Cuisine, gastronomie et art de la table à la Renaissance

Histoire Universelle | La Renaissance: découvertes et réformes

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Epoque d'innovation, la Renaissance ne connaît pas seulement l'essor des arts mais un prodigieux changement dans la manière de s'alimenter offrant pour les puissants une vision totalement différente de leur représentation du monde. La fascination pour l'Italie, les réflexions des humanistes, l'invention de l'imprimerie, la découverte de l'Amérique, la réforme protestante, tous ces événements ont une influence sur les façons de manger, de cuisiner, et aussi sur les ''bonnes manières'' de table des contemporains de François Ier et de Catherine de Médicis.

 

L'impact des ouvrages Italiens

Apparurent alors les premiers ouvrages de cuisine venus d'Italie (où la période Renaissance avait eu lieu bien auparavant). On attribue volontiers certains changements à Catherine de Médicis mais il nous est permis de douter de son influence car l'arrivée en France de la florentine très jeune et sans grâce parlant mal le Français fut éclipsée par la belle Diane de Poitiers. François Ier, en homme raffiné, aimait s'entourer d'artistes italiens.

Véritable best-seller culinaire de la Renaissance, l'ouvrage de l'Italien Bartolomeo Sacchi parut à Lyon en 1550 sous le titre « Du plaisir honnête et de la santé ». Surnommé Platine (il Platina) il est le premier à promouvoir le plaisir que procurent des plats savoureux à une époque où l'église condamne fermement toute recherche de cette notion en l'assimilant au péché. Nombreux sont les ouvrages des cuisiniers italiens traduits par la suite dans plusieurs langues ce qui témoigne du rayonnement des cuisiniers de la péninsule.

Les traités de B.Scappi (intitulés Opera, sens du mot en latin) comportent pas moins de 1000 recettes de cuisine ! et, fait rarissime à l'époque, Opera contient des illustrations des cuisines du XVIe siècle, de ceux qui y travaillent, des ustensiles et du déroulement des services..

La découverte de l'imprimerie par Gutenberg dans les années 1450 permit la diffusion des livres de recettes manuscrits apparus à la fin du Moyen-Âge, et fit connaître des ouvrages traitant de diététique, écrits par les médecins médiévaux ayant vécu entre le XIII et le XV e siècle. L'alimentation et la cuisine deviennent des sujets littéraires.

Révolution dans les modes alimentaires

Les légumes longtemps méprisés par les nobles reviennent à la mode tant est grand le désir d'adopter les mœurs des cours italiennes. Asperges, concombres, cardons, et artichauts redeviennent tendance ainsi que le chou-fleur réintroduit à la fin du XVe siècle. Autrefois aliments des pauvres (voir ''A la table du Moyen-Âge'') les carottes, panais, salsifis, épinards ,laitues, pourpiers, cressons chicorées endives, blettes et cornichons font leur apparition sur les tables princières. Sont redécouverts également les champignons, truffes, morilles.. à partir de 1550. Ce changement se fait au détriment des céréales et des légumes secs.

La pomme de terre apparut dans les Alpes puis dans le Vivarais, mais ce tubercule sombre et cabossé qui s'apparente à la famille des « salanacées » au même titre que la belladone, la mandragore la jusquiane toxique, le datura (hallucinogène et mortel) fera l'objet d'une méfiance et sera longtemps absente de la cuisine française.

La tomate découverte au Mexique par les conquistadors baptisée ''tomatl'' fut importée à Séville au XV e siècle, et cultivée à Naples. Suspectée d'être toxique elle mettra plus de deux siècles avant d'être reconnue comestible par le reste de l'Europe.

Les fruits

Promus par l'influence Italienne, les fruits sont davantage consommés (melons, oranges douces, citrons) et complètent le palmarès des fruits appréciés des nobles. Consommés cuits, en compote ou sous forme de pâtes de fruits et de fruits confits, les fruits servis en début de repas ''migrent'' à la fin de celui-ci, sauf le melon et les figues qui accompagnent le jambon encore aujourd'hui.

Les horticulteurs de la Péninsule développent l'arboriculture, ils sélectionnent, acclimatent et croisent les variétés, transmettant leur passion des fruits aux nobles de la Renaissance.

La célèbre prune baptisée Reine-Claude doit son nom à l'épouse douce et effacée de François Ier.

Les viandes

Les médecins du Moyen-Âge préconisaient la viande de volailles et d'oiseaux sauvages affirmant que cela convenait mieux à l'estomac ''délicat'' des nobles (on voit là l'emprise de la diététique sur les pratiques alimentaires). Peu à peu, l'influence de la Renaissance modifiera ces préceptes.

A partir du XVIe siècle les grands et prestigieux oiseaux (cygnes, hérons, paons, faisans,cigognes, butors, grues et cormorans) disparaissent de la table des élites sociales. La vision du monde et des mentalités évolue, de nouveaux aliments vont remplacer ces grands volatiles et la consommation à outrance des épices, gage de distinction sociale pendant des siècles, sera en déclin. Le bœuf voit son image s'améliorer ainsi que le veau, mouton agneau, chevreau à l'exception du porc considéré comme une nourriture ordinaire et populaire.

Moins présentes dans l'alimentation paysanne (du fait de l'accroissement des populations) ces viandes permettent alors aux riches de se distinguer. On assiste à une inversion d'échelle de valeurs. Nombreuses sont les recettes d'abats (tripes, rognons, cervelles, oreilles, museaux, ris, tétines) et d'autres préparations plus raffinées : langues d'oiseaux, crêtes de volailles, testicules de coq et foie gras).

Les sauces et assaisonnements, le beurre dans la cuisine

A partir de la Renaissance, les sauces acides du Moyen-Âge, cuisinées à base de vinaigre, de vin blanc ou de verjus (fabriqué à partir de raisins verts) qui avaient l'avantage de ne pas être trop grasses, comportent petit à petit du beurre ou de la crème (là aussi s'inversent les tendances car les produits laitiers appelés ''graisse des pauvres'' furent longtemps l'apanage des humbles).

D'autres matières grasses leur étaient préférées notamment le saindoux et le lard mais, interdits les jours maigres, ils étaient alors remplacés par l'huile. Pourtant, le beurre fut largement utilisé dans les régions de Flandre, de Normandie, de Bretagne, d'Aunis et de Saintonge où le climat doux et humide favorisait les herbages et l'élevage bovin. L'ascension du beurre dans la cuisine française deviendra une des principales caractéristiques de sa réputation.

La réforme protestante permit à Luther et Calvin d'abolir l'interdit de la papauté sur la consommation du beurre au carême (tout en prônant cependant l'austérité) Afin d'éviter une ''fuite'' des fidèles vers le protestantisme, l'église catholique accorda des dispenses aux fidèles dans les régions où l'huile, seule matière grasse utilisée les jours maigres, était plus chère que le beurre.

L'irrésistible essor du sucre

L'utilisation du sucre au Moyen-Âge avait une fonction thérapeutique. Classé dans les aliments chauds et humides, il était censé faciliter la digestion et réservé aux malades car rare et cher.

La culture de la canne à sucre, introduite par les Arabes au IX e siècle qui l'avaient eux-mêmes rapportée de Perse, est pratiquée en Andalousie et sur les îles méditerranéennes. Elle se développe en Espagne, dans les îles Canaries, les Açores et Madère puis aux Antilles et Amérique du Sud. Ces productions de sucre de canne créeront des modes nouvelles en France et en Europe.

Jean Bruyerin-Champier médecin de François I, note en ses écrits « la saveur sucrée est tellement appréciée par les Seigneurs que l'on demande aux cuisiniers d'en saupoudrer viandes et poissons ».

Douceurs et pâtisseries

Le goût pour les confiseries et desserts sucrés se renforçant, les tables aristocratiques se couvrent de sabayons, macarons sorbets et crèmes glacées, de confitures, pâtes de fruits, fleurs et écorces confites, nougats, meringues, frangipane et pâte d'amande. Ces dernières sont d'origine italienne, d'autres spécialités sont connues depuis l'antiquité comme les dragées dont les Romains sont peut-être les premiers inventeurs.

Un confiseur Italien réputé Giovanni Pastilla inventa ces petits bonbons multicolores appelés pastilles qui rencontrèrent un grand succès auprès des enfants de la cour s'exclamant: ''Bon ! Bon ! '' (à l'origine du mot bonbon ?).

Anciennes recettes de pâtisserie

Connue dès l'antiquité, la pâte à choux est remise au goût du jour et réhabilitée par deux pâtissiers italiens du XV e siècle Messisbugo et le célèbre Scappi qui en font des beignets. Le feuilletage, technique mise au point par des cuisiniers arabes fut ignoré des maîtres-queux du Moyen-Âge et redécouvert à la Renaissance. Scappi s'en empare fabriquant des gâteaux feuilletés et des préparations salées.

Il faut savoir qu'à la Renaissance, le terme de pâtissier désigne l'artisan qui confectionne des plats cuisinés dans une pâte (tourtes, pâtés terrines).

Boissons sucrées, sirops et liqueurs

Spécialités Italiennes, les sirops et liqueurs sont appréciées des cours Européennes du XVI e siècle. Au Moyen-Âge les alchimistes Arabes et Perses découvrent la distillation, procédé qui permet grâce à l'alambic d'obtenir, à partir du vin, de l'alcool fort. Rappelons que les mots ''alchimiste, alcool, élixir et alambic'' sont d'origine arabe. Ainsi est née « aqua vitae » l'eau de vie vendue au début comme un remède prescrit par les médecins.

Les somptueux décors de sucre

Passés maîtres dans l'art du travail du sucre, les confiseurs italiens fabriquent une pâte malléable avec laquelle ils créent sculptures et architectures élaborées. Ces décors symboles de richesse, de luxe et de faste feront fureur dans les cours princières. La ''sérénissime'' ainsi que l'on nommait Venise, excellait dans cet art, montrant son extrême raffinement. Nappes serviettes, verres couverts assiettes en sucre étaient si finement travaillés que c'était à s'y méprendre !

Humanisme et manière de table

En 1486 le philosophe Pic de la Mirandole s'extasiait ''on ne peut rien voir de plus admirable dans le monde que l'homme''. Source de bouleversements dans tous les domaines cette conception à des incidences non seulement dans l'art, les sciences, la pensée, mais également sur les ''manières de tables''. Le convive du XVI e siècle doit faire preuve de savoir-vivre, respecter les usages en vigueur faire preuve de raffinement. En 1536, le prince des humanistes Erasme de Rotterdam publie un traité qui fait autorité « de civilitae morum puerilium » où cet intellectuel de haute volée traite de contenances de table, affirmant ''l'homme ne naît pas homme il le devient'' par l'éducation, censée le libérer de son animalité.

Les couverts, verres et serviettes individuelles

Peu à peu viendra la mode de la fourchette, petite fourche à deux dents venue d'Italie qui mettra longtemps à s'imposer car l'on craignait qu'elle blesse la bouche, (Louis XIV lui-même en avait refusé l'usage à la cour) la cuiller large et plate d'argent d'or et de vermeil et l'apparition de l'assiette remplaçant le plateau rectangulaire ou rond qui servait à déposer le ''tranchoir '' pain à la mie dense sur lequel on déversait les viandes en sauce ou rôties (voir l'article ''A la table du Moyen-Âge''). Les écuelles de bois ou d'étain recevant les préparations liquides et les sauces, sont remplacées par de belles coupes finement ornées, de verre ou de vermeil.

Se répand également l'usage de la serviette de table individuelle (au Moyen-Âge, il était d'usage d'essuyer ses mains grasses sur le long rabat des nappes qui recouvraient les tables, puis plus tard sur des torchons disposés aux angles des tables). Les verres, véritables œuvres d'art (fabriqués dans les célèbres verreries de Venise qui en auront le monopole durant 200 ans) deviendront de plus en plus fins et travaillés.

La salle à manger

La table devient symbole d'apparat et rivalise de luxe et d'étalage de richesse censées impressionner les convives. Au XVI e siècle les festins se déroulent dans une pièce spécifique : la salle à manger, équipée de tables fixes (remplaçant les planches sur tréteaux démontées par la suite, dans des pièces à usages multiples).

Ces changements, amorcés sous le règne de François Ier, ne feront que s'amplifier tout au long des deux siècles suivants.

Les cuisiniers du siècle de Louis XIV font la promotion du beurre dans la cuisine. Ce sont eux qui sont à l'origine de la « grande cuisine française » dont l'hégémonie ne fera que s’accroître : les élites étrangères reconnaîtront bientôt la suprématie de l'art culinaire français et éprouveront à son égard une fascination égale à celle exercée par les cours de Versailles..

Ces cuisiniers du XVII e siècle sont les premiers à s'affranchir des prescriptions diététiques des médecins qui influencèrent le choix des aliments, la façon de les cuisiner et de les manger. Mais avec l'évolution des mentalités, les palais s'affinant, la gourmandise peut commencer à se déployer sans entraves !

 

Sources et illustrations : Festins princiers et repas paysans à la renaissance, d' Eric Birlouez. Edtions Ouest France, mars 2011.

 

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