dans les contes gaéliques d'Irlande et d' Écosse puisqu'elle vient des îles au nord du monde, royaume semblable aux îles d'Avalon.
C'est aussi une fille des forêts qui peut prendre la forme d'une biche, d'un oiseau, d'un renard. Son apparence, son comportement, sa capacité à donner le jour à des enfants avec un humain la désignent comme une créature hybride. Elle vient dans le monde des hommes pour réclamer celui qu'elle choisit d'entraîner vers l'amour, parfois vers la royauté.
Les Walkyries, vierges guerrières qui servent le dieu Odin, choisissent, pendant les combats, des héros à la bravoure exceptionnelles et les mènent au ''Valhalla'' le paradis nordique. La Walkyrie la plus connue est Brünnhilde, jeune fille d'Odin, amoureuse de Sigurd-Siegfried puis instigatrice de son assassinat.
Les fées médiévales empruntent leur savoir aux anciennes prêtresses des Celtes et des Germains, qui connaissent les plantes, les étoiles et maîtrisent le temps. Chateaubriand fait dire à sa druidesse Vélléda « les fées gauloises ont le pouvoir d'exciter les tempêtes, de les conjurer de prendre la forme d'animaux ».
Les fées faiseuses de rois
La fée apporte un témoignage sur la société dans le dit et dans le non-dit en ce XIIe siècle où le poids des guerres se fait plus léger, apportant une richesse et une liberté nouvelle, alors que la chape de la féodalité se fissure, que les villes se développent, tandis que le christianisme émaille le territoire d'églises et d'abbayes. Elle prend place dans cette convergence entre l'évolution et une culture en train de naître. Héritière des anciens cultes, son ancrage dans la littérature la maintient dans le monde commode de la fiction.
Mais elle est seulement toute-puissante dans un domaine particulier, un lieu, une fonction précise, dans un temps limité et soumise à une stricte contingence : telle la fée Viviane enfermée dans les limites de Brocéliande, ou telle Mélusine unie malgré elle à la famille des Lusignan dans la contrainte d'un pacte impossible à délier.
Des familles régnantes, tout à fait historiques revendiquent leur intronisation par la bienveillance de déesses ou de fées. Pour ces dynasties, une telle filiation est synonyme d'un prestige hors pair. Elle les aident à se réclamer du monde surnaturel, à transcender le temps, s'affirmant d'une essence différente, s'affranchissant de l'église sans s'opposer à elle.
Richard cœur de Lion se vantait par exemple d'avoir dans ses veines du sang de la démone pour justifier ses actions amorales. Les Plantagenêts élisent comme ancêtre historique la figure mythique du roi Arthur « le roi le plus aimé des fées ». Une légende fait coexister le Graal, les fées, le saint sépulcre. Elle concerne Lohengrin (fils de Perceva dont l'épouse ne devra jamais lui demander d'où il vient sous peine d'être délaissée; promesse qu'elle rompt avant de partir vers l'autre monde, le fils du Graal fondera la noble famille de Bouillon.
Une impitoyable liberté
Par rapport aux humaines, elles sont libres de leur corps, de leur cœur, de leur richesse. Elles véhiculent l'espoir et l'image d'une liberté dont les femmes n'ont pas la jouissance car leur corps ou leurs biens ne leur appartiennent jamais entièrement. Quelles que soient leurs compétences, leur naissance, leurs fonctions, elles dépendent d'une autorité masculine prépondérante en ces époques. La fée représente dans la société médiévale ce que la Dame voudrait être, ce que le chevalier voudrait avoir : beauté, liberté pour l'une amour, richesse pour l'autre.
Malgré la diffusion des livres imprimés auxquels seule une élite pouvait prétendre, le rôle du conteur est essentiel pour tous ceux, nombreux, qui ne peuvent accéder à l'écrit. Les récits anciens continuent ainsi leur chemin, modifiés par le milieu, les événements et le mode littéraire du temps où ils sont contés.
L'évolution de l'histoire féerique montre celle de la société et souligne le passage du « beau Moyen Âge » (XIIe et XIIIe siècle) à la légende noire du XIVe et XVe siècle. D'abord objet de désir, promesse d'accomplissement, la fée se trouve dans une deuxième époque soumise à une double évolution. La rationalisation la tolère en la dénaturant : elle annihile tout ce qui fait sa différence. La violence de la diabolisation cherche à la détruire. Réduite au rang de sorcière par l'église qui détourne le merveilleux à son profit (ce qui suffit à remettre les consciences dans le droit chemin) elle est remplacée par les anges et sa lumière s'éteint.
Démodées, les fées ?
Les dames des forêts, les protectrices des chevaliers, les magiciennes des eaux préparent leurs métamorphose. Avec la Renaissance reviennent les Dieux Gréco-latins, les Arts et la philosophie de l'antiquité classique : la mode est au goût Italien. La noblesse, avide de nouveauté, se détourne des romans d'aventures et de merveilles « ce fatras à quoi l'enfance s'amuse » comme l'écrit Montaigne. C'est le temps des grandes découvertes. La France se détourne du monde féerique et le style du roman évolue, devient bref rapide enlevé, avec parfois une morale explicite.
À partir de la fin du XVIIe siècle, un nouveau genre littéraire voit le jour : le conte de fées. Il gagne rapidement les faveurs du public, grâce aux contes de Charles Perrault. Les fées des contes sont souvent les marraines du héros ou de l’héroïne du conte (comme dans Cendrillon, Peau d’Âne ou la Belle au bois dormant).
Ce sont des « anges gardiens » qui protègent et conseillent leurs protégés. Dans les Aventures de Pinocchio de Carlo Collodi (publié en 1881), la fée Bleue, marraine de Pinocchio, est celle qui finit par insuffler la vie au pantin de bois pour le transformer en petit garçon. Parallèlement, il existe quelques fées au caractère maléfique, dont la vieille fée de la Belle au bois dormant (plus tard baptisée fée Carabosse) est l’archétype.
En parcourant le chemin des fées, se lit l'histoire d'une subversion lumineuse : la manière dont le conte de fée vient contredire la volonté humaine d'élucider, d'organiser et de contrôler le monde, en suscitant de nouvelles idées, bouleversant l'ordre établi. "Les féees ont une histoire" , oui, elles annoncent que le temps est venu de changer.
Là où les lignes bougent, regardez bien : il y a une fée ! Leur nom renvoie à des rêveries sans âge et pourtant les voici à faire vibrer une société trop figée, à donner un élan, un souffle nouveau, briser la 'torpeur' des idées, inciter à plus de justice, oui ! tout cela entre dans leur vocation.
Sources et illustrations
Les fées ont une histoire de Claudine Glot. Editions Ouest-France, octobre 2014.
Pour aller plus loin
- La Femme dans les contes de fées, de Marie-Louise von Franz. Tallandier, 2015.
- Le Monde des fées dans l'occident médiéval, de L. Harf-Lancner. Hachette, 2003.