La nécessaire riposte aux triomphes de l’Axe
Le début de l’année 1942, constitue une phase particulièrement difficile pour les alliés. A l’est la Wehrmacht remise des épreuves de l’hiver précédent lance sa course folle vers le Caucase, que les armées soviétiques ne semblent guère en mesure de devoir arrêter. En Afrique du Nord, les troupes britanniques et du Commonwealth reculent face aux germano-italiens, galvanisés par l’audace du général (et bientôt Feldmarshall) Rommel. En Asie et dans le Pacifique, la vague japonaise semble submerger tous les obstacles, que ce soit Singapour ou Corregidor.
Dans ce contexte, il devient urgent pour les dirigeants anglo-saxons de prouver qu’une contre-offensive est possible. Les américains, aiguillonnés par les appels de Staline à l’ouverture d’un « second front » en Europe envisagent même un temps un débarquement massif en France. Churchill est bien plus réservé sur la question, connaissant le manque de préparation des unités américaines et la disette de moyens logistiques et aériens nécessaires au succès de l’opération.
De ces réflexions, finit par germer l’idée d’une opération limitée, censée à la fois tester les défenses côtières allemandes et préparer un futur grand débarquement en Europe de l’ouest. Il s’agissait là de mettre en pratique les leçons tirées des précédentes grandes opérations combinées et d’envoyer un signal de bonne volonté aux soviétiques.
De Rutter à Jubilee
Si dans les airs, l’opération dénommée Rutter repose sur les ailes de la Royal Air Force, il est prévu que la partie terrestre soit assurée par des soldats canadiens. Ceux-ci jouissent depuis la 1ere guerre mondiale d’une réputation de troupes d’assaut compétentes, héritage des combats de Vimy. D’autre part il s’agit de formations fraiches que le gouvernement canadien souhaite voir combattre. Il est aussi envisagé que quelques membres des FFL, participent au volet maritime et terrestre de l’opération.
Initialement l’opération Rutter est fixée pour le 8 juillet 1942. Cependant les conditions atmosphériques particulièrement exécrables vont entrainer son report à plusieurs reprises, ce qui ne va pas sans conséquences. En effet, beaucoup d’officiers estiment que le secret de l’opération est compromis et que les allemands en ont profité pour renforcer leurs défenses dans la région. Le commandant en chef des forces britanniques dans le sud de l’Angleterre, Bernard Montgomery est ainsi très sceptique sur le succès de l’opération. C’est son départ pour l’Afrique du Nord (où il va prendre la tête de la VIIIe armée face à Rommel) qui va permettre à Mountbatten de faire exécuter Rutter renommée Jubilee (Jubilé).
Le débarquement de Dieppe
Le plan de l’opération Jubilee ne brille guère par son originalité. Il prévoit un assaut frontal des positions allemandes, principalement mené par les soldats de la 2e Division d’Infanterie Canadienne. Les Canadiens devaient pouvoir compter sur un soutien blindé sous la forme du 14e régiment blindé, équipé de chars Churchill. Il était prévu que les forces débarquées s'emparent de la ville, détruisent les infrastructures stratégiques de la zone (dépôts, radars, DCA lourde, etc...) puis rembarquent dans les douze heures.
Si les effectifs alliés engagés semblent suffisants (5000 canadiens, 1000 Britanniques, 50 Rangers américains, plus de 200 navires et quelques 74 Squadrons de la RAF) les renseignements sur lesquels se basent leur action sont insuffisants. Certaines positions allemandes n’ont pas été repérées et les plages de galets de la région sont en réalité bien peu praticables pour des engins blindés.
Face au dispositif allié, les allemands alignent une garnison bien préparée (et alertée d’un possible débarquement) d’environ 1500 hommes, venus de 3 régiments de la 302e Division d’Infanterie. Les falaises de la région, sont abondamment couvertes par des bunkers et des nids de mitrailleuses bien protégés, et des unités d’artilleries sont disponibles en soutien dans l’arrière pays. La Luftwaffe n’est pas en reste et aligne près de 200 chasseurs (dont beaucoup de redoutables Fw190) et 100 bombardiers dans la région, guidés par une station radar locale.
Le plan de Jubilé prévoit un débarquement sur quatre plages (d’ouest en est : Green Beach, White Beach, Red Beach et Blue Beach) dont deux (White et Red) donnent directement sur Dieppe, là où seront engagés les blindés et le gros des forces. Les attaques initiales menées vers 4H45 du matin, concernent les flancs de cette zone centrale, afin de neutraliser des positions d’artillerie. Manque de chance, le raid sur la batterie de Berneval est intercepté en mer par des patrouilleurs rapides allemands. Résultat le groupe de débarquement est dispersé et doit faire face à une défense allemande en alerte. Il ne peut donc neutraliser la batterie, qui va causer quelques soucis aux autres forces de débarquement. On retrouve un scénario relativement similaire dans les secteurs de Blue et Green Beach, un régiment canadien étant même annihilé sur le rivage (à Puys).
Dans les airs la Luftwaffe et la Flak (DCA) parviennent à causer des pertes importantes à la RAF, qui n’est donc pas à même d’offrir tout le soutien envisagé aux troupes terrestres. Trompé par les écrans de fumée déployés par les destroyers britanniques et mal informé de la situation sur les plages, Roberts s’acharne à faire débarquer ses troupes de réserves sur les deux plages principales. Lorsqu’il prend enfin la décision de rembarquer (vers 11heures), près des deux tiers de ses forces auront été détruites.
Jubilee, un échec lourd d’enseignements
Sur le plan des pertes, Jubilee n’est autre qu’un échec sanglant. Prés de 3400 soldats canadiens ont été tués, blessés ou faits prisonniers (les pertes allemandes se montent à moins de 600 hommes), un régiment blindé à été anéanti, la RAF a perdu 106 appareils contre 48 pour la Luftwaffe. Malgré le courage des soldats canadiens et des commandos de diverses nationalités qui ont pris part à l’opération, il s’est révélé impossible de déloger les défenses allemandes parfaitement préparées à leur mission.
Néanmoins ce bilan peu flatteur ne doit pas faire oublier, les inestimables leçons tirées ce jour-là. Il devint évident que la réussite des opérations combinées passerait désormais par plusieurs principes :
1 : Acquérir des renseignements fiables et précis sur le dispositif ennemi
2 : Assurer le secret absolu autour de l’opération
3 : Obtenir la supériorité aérienne au dessus de l’objectif
4 : Ne pas débarquer directement dans un port
5 : Veiller à une coordination optimale des moyens aériens, navals et terrestres
6 : Gérer au plus près de la situation sur les plages, le débarquement des forces
Des règles qui seront respectées avec beaucoup de rigueur lors de la préparation et de l’exécution de l’Opération Overlord.
Bibliographie
- 19 août 1942, 4:50 a.m, Dieppe opération jubilée : Le Sacrifice des canadiens de Philippe Chéron. 2004.
- Dieppe, août 1942, opération jubilée, de Jean Delmas. Soteca, 2013.