La guerre sainte et la Croisade
Il ne s’agit pas ici de détailler les origines de la guerre sainte, ou de la « guerre juste », mais nous devons cependant remonter un peu dans le temps pour comprendre comment s’est développé le concept de croisade, et ses motivations religieuses. De même, il faut de suite préciser que toute guerre sainte n’est pas une croisade, car (si l’on suit A. Demurger) le but de celle-ci est uniquement Jérusalem et la Terre Sainte, même si l’on sait qu’il y eut des expéditions considérées comme des croisades qui n’avaient plus pour but premier Jérusalem ou la défense de la Terre Sainte, et ce jusqu’au XVIe siècle. Elles étaient nommées croisades car appelées par le pape, ou par une autorité revendiquant une légitimité religieuse.
La guerre était alors juste pour défendre des populations en danger, protéger l’Empire des invasions, mais certainement pas pour conquérir. Dans l’appel d’Urbain II on a la mention d’une guerre de ce type, les populations menacées étant les chrétiens d’Orient subissant une persécution religieuse : le but est donc de défendre les « intérêts » de Dieu, selon sa volonté : « Deus (lo) vult ! » entend-on à Clermont.
Le Jihad, une Guerre sainte ?
La notion de jihad est sans aucun doute plus difficile à cerner que celle de guerre sainte comme l’entendaient les chrétiens, ou encore plus de croisade. Le jihad signifie étymologiquement l’effort, « il recouvre les diverses formes de combat pour faire triompher les droits de Dieu, la lutte intérieure du fidèle pour atteindre la perfection intérieure et la guerre pour défendre et étendre le territoire de l’Islam contre les infidèles » (cf Eddé-Micheau, « L’Orient au temps des croisades »). La guerre est ainsi replacée dans le cadre légal de l’islam car l’origine et le cadre du jihad sont le Coran et les hadiths (même s'il est codifié bien plus tard), ce qui permet au calife, puis aux sultans ou émirs selon les contextes, de revendiquer la légitimité de leurs actions militaires ; celles-ci, dans l’optique du jihad, doivent s’appliquer contre les ennemis de l’Islam, qu’ils soient des infidèles ou des « mauvais » musulmans.
Jihad et Croisade, même combat ?
Peut-on, au bout du compte, mettre sur le même pied d’égalité la croisade et le jihad ? On ne peut nier les points communs, mais nous devons d’abord insister sur les différences : la principale est l’origine même de ces deux notions ; en ce qui concerne le jihad, la source est bien le Coran mais plus encore les hadiths, et pour citer Jean Flori « le jihad peut, au moins dans une certaine mesure, se réclamer de Mahomet », même s'il n'est pas codifié strictement dans le Coran. Ce qui n’est pas le cas de la guerre sainte, absente de la Bible et surtout du Nouveau Testament.
Le jihad évolue beaucoup selon le contexte ; ainsi, les traités de jihad du XIIe siècle sont une sorte de construction d’une « contre-croisade ». Pour la guerre sainte chrétienne, l’importance du rôle politique de l’Eglise est décisive, en particulier au XIe siècle, où l’on voit se sacraliser le combat et la guerre, alors que le christianisme était dans ses fondements une religion « pacifiste ». La guerre sainte progresse donc en Occident chrétien au moment où le pape ressemble de plus en plus à un monarque (et donc en concurrence avec les autres monarques, laïcs, pour légitimer son pouvoir), et l’Eglise à une théocratie.
Il faut aussi distinguer le jihad des premiers temps de l’islam, qui légitimait a posteriori les conquêtes musulmanes faites pour servir Dieu, du jihad du temps des croisades, destiné à défendre le dâr al-islam contre le danger croisé (puis mongol). La guerre sainte musulmane servait Dieu ou défendait ses intérêts, mais n’avait pas pour but de convertir. La guerre sainte chrétienne était d’abord défensive, puis offensive, donc l’inverse du jihad pour simplifier, sauf sur la conversion qui là non plus n’était pas le but.
On le voit, on ne peut totalement mettre sur le même plan ces deux notions de jihad et de croisade, le premier ayant différentes formes selon l’histoire et le contexte mais aussi des origines coraniques et « traditionnelles » (dans le sens de la sunna), la seconde étant l’aboutissement d’une notion construite par l’Eglise, la guerre sainte, avec pour but précis la libération puis la défense des lieux saints du christianisme. Mais dans les deux cas, si le caractère sacré, « saint », des guerres qui en découlaient est certain dans l’esprit des combattants, tant jihad que croisade ont aussi servi des intérêts bien plus matérialistes et leurs objectifs ont été bien souvent détournés, comme on le verra avec la IVe croisade…
Bibliographie
- J. FLORI, Guerre sainte, jihad, croisade : violence et religion dans le christianisme et l’islam, Seuil, 2002.
- A. DEMURGER, Croisades et croisés au Moyen Age, Flammarion, 2006.
- M. BONNER, Le jihad : origines, interprétations, combats, Téraèdre (coll L’Islam en débats), 2004.