Le problème des sources sur la guerre des Gaules
Tout historien doit se référer aux sources dont il peut disposer, mais en ce qui concerne la Guerre des Gaules il est confronté à un double-problème : il a en sa possession une source de première main, les Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César, mais évidemment c’est la source du vainqueur. Malheureusement, il y a peu d’autres sources, en particulier contemporaines, et comme souvent il faut aussi utiliser l’archéologie, comme cela a été le cas pour mettre fin au long débat sur le lieu exact de la bataille d’Alésia. Une archéologie qui, comme sur d’autres sujets, a permis de révolutionner une historiographie de la Guerre des Gaules jusque là trop souvent kidnappée par le « roman national » (depuis Napoléon III), et de revivifier l’histoire de la Gaule, tout en faisant tomber nombre de stéréotypes à son sujet.
En ce qui concerne les Commentaires de César, nous pouvons dire qu’ils sont composés de huit livres, dont sept correspondent à une année de cette guerre, le dernier n’étant pas de César lui-même, mais probablement d’Aulus Hirtius, légat du proconsul durant la conquête de la Gaule. Il existe des débats au sujet de la rédaction de ces Commentaires : écrits à plusieurs, durant la campagne, ou après la guerre ? Nous ne trancherons pas ici. On peut seulement affirmer que les Commentaires de César sont une source capitale, mais qu’il faut évidemment la prendre avec tout le recul critique nécessaire.
Quelles Gaules ?
L’un des problèmes quand on aborde la Guerre des Gaules est de définir quelles sont les Gaules en question. En effet, on a tendance à assimiler Gaule et France, alors que les Gaules que César conquiert entre 58 et 50 sont très différentes. Surtout, on sait que l’on doit au proconsul « l’invention de la Gaule », à savoir que c’est lui qui aurait fixé de façon relativement arbitraire la frontière avec les Germains, à savoir le Rhin.
Il faut donc voir la Guerre des Gaules dans le prolongement d’un mouvement commencé par Rome dès les années 120 av. JC, avec la conquête de la Gaule Transalpine. Rome, comme souvent, intervient sur demande d’alliés, comme Marseille ou les Eduens. L’influence romaine se fait sentir dans la Gaule narbonnaise, mais se heurte aux Arvernes qui tiennent fermement le Massif Central. En 122, la conquête est accomplie par le consul C. Domitius Ahenobarbus (qui donnera son nom à la via Domitia), qui fonde la colonie de Narbonne en 118. C’est probablement dans ces mêmes années qu’est instaurée la province de Transalpine.
De même pour Strabon, qui s’inspire de sources antérieures pour définir une Celtique se limitant à l’est au Rhin, à l’ouest aux Pyrénées. On ne doit tout de même pas oublier que pour Rome les peuples de la Gaule (les Celtes serait plus juste) sont de vieilles connaissances, comme l’atteste le traumatisme que reste l’attaque de Rome en 390.
César est de toute façon inspiré par les mêmes sources des Anciens, comme on peut le voir dans la description qu’il fait des Gaules dans ses Commentaires. Pour « inventer » la Gaule, il joue sur la peur des Germains, malgré les victoires de Marius sur les Teutons, et il sépare l’espace gaulois, et le peuple, de la Germanie : « le sol de la Gaule et celui de la Germanie n’étaient pas à comparer, non plus que la façon dont on vivait dans l’un et l’autre pays » (I, 30). De même, César distingue au sein de la Gaule Celtique (ou chevelue) les alliés de Rome (les Eduens par exemple) des éventuels ennemis (les Arvernes, même si pardonnés de leur résistance passée).
Mais pour justifier sa conquête, César doit aussi trouver des arguments solides et un contexte favorable.
Les causes de la Guerre
Nous l’avons rapidement évoqué avec la victoire de Marius sur les Teutons, l’intervention de Rome en Gaule ne date pas des années 50. Dès la fin du IIe siècle, la menace vient de peuples germains, comme les Cimbres, les Ambrons et donc les Teutons, et Rome est appelée pour les mater, ou elle intervient d’elle-même. C’est le cas aussi contre des peuples qui fuient ces « barbares », comme les Helvètes, qui entrent déjà en Gaule dès 109-108 et sont battus par Sylla en 101, au moment où son rival Marius défait les Cimbres et les Teutons.
Le deuxième prétexte est de même nature, mais peut-être plus urgent et dangereux : la menace d’Arioviste le Germain sur les peuples amis séquane et éduen. Ces derniers envoient en 61 le druide Divitiacos pour demander de l’aide à Rome (il y rencontre Cicéron). Comment refuser le soutien à un peuple aussi proche de Rome que les Eduens ? Le Sénat décide alors d’une intervention du proconsul de Transalpine en cas d’attaque.
Ce dernier n’est autre que César, consul en 59, et qui hérite pour son proconsulat de la Gaule Cisalpine, de la Transalpine et de l’Illyricum (on peut noter ici que les premières ambitions de César se portaient de ce côté, mais que les événements favorables l’ont fait se tourner vers la Gaule), et également de quatre légions.
Le dernier prétexte que l’on peut donc trouver à la Guerre des Gaules est l’ambition de César lui-même : une campagne victorieuse lui apporterait gloire et argent, et une chance d’augmenter son prestige face à Pompée. Les événements de Gaule lui ont été favorables, il a su en profiter.
La première Guerre des Gaules
On peut parler de première Guerre des Gaules car celle-ci s’est déroulée en plusieurs phases. En 58 av, Jules César intervient pour empêcher la migration des Helvètes. Avec une légion, il coupe le pont de Genève, et refuse les négociations avec eux. Les Helvètes remontent alors vers le Nord et décident de passer par les régions des Séquanes et des Eduens pour rejoindre l’Ouest comme prévu. Avec trois légions de Cisalpine, César les attaque en pays éduen et les bat à Bibracte, l’oppidum du peuple allié. Les Helvètes sont en grande majorité renvoyés chez eux, seule une petite partie reçoit le droit de s’installer près de Sancerre.
La deuxième menace se confirme rapidement, la même année, avec une première attaque d’Arioviste : les Eduens appellent César à l’aide, et le proconsul bat le Germain en territoire séquane avant de rentrer en Cisalpine.
La conséquence de ces deux campagnes est qu’à présent César a vraiment un pied en Gaule, et est prêt à intervenir au cas où, et si bon lui semble.
Les campagnes de César en Gaules, Germanie et Bretagne (57-53)
Après une tournée dans ses provinces de Cisalpine et d’Illyricum, César regagne la Gaule en juin 54 ; avec le soutien d’une imposante flotte, il est décidé à combattre les Trévires d’abord (avec quatre légions), puis à retourner en Bretagne. Là, il emmène des otages gaulois, dont Dumnorix l’Eduen (frère de Divitiacos) qui y meurt, et il parvient à imposer un tribut aux Bretons.
Il doit cependant retourner rapidement en Gaule ; en effet, les méthodes de César commencent à irriter en Gaule, et différents chefs (dont le Trévire Indutiomaros, pourtant installé par Rome) profitent des problèmes de récolte pour agiter les peuples. Parmi eux, les Eburons et les Carnutes, entre autres. La Gaule est ainsi secouée de l’Armorique jusqu’au Rhin, et César obligé d’intervenir partout pour ce qui est, jusque là, sa plus longue campagne.
Ce n’est pas l’année 53 qui voit la situation s’améliorer pour César : dans le contexte d’une rivalité croissante avec Pompée, il doit continuer à faire face aux révoltes des Trévires, des Carnutes, auxquels s’ajoutent les Sénons. Ces trois peuples vont jusqu’à ignorer sa convocation à une assemblée des Gaules ! Mais César finit par en venir à bout, en faisant juger le chef carnute Acco et en battant les Eburons ; il décide même une nouvelle incursion en Germanie pour éviter une alliance entre Germains et Gaulois. Il rentre alors en Cisalpine.
Les Gaulois derrière Vercingétorix
La rivalité entre Pompée et César semble être parvenue aux oreilles des Gaulois qui, peut-être, profitent des difficultés du second pour se rebeller de façon encore plus large au début de 52. Des Carnutes, encore une fois, massacrent des marchands romains à Cenabum (Orléans) en janvier, puis ils sont rejoints par des peuples de l’Ouest, comme les Aulerques ou les Sénons, et par les Arvernes. Ces derniers viennent de mettre au pouvoir le jeune Vercingétorix, et l’importance de ce peuple au sein des autres Gaulois amène logiquement au choix de Vercingétorix comme chef de la révolte gauloise. Seuls les Eduens restent fidèles à Rome.
César réagit rapidement, dès février. Il organise les défenses en Transalpine puis, face aux offensives gauloises sur Narbonne, il décide de contre-attaquer en plein cœur de la Gaule. Ses campagnes dans le pays éduen, et surtout biturige, mettent Vercingétorix en difficulté, et le chef arverne doit lâcher Avaricum (Bourges). César aide une nouvelle fois les Eduens, en réglant de façon autoritaire leurs conflits internes, puis il repasse à l’offensive tandis que Vercingétorix ne cesse de voir d’autres tribus le rejoindre. Le chef arverne est alors vainqueur à Gergovie, ce qui laisse présager une issue positive pour les Gaulois.
Alésia et la soumission de la Gaule
Vercingétorix profita alors des derniers trous du dispositif pour renvoyer la cavalerie et appeler des secours. Bientôt la famine régna sur l'oppidum. L'armée de secours gauloise pourtant nombreuse était mal organisée. Elle fut repoussée grâce aux remarquables retranchements romains. Vercingétorix doit finalement se rendre au Romain, et avec lui l’essentiel des tribus gauloises.
Les conséquences de la Guerre des Gaules
Cette longue campagne militaire a des conséquences à bien des niveaux : d’abord pour le vainqueur, César. Il doit attendre 46 pour son triomphe (où est exhibé Vercingétorix) en raison de la guerre civile, mais sa réussite en Gaule est décisive pour sa victoire face à Pompée.
Pour la Gaule évidemment, les conséquences sont immenses puisqu’elle devient province romaine (bien après la guerre civile, sous Auguste), et que ses équilibres intérieurs sont totalement redéfinis. On l’a dit, on peut même affirmer que c’est cette guerre (et son vainqueur) qui invente la Gaule. Naît alors ce que l’on va appeler la « civilisation » gallo-romaine.
Pour Rome enfin, les conséquences sont aussi très importantes car la République (puis l’Empire) n’est plus seulement une puissance méditerranéenne mais continentale, qui se tourne vers le Nord, que ce soit la Bretagne ou la turbulente Germanie.
Bibliographie
- C. Goudineau, César et la Gaule, Seuil, 2000.
- A. Ferdière, Les Gaules, IIe siècle av. JC- Ve siècle ap. JC, A. Colin, 2005.
- J. César, Guerre des Gaules. IP, 2021