La France en route vers les Trente Glorieuses
La France sort du second conflit mondial exsangue. Elle compte, en effet, près de 600000 morts. De plus, le pays a subi des destructions importantes et le réseau ferroviaire est quasiment inutilisable. Son économie est également dévastée. Et faute de réserves financières, la France est très affaiblie.
Pour répondre à ce problème, l’une des premières grandes décisions de la Libération consiste à augmenter les salaires. On invite également l’ensemble des Français à se jeter dans la bataille de la production. Il s’agit là d’une « troisième bataille de France » où l’on parle de « soldats de la reconstruction » et de « retrousser ses manches ». La particularité de l’économie de la Libération et de la IVe République, outre son défi de moderniser le pays, se caractérise par la mise en place d’un certain dirigisme économique.
Ainsi, l’État ne peut s’empêcher, face à cette inflation permanente, d’intervenir afin de reconstruire et de réformer le pays. Il profite pour cela du Plan Marshall américain dont l’objectif est de permettre la reconstruction de l’Europe. Ce plan a distribué près de 13 milliards de dollars à 13 pays européens. L’URSS, pourtant touchée par la Seconde Guerre mondiale, refuse l’aide américaine, ce qui préfigure, déjà, la prochaine guerre froide.
Des réformes synonymes de progrès
À la fin de la guerre, et dans le cadre de la profonde réforme de l’économie entreprise, deux innovations fondamentales qui profitent aux Français voient le jour. La première est la création de la Sécurité sociale. Même si l’on ne part pas de rien et qu’il y a un héritage réel, cette mesure constitue plus qu’une réorganisation technique.
C’est une réelle innovation. Il s’agit de mettre en place et d'organiser de vraies garanties contre les risques et de construire une société plus juste. Pierre Laroque est à l’origine de cette réforme, laquelle répond à l’exigence de solidarité et de dignité de l’homme. Dès lors, les travailleurs sont protégés des risques liés au travail, comme la maladie, le chômage, la vieillesse, l'accident professionnel. À cela s’ajoutent les allocations familiales. De plus, l’ordonnance du 22 février 1945 permet la création de comités dans les entreprises de plus de cinquante personnes, et ce afin d’associer étroitement les salariés à la vie de l’entreprise.
Ces deux réformes visent, à l’heure où il faut reconstruire l’économie du pays, à renforcer la cohésion sociale. Cependant, cette refonte économique nécessite une intervention de l’Etat différente.
Quels outils pour le progrès ?
On constate assez rapidement que pour relancer et reconstruire l’économie, il faut mettre en place un certain nombre de réformes en utilisant divers outils. Dans ce sens, des organismes ayant pour mission de scruter l’évolution de l’économie sont créés. Ainsi, en 1945 et 1946, naissent respectivement l’Insee et le Commissariat général au Plan, lequel est, dans un premier temps, établi pour faire face à la pénurie, puis pour reconstruire et moderniser la France.
L’État nationalise également la production d’énergie. Les charbonnages de France, EDF et GDF sont créés, et une grande partie du système bancaire tombe sous le contrôle du pouvoir politique (Crédit lyonnais, Société générale).
Avec cette IVe République, l’économie, par un interventionnisme étatique, se trouve relancée. Elle prépare ainsi ce que Jean Fourastié appellera « les Trente Glorieuses ».
Une période de prospérité économique
Après une terrible dépression économique dans la première partie du xxe siècle, et deux guerres mondiales, la France a perdu beaucoup de richesses. À partir des années 1945, et jusqu’aux années 1970, la France connaît une longue période de croissance sans précédent.
La prospérité se mesure par le produit national brut (PNB), or le PNB mondial passe de l’indice 100, en 1950, à 270 en 1970. Ces Trente Glorieuses se caractérisent par une très forte industrialisation du pays. Ce sont principalement les secteurs des biens de consommation et des transports qui profitent de cet essor. Les industries de base (sidérurgie, textile, chimie de base), elles, connaissent une progression plus faible. L’une des conséquences de cette croissance est une mobilisation importante de l’énergie. Le pétrole devient le carburant de la croissance car il est bon marché et à fort pouvoir énergétique.
Un autre élément de cette vigueur économique se trouve dans la profonde modification de la répartition des actifs dans les trois secteurs d’activité. Le primaire a besoin de moins de bras tandis que le secondaire connaît une hausse de ses effectifs mais profite très peu de la croissance. Par contre il y a une réelle explosion du tertiaire* et des « cols blancs ».
Vers une société de consommation
Avec ces Trente Glorieuses, la France entre de plain-pied dans la société de consommation. Elle copie ici, le modèle américain, l’american way of life. A partir des années 1950, les Français s’équipent en biens de consommation. Ils découvrent le téléviseur, le réfrigérateur, le lave-linge ou l’automobile. Ils ont accès de plus en plus facilement à ces biens de consommation, notamment grâce aux supermarchés.
Les ménages entrent donc dans le monde moderne, où le budget familial change. On consacre plus d’argent à l’équipement, à la santé, aux loisirs.
Pourquoi cette croissance ?
L’une des premières raisons de cette croissance économique se trouve dans l’équation offre-demande. Il y a, pendant ces trente années, plus de demande et donc plus d’offre. Cette évolution est aussi le résultat de méthodes de production telles que le taylorisme, le fordisme, travail à la chaîne où l’ouvrier qualifié laisse progressivement la place au travailleur spécialisé qui permet un gain de temps et donc un gain d’argent. Ces éléments permettent donc de produire plus pour moins cher. De même, une autre explication à cette croissance se trouve vraisemblablement dans l’allongement de la durée des études. Il y a, par exemple, en 1970, quatre fois plus de bacheliers qu’en 1946.
Enfin, il faut noter que cette période est celle du plein emploi, et c’est à ce moment qu’une réforme importante intervient pour les salaires : les salariés sont mensualisés et non plus payés à la fin de chaque semaine, ce qui leur permet de dégager de plus grosses sommes pour leur consommation.
Un essor économique qui ne profite pas à tous
C’est à cette période que le terme de tiers-monde, qui évoque les pays ne profitant pas de cette croissance, apparaît. Mais, au sein même des pays moteurs des Trente Glorieuses, apparaissent des mouvements de rejet. Subsiste, en France, une certaine précarité, résultant d’emplois mal payés. Il y a donc des laissés-pour-compte de la croissance, et des bidonvilles existent jusqu’au début des années 70. Un quart-monde émerge dans cette ère de prospérité.
Certains s’interrogent aussi sur cette croissance. Ils critiquent l’idée d’une vie réglée par l’économie. Ils rejettent le « métro, boulot, dodo ». Ainsi des mouvements de gauche s’animent et proposent une alternative à ce monde de consommation. Ceux-ci proposent de renoncer au monde moderne et rejoignent le monde rural, par exemple sur le plateau du Larzac.
La fin des Trente Glorieuses
L’idée selon laquelle le ressort se serait brisé net du seul fait du premier choc pétrolier n’est pas fondée : dès le début des années 1970, les premiers signes d’un retournement de conjoncture sont présents ; les crises énergétiques de 1975 et de 1979 ne feront qu’en amplifier les effets.
Il n’en reste pas moins que cette période des Trente Glorieuses, dont la dénomination renforce le caractère quelque peu mythique, surtout si on la compare à la situation économique et sociale de la fin des années 1990, reste la période de croissance la plus forte qu’ait connue notre pays. En trente ans, elle aura par exemple été supérieure à la croissance que la France avait connue entre 1830 et 1914.
Bibliographie
- Les Trente Glorieuses, de Jean Fourastié. Fayard/Pluriel, 2011.
- La France des Trente Glorieuses - 1945-1974, de Dominique Lejeune. Armand Colin, 2015.