Doué-la-Fontaine
Louis le Pieux, né en 778, sixième enfant et quatrième fils de Charlemagne, est roi d'Aquitaine depuis 781. D'après les Annales Royales, le poème « Faits et gestes de Louis le Pieux » d'Ermold le Noir (1) et la Vie de Louis le Débonnaire rédigée par l'Anonyme dit l'Astronome (2) , Louis apprend la mort de son père Charles alors qu'il se trouve à son palais de Doué-la-Fontaine.
Peu de temps après, accablé par les ans et la vieillesse, César (Charlemagne) va rejoindre dans la tombe ses antiques aïeux. On lui fait des funérailles dignes de son rang, et ses restes sont déposés dans la basilique que lui-même a fait construire à Aix-la-Chapelle. On envoie cependant un exprès annoncer au fils la mort de son père. C'est le rapide Rampon qui part chargé de cette mission ; il vole jour et nuit, traverse d'immenses pays et parvient enfin au château où habitait le jeune monarque.
Au-delà du fleuve de la Loire est un lieu fertile et commode; entoure d'un côté par des forêts, de l'autre par des plaines, il est traversé par les ondes paisibles du fleuve qui le vivifient; les poissons s'y plaisent, et il abonde en bêtes fauves. C'est là que le triomphant Louis a élevé un magnifique palais. Demandes-tu quel il est, cher lecteur? Son nom est Thedwat (Doué) « Faits et gestes de Louis le Pieux » d'Ermold le Noir.
Or ce fut le 28 janvier, en l'année 814 de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que mourut le très pieux empereur Charles. Environ ce temps, l'empereur Louis, comme poussé par quelque pressentiment, avait indiqué une assemblée générale pour le jour de la purification de Sainte-Marie mère de Dieu, dans un lieu nommé Doué.(...) Vie de Louis le Débonnaire, par l'anonyme dit l'astronome.
Il (Louis) décida qu'il passerait ses hivers dans quatre habitations différentes, de telle façon qu'au bout de trois années écoulées il choisirait successivement pour séjourner durant l'hiver de la quatrième l'une de ces quatre habitations, savoir, Doué, Chasseneuil, Audiac, et Ebreuil. Ainsi chacun de ces domaines, quand son année arrivait, avait de quoi suffire à la dépense royale. Vie de Louis le Débonnaire, par l'anonyme dit l'astronome.
L'aula carolingienne
Description
En 1966, des travaux sont entrepris sur la commune afin d'araser une motte appelée « Motte de la Chapelle » . Un engin mécanique éventre le tertre et met à jour des traces de maçonneries. Le chantier est aussitôt stoppé et des fouilles commencent l'année suivante. Menées par le doyen Michel de Boüard de l'Université de Caen, elles durent trois années et mettent au jour un vaste bâtiment rectangulaire de 23 mètres sur 17 mètres. Ce bâtiment, classé Monument Historique le 19 décembre 1973, est connu sous le nom de « maison carolingienne » ou « aula carolingienne » (3).
Ce bâtiment est percé de deux portes. La porte principale, sur la façade ouest, est haute d'environ 3 mètres ; l'autre, plus petite, s'ouvre sur la façade sud. Des trous rectangulaires dans l'épaisseur du mur, de part et d'autre des portes, suggèrent que de grosses poutres pouvaient être posées pour barricader celles-ci.
L'épaisseur des murs oscille entre 1,72 mètre et 1,80 mètre. L'appareil, très irrégulier, tantôt en petits moellons, tantôt en blocs plus importants, parfois en arête de poissons (opus spicatum) est caractéristique des premiers temps de la construction médiévale.
L'espace intérieur est séparé en deux parties de taille inégale par un mur de refend d'une épaisseur de 1,24 mètre. La pièce la plus spacieuse (178 m² au nord) disposait d'un dallage de pierre et d'un foyer central. L'autre salle (72 m² au sud) était pourvue d'une cheminée. Le contrecœur de celle-ci peut encore être observé à travers la porte sud : il est formé de briques, puis de tuiles posées obliquement et enfin par de petites pierres taillées. Cette pièce était sans doute une cuisine ; c'est ce que laisse supposer l'ensemble des déchets domestiques trouvés lors des fouilles.
Afin d'assurer le ravitaillement en eau, un puits, toujours visible, est creusé.
Sur l'enduit conservé du mur séparant la cuisine de l'aula, plusieurs graffitis plus tardifs, datant de la fin du Xème – début du XIe siècle, ont été découverts. Réalisés par un dessinateur plutôt habile, ils représentent des scènes plutôt complexes pour des graffitis, empruntées au répertoire de la peinture ou de l'orfèvrerie : ainsi sont figurées une crucifixion, une vierge à l'enfant, des personnages.
Quel édifice ?
Le palais de Louis le Pieux
La structure découverte ne correspond pas au palais de Louis le Pieux, car celui-ci a sans doute été détruit par les Vikings. En effet, entre les années 850 à 900, la région a subi de nombreux raids ce qui a notamment incité les habitants à se réfugier dans les grottes et a développé l'habitat troglodytique dans la région. C'est notamment le cas à Doué où les habitants se sont réfugiés dans des carrières souterraines existantes (4) utilisées par des tailleurs de pierre pour extraire des sarcophages depuis l'époque mérovingienne.
Sur la Loire, sévit notamment le chef viking Hásteinn qui profite des dissensions entre les fils de Louis le Pieux et notamment du conflit opposant Charles le Chauve (823, †877) à son neveu Pépin II (823, †864), au sujet du royaume d'Aquitaine. En 845, Ancenis, Angers, Saumur, Chinon sont pillés. Angers est de nouveau assailli en 851 et 873.
L'aula de Robert, comte de Poitou et roi de France Occidentale
La construction est donc constituée d'une cuisine et d'une salle de réception, une « aula », salle d'apparat où le comte recevait ses fidèles et où se déroulaient les principaux événements de la vie publique de celui-ci. Traditionnellement, la « aula » est associée à une « camera », chambre privée du comte et à une « capella », lieu dédié au culte. Le bâtiment a été incendié aux environs des années 930-940. Les traces de rubéfaction sur les faces internes des murs laissent supposer un sinistre déclenché par une opération de guerre, qui aurait pour contexte les querelles entre comtes d'Anjou et comtes de Blois.
En effet, en 853, Anjou et région de Blois font partie du commandement attribué à Robert le Fort et sont gouvernées en leur nom par des vicomtes. Peu à peu, alors que les Robertiens accèdent à la couronne, les vicomtes d'Angers et de Tours s'émancipent. Sous le règne de Charles le Simple (879, †929), Foulque Ier d'Anjou dit Foulques le Roux s'intitule « comte d'Anjou » alors que Thibaut Ier le Tricheur (910, †977), profite de la mort d'Hugues le Grand (898, †956) pour prendre le titre de « comte de Blois ».
Les deux lignées dont les territoires sont fortement enchevêtrés n'ont de cesse alors de s'affronter, notamment pour la possession de la ville de Tours.
La motte castrale
Suite à cet incendie, la construction a été convertie en donjon, par surélévation des murs. Les portes ont été murées et des portes ont été ouvertes, 5 mètres plus haut. Le bâtiment comportait a priori deux niveaux. Des poteaux de bois ont été plantés dans le sol afin de supporter les solives sur lesquelles reposait un plancher séparant le rez-de-chaussée du premier étage. Enfin, au début du XIe siècle, la base a été emmottée sur une hauteur d'environ 5 mètres et l'aula est devenue une cave complètement aveugle. Aussi, Doué constitue le plus ancien exemple de conversion d'une « aula » primitive en ouvrage défensif de type « motte castrale ».
A propos des graffitis trouvés sur l'enduit du mur de refend, côté cuisine, Michel de Boüard, dans son article consacré à l'étude de ceux-ci [ref5], émet l'hypothèse qu'ils auraient été réalisés par des prisonniers. Lors de la prise de Saumur, Foulques Nerra capture le prévôt de la ville, Aimeri, et plusieurs de ses fils. Peut-être ont-ils été détenus dans l'ancienne cuisine de l'aula, devenue lors de la construction du donjon, une cave. Peut-être Aimeri était-il accompagné de son chapelain, d'où la nature des graffitis...
(1) Ermold le Noir est un ecclésiastique, clerc de la maison de Pépin Ier d'Aquitaine. Il est banni par le roi Louis le Pieux pour avoir incité son fils Pépin Ier à la révolte. Réfugié à Strasbourg, il écrit le Poème « Faits et gestes de Louis le Pieux » afin de regagner les faveurs de l'empereur.
(2) On ne sait rien de cet auteur, dont il ne reste aucun souvenir si ce n'est ses ouvrages consacrés à Louis le Pieux.
(3] La motte se trouve au sud de Doué-la-Fontaine, à l'angle du boulevard du Docteur Lionet et de l'impasse de la Motte. Elle ne se visite pas.
(4) Les Caves se visitent ; elles sont situées au 1, rue de la Croix Mordret.
Bibliographie
- Vie de Louis le Débonnaire, par l'anonyme dit l'astronome.
- Poème, « Faits et gestes de Louis le Pieux », par Ermold le Noir
- Michel de Boüard, De l'aula au donjon, les fouilles de la motte de la Chapelle à Doué-la-Fontaine (Xe-XIe siècle), dans Archéologie Médiévale N° III-IV (1973-1974), pp. 5-110, Caen.
- Doué-La-Fontaine et sa région, la maison carolingienne, Office de Tourisme de Doué-la-Fontaine.
- Michel de Boüard, Les graffiti carolingiens de Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire), In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 115e année, N. 2, 1971. pp. 236-251.
- Joëlle Delacroix, Hásteinn, chef viking entre mythe et réalité, 4 décembre 2013,