L’URSS à l’assaut de la Pologne
Le 23 aout 1939, le pacte de non-agression germano-soviétique est signé à Moscou entre les ministres des affaires étrangères des deux puissances, Joachim Von Ribbentrop côté allemand et Viatcheslav Molotov côté russe. Dans la politique d’expansion menée par l’Allemagne nazie, ce traité tombe à point nommé pour s’assurer le « calme » russe dans les plans d’invasion allemands. Ce traité comprend une clause secrète prévoyant un partage de la Pologne entre les deux puissances le long de la ligne Curzon (du nom du ministre des affaires étrangères anglais, qui proposa ce partage lors de la guerre russo-polonaise de 1920). Cette clause est avantageuse pour l’Union soviétique qui rêve de s’étendre plus à l’ouest. Le 1er septembre 1939, la Wehrmacht se lance à l’assaut de la Pologne.
Laissant faire et attendant que les Polonais soient acculés à la défaite, l’URSS entre en action le 17 septembre. Ils ne déclarèrent pas officiellement la guerre et prétextèrent que les minorités biélorusses et ukrainiennes habitant les territoires polonais avaient « besoin de protection ». Les Polonais, déjà durement éprouvés après plus de deux semaines de combats intenses, choisirent le « moindre mal » et se rendirent en masse à leur « frère slave ». Ce sont environ 250 000 hommes qui furent capturés, dont plus de dix mille officiers.
Que faire des prisonniers ?
Les prisonniers de guerre sont parqués dans d’immenses camps et l’on sépare tout de suite les officiers des simples soldats. Dès lors, et au grand étonnement des Polonais, les captifs sont traités en ennemis du peuple, particulièrement les officiers qui sont brimés et humiliés par les commissaires politiques russes qui voient en eux les nobles et les exploitants dépeints par la propagande russe depuis 1920. Devant le nombre impressionnant de prisonniers, les autorités russes décidèrent presque immédiatement de libérer les soldats d’origine biélorusse ou ukrainienne, puis les autres. Ils gardent tout de même environ 22 000 officiers (réservistes compris) qui sont internés dans trois grands camps à Starobielsk (près de Kharkov), Kozielsk (près de Smolensk) et Ostachkov (près de Tver, ancienne Kalinine).
D’autres sont détenus dans les prisons spéciales du NKVD en Ukraine et en Biélorussie. Comme nous l’avons évoqué, les officiers sont soupçonnés d’être des éléments subversifs et antisoviétiques. Ils sont infiltrés par des agents qui évaluent leur propension à servir l’URSS mais toutes leurs manœuvres échouent et les officiers polonais restent fidèles à leur idéal d’une Pologne unie et indépendante. Il ne reste alors plus « qu’une » solution à Moscou pour éluder la question de ces officiers récalcitrants à l’ordre soviétique.
Les raisons du massacre de Katyn
Plusieurs hypothèses sont avancées pour tenter d’expliquer ce crime. Une de celles-ci voudrait qu’une date fût arrêtée après l’échec des négociations avec les Allemands concernant le retour des prisonniers dans leur territoire. Une autre, invérifiable, accuse Staline d’avoir voulu se venger des Polonais qui tinrent tête à l’Armée rouge devant Varsovie en 1920. Une troisième veut que Staline décida l’ordre d’exécution par peur que les Polonais ne se soulèvent et qu’ils rendent public les accords secrets signés avec Hitler. La dernière, et sûrement la plus probable, c’est que ce massacre s’inscrit dans le cadre de la politique générale de soviétisation des territoires occupés.
Cette politique passe par l’élimination de l’intelligentsia des pays conquis afin de faire disparaitre de possibles futurs leaders d’une Pologne indépendante, ceux-ci étant remplacés par des agents à la botte de Moscou pour que seule l’URSS puisse rayonner dans sa quête du rang de puissance mondiale. En effet, les officiers de l’armée polonaise appartiennent à l’élite du pays, notamment les officiers de réserve, qui sont médecins, avocats, banquiers, artistes, écrivains etc. dans le civil.
Un crime dans la forêt
Katyn est une petite ville de la région de Smolensk. Sa forêt est à l’écart et offre toute la discrétion possible pour un meurtre de masse. De plus, les fouilles ultérieures ont montré que les lieux avaient déjà servi et des fosses remplies de corps exécutés lors des Grandes Purges de 1937-1938 furent exhumées.
Les déportations débutèrent un mois après l’ordre de Béria, elles durèrent du 3 au 13-14 mai 1940. Les prisonniers étaient emmenés des camps par convois ferroviaires jusqu’au lieu d’exécution. De là, des camions chargeaient les victimes par groupes et les emmenaient sur le lieu même de l’exécution. Au bord des fosses communes, les membres du NKVD exécutèrent les officiers d’une balle dans la nuque. Les prisonniers avaient les mains préalablement attachées par de la corde ou même par du fil de fer. Il faut également savoir que les unités de surveillance des convois, des lieux etc. n’étaient pas les mêmes que les exécuteurs qui appartenaient au NKVD, ceci démontrant ainsi une rigueur et une organisation minutieuse du crime.
La découverte et l’instrumentalisation du crime
Après le début de l’opération Barbarossa, les Allemands conquirent d’immenses territoires jusqu’à arriver aux portes de Moscou à l’hiver 1941. La région de Katyn est rapidement occupée et les premiers charniers sont découverts et utilisés à des fins de propagande. Mais ce n’est seulement qu’en 1942 que les autorités nazies entendirent parler d’un crime de masse perpétré par les Soviétiques à Katyn.
Des délégations de Polonais furent invités sur place ainsi qu’une délégation de la Croix-Rouge internationale afin d’enquêter sur les circonstances de ce crime. La réaction des Russes ne se fit pas attendre. Ils accusèrent immédiatement les nazis d’avoir perpétré le crime et de les accuser en retour. Mais les preuves, tels que les agendas des victimes, ne permirent aucun doute quant à l’implication des soviétiques dans ce meurtre de masse. Plus de 4 500 corps furent extraits des fosses de Katyn, et une grande majorité des cadavres provenaient du camp de Kozielsk.
« Une chape de plomb », près de cinquante ans de silence
C’est au moment de la découverte de ce crime que s’abattit une chape de plomb sur l’évènement et qui allait durer près de cinquante ans. En effet, la délégation de la Croix-Rouge rendit son rapport et conclut à l’exécution par les Russes. Ceux-ci démentirent formellement et accusèrent les Allemands. Quant aux Alliés, notamment Churchill, ils firent le silence sur cette affaire, préférant se concentrer sur la conduite de la guerre et gardant ainsi de bonnes relations avec les Soviétiques. Katyn est donc condamné à l’oubli. Côté américain, Roosevelt missionna un homme dans les Balkans en 1944 pour enquêter sur Katyn. Ses contacts et les informations recueillies attribuèrent également le meurtre aux Russes mais le président américain ne fut pas satisfait et ordonna que le rapport soit détruit.
Lors de la reconquête des territoires envahis par les nazis, les Russes mirent sur pied une nouvelle commission chargée d’enquêter sur Katyn, la commission Burdenko. Elle établit que les balles et les armes utilisées étaient de fabrication allemande, ce qui « prouve » que les Allemands ont commis ce crime.
Il y eut plusieurs phases dans le silence sur les évènements de Katyn. Par exemple, de 1948 à 1949, ce fut un silence complet, personne n’évoqua le nom de Katyn et ceux qui osèrent furent arrêtés et condamnés, comme un prêtre de Lublin qui fit un sermon et qui dut se cacher pour éviter l’arrestation, bien qu’il fut retrouvé et condamné par la suite.
De 1949 à 1953, il en fut de même et l’on encra l’histoire officielle par la propagande chez les étudiants et dans les jeunesses embrigadées des Komsomols.
En 1951-1952, Washington mit sur pied une commission chargée d’interroger des témoins ou d’anciens soldats émigrés à l’ouest après la guerre et qui conclut aux mêmes résultats que les Allemands et les experts internationaux en 1943.
Après la mort de Staline en 1953, le président Gomulka est à la tête de la Pologne. Emprisonné à l’époque stalinienne, celui-ci entre dans une période de dégel et le massacre de Katyn est quelque peu évoqué mais on accusa encore les Allemands. En effet, Gomulka était un communiste convaincu et il ne voulait pas entacher le communisme de ces crimes. Cependant, bien que l’Histoire ait le droit d’évoquer le nom de Katyn, il n’en est fait aucune mention dans les arts tels que le cinéma, le théâtre, la littérature… Nulle part il n’est évoqué. Seuls quelques rares articles font mention d’un dépôt de gerbe lors de cérémonies, et seulement dans les journaux locaux.
Il fallut attendre 1990 et l’intermédiaire de Gorbatchev pour déclassifier les archives et rétablir la vérité sur le drame de Katyn.
Le symbole de Katyn
Par la propagande immense qui entoura sa découverte, le massacre de Katyn cristallisa toutes les attentions et devint le symbole de la répression soviétique en Pologne. C’est là qu’il faut faire attention car l’on a tendance à « oublier » que « seulement » 4 500 corps furent découverts à Katyn. L’ensemble des 22 000 officiers assassinés par le NKVD est « dispersé » et d’autres charniers furent découverts à proximité des anciens camps d’internement, notamment près de Tver ou encore, Kharkov. De plus, ce ne sont pas seulement les officiers qui furent touchés, mais également leur famille. Pour éliminer toute trace du crime, les Russes déportèrent des familles entières dans les camps du Goulag ou dans les colonies de Sibérie ou du Kazakhstan. Ce furent environ 1 800 000 personnes qui furent touchées par la répression soviétique, et peu survécurent.
Encore aujourd’hui, bien que la vérité soit rétablie, le massacre reste un tabou et il est difficile de l’évoquer ouvertement. En 2005 par exemple, la Russie refusa de transmettre à la Pologne les archives encore classées secrètes et il fallut attendre novembre 2010 pour que Dimitri Medvedev reconnaisse officiellement l’implication de Staline dans le crime de Katyn.
Le massacre de Katyn a été porté en 2007 sur grand écran par le cinéaste polonais Andrzej Wajda.
Bibliographie
- Les Ombres de Katyn, de Philip Kerr. Le Livre de Poche, 2016.
- Le massacre de Katyn, de Victor Zaslavsky. Tempus, 2007.
- ACHMATOWICZ, Alexander, Le crime de Katyn dans la conscience nationale des Polonais In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°31, juillet-septembre 1991. pp. 3-24.