L’expédition Burnside
Il confia la constitution et le commandement de cette force à Ambrose Burnside, qui avait combattu courageusement à Bull Run, à défaut d’y avoir été particulièrement brillant. Issu de West Point, Burnside avait servi six ans dans l’armée avant d’en démissionner pour se lancer dans l’industrie. Inventeur d’une carabine à chargement par la culasse, il réussit à obtenir une commande importante de la part de l’armée fédérale, qui souhaitait rééquiper sa cavalerie. Mais le contrat ne fut pas honoré, vraisemblablement parce qu’un autre manufacturier avait arrosé de pots-de-vin le département de la Guerre. Ruiné, Burnside dut proposer ses services à une compagnie de chemin de fer de l’Illinois, dont le vice-président n’était autre que… George McClellan. Il se lia d’amitié avec lui, ce qui allait sans doute compter pour beaucoup dans son avancement, une fois la guerre commencée.
Au début de 1862, les troupes que commandaient Burnside, baptisées « division côtière », comptaient près de 13.000 hommes organisés en trois brigades. Ces dernières étaient commandées respectivement par John Foster, qui avait pris part à la défense du fort Sumter, Jesse Reno et John Parke. L’escadre de blocus de l’Atlantique nord, commandée par le capitaine Goldsborough, avait fort à faire pour fournir à l’armée une flotte de transport et de soutien suffisante. En effet, les eaux peu profondes de la Caroline du Nord limitaient la présence navale à des bâtiments de très faible tirant d’eau. L’U.S. Navy résolut le problème en achetant de petits navires civils, transformés ensuite en canonnières. Elle en regroupa au total 29, accompagnées de plusieurs dizaines de navires de transport.
Ce véritable corps expéditionnaire devait en premier lieu s’emparer d’une base à partir de laquelle elle pourrait développer ses opérations ultérieures. L’île de Roanoke, d’un peu plus de 45 km², était parfaite pour ce rôle. Qui plus est, son contrôle permettrait aux Nordistes d’accéder à la baie d’Albemarle, menaçant un peu plus le littoral carolinien. Pour l’anecdote, c’est à Roanoke qu’avait été fondée en 1585 la première colonie anglaise en Amérique du Nord, qu’une flotte de ravitaillement avait retrouvée déserte en 1590. La « colonie perdue » de Roanoke marquerait fortement par la suite l’imaginaire états-unien, même s’il semble aujourd’hui probable que les colons, confrontés à une dure sécheresse, furent contraints de se réfugier sur le continent, où ils furent peu à peu absorbés par les tribus amérindiennes de la région.
Les hommes de Burnside ne spéculaient probablement pas sur le sort lointain de la « colonie perdue » de Roanoke quand ils appareillèrent d’Annapolis, le 5 janvier 1862, car leur destination ne leur serait révélée que bien plus tard. Le voyage fut long, pénible, et dangereux. Peu adaptés à la navigation en pleine mer et moins encore au gros temps, les navires de l’expédition Burnside souffrirent particulièrement des tempêtes hivernales qui frappaient la côte orientale des États-Unis, et trois d’entre eux – deux transports et une canonnière – sombrèrent. Miraculeusement, les pertes humaines se limitèrent à deux noyés seulement. La traversée de la passe de Hatteras, partiellement ensablée, nécessita de fastidieuses opérations de transbordement qui traînèrent en longueur, et ce n’est que le 4 février que l’expédition put se diriger vers Roanoke.
La conquête de Roanoke
Le mauvais temps retarda une fois de plus la progression des Fédéraux, et ceux-ci ne furent prêts à passer à l’attaque que le 7 février. Les canonnières nordistes engagèrent le combat à midi par un bombardement des défenses côtières confédérées. Les dégâts furent modestes : les canons des forts étaient mal positionnés et les navires peu armés. Seule la canonnière sudiste CSS Curlew vit sa coque trouée, l’obligeant à s’échouer pour éviter de sombrer. Elle allait être incendiée le lendemain. Le reste de la « flotte-moustique » sudiste se retira d’elle-même, faute de munitions. Pendant ce temps, Burnside avait commencé à débarquer ses troupes dans la partie centrale de l’île. Un petit détachement sudiste gardait la plage, mais il fut dispersé par le feu des canonnières fédérales et le débarquement s’effectua sans opposition.
À la tombée de la nuit, le gros du corps expéditionnaire nordiste avait pris pied sur Roanoke. L’infanterie fédérale entama le lendemain sa progression vers le nord de l’île. Elle fut bientôt stoppée par une redoute barrant l’unique route de Roanoke, flanquée de part et d’autre par un terrain marécageux. De premières attaques frontales échouèrent, mais lorsque les Fédéraux parvinrent à traverser les marais que les Sudistes avaient crus infranchissables, ils débordèrent la position ennemie et obligèrent les Confédérés à se retirer dans leurs forts. Ceux-ci n’étant pas conçus pour faire face à une attaque depuis l’intérieur de l’île, toute résistance était futile et le colonel Shaw capitula. Pour la perte d’environ 250 hommes dont 37 tués, Burnside avait conquis Roanoke et fait 2.500 prisonniers.
Dès le lendemain, 9 février, Goldsborough envoya 14 de ses canonnières, aux ordres du capitaine de frégate Stephen Rowan, à la poursuite des navires sudistes jusqu’à leur base d’Elizabeth City, au fond de la baie d’Albemarle. Son adversaire envoya le remorqueur armé CSS Raleigh à Norfolk via le canal de Dismal Swamp, voie d’eau stratégique qui reliait la baie d’Albemarle à celle de Chesapeake, et se prépara à défendre la ville avec les 6 navires qui lui restaient et une batterie d’artillerie basée à terre. L’attaque nordiste, lancée le 10 février, déboucha sur un combat à sens unique. Pour deux canonnières fédérales légèrement touchées, un navire sudiste fut coulé, un autre pris à l’abordage, et trois furent sabordés. Seule la canonnière CSS Beaufort allait réussir à s’échapper par le canal de Dismal Swamp, tandis que les Nordistes occupaient Elizabeth City.
La bataille de New Bern
Sa première cible fut la ville de New Bern. Après avoir fait occuper pratiquement sans résistance les autres ports importants de la baie d’Albemarle, Burnside et ses hommes quittèrent Roanoke le 11 mars 1862 pour se diriger vers leur prochain objectif, accompagnés par 15 des canonnières du capitaine Rowan. Les Confédérés reconnaissaient parfaitement l’importance de New Bern et la menace qu’elle pourrait poser entre des mains ennemies ; ils l’avaient donc doté de défenses substantielles. La ville elle-même se situe au confluent des rivières Trent et Neuse. En aval de cette dernière, plusieurs batteries avaient été installées pour contrôler le cours de la rivière et empêcher les navires de l’Union de le remonter. Deux barrages d’épaves et de pieux avaient été coulés dans la rivière et celle-ci avait été minée avec des torpilles.
Les défenses terrestres n’avaient pas été négligées, et comportaient également deux lignes : une série de retranchements baptisée « ligne Croatan » et, plus en arrière, le fort Thompson. Ce dernier couvrait à la fois la rivière Neuse et la voie ferrée qui courait le long de celle-ci. Malheureusement pour le commandant sudiste local, Lawrence Branch, la Confédération manquait cruellement d’effectifs dans le secteur et la perte de Roanoke n’avait pas arrangé les choses. N’ayant que 4.000 hommes à sa disposition, Branch se résolut à abandonner la ligne Croatan pour se concentrer uniquement autour du fort Thompson, où il installa 4 régiments, un autre garnissant la ligne Croatan pour ralentir la progression des Nordistes et le dernier gardant le débarcadère d’Otter Creek, lieu probable de l'attaque ennemie.
Le lendemain, Burnside, qui ignorait que les défenses sudistes avaient été étendues au-delà de la voie ferrée, fit assaillir la ligne confédérée de front par la brigade Foster, pendant que la brigade Reno tentait une attaque de flanc. Se retrouvant lui-même flanqué par l’aile droite sudiste, Reno dut battre en retraite. Burnside envoya à son soutien la brigade Parke, qui renouvela l’assaut, cette fois avec succès. Les miliciens qui tenaient le centre sudiste paniquèrent et s’enfuirent. Les autres régiments de Branch décrochèrent alors pour éviter d’être pris à revers. Le général sudiste voulut improviser une ultime défense sur la rivière Trent, mais la panique des miliciens s’était rapidement communiquée à toute l’armée.
Pourchassés par les Fédéraux, dont les canonnières étaient parvenues à franchir sans encombre les deux barrages minés, les Confédérés évacuèrent précipitamment New Bern après avoir incendié les deux ponts sur la Trent. Branch ne put reprendre le contrôle de ses hommes qu’après que ceux-ci aient atteint Kinston, loin en amont de la rivière Neuse. Il avait perdu près de 600 hommes, Burnside 470. Mais le général nordiste avait pris New Bern, coupé la voie ferrée qui y passait, pris une quarantaine de canons et fait 400 prisonniers.
Siège du fort Macon et fin de l’expédition
La chute de New Bern isolait de fait les ports situés plus au sud, Beaufort et Morehead City. Non défendus, ils furent occupés dans les jours qui suivirent par les Nordistes. Le fort Macon, une structure en maçonnerie qui défendait ces villes contre une attaque venue de la mer, restait le seul point d’appui sudiste dans les environs après la déroute de l’armée de Branch à New Bern. Sa garnison, aux ordres du colonel Moses White, ne comptait que 450 hommes servant 56 canons. Le fort manquait de tout : munitions, vivres, médicaments. Bon nombre d’hommes étaient malades, et la position était sans espoir de secours.
L’expédition contre les côtes de Caroline du Nord était pour ainsi dire achevée – et indubitablement victorieuse pour l’Union. Seules furent entreprises par la suite des opérations mineures. À la mi-avril, Burnside avait envoyé la division Reno vers le nord pour détruire les écluses du canal de Dismal Swamp. Le général nordiste craignait en effet que le cuirassé confédéré CSS Virginia ne puisse gagner la baie d’Albemarle par ce moyen. Le 19 avril, Reno se heurta à un détachement sudiste commandé par Ambrose Wright au cours de la bataille de South Mills. L’engagement fut indécis, mais Reno abandonna l’opération sans avoir rempli ses objectifs. Cet échec, le seul revers nordiste au cours de l’expédition, demeura sans conséquences : le Virginia était bien trop gros pour emprunter le canal de Dismal Swamp, et de toute manière, Norfolk n’allait pas tarder à tomber aux mains des Fédéraux.
Le dernier combat de l’expédition Burnside fut livré le 5 juin à Tranter’s Creek : un accrochage mineur entre deux régiments, à la suite d’une reconnaissance des Nordistes à proximité du petit port de Washington, sur la baie de Pamlico. Les Fédéraux restèrent d’ailleurs maîtres du terrain. Le mois suivant, Burnside fut rappelé plus au nord. L’armée du Potomac de George McClellan avait été durement étrillée pendant les combats des « Sept Jours » livrés devant Richmond, et avait un besoin urgent de renforts. Burnside emmena avec lui la moitié de ses forces jusqu’à Harrison’s Landing, en Virginie, où il fut placé à la tête du IXème corps d’armée nouvellement créé.
Son expédition en Caroline du Nord l’avait rendu extrêmement populaire, non seulement auprès de ses hommes, qui l’appréciaient, mais également aux yeux de l’opinion publique. Burnside était, avec Grant, le seul général nordiste à avoir remporté des succès significatifs au cours des mois précédents. Il devint rapidement la coqueluche de la presse, notamment pour… sa barbe. La mode des barbes fournies était née quelques années auparavant en Angleterre, et cet intérêt pour l’extravagance pileuse était en train de traverser l’Atlantique. Burnside s’était laissé pousser d’épais favoris reliés à sa moustache, une configuration qu’un journaliste allait baptiser « sideburns », anagramme de son nom. S’il était excellent pour commander des opérations militaires à petite échelle, Burnside était en revanche moins doué pour les commandements plus importants, ainsi qu’allait le montrer la suite de sa carrière.
Pour l’heure, grâce à lui, les Fédéraux étaient maîtres de l’essentiel de la côte de Caroline du Nord. Le seul port de cet État encore ouvert aux forceurs de blocus était Wilmington, sur l’embouchure de la rivière Cape Fear. La Confédération entreprit de fortifier ce port vital en conséquence, construisant un réseau de six forts complétés par de nombreuses batteries. La pièce maîtresse de ces défenses était le fort Fisher, imposante construction de terre particulièrement bien conçue. Ces fortifications permirent de garder Wilmington ouverte jusque dans les tous derniers mois de la guerre, puisque le fort Fisher ne fut pris d’assaut par les Nordistes qu’en janvier 1865.
Sources
- Le récit de l’expédition, par Ambrose Burnside lui-même.
- Article sur la bataille de Roanoke.
- Article sur la bataille d’Elizabeth City.
- Article sur la bataille de New Bern.
- Article sur le siège du fort Macon.
- La bataille de Tranter’s Creek.