Le contexte : des personnalités qui reflètent une ambivalence mémorielle
Personne n'a encore imaginé, encore moins regardé en face le problème humain que laissera la guerre derrière elle. Il n'y a jamais eu de telle destruction, de telle désintégration de la structure de la vie. Ce propos, extrait de l'œuvre Après Guerre, une histoire de l'Europe depuis 1945 de Tony Judt, traduit le sentiment général d'une issue humaine catastrophique pour l'Europe après la Seconde Guerre mondiale. Mais plus encore, l'ampleur de cette guerre a laissé des traces indélébiles dans l'esprit des Européens, un objet de Mémoire pour les générations qui ont succédés aux personnes qui ont survécu à cette guerre et qui l'ont affronté quotidiennement.
La Seconde Guerre mondiale marqua la victoire idéologique de la démocratie et de la liberté sur les régimes dictatoriaux et autoritaires. Aujourd'hui encore, la vie des sociétés européennes est rythmée par le souvenir d'évènements, imprégné de cette idéologie victorieuse, telle la célébration à l'heure actuelle des actions de la résistance et des évènements qui ont sonné la fin de la guerre.
Dans le cas de la France, une dualité de Mémoire se fait jour et ce depuis la période de la libération durant laquelle les hommes issus de la résistance ont reconstruit la France et réinstallé la république sur le territoire français, elle qui était alors exilé à Londres et à Alger. Pour autant, les ruines du régime de Vichy et les hommes qui l'ont incarné, pour la plupart, chassé de l'administration, condamné par la justice d'après guerre ont marqué de leur présence l'opinion publique. Le grand écrivain, Céline, François Mitterrand, un homme politique qui a exercé des fonctions sous le régime de Vichy mais aussi l'architecte le Corbusier pour lequel, le centre Pompidou consacre une vaste exposition à l'heure actuelle.
Leur présence au sein de l'espace public n'a pas manqué d'attiser la curiosité sur ces personnes, curiosité qui a participé à dévoiler leur passé pour faire émerger les faces cachés et surtout dérangeantes de la vie de ces hommes. C'est ce que nous allons tenter de décrypter en étudiant plus précisément les personnalités cités ci-dessus. La première partie sera consacré à de courtes biographies comprenant les éléments qui permettent de comprendre chacune de ces personnalités publiques puis dans une deuxième partie, il sera alors nécessaire de présenter un passé parfois surprenant et qui a créé beaucoup de polémique à l'époque et encore aujourd'hui comme le démontre la figure de Le Corbusier.
Des personnalités reconnues au sein de l'espace public
Céline, Mitterrand et Le Corbusier sont trois personnalités connues du grand public et qui ont marqués de leur empreinte, respectivement, les domaines de la littérature, de la politique et de l'urbanisme. Leur passé a toutefois suscité des polémiques dont l'intention ici n'est pas de les raviver mais de les décrire.
Une réalité : un passé dérangeant
L'histoire publique de ces personnalités est connue du grand public du fait de la notoriété qu'ils ont acquise au fur et à mesure du temps. Cette notoriété n'a toutefois pu cacher leur passé qui a été révélé provoquant parfois la stupéfaction dans le cas notamment de François Mitterrand. Mais commençons tout d'abord par Ferdinand Céline.
Louis Ferdinand Celine a donc fait l'objet d'un certains nombres de divisions au sein de l'opinion publique. Son talent littéraire indéniable ne pouvait masquer ses affinités avec les valeurs d'extrême droite. Dès la fin des années 1930, il n'hésite pas à prôner la haine raciale dans deux de ses œuvres : Bagatelles pour un massacre (1937) et L'Ecole des cadavres (1938). Il s'est considéré lui-même comme « l'ennemi numéro un des juifs », marqueur d'un antisémitisme virulent. Ces considérations le menèrent à soutenir explicitement le régime Nazi et a collaboré avec le régime de Vichy. Il écrivit de nombreuses lettres qui ont parcourues les différents journaux collaborationnistes, diffusées pour certaines d'entre elles. Cette promiscuité avec l'extrême droite va le condamné au ban de l'espace public français. Il ne connaîtra toutefois par le sort qu'a pu connaître l'écrivain antisémite et collaborationniste, Robert Brasillach.
A la différence des deux personnalités précédentes, le Corbusier et son passé proche de l'extrême droite a été révélé par des ouvrages très récents tels que Le Corbusier, un fascisme français. Le Corbusier n'a jamais fait de politique, cela ne l'empêcha toutefois pas d'avoir des opinions bien définies. Il fut antisémite et ces quelques propos tirés d'une lettre adressées en 1913 à Auguste Perret tendent à le montrer : ces juifs cauteleux au fond de leur race, attendent... ou encore ces crétins de juifs, ignobles et offusquant. Tout comme Celine, Le Corbusier affirma ses idées d'extrême droite dans les années 1930 dans le contexte d'une poussée virulente de l'antisémitisme en France et plus largement en Europe. Les revues qu'il a contribué à fonder vont clairement exposer des théories raciales, tels que la revue, Plans en 1930. Soulignons que Le Corbusier fut influencé par de nombreuses personnalités fascistes telles que Pierre Winter, membre du mouvement fasciste, Le faisceau. L'architecte fut également un grand admirateur de Mussolini pour lequel il se rendit en Italie. De ses expériences, ses convictions n'en sortirent que renforcer lorsqu'advint le régime de Vichy. Proche de Jean Giraudoux, écrivain et commissaire général de l'information, Le Corbusier fit montre de son soutien à la politique hitlérienne ainsi que celle du régime de Vichy. A la libération, il échappe à la purge mise en place à l'encontre des collaborateurs de Vichy, probablement du fait de soutien au sein des milieux politiques d'alors.
En définitive, l'étude du passé de ces trois personnalités révèle la complexité de ces trois hommes. Leur promiscuité avec l'extrême droite est aujourd'hui connue, bien qu'elle reste à approfondir dans le cas de Le Corbusier pour lequel le centre Pompidou organise une exposition célébrant ses œuvres. Plus encore, le passé d'extrême droite a touché toutes les composantes de la société et pas seulement la vie politique française comme on le pense souvent. La littérature et l'urbanisme ont aussi connu des périodes plus sombres, ce qui n'enlèvent rien au génie des ces hommes, celui de Céline et ses talents d'écrivains, celui de Le Corbusier, l'urbaniste qui a travaillé à l'édification du bâtiment de l'ONU à New-York en 1947. Quant à François Mitterrand, il a, par son parcours été le symbole d'une « synthèse » entre les deux Mémoires qui se sont fait faces et ce, encore aujourd'hui, celle de la Résistance et de la Collaboration. Ces cas se révèlent donc complexe pour l'historien, car il doit prendre en compte la totalité de la vie de ces hommes dans leur entièreté, en tenant compte de la dualité entre une vie publique fait de notoriété et un passé plus dérangeant que certains aimeraient ne jamais connaître. La vérité impose que la vie de ces personnes soit prise dans leur intégralité pour espérer les comprendre.
Bibliographie
- Le Corbusier, un fascisme français, de Xavier de Jarcy. Albin michel, 2015.
- D'un Céline à l'autre, de David Alliot. Robert Laffont, 2011.
- Une jeunesse française: François Mitterrand, 1934-1947, de Pierre Péan. Pluriel, 2011.