Les croisades ont été des expéditions militaires organisées par les chrétiens d'occident pour libérer la Terre Sainte et le tombeau du Christ à Jérusalem, alors sous domination musulmane. On compte huit croisades principales qui se sont déroulées entre 1095 et 1270. De grands féodaux et monarques européens, tels Richard Coeur de Lion, Frédéric Barberousse ou Philippe Auguste vont s'y illustrer avec plus ou moins de succès. Sur le plan militaire, la grande épopée des croisades se terminera par un échec. En agressant le monde musulman, jusqu’alors tolérant à l’égard des chrétiens, ces expéditions en Orient vont raviver l’idée de guerre sainte et l'esprit de revanche, qui seront exploités plus tard par les ottomans.
Prélude aux croisades
Les croisades peuvent être considérées comme une véritable épopée, passionnante pour une foule de raisons : ce pèlerinage guerrier s’effectue dans un contexte plus global d’expansion de l’Occident, dû d’abord à un essor démographique, puis économique ; c’est aussi une période d’affirmation progressive des pouvoirs royaux, et la volonté de certains seigneurs d’aller guerroyer et s’enrichir ailleurs…C’est enfin, évidemment, l’importance croissante de l’Eglise sur les sociétés, dans la droite ligne des réformes grégoriennes, et la concurrence avec les pouvoirs politiques mais aussi les autres religions : le christianisme byzantin, et bien entendu l’islam. Ces «guerres saintes» sont donc bien plus qu’un «choc de civilisations», ou de religions, et elles vont durer 200 ans…
1071 : la défaite de l’empereur Romain IV Diogène à Manzikert face aux Seldjoukides d’Alp Arslan confirme la domination de ces derniers sur la région, et leur mise sous tutelle du califat abbasside. Cependant, ils ont pour rivaux les Turcomans en Anatolie, mais surtout le califat fatimide du Caire. Si l’Empire byzantin est donc fortement affaibli, le monde musulman n'est pas pour autant uni. La bataille de Manzikert frappe néanmoins en Occident, et est parfois évoquée comme l’un des prétextes à l’appel d’Urbain II à la croisade.
1076 : l’assemblée de Worms est généralement considérée comme le début de la Querelle des Investitures, c’est-à-dire le point d’orgue de la lutte entre l’empereur germanique et le pape. Ce dernier cherche son indépendance politique, et donc une légitimité. Ce qui est fondamental dans le futur contexte des croisades.
1085 : c’est d’abord la prise de Tolède par Alphonse VI de Castille, première date-clé de la Reconquista, considérée souvent comme une « croisade » en Occident. Puis, la mort du grand pape Grégoire VII, qui aggrave le conflit entre la papauté et l’Empire.
1086 : la réponse almoravide à la Reconquista, à la bataille de Zallaqa. Les Espagnols doivent stopper leur progression.
1087 : le pillage de Mahdiya par une coalition regroupant Génois, Pisans et Normands de Sicile est parfois vu comme un avant-goût de la Première croisade. En effet, les combattants ont bénéficié d’une indulgence de la part du pape Victor III…
1092 : la mort du sultan seldjoukide Malik Shah signe la fin de l’expansion turque. Le pouvoir est divisé entre émirs concurrents, alors que les Fatimides se font plus pressants, et que l’Empire byzantin se stabilise avec l’avènement d’Alexis Comnène.
La Première croisade
1095 : élu pape dans la tourmente en 1088, conquérant de Rome en 1093, Urbain II est au concile de Clermont pour asseoir sa légitimité, dans un pays dont il a excommunié le roi, Philippe Ier. Le 27 novembre, le pape Urbain II lance un appel à libérer les Lieux Saints et le tombeau du Christ, et à venir en aide aux chrétiens d’Orient. Il promet le Salut aux pèlerins. C’est le début de la Première croisade, même si le terme n’est pas employé. Une partie, la croisade dite « populaire », conduite par pierre l'Ermite choisit la route de l’Europe centrale ; l’autre, la croisade des barons, passe par le Sud. Leur objectif commun : Constantinople. Avant Jérusalem…
1097 : après s’être illustrée par des pillages et des massacres de Juifs, la croisade populaire est vite transportée par les Byzantins de l’autre côté du Bosphore, où elle est massacrée par les Turcs. Les barons parviennent à leur tour à Constantinople, et des négociations tendues commencent avec Alexis Comnène. Arrivés en Anatolie, les Croisés connaissent leurs premières victoires.
1098 : les Fatimides reprennent Jérusalem aux Seldjoukides. Au Nord, les Croisés fondent le comté d’Edesse et prennent Antioche avec difficulté. Ils ne la rendent pas aux Byzantins comme c’était prévu, provoquant la colère du basileus.
1099 : la croisade atteint son but, Jérusalem. La ville est prise le 15 juillet et « purifiée » dans le sang. Godefroy de Bouillon est élu « avoué du Saint-Sépulcre », mais beaucoup de barons et de pèlerins rentrent en Occident. Commence la difficile construction des Etats latins d'orient : le royaume de Jérusalem, la principauté d'Antioche et les comtés de Tripoli et d’Edesse.
1100-1118 : règne du premier roi de Jérusalem, Baudouin Ier. Il conquiert des places importantes, comme Acre (1104) ou Beyrouth (1110), tout en tenant en respect les contre-attaques turques et fatimides. En 1115, il fait construire le fameux château de Montréal. Parallèlement, le roi doit gérer des rivalités internes aux autres Etats latins…
1105 : à Harran, les Latins connaissent leur première défaite d’importance face à l’atabeg de Mossoul, Mawdud.
1118-1131 : règne de Baudouin II de Jérusalem. Il tente de continuer l’œuvre de son prédécesseur, mais connaît des difficultés, étant même fait prisonnier en 1123.
1119 : la bataille de l’Ager Sanguinis est une terrible déroute pour les Croisés. C’est le début des problèmes pour le comté d’Edesse.
1127-1144 : le sultan Mahmud fait un certain Zankî (ou Zengi) son atabeg en 1127. Ce nouvel homme fort cherche d’abord à mater les émirs, comme celui de Damas ; puis, il se tourne contre les Francs. Zankî harcèle le comté d’Edesse, profitant des problèmes des Latins avec l’Empire byzantin, qui réclame la restitution d’Antioche. Les troupes turques prennent Edesse facilement en 1144 : c’est la fin du premier Etat latin.
1145-1146 : le pape Eugène III appelle à la croisade (1145), chargeant Bernard de Clairvaux de sa prédication. Mais les volontaires ne se bousculent pas…Il faut attendre l’année suivante pour que le roi de France Louis VII s’engage, tout en persuadant l’empereur Conrad III de l’accompagner.
La Deuxième croisade
1147-1149 : les difficultés ne cessent pas durant toute l’expédition de la deuxième croisade. Les tensions sont toujours vives avec les Byzantins, qui sont en plus occupés face aux Normands de Sicile. Pour ne rien arranger, les croisés arrivent au sein d’un royaume de Jérusalem miné par les rivalités, et sous l’influence de la reine Mélisende, Baudouin III étant trop jeune pour régner. S’ajoutent à cela les rumeurs d’infidélité d’Aliénor d’Aquitaine, femme de Louis VII ! Mal conseillés, les deux souverains croisés échouent devant Damas. Conrad III décide de rentrer en Occident à l’automne 1148, et Louis VII l’imite au printemps 1149.
1146-1163 : la mort de Zankî (assassiné en 1146) ne ranime pas les divisions au sein de cette dynastie. Lui succède son fils Nûr al-Dîn, qui continue son combat contre les émirs, et le jihad contre les Francs. En 1149, il bat lourdement Raymond de Poitiers, menaçant fortement la principauté d’Antioche ; en 1154, il soumet la Syrie. Il connaît toutefois quelques difficultés (perte d’Ascalon en 1153, défaite d’Harim en 1157, ou échec devant le Krak en 1163). Nûr al-Dîn décide ensuite de se tourner vers les rivaux fatimides…
1163-1174 : règne d’Amaury Ier de Jérusalem. Son obsession : l’Egypte. Il tente de l’envahir à plusieurs reprises, mais échoue. Il meurt lors de sa dernière tentative, alors que le royaume de Jérusalem est menacé au Nord par Nûr al-Dîn, et au Sud par Saladin.
1164-1174 : Nûr al-Dîn charge Shirkûh de prendre l’Egypte ; il est accompagné par son neveu Saladin. Celui-ci devient vizir en 1169, et se présente de plus en plus comme un rival de Nûr al-Dîn. Quand celui-ci meurt en 1174, Saladin est déterminé à unir les musulmans pour faire le jihad et reconquérir Jérusalem.
1174-1185 : règne de Baudouin IV de Jérusalem. Le roi lépreux tente courageusement de résister à la menace Saladin, qu’il bat à Montgisard (1177). S’il réussit à relativement gérer le cas Renaud de Châtillon, il ne peut rien faire contre les ambitieux qui l’entourent, à commencer par sa soeur Sibylle et son mari Guy de Lusignan, qui mettent la main sur la couronne après sa mort et le court règne de son neveu.
1174-1187 : Saladin passe ces années à parallèlement combattre les Francs et mater ses rivaux zankîdes. Il parvient au milieu des années 1180 à unifier les musulmans derrière sa bannière, avec le soutien du calife de Bagdad (il a lui-même déposé le calife fatimide), et lance le jihad pour Jérusalem. Profitant des divisions au sein du royaume latin, il bat les croisés à Hattîn (juillet 1187), où il fait prisonnier le roi Guy de Lusignan. Le 2 octobre 1187, il entre victorieusement dans Jérusalem.
1183-88 : l’empereur germanique Frédéric Barberousse assoit son pouvoir avec la paix de Constance (1183). L’Empire pacifié, il décide de prendre la Croix à la diète de Mayence, en 1188.
1186-89 : en Occident, la lutte fait rage au sein de la dynastie Plantagenêt, entre le roi Henri et son fils Richard. Ce dernier est soutenu par le roi de France, Philippe II Auguste. En juillet 1189, Richard Cœur de Lion monte sur le trône d’Angleterre et décide d’honorer le vœu de croisade de son père.
La Troisième croisade
1187-1192 : le pape Grégoire VIII, puis son successeur Etienne III, appellent à la troisième croisade après le choc de la nouvelle de la reconquête de Jérusalem par Saladin. Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion partent ensemble, mais leur rivalité explose lors de leur escale en Sicile en 1190. La même année, en mars, Frédéric Barberousse se noie dans les Dardanelles. En 1191, après avoir mis la main sur Chypre, Richard Cœur de Lion prend Acre avec le roi de France ; en septembre, il bat Saladin à Arsouf.
Entretemps, Philippe Auguste est rentré dans son royaume. L’année 1192 voit la lutte continuer entre le souverain anglais, qui hésite toujours à attaquer Jérusalem, et un Saladin vieillissant. Après avoir signé une trêve avec le sultan, Richard rentre en Occident où son frère Jean et Philippe ont bien profité de son absence…
1193 : mort de Saladin. L’empire ayyûbide entre dans une grande période de divisions.
La Quatrième croisade
1198-1204 : le pape Innocent III n’a aucunement l’intention de respecter les accords signés entre Richard Cœur de Lion et Saladin, et il appelle à une nouvelle croisade. Cependant, la quatrième croisade a du mal à se monter et les croisés doivent demander l’aide de Venise. Sous l’influence du doge Dandolo, la croisade est alors détournée, d’abord sur Zara (1202), puis sur Constantinople, à nouveau en proie aux divisions. La « deuxième Rome » est prise et pillée le 13 avril 1204, l'empire byzantin est disloqué, le divorce entre catholiques et orthodoxe consommé.
1204-1211 : en Terre sainte, la situation est contrastée. Chaque camp est divisé. Du côté des chrétiens d'occident, les Ordres militaires poussent à ne pas respecter les trêves et chaque prétexte est bon pour attaquer des places ennemies. Côté musulman, les successeurs de Saladin se déchirent, fragilisant l’empire créé par le sultan au moment où, à l’Est, un danger gronde…
1206-1227 : conquêtes des Mongols de Gengis Khan en Asie.
1209 : croisade contre les Albigeois. La priorité n’est plus l’Orient pour les souverains occidentaux.
1212 : parmi d’autres pèlerinages guerriers mineurs, ou originaux, se distingue la croisade des enfants. Elle concerne des jeunes gens venus de France ou de l’Empire qui, pris d’une sorte de fièvre mystique, décident de partir pour Jérusalem. La plupart finissent vendus comme esclaves ou s’arrêtent en chemin, mais l’esprit de la croisade est un temps ranimé. La même année est marquée par la victoire décisive des Espagnols sur les Almohades à Las Navas de Tolosa, qui annonce l’avancée inexorable de la Reconquista.
La Cinquième croisade
1213-1221 : Innocent III tient absolument à réparer le fiasco de la Quatrième croisade. Il réunit un concile à Latran en ce sens, en 1213. Une fois encore, les volontaires ne sont pas légion, dans un contexte de guerre mêlant France, Angleterre et Empire (victoire française de Bouvines, 1214). Innocent III meurt en 1216, et son successeur Honorius III relance l’appel. L’empereur Frédéric II se fait désirer, c’est donc Léopold VI d’Autriche qui mène la cinquième croisade, une fois encore sans souverain majeur. Profitant des divisions chez les musulmans, les croisés prennent Damiette, en Egypte, en 1219. Cependant, trop isolés, ils doivent abandonner leur conquête dès 1221…
La Sixième croisade
1215-1229 : élu empereur en 1215, Frédéric II repousse sans cesse son départ en croisade, malgré les pressions du pape. Finalement, Grégoire IX l’excommunie en 1227 ! Frédéric II part tout de même l’année suivante pour la Terre sainte, où il se retrouve au milieu des rivalités entre barons et face à l’hostilité des Ordres militaires, les Teutoniques exceptés. Habilement, il joue des faiblesses ayyûbides pour négocier un traité, signé à Jaffa le 18 février 1229 ; c’est une grande victoire diplomatique puisqu’il parvient à récupérer Jérusalem ! Il s’y rend en mars pour son pèlerinage et être couronné, puis rentre en Occident.
1239-1240 : le pape Grégoire IX envoie le comte de Champagne, Thibaud IV, protéger Jérusalem. Les tensions grandissent, à la fois entre les Ordres et les partisans de l'empereur germanique Frédéric, et entre les Francs et les Syriens.
1243 : les Mongols défont les Seldjoukides à Kose Dagh, en Anatolie.
1244 : le sultan al-Salîh se sert des Khwarezmiens, qui fuient les Mongols, pour reprendre Jérusalem de force le 23 août. Le 17 octobre de la même année, l’essentiel de l’armée franque est détruit. Le roi de France, Louis IX, décide de se croiser.
La Septième croisade
1248-1254 : partie d’Aigues-Mortes, la croisade de Louis IX débarque en Egypte et prend à son tour Damiette, en 1249. L’armée croisée est toutefois battue à Mansourah l’année suivante par le mamelouk Baybars ; Louis IX est fait prisonnier. Libéré contre une forte rançon, il doit rendre Damiette. Il décide tout de même de se rendre dans les Etats latins, où il reste jusqu’en 1254.
1250 : les Mamelouks assassinent Turân Shah et mettent la main sur l’Egypte. Les Ayyûbides gardent la Syrie.
1256-1264 : les rivalités atteignent leur paroxysme chez les Latins, avec des luttes d’influence entre barons, Templiers et Hospitaliers, auxquels se mêlent les cités italiennes de Gênes et Venise, qui se disputent le contrôle de la Méditerranée orientale. C’est la guerre de Saint-Sabas (du nom d’un monastère d’Acre), essentiellement navale, et dont les enjeux sont Tyr et Acre.
1258 : les Mongols rasent Bagdad et exécutent le calife abbasside !
1259 : les Mamelouks arrêtent les Mongols à Aïn Jalût, et s’approprient la Syrie ayyûbide.
1260-1271 : Baybars devient le sultan des Mamelouks. Il prend aux Francs : Césarée, Arsouf, et surtout Antioche (1268) et le Krak (1271).
1261 : L'empereur byzantin Michel Paléologue reprend Constantinople aux Latins.
1266 : Charles d’Anjou roi de Sicile.
1267 : Louis IX prend à nouveau la Croix.
La Huitième croisade
1270 : conseillé par son frère Charles d’Anjou, le roi de France attaque la Tunisie. Mais le camp croisé est décimé par la maladie lors du siège de Tunis, et Louis IX lui-même décède le 25 août.
1272 : le prince Edouard d’Angleterre, censé être le renfort de Louis IX, débarque en Terre sainte pour quelques chevauchées sans succès. Il fait rapidement demi-tour…
1277 : mort de Baybars, et répit pour les Latins.
1278 : Charles d’Anjou se fait sacrer roi de Jérusalem.
1282-1285 : les Vêpres siciliennes ont des conséquences jusqu’en Terre sainte, où les Angevins sont en difficulté face aux Italiens. La guerre reprend entre Acre et Tripoli. Le sultan mamelouk Qalawûn en profite pour prendre cette dernière en 1289.
1291 : le successeur de Qalawûn, al-Ashraf Khalil, après Tyr, prend Saint Jean d'Acre suite à un siège de cinq semaines. C’est la fin des Etats latins en Terre sainte.
Les croisades vont laisser une profonde hostilité entre chrétiens et musulmans mais ont, en revanche, permis un développement des échanges économiques et surtout culturels.
Bibliographie
Ouvrages fondamentaux : il s’agit des livres de base (en français) avec des angles différents, voire opposés, sur les croisades en général pour se faire une idée des différentes approches du sujet (on mettra de côté les ouvrages plus thématiques, sur les ordres militaires ou la guerre sainte par exemple) :
- M. BALARD, Les Latins en Orient, XI-XVè siècle, PUF, 2006.
- C. CAHEN, Orient et Occident au temps des croisades, Aubier, 1983 (réédition 2010).
- R. GROUSSET, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, Paris, 1934-1941 (réédition Perrin, 2006).
- C. MORRISSON, Les croisades, PUF, 2006 (rééd).
- J. RILEY-SMITH, Atlas des croisades, Autrement, 1996.
- S. RUNCIMAN, Histoire des croisades, 1951-1954 (réédition Tallandier, 2006).