Le livre au Moyen Age
Il faut avoir à l'esprit que la grande majorité des hommes et des femmes du Moyen Age ne savaient pas lire et n'avaient pas les moyens matériels d'accéder à la culture, apanage des riches seigneurs et des ecclésiastiques. Le livre est alors support à la méditation sacrée du moine sur les écritures, divertissement des princes sous forme de romans ou de traités de chasse, et plus tard, outil de l'écolier studieux qui peine sur un manuel de grammaire latine. Le livre n'est pas seulement un texte qui prend des formes de plus en plus variées, mais aussi un fabuleux répertoire d'images.
L'illustration des livres de dévotion ou des œuvres profanes acquiert à cette époque une importance particulière : l'image accompagne et nourrit le texte, les plus grands artistes participent aux décors des manuscrits. La peinture est dans les livres !
L'histoire du livre a beaucoup évolué avant d'atteindre sa forme définitive au Moyen Âge. Cette histoire s'insère entre deux grandes évolutions techniques : l'apparition du codex au premier siècle avant Jésus-Christ et l'invention de l'imprimerie vers 1460. Dans l'antiquité, les supports de l'écriture étaient aussi variés qu'ingénieux : planchettes de bois enduites de cire, tablettes de terre, écorces d'arbres, bandes de tissu de soie en chine, rouleaux de papyrus en Egypte, en Grèce ou à Rome. Ces supports demeurèrent utilisés pour l'écriture de documents éphémères, comme les « beresty » brouillons griffonnés sur des écorces de bouleau par les marchands de Russie..
Les supports de l'écriture au Moyen Age
Quels étaient les trois principaux supports pour l'écriture au Moyen Âge ? Le papyrus, le parchemin et le papier. Le papyrus associé à l'Egypte ancienne, dont il provient, demeure longtemps utilisé dans le monde méditerranéen notamment par la chancellerie pontificale. Vers 1051, il est supplanté par le parchemin (qui tire son nom de la ville de Pergame en Asie mineure). Il se répand au IIIe et IVe siècle à la faveur d'améliorations techniques. Toutes sortes d'animaux peuvent fournir des peaux à sa fabrication : la chèvre et le mouton donnent une qualité ordinaire appelée « basane. » Du veau est tiré le « velin », qualité fine et prisée, mais aussi la plus chère.
Le papier, apparu à la fin du Moyen Age, fut inventé en Chine vers 105 après Jésus Christ, sa diffusion suivit la route de la soie. Fabriqué à partir de chiffons plongés dans un bain de chaux, il est constitué de fibres croisées et tendu sur des cadres. L'utilisation du moulin à papier et de la presse en fit progresser la technique. Le papier finit par s'imposer en raison de son prix très compétitif (treize fois moins cher que le parchemin au XVe siècle).
Les écrits destinés à durer étaient transcris sur des rouleaux de papyrus ou de parchemin. L'apparition du codex (livre de forme parallélépipédique mentionné vers 84-86 après Jésus-Christ) connaît rapidement un réel succès. Plus pratique que le rouleau, il permet d'écrire sur une table ou un pupitre. Des bibles sous la forme de codex sont mentionnées dès le II e siècle.
Le scribe et ses outils
Le scribe est le grand spécialiste de l'écriture, tâche lente et fastidieuse. Il s'entraine sur des tablettes de cire qu'il grave à l'aide d'une pointe de métal, d'os ou d'ivoire. Pour tracer ses lettres sur le parchemin ou le papier, il dispose de trois outils essentiels : la pointe, une mine de plomb, d'argent ou d'étain qui sert pour les brouillons et le tracé des réglures afin de présenter des pages homogènes, le « catalame » (roseau taillé) et enfin la plume d'oiseau.
L'encre noire est obtenue par la décoction de substances végétales comme la noix de galle et l'ajout de sulfates de plomb ou de fer. L'encre rouge est réservée aux titres des ouvrages et des chapitres (cette coutume a donné son nom aux ''rubriques'', terme dérivé du latin ''ruber'' qui veut dire rouge). En l'absence d'une table des matières, elles permettent au lecteur de se repérer plus vite dans le manuscrit. Celui-ci peut être divisé en cahiers distribués à plusieurs scribes qui se partagent le travail, afin d'en accélérer la copie.
Enluminures et miniatures dans les livres du Moyen Age
Les ouvrages dotés d'illustrations sont minoritaires en raison de leurs coûts élevés L'enluminure a une double fonction : décorative, elle embellit l'ouvrage, pédagogique elle éclaire le texte. L'enlumineur reçoit une feuille de parchemin déjà écrite sur laquelle des espaces ont été délimités par le scribe afin qu'il puisse y réaliser ses peintures. Plusieurs mains interviennent pour le décor d'un manuscrit : l 'enlumineur des lettres, celui des bordures et « l'historieur » ou peintre d'histoire qui compose les scènes historiées.
A l'époque romane (XIe et XIIe siècles) les majuscules peuvent aussi servir de cadre à une véritable composition, les jambages de l'initiale permettant au décor de s'y développer. Au XIVe siècle, les marges se peuplent de motifs végétaux, acanthes ou bouquets de fleurs , animaux réels ou fantastiques, personnages, armoiries, et parfois de petites scènes dans des médaillons.
La plume d’oie est le principal outil des enlumineurs. Elle est taillée avec un couteau et la largeur de son bout plat détermine la largeur du trait. On utilise aussi des roseaux taillés en pointe appelés calames. Le couteau est utilisé pour tailler les plumes ou gratter le parchemin.
L’enlumineur emploie des pigments pour peindre les manuscrits. Certains, comme les ocres rouges, brunes ou jaunes sont de simples terres. D’autres, de couleur orange, rouge ou brune, proviennent de gisements de métaux naturels. D’autres encore sont extraits de pierres, comme le lapis-lazuli, de couleur bleue. On obtient le blanc à partir de chaux, de plomb ou des cendres d’ossements d’oiseaux. L’enlumineur réduit les pigments en poudre, puis les fixe sur le parchemin avec de la glaire, c’est-à-dire du blanc d’œuf battu. Le dessin est tracé à la pointe sèche puis repassé à l’encre. Dans les manuscrits de luxe, les enluminures sont rehaussées d’or. L’or en poudre, mélangé à une colle, est posé sur le parchemin puis soigneusement poli.
Des monastères aux ateliers urbains
Concentrés dans les monastères au cours des premiers siècles, les manuscrits (produits dans un atelier appelé scriptorium) s'implantent en ville, donnant naissance à un véritable marché du livre. La ponctuation et la séparation des mots font leur apparition en France du Nord dans le milieu du XIe siècle, ainsi que la pratique de la lecture silencieuse. Les écoles épiscopales souhaitées par Charlemagne se développent au cours du XIIe siècle en même temps que les villes. Les libraires font leur apparition au début du XIIIe siècle, ils passent commande de manuscrits aux copistes et les vendent aux maîtres des écoles et à l'université.
Les libraires ou stationnaires dominent les quatre corps de métier liés à la production du livre : les copistes, les parcheminiers, les enlumineurs et les relieurs. Si les premières bibliothèques apparaissent dans les monastères, elles deviennent par la suite publiques ou privées. Même s'il n'est pas enluminé, le livre coûte cher. Après l'achat du parchemin, il faut ensuite payer la copie, tâche lente et fastidieuse, puis la reliure. Quelques améliorations apportées à sa fabrication vers la fin du Moyen Âge permettent de faire baisser le prix du livre: réduction des formats, emploi de papier, appauvrissement du décor, reliures plus modestes. Les libraires proposent également des livres d'occasion.
Les ouvrages universitaires s'intéressent à la théologie, au droit ou à la médecine, tandis que les rois, les princes et seigneurs collectionnent les volumes consacrés à l'édification religieuse et morale, au savoir politique et au divertissement (romans, poésies).
Les livres de l'université
L'essor des écoles urbaines au XIIe siècle, puis la création des universités au siècle suivant suscitèrent un nouveau public de lecteurs. Maîtres et et écoliers considérèrent les livres comme les principaux outils du savoir. Guère fortunés, les intellectuels du Moyen Âge s'arrangent pour posséder les ouvrages fondamentaux, certains parviennent à réunir une petite bibliothèque privée, mais la plupart se rabattent sur des exemplaires d'occasion, ou recopient des manuscrits empruntés.
La collection de livres universitaires la plus connue est celle fondée par Robert de Sorbon, (confesseur de Louis IX en 1250) pour les étudiants pauvres se destinant aux études de théologie à l'université de Paris (un millier de volumes). La diversité des images, la richesse et la fantaisie des décors, le monde de couleurs inaltérables que le temps et l'usure n'ont pu ternir, sont autant d'éléments qui permettent d'expliquer la fascination qu'exercent sur nous les livres du Moyen Âge.
La distance qui nous sépare de leur création, leur conservation miraculeuse en font des objets presque sacrés, que les bibliothèques ou les collectionneurs privés conservent jalousement. Quelques expositions dévoilent parfois à un public ébloui la richesse de ce patrimoine. Ces ouvrages ont marqué de manière indélébile notre vision de cette période.
De l'élégance et de la fantaisie des « très riches heures du duc de Berry » à l'imaginaire des « Apocalypses mozarabes » et des bibles romanes, tous les manuscrits du Moyen Âge nous introduisent dans un monde de rêve comme ils l'avaient fait voici des siècles auprès de leurs premiers lecteurs.
Sources et illustrations : La passion du livre au Moyen Age de Sophie Cassagnes-Brouquet. Editions Ouest-France, 2010.
Livres sur le Moyen Age
- La France au Moyen Age du Ve au XVe siècle, de Claude Gauvard. PUF, 2019.
- Histoire culturelle du Moyen Âge en Occident. Hachette, 2019.