Du canal des pharaons au projet de canal moderne
Dès l'antiquité, l’isthme de Suez qui relie l'Egypte à l’Asie antérieure en séparant la Méditerranée de la mer Rouge a joué un grand rôle dans les relations commerciales. Plusieurs pharaons, dont Sésostris III, ont tenté d'aménager une voie navigable entre la mer Rouge et la vallée du Nil. Constamment menacé d'ensablement, le canal est restauré à plusieurs reprises durant le premiere sicèle avant notre ère par les occupants perses puis par les Ptolémées. Après la conquête arabe et le tarissement des relations entre la Méditerranée et l’Orient, il fut laissé à l’abandon.
Etant donné la différence de niveau entre les deux mers, Lepère conclut à l'impossibilité d’un canal joignant la Méditerranée et la mer Rouge et préconisa la réouverture de l’ancien canal des pharaons. Mais d’autres projets furent élaborés par Enfantin et un groupe de saint-simoniens en 1833 et en 1846, par le directeur de la compagnie anglaise de navigation Peninsular and Oriental et par l'ingénieur français Linant de Bellefonds en 1841. Linant de Bellefonds et l’ingénieur italien Luigi Negrelli démontrèrent qu’un canal reliant les deux mers était parfaitement réalisable.
La construction du canal de Suez
Leurs plans devaient être utilisés par le diplomate et ingénieur Ferdinand de Lesseps, qui, bénéficiant de l’amitié du vice roi d’Égypte Saïd pacha, entreprit enfin la réalisation du projet. Ayant obtenu une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans (30 nov. 1854), il fonda la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, au capital de 200 millions de francs réparti en 400 000 francs chacune. Plus de la moitié des actions furent souscrites par les français. La concession devait partir de la date d’ouverture du canal, et à son expiration le canal deviendrait la propriété du gouvernement égyptien. Les bénéfices seraient répartis à raison de 15 % à l’egypte, de 10% aux fondateurs et de 75% à la compagnie.Les travaux commencèrent dès le 25 avril 1859, mais l’Angleterre s’opposa à la construction de crainte de voir la France prendre pied dans les pays du Levant et faire peser une menace sur la route des Indes.
Un enjeu stratégique et commercial
Le canal, d’une longueur de 162,5 km, abrégeait de quelque 8 000 km le trajet entre Londres et Bombay, ce qui amena bientôt l’Angleterre à réviser ses premières objections. En novembre 1875, le cabinet Disraeli racheta au khédive Ismaïl, gravement endetté, les actions qu'il possédait; le gouvernement britannique devint ainsi le principal actionnaire. La convention de Constantinople (29 octobre 1888), signée par toutes les grandes puissances, donna son statut international au canal, qui devait être, en temps de paix comme en temps de guerre, ouvert à tous les navires marchands ou militaires de tous les pays.
Cette convention, qui ne tenait pas compte de l’importance stratégique du canal, ne fut appliquée ni durant la guerre hispano-américaine de 1898 (où l’Espagne se vit interdire le passage de ses navires de guerre), ni durant les deux guerres mondiales (le canal était ouvert en principe aux navires des puissances ennemies de l’Angleterre, mais la flotte anglaise en bloquait l’entrée), ni de 1949 à 1975, période pendant laquelle les autorités égyptiennes interdirent le passage du canal de Suez à tout navire marchand ou militaire israélien et même aux cargos d’autres nationalités suspectés de transporter des marchandises à destination ou en provenance d’Israël.
En fait, l'Angleterre, maîtresse de l'Egypte depuis 1882, exerça jusqu’en 1956 un contrôle absolu sur les rives du canal, dont la défense était assumée par les troupes britanniques. Les Germano-Turcs tentèrent sans succès de s’en emparer en 1915 et en 1916. Ce fut également un des objectifs lointains de l’offensive de l’Afrikakorps de Rommel en 1942.
La crise de Suez (1956)
A la suite d’un plan monté en commun par Londres, Paris et Tel-Aviv, les troupes israéliennes déclenchèrent une guerre contre l’Égypte (29 octobre 1956), et les Franco-Britanniques, sous prétexte de protéger le canal contre les belligérants, lancèrent leurs parachutistes sur Port-Saïd et Port-Fouad qui furent aisément occupés. Cette action fut interrompue sous la pression de l’U.R.S.S. et des Etats-Unis. Les Nations Unies exigèrent le départ des forces franco-britanniques et apportèrent une aide technique à l'Egypte pour déblayer le canal, qui fut rouvert à la navigation le 29 mars 1957. L’accord de Rome du 13 avril 1958 assura aux actionnaires de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez une indemnité de 28 millions de livres égyptiennes, environ 300 millions de francs.
En 1966, le trafic du canal de Suez atteignait 279 millions de tonnes et rapportait à l’Égypte, qui percevait désormais le péage, quelque 25 millions de francs par semaine. Dans la nouvelle guerre qu’elles déclenchèrent en juin 1967 lors de la guerre des Six jours, les troupes israéliennes atteignirent le canal, qui fut de nouveau fermé à la navigation. Les travaux de déblaiement ne commencèrent que près de sept ans plus tard, à la suite de l’accord de janvier 1974, par lequel les Israéliens acceptèrent de se retirer de la rive orientale au canal. Celui-ci fut rouvert à la navigation le 5 juin 1975. Toujours en 1975, l'Égypte autorisa la circulation des marchandises non militaires vers et à partir d'Israël. L'usage non restrictif du canal de Suez par les Israéliens fut assuré par le traité de paix signé entre Israël et l'Égypte en 1979.
Le canal de Suez, un chantier permanent
La Compagnie du canal maritime, devenue la Compagnie financière de Suez, s’est quant à elle reconvertie vers la banque (création de la Banque de la Compagnie financière de Suez, 1959) et, à partir de 1965, vers l’industrie (prises de participation dans Pont-à-Mousson).
En mars 2021, un porte-conteneur, l'Ever Given, a bloqué pendant plusieurs jours le canal. Le gigantesque embouitelilage qui en a résulté a prouvé une fois de plus l'importance de cette voie navigable et renforcé les projets de nouvelle route terrestre ou maritime, notament via l'Arctique.
Pour aller plus loin
- L'épopée du canal de Suez, ouvrage collectif. Gallimard, 2018.
- Le canal de Suez - Une voie maritime pour l'Egypte et le Monde, de Caroline Piquet. Bonnier, 2018.
- Le chantier du Canal de Suez (1859-1869), de Nathalie Montel. Ponts et Chaussées, 2018.