Qui est Marie-Madeleine ?
La question posée est simple pourtant la réponse est peu évidente. Dans les évangiles, trois Marie sont mentionnées : Marie de Béthanie sœur de Marthe et Lazare qui oint les pieds du christ, la « courtisane myrrophore » qui lave les pieds de Jésus chez Simon le pharisien dans l'Évangile de Luc et Marie de Magdala, le premier témoin de la Résurrection. Selon La Légende dorée et la tradition provençale, Marie, Marthe et Lazare seraient arrivés aux Saintes-Maries-de-la-Mer dans une barque sans voile ni rame. Marie évangélisa la Provence avant de se retirer dans la grotte de la Sainte-Baume. Elle aurait vécu 33 ans et ne se serait nourrie que de racines, se désaltérait de l'eau du ciel et aurait reçu sept fois par jour la visite des anges.
À l'approche de sa mort, elle se rapproche de Saint Maximin qui lui donne la communion et place son corps dans un mausolée à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. On pourrait également ajouter à cette liste Marie l'égyptienne qui est parfois assimilée à Marie Madeleine. Cette dernière serait une prostituée ayant vécu entre le IIIe et Ve siècle de notre ère et qui découvrit un groupe de pèlerins partant vers Jérusalem et les suivit. Arrivée devant la basilique de la Résurrection dans la ville sainte, le jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, elle ne put entrer dans le lieu. Après avoir supplié la Vierge, elle put entrer. Une voie lui indique qu'elle doit aller dans le désert au-delà du Jourdain. Elle vécut seule en ermite pendant 47 ans et dut refuser les propositions du diable et les nombreuses tentations.
L'essor du culte médiéval magdalénien
Après des prémices au IXe siècle, Marie Madeleine devient une figure importante du christianisme occidental durant la seconde moitié du Moyen Âge. On décompte à cette période une dizaine de reliques et plus de quatre-vingt-dix sanctuaires magdaléniens.
Entre 1261 et 1266, le dominicain Jacques de Voragine écrit La légende dorée, un recueil de vies des saints parmi lesquels figure Marie-Madeleine. Reprenant de nombreuses sources telles que les hagiographies vézeliennes, Jacques de Voragine unifie les différentes figures de Marie-Madeleine et remet à l'honneur l'épisode provençal de la Sainte. Celui-ci et d'autres contemporains expriment des doutes sur les reliques de Vézelay : le moine Badilon se serait trompé et aurait amené les restes d'un autre corps. Malgré l'authentification de ces reliques en 1267 par le roi Louis IX, les contestations demeurent et le déclin du pèlerinage se poursuit. Charles II, fils du comte de Provence Charles Ier lance des recherches en 1279 à Saint Maximin et « trouve » des reliques dans un sarcophage en marbre blanc et en particulier un crâne avec une marque qui aurait été laissée par le Christ lors du Noli me Tangere (ne me touche pas).
Cette découverte est largement relayée par le dominicain Bernard Gui : les reliques de Vézelay seraient donc fausses. Les reliques provençales sont authentifiées en 1295 par le pape Boniface VIII qui donne aux dominicains celles de Saint-Jean-de-Latran. Ces derniers sont établis dans un nouveau couvent auquel est adjointe une basilique à Saint-Maximin. Jean Gobi, prieur du couvent de 1304 à 1328, est un acteur majeur du développement du site en particulier dans la diffusion de récits sur la Sainte. L'arrivée de la Papauté en Avignon donne une dimension internationale au pèlerinage.
A la fin du XIIIe siècle, le culte bourguignon de la Sainte est promu et récupéré par les ducs de Bourgogne à la suite de l'abbé Geoffroi de Vézelay dans une logique princière. Une concurrence importante se met en place entre les Valois et les comtes de Provence.
La Sainte est aussi un moyen pour certaines femmes de l'aristocratie de se faire portraiturer avec leurs plus beaux atouts comme Marguerite de York (1468-1477) ou Marie de Bourgogne. Marguerite d'Autriche en fondant le monastère royal de Brou choisit la sainte comme patronne.
Marie-Madeleine, figure phare de la peinture baroque
La figure de Marie-Madeleine est parmi les thèmes les plus populaires de l'époque moderne catholique. Avec la Contre-Réforme (XVIe siècle), on assiste à un retour des images. Celle de Marie-Madeleine est très populaire, car elle est un « modèle par excellence de la confession exemplaire, de la pénitence parfaite»1. Cette exaltation de la pénitence est indissociable de la polémique contre le protestantisme : le protestant ne se confesse pas contrairement au catholique. Elle correspond donc à la volonté de l'Église de réaffirmer l'importance du sacrement de la pénitence, de la confession et ainsi le retour à la vraie foi.
Ceci n'est pas une nouveauté radicale : dès le XIe siècle, la figure de la sainte était utilisée par les prélats pour réformer le Clergé. Les nombreuses Marie-Madeleine, comme celles de de La Tour, sont emblématiques du renouveau théologique et artistique baroque. La présence d'un crâne dans le tableau fait référence aux Recommandations spirituelles du jésuite Ignace de Loyola, car il permet de méditer dans l'obscurité de la mort. La lumière des tableaux est un rappel de celle du Christ. On rapproche ces représentations des vanités, natures mortes protestantes, en raison de la présence caractéristique de certains objets (la Croix, la Bible et le crâne en particulier). Le tableau de Luca Giordano Sainte-Madeleine renonçant aux Vanités du monde conservé au musée de Dunkerque illustre également bien ceci. Marie-Madeleine est avec Saint Jérôme un thème majeur catholique des vanités avec figure humaine, "une image type de l'abandon du monde et de la pénitence" soutenue par la Contre-réforme en opposition aux vanités.
Marie-Madeleine, la belle pénitente du XIXe siècle
Des artistes osent de nouvelles manières de représenter ces sujets. Victor Orsel est un artiste très croyant qui a profondément renouveler l'art religieux au XIXe siècle. Son tableau La Madeleine (1835) est un exemple majeur de ce renouveau par la richesse de ses références et sa volonté dogmatique et didactique selon Colette Melnotte (p. 228). La Madeleine au pied de la croix d'Ary Scheffer nous propose une scène particulièrement émouvante d'amour de la Sainte envers le Christ. Les artistes étrangers ne sont pas en reste : les artistes nazaréens en Allemagne ou les préraphaélites en Angleterre proposent un nouveau regard sur Marie-Madeleine. L'Église de la Madeleine à Paris est aussi un chantier important pour l'iconographie de la Sainte au XIXe. Le protestantisme n'est pas étranger à ce mouvement. L'art religieux connait donc une renaissance majeure tout comme le culte de Marie-Madeleine qui est jusqu'en 1860 un symbole de la rédemption. Cette tradition artistique et religieuse ne doit pas masquer une autre tendance qui prend son essor plus artistique et esthétique rendant hommage à la beauté de la Sainte.
[À partir de la fin du XVIIIe avec la sculpture de Canova Maddalena penitente mais surtout Francesco Hayez avec son tableau Santa Maria Maddalena penitente nel deserto, la sainte se dévêt et devient une source d'inspiration pour de nombreux artistes en particulier français. Au Salon de 1859, Paul Baudry fait scandale avec sa Madeleine pénitente : la sainte devient associée au monde des courtisanes. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Jean-Jacques Henner mais aussi Jean Baptiste Camille Corot, traite de la figure biblique. C'est une approche plus originale et moins pieuse qu'entreprend Jules Lefebvre dans son tableau exposé au Salon de 1876 : rien ne permet de distinguer la sainte d'une figure profane. Pour certains critiques la Madeleine n'est plus qu'une « délicieuse étude de beau modèle » (Véron, 1876) confinant à l'érotique pour Théophile Gauthier.
On ne peut que difficilement différencier une sainte, d'une déesse antique, d'une allégorie. Ce phénomène est perceptible dans la sculpture (Emmanuel Dolivet, Augustin Peène). Selon Maxime du Camp, Baudry « prend un modèle, [...] il le déshabille, l'assoit au bord d'un puits, et c'est la Fortune ; il le met debout, vu de face, dans un bois, c'est Léda ; il le place de dos, c'est Venus ; il le couche et l'enveloppe en partie d'une draperie bleue, et c'est Madeleine». À la fin du siècle, l'érotisme des représentations de la sainte est manifeste et n'échappe guère aux amateurs d'art. Pour autant, il ne faut pas y voir une réelle rupture mais une réinvention contemporaine inscrite dans la continuité du Corrège qui la représente en prostituée, passant outre certaines convenances et limites. Le XIXe siècle est ainsi le siècle de la relecture voire la libération de Marie-Madeleine.
Si certains excès ont été dénoncés, la fin du siècle annonce un renouveau de l'art religieux qui rompt avec les canons traditionnels : Le repas chez Simon le Pharisien de Jean Béraud en 1891 présente le Christ représenté de manière conventionnelle, Marie-Madeleine en demi-mondaine notoire (Liane de Pougy) entourée de personnalités politiques ou littéraires contemporaines. Cette « mascarade » dénoncée par Louis de Lutèce est une réactualisation comme il y en a eu dans le passé, une vision plus sociale, politique et critique d'un thème religieux moult fois traité auparavant.
Bibliographie
- M.-P. Botte, M. Briat-Philippe, P.-G. Girault et I. Renaud-Chamska, Marie-Madeleine, la Passion révélée, Saint-Étienne, IAC Éditions d'Art, 2016.
- Duperray, Ève, éd., Marie Madeleine dans la mystique, les arts et les lettres. Actes du colloque international, Avignon, 20-21-22 juillet 1988, Paris, Beauchesne, 1989, 359 p.
- Alain Montandon, Marie-Madeleine: figure mythique dans la littérature et les arts, Presses Univ Blaise Pascal, 1999.
- Marie Madeleine de la religion à l'art. Religions & Histoire n° 53 - Novembre/Décembre 2013
- Raphaëlle Taccone, « Marie Madeleine en Occident : les dynamiques de la sainteté dans la Bourgogne des IXe-XVe siècles », Bulletin du centre d'études médiévales d'Auxerre, 17.1, 2013