Le contexte de Pearl Harbor
Souvent, on a l’impression à l’évocation de Pearl Harbor, que les Etats-Unis ont été brutalement réveillés par des Japonais qui auraient décidé de les prendre pas surprise un beau matin, sans que personne ne puisse s’y attendre ! Pourtant, il n’en est rien, bien au contraire…Nous avons déjà abordé les circonstances globales de l’attaque surprise dans notre article sur la guerre du Pacifique, revenons-y brièvement : l’impérialisme japonais menace le Pacifique depuis la fin des années 30, et les relations entre les deux grands géants de la région (plus l’Empire britannique) n’ont cessé de se dégrader.
« Gravissez le mont Nitaka »
Les préparatifs ont commencé déjà depuis quelques mois, et l'on évoque même un premier plan d’attaque sur la rade de Pearl Harbor dès….février 1941 ! Le projet, après quelques hésitations, est repris dès août par le grand amiral Yamamoto : connaisseur des Etats-Unis (il a été attaché naval à l’ambassade nippone à Washington), c’est aussi lui qui a imposé la doctrine navale centrée autour du porte-avions, au détriment du cuirassé. Yamamoto sait que le Japon ne pourrait résister à une guerre longue, et milite pour une attaque d’envergure sur la flotte américaine, visant à détruire l’essentiel de la capacité de riposte américaine pour lancer une offensive majeure dans le Pacifique et imposer au bout du compte l’avancée japonaise, pour obtenir une paix avantageuse.
Yamamoto choisit le nom de code « Gravissez le mont Nitaka » pour désigner le plan d’attaque secret. L’entrainement est terminé en novembre 1941.
7 décembre 1941 : l'attaque de Pearl Harbor
La flotte japonaise commandée par l' amiral Nagumo quitte le Japon le 26 novembre. Elle est gigantesque pour l’époque : 6 porte avions japonais, 2 cuirassés, 3 croiseurs, 9 destroyers et surtout près de 400 avions embarqués, dont plus de 300 destinés à l’attaque. Elle progresse dans le plus grand secret, et a été précédée (en plus des espions) par des sous-marins de poche chargés de surveiller le port, mais aussi d’achever les navires touchés. En effet, la rade est peu profonde, et il se peut que les bombes et les torpilles ne soient pas suffisantes pour vraiment détruire la flotte du pacifique américaine…Les services secrets japonais ont alerté la veille de l’attaque de l'absence des porte-avions américains à Pearl Harbor, ce qui n’est pas une bonne nouvelle ; mais il est trop tard pour reculer.
Yamamoto le sait, lui qui parle de « géant endormi », les Etats-Unis vont à présent se jeter dans la guerre, mais bien au-delà des prévisions japonaises malgré la réussite de l’offensive nippone des six mois suivants…
Une victoire « à la Pyrrhus » ?
Evidemment, au premier abord, l'attaque de Pearl Harbor peut être considérée comme une formidable victoire ; pourtant, très vite, chacun se rend compte qu’il n’en est rien, et en premier lieu le commandant en chef nippon Isoroku Yamamoto.
Les pertes s’élèvent à près de 3000 morts côté américain, dont la moitié dans l’explosion du cuirassé USS Arizona ; il y a aussi plus de 70 morts du côté des civils. Les Japonais, eux, ont perdu 29 avions, et 5 sous-marins de poche. La perte de ces derniers montre le premier point noir de l’attaque pour les Japonais : eux que Yamamoto désignait comme les poignards qui achèveraient la flotte américaine, n’ont pu accomplir leur travail, et ils ont été interceptés et détruits par les destroyers.
En effet, la fumée dissipée, il faut relativiser les pertes matérielles américaines : certes, tous les cuirassés du port ont été mis hors de combat, mais seuls l’USS Arizona, l’USS Oklahoma et l’USS Nevada sont définitivement à la casse ; les autres seront renfloués et certains participeront même au débarquement à Okinawa ! Pour les navires moins importants, seuls 3 croiseurs et 3 destroyers sont définitivement perdus. Côté aviation, les Américains ont perdu près de 200 appareils, mais leur intérêt n’était pas très élevé aussi loin des futurs théâtres d’opérations…
Pearl Harbor, un piège tendu par Roosevelt ?
Les débats ont été vifs, mais les historiens sérieux semblent avoir écarté l’hypothèse d’un plan délibéré du président Franklin Roosevelt. Nous ne pouvons prétendre ici prendre parti, mais nous allons seulement donner quelques détails qui ont été avancés dans ce débat, et les réponses apportées.
Rien ne prouve ensuite qu’il y ait eu un ordre de les éloigner de la rade : le Lexington était à Midway, l’Enterprise de retour de Guam connaissait des problèmes techniques, le Saratoga était en cale sèche à San Francisco pour réparations, le Wasp avait été envoyé bien avant dans l’Atlantique, et le Yorktown et le Hornet étaient en mer. Les mouvements de navires étaient courants, et on peut difficilement croire que les Américains avaient délibérément choisi que, ce jour précis, aucun porte-avions ne serait présent.
On a aussi critiqué l’ordre de Roosevelt de remplacer l’amiral Richardson en janvier 1941 par l’inexpérimenté vice-amiral Kimmel, et la décision qui a suivi de regrouper la flotte à Pearl Harbor ; le premier plan japonais date de ce moment, mais peut-on réellement imaginer que les reponsables américains auraient sciemment décidé de regrouper leur flotte pour tendre un piège à des Japonais qui mettraient leur plan en œuvre presque un an plus tard ? Et les Américains de se tourner les pouces pendant tout ce temps en attendant que la foudre s’abatte sur eux ? Et la décision de concentrer la flotte à cet endroit pouvait aussi parfaitement être prise comme un élément de dissuasion.
Se pose le problème, également, du code « Magic » : c’était le code utilisé par les Japonais, et les Américains l’avaient décrypté dès l’été 1941. Mais il semble qu’ils n’aient pu faire le tri des informations qu’ils recevaient, en particulier sur l’attaque, et intervient aussi la responsabilité de la chaîne de commandement américaine. Les enquêtes qui ont suivi ont montré qu’il y avait eu plusieurs erreurs d’interprétation et de jugement, et certaines têtes sont tombées, dont celle de Kimmel qui allait par la suite être l’un des principaux partisans de la « théorie du complot » de Roosevelt. Ce même Kimmel n’avait pas été informé, dès octobre, de la découverte de manœuvres d’espionnages japonaises à Pearl Harbor, avec des demandes d’informations sur la présence de navires et leur emplacement. Là encore, les enquêtes de l’armée, mais également des historiens, montrent qu’il n’y a eu que des erreurs d’interprétation et de communication.
Les théories du complot autour de Pearl Harbor
Il est sans doute difficile pour certains de concevoir qu’un aussi grand pays que les Etats-Unis ait pu se laisser abuser de cette façon par un si « petit » pays, et que tant d’erreurs aient été faites. Mais, parallèlement, peut-on imaginer que le président américain et son entourage (on parle aussi de Churchill) aient pu avoir un tel machiavélisme qui les aurait conduit, dès la fin 1940-début 1941, à organiser un grand complot en attirant les Japonais dans un piège qui mettrait près d’un an à s’activer, tout en acceptant de sacrifier 3000 concitoyens et la destruction de tant de bâtiments de guerre ? Tout ça pour pousser une opinion à accepter une guerre de toute façon inévitable...
Evidemment, on ne pourra jamais empêcher les rumeurs de persister, et les théories du complot de se développer. Cela nous ramène justement à l’importance de Pearl Harbor dans la mémoire collective et l’histoire, encore de nos jours : on considère que le XXIè siècle s’est vraiment ouvert avec un « nouveau Pearl Harbor » : l’attaque du World Trade Center et du Pentagone le 11 septembre 2001, provoquant aussi près de 3000 morts et l’entrée en guerre des Etats-Unis contre le « terrorisme international ». Un événement tragique qui charrie lui aussi son lot de fantasmes et de théories du complot, dont les similitudes avec le 7 décembre 1941 sont frappantes : Bush et son administration étaient-ils au courant, ont-ils laissé faire, voire pire ? Mais c’est une autre histoire, et il faudra probablement, comme Pearl Harbor, attendre plusieurs décennies pour que les historiens puissent enfin accomplir leur travail et apaiser les débats.
Bibliographie
- Pearl Harbor : 7 décembre 1941, de Hélène Harter. Tallandier, 2011.
- J.J. Antier, Les grandes batailles navales de la Seconde guerre mondiale, Omnibus, 2000.
- P. Souty, La Guerre du Pacifique 1937-1945, PUF, 1995.