Également souhaitée par Innocent III en 1215 (IVe concile du Latran), la cinquième croisade (1217-1221) est précédée par la Croisade des enfants (1212). L’échec retentissant de la IVe croisade, qui l’a vue être détournée sur Constantinople, donne un très mauvais coup à l’esprit de croisade. Pourtant, interviennent aussi des mouvements populaires, laissant entendre que seuls les humbles peuvent libérer le tombeau du Christ. C’est dans ce curieux contexte, mais aussi celui d’un Orient où Latins et musulmans négocient, que va être lancée la Cinquième croisade, à nouveau, l’Égypte pour objectif.
Une croisade des enfants ?
Les barons, les souverains, les puissants ayant échoué à libérer le Saint-Sépulcre, se développe l’idée que seuls les pauvres peuvent obtenir ce miracle. Ainsi, à partir des années 1200, et jusqu’au XIVè siècle (soit après la chute d’Acre en 1291, date généralement retenue pour marquer la fin des croisades pour la Terre sainte), se forment des croisades populaires, un peu dans le même esprit que celle de Pierre l’Ermite, qui avait si mal fini…Parmi elles, en 1212, ce qu’on appelle la croisade des enfants ; ce sont des bandes d’enfants qui apparaissent dans le Vendômois et le Nord de la France, menés par Etienne de Cloyes et Nicolas de Cologne, qui se prétendent thaumaturges. Ils se déplacent en processions, mais ne sont soutenus ni par l’Eglise, ni par le roi ; en revanche, le peuple semble séduit.
Les jeunes « croisés » français se rendent à Marseille, où ils embarquent, mais pour se retrouver vendus comme esclaves par les propriétaires des navires…Leurs compagnons allemands décident de passer la mer à pied sec ( !), mais ils sont arrêtés à Gênes par des populations plus hostiles qu’au nord de l’Europe. Finalement, ils se dispersent. La croisade des enfants a donc fait long feu, mais paradoxalement elle a quelque peu relancé l’esprit de croisade, en le purifiant. Toutefois, certains historiens, comme Nikolas Jaspert, affirment que l'expression serait issue d'une erreur de traduction, et que cette "croisade" serait en fait des processions de pauvres, et pas uniquement d'enfants.
La trêve fragile en Orient
Dans la lignée des accords entre Richard Cœur de Lion et Saladin, les rapports entre Latins et musulmans se sont un peu réchauffés en ce début de XIIIè siècle. Les souverains croisés, n’ayant jamais vu venir la Quatrième croisade, ont choisi de conserver de bons rapports avec les Ayyûbides (les successeurs de Saladin), profitant aussi de leurs divisions. Des pressions sont quand même présentes pour pousser à casser la trêve, en particulier du côté croisé. D’abord, en 1204, des actes de piraterie d’un émir musulman servent de prétexte idéal, mais malgré quelques attaques et démonstrations de forces des deux côtés, le véritable engagement ne vient pas.
Deux ans plus tard, les Hospitaliers du krak des chevaliers attaquent à leur tour vers le comté de Tripoli pour récupérer une place forte et cette fois le sultan al-Adil doit intervenir, et imposer une nouvelle trêve. Les Templiers ne sont pas en reste, ils poussent aussi à refuser le renouvellement des trêves proposé par le sultan en 1210, et les combats reprennent courant 1211. Al-Adil fait alors construire une forteresse au mont Thabor, place stratégique, mettant les croisés dans la difficulté : le nouveau roi de Jérusalem, Jean de Brienne, accepte une nouvelle trêve pour six ans.
Innocent III tient à sa croisade
Le pape Innocent III n’a pas digéré l’échec de la croisade précédente, et la honte de la prise de Constantinople. En 1213, il réunit un concile à Latran et la croisade est très vite le centre de ses intérêts. Il envoie des prédicateurs dans tout l’Occident chrétien pour obtenir le soutien des puissants, les chargeant d’insister sur le devoir moral et religieux de prendre la croix, retrouvant un peu de l’esprit de l’appel d’Urbain II. Il faut noter aussi que le pape a toute latitude pour garder l’initiative de lancer une croisade ; en effet, si le contexte en Orient est à l’apaisement, il n’en va pas de même en Occident où se déchirent Français et Anglais, mais aussi empereur et anti-empereur dans le Saint Empire, sans parler de la croisade contre les Albigeois à partir de 1209 ! Ce qui explique peut-être en partie la relative faiblesse de la croisade à venir.
Une nouvelle « croisade de barons » ?
Son successeur, Honorius III, reprend évidemment son œuvre. L’appel a été entendu, mais surtout dans les pays qui n’ont pas encore participé massivement aux précédentes croisades, et aucun grand souverain ne prend la croix, sauf Frédéric II, qui ne semble guère pressé de s’organiser, accaparé par ses problèmes internes.
C’est le duc Léopold VI d’Autriche qui part le premier pour Acre, rejoint par le roi de Hongrie et Hugues Ier de Chypre. Malgré l’absence de Frédéric II, une armée du Saint Empire Germanique est cependant présente en Palestine dès 1217. Les croisés laissent passer l’hiver de cette année, se contentant de quelques attaques ciblées pour « faire connaissance » avec les musulmans ; ils échouent à prendre la forteresse du mont Thabor. La croisade s’affaiblit toutefois dès 1218, avec le départ des Hongrois ! Heureusement, d’autres renforts arrivent d’Europe du Nord, en particulier des flottes. Les croisés décident alors de conquérir une partie de l’Egypte pour ensuite négocier un échange de territoires avec le sultan, incluant bien entendu Jérusalem.
La prise de Damiette, mais l’échec de la cinquième croisade
L’idée n’est pas si mauvaise, surtout qu’al-Kamil n’est pas dans une situation très confortable, et que les renforts croisés sont tout de même conséquents (avec par exemple des Chevaliers de l’Ordre Teutonique). Les armées latines font le siège de la place de Damiette en 1218, et à l’automne elles sont encore renforcées par des contingents italiens, francs, anglais et même espagnols, mettant un peu plus les musulmans en difficulté. Al-Kamil décide alors de négocier, comme l’ont fait ses prédécesseurs depuis Saladin, et met Jérusalem dans la balance, ce qu’attendaient les croisés !
Pourtant, apparaissent de fortes tensions dans le camp latin, qui illustrent l’écart de plus en plus grand entre Occidentaux et Latins d’Orient : le légat Pélage d’Albano, qui estime être le chef (spirituel et temporel) de la croisade s’oppose au roi de Jérusalem Jean de Brienne ; ce dernier, habitué aux négociations avec les musulmans, est prêt à accepter les conditions du sultan, alors que le premier les rejette catégoriquement, estimant qu’on n’a pas à négocier avec les infidèles…Les croisés prennent finalement Damiette le 5 novembre 1219, et Pélage décide de mener la croisade plus loin encore. Il compte sur l’arrivée de Frédéric II, qui ne viendra jamais ! Pendant cette attente de presque deux ans, les Egyptiens ont eu le temps de se renforcer et ils stoppent les croisés devant Mansoura, alors que les digues du Nil sont rompues.
Le légat abandonne volontiers son commandement à Jean de Brienne, qui est bien obligé de capituler, Damiette étant bien trop isolée. Elle est évacuée en septembre 1221, ce qui signe la fin de cette croisade. C’est évidemment un échec, dû principalement à l’intransigeance du légat du pape, mais aussi aux divisions au sein des croisés et à la faiblesse de leur armée, dont la responsabilité sera attribuée à Frédéric II. Mais celui-ci n’a pas dit son dernier mot, et l’idée d’une Jérusalem récupérée grâce à la négociation n’est pas totalement abandonnée…En revanche, c’est la dernière croisade où le pape jouera un rôle central.
Bibliographie
- M. BALARD, Les Latins en Orient (XIè-XVè siècle), PUF, 2006.
- C. MORRISSON, Les Croisades, PUF, 2020.
- J. RICHARD, Histoire des croisades, Fayard, 1996.