Un territoire convoité par le Sud
Signé le 2 février 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo mettait un terme à la guerre entre les États-Unis et le Mexique entamée en 1846, accordant aux premiers un immense territoire de plus de deux millions de kilomètres carrés – plus de la moitié de la superficie du Mexique avant-guerre. En 1853, l’achat Gadsden allait y ajouter 77.000 km² de terrain désertique, mais favorable à l’installation d’une ligne de chemin de fer transcontinentale. Ces territoires comprenaient notamment le Texas et la Californie, admis dans l’Union en tant qu’États esclavagiste et libre, respectivement, et le territoire du Nouveau-Mexique. Ce dernier était beaucoup plus grand que l’État portant aujourd’hui ce nom, puisqu’il incluait l’Arizona et une partie du Nevada actuels.
Plus encore que pour l’or qui y avait été découvert dès 1848, ces régions intéressaient les partisans de l’esclavage parce qu’elles étaient susceptibles de permettre la culture du coton. Celle-ci avait pour inconvénient d’épuiser les sols, et les planteurs cherchaient souvent la solution à ce problème dans l’acquisition de nouvelles terres. Accessoirement, l’établissement de nouveaux territoires esclavagistes, appelés à terme à devenir des États, était vue comme un moyen de préserver l’équilibre politique au Sénat (pour mémoire, un État dispose de deux sénateurs, indépendamment de sa population) entre les États libres et ceux pratiquant l’esclavage. Cette volonté avait été l’un des moteurs de la guerre contre le Mexique, tout comme le résultat de celle-ci serait l’un des moteurs de la guerre civile à venir.
Les individus qui étaient partis tenter leur chance sur la côte Pacifique à la suite de la « Ruée vers l’or » de 1848-49 étaient de toutes les sensibilités politiques, et cela allait se retrouver lors de l’élection présidentielle de 1860. Si Lincoln enleva la Californie et l’Oregon, ce ne fut que d’une courte majorité relative, tandis que le candidat démocrate sudiste John Breckinridge, favorable à la sécession, y obtint respectivement 28 et 34% des suffrages. Dès mars 1861, ces fortes minorités tentèrent d’organiser des mouvements séditieux dans ces deux États, des unités de miliciens pro-sudistes étant même mises sur pied en Californie. Bien qu’étant sur le point de démissionner pour rejoindre la Confédération, le commandant des troupes fédérales de la région, A.S. Johnston, se refusa à utiliser sa position pour faciliter leurs entreprises. Privées de ce soutien, les initiatives sécessionnistes furent rapidement mises au pas par les autorités locales.
Il n’en fut pas de même au Nouveau-Mexique. Ce dernier intéressait d’autant plus les partisans de l’esclavage que la haute vallée du Rio Grande, qui le traversait, était propice à l’irrigation. Combinée au climat chaud de la région, celle-ci aurait permis la mise en culture de vastes champs de coton. Malgré cela, le recensement de 1860 ne répertorie (du moins officiellement) aucun esclave dans le territoire. Sur une population d’un peu moins de 150.000 habitants, on compte environ 65.000 Indiens, dont 10.000 sont dits « civilisés » – comprendre par là qu’ils demeurent dans des réserves. Une large part de la population blanche est d’ascendance mexicaine, et les « colons » venus de l’est ne sont que quelques milliers. Avant de cultiver le coton, les habitants du Nouveau-Mexique devaient d’abord assurer leur subsistance.
Sécession d’un territoire
Pour ne rien arranger, la crise entraînée par la sécession des États du Vieux Sud avait poussé le gouvernement fédéral à rappeler du Far West une bonne partie des troupes qui y étaient déployées. Les habitants du Nouveau-Mexique se sentirent abandonnés, notamment dans la partie sud du territoire, et les partisans de la Confédération surent se faire entendre. Le 16 mars 1861, une convention réunie à Mesilla vota la sécession de tout le Nouveau-Mexique au sud du 34ème parallèle. Une décision confirmée le 28 mars à Tucson, où furent levées les premières compagnies de milice de la nouvelle entité, baptisée « territoire de l’Arizona ». Ces forces, très modestes, installèrent un petit avant poste à Yuma, sur la frontière avec la Californie.
Toutefois, la milice de l’Arizona était trop faible pour espérer chasser la petite garnison fédérale de 500 soldats qui, aux ordres du major Isaac Lynde, occupait encore Mesilla. Aussi les sécessionnistes durent-ils demander de l’aide au Texas voisin. Compte tenu des distances à parcourir, celle-ci n’arriva qu’en juillet, sous la forme du 2ème régiment d’infanterie montée texan : environ 300 hommes commandés par le lieutenant-colonel John Baylor. Celui-ci n’attendit pas et, depuis sa base d’El Paso au Texas, occupa Mesilla le 24 juillet. Lynde, installé dans le fort Fillmore qui dominait la modeste bourgade, lança le lendemain une contre-attaque qui fut repoussée, donnant l’occasion aux Confédérés d’investir le fort Fillmore.
Les nouveaux maîtres de la région n’auront guère de combats à livrer pour le reste de l’année 1861. Le seul engagement notable sera une série d’accrochages de cavalerie à Canada Alamosa, du 24 au 26 septembre, d’où les Sudistes sortiront vainqueurs. En fait, les Confédérés comme leurs adversaires auront fort à faire avec les Apaches – en particulier la tribu des Chiricahuas, qui compte dans ses rangs le bientôt célèbre Geronimo. Ce dernier sera d’ailleurs le dernier de sa nation à refuser de se soumettre, ne déposant les armes qu’un quart de siècle plus tard, en 1886. Entre deux accrochages avec les Apaches, les deux belligérants fourbissent leurs armes.
Le Sud frappe le premier
Sibley sera le premier à être prêt. En février 1862, il mène sa petite armée de 2.500 hommes vers le nord, en direction du fort Craig où Canby a installé une base avancée pour ses troupes – environ 3.000 soldats. Les Confédérés arrivent à proximité du fort dès le 13 février, mais Sibley hésite à donner l’assaut car il surestime la solidité des défenses nordistes. Canby restant prudemment sur la défensive, Sibley décide de contourner le fort Craig afin de couper sa ligne de ravitaillement. Pour ce faire, il doit traverser le Rio Grande plus au nord, au gué de Valverde. Lorsque ses éléments avancés y parviennent, dans la matinée du 21 février, les Fédéraux l’ont devancé et contrôlent le passage.
Ce qui est d’abord un accrochage limité va gagner en intensité à mesure que les deux commandants vont faire affluer leurs réserves sur le lieu des combats. Vers 16 heures, les Nordistes ont repoussé une charge de cavalerie – par une compagnie de lanciers, la seule occurrence de ce type d’attaque durant la guerre – et semblent avoir pris le dessus. Ils passent à l’offensive et repoussent une première contre-attaque : mieux armés, ils peuvent affronter les Confédérés à une plus grande distance. Cependant, leur avancée a désorganisé leurs lignes, et leur centre est affaibli. Lorsque celui-ci est assailli en masse par les Sudistes, les Fédéraux s’effondrent. Une charge de cavalerie, nordiste cette fois, n’y changera rien, et les hommes de Canby se replient en désordre jusqu’au fort Craig en abandonnant à leurs ennemis six pièces d’artillerie.
Les Confédérés s’emparent d’Albuquerque le 2 mars et de Santa Fe le 13. Leur avancée a été lente, aussi les Fédéraux ont-ils pu évacuer leurs dépôts avant leur arrivée. Ceci obligera Sibley et ses hommes à vivre sur le pays, aliénant ainsi plus d’un habitant à la cause confédérée. En vue d’une future marche sur le fort Union, Sibley fait occuper fin mars le col de Glorieta (Glorieta Pass en anglais) par un détachement de 300 hommes aux ordres du major Charles Pyron. Situé entre les monts Sangre de Cristo et le plateau (mesa) de Glorieta, le col contrôlait la principale route menant vers le territoire nordiste du Colorado, beaucoup plus au nord.
Succès tactique, échec stratégique
Pour l’heure, Chivington commande plutôt honorablement son détachement. Après avoir enlevé sans grandes difficultés l’avant-poste sudiste, il atteint la position principale des Confédérés, qui l’accueillent à coups de canon. Il divise alors ses forces en deux détachements, qu’il fait progresser de part et d’autre de la route principale. Prenant la ligne sudiste en enfilade, les Fédéraux obligent leurs adversaires à se replier. Chivington réédite la manœuvre et cette fois, les hommes de Pyron sont suffisamment désorganisés pour que le commandant nordiste ordonne à l’une de ses compagnies de se mettre en selle pour les charger. L’attaque réussit : les Fédéraux capturent 75 hommes et mettent le reste de l’unité sudiste en fuite. Chivington se replie alors sur le ranch Kozlowski pour attendre le reste de la colonne nordiste.
Slough, à qui ses éclaireurs ont rapporté la présence de renforts ennemis, s’attend à les trouver au sommet du col. Il ordonne à Chivington d’effectuer une marche de flanc avec son détachement afin de prendre, derechef, la position sudiste en enfilade. Mais Slough ignore que Scurry et ses hommes se sont mis en marche avant lui et ont déjà dépassé le sommet, si bien que le combat s’engage bien plus tôt que prévu. Malgré cela, Chivington décide d’appliquer à la lettre les ordres de son chef, et va s’installer au sommet au lieu de soutenir le flanc de l’Union. De ce fait, la supériorité numérique des Nordistes est annulée, Slough devant faire face avec 900 hommes seulement aux quelques 1.000 combattants dont Scurry dispose encore.
Ces derniers ne les poursuivront pas, et pour cause. L’épisode clé de la bataille de Glorieta Pass s’était déroulé sur leurs arrières : après s’être positionnés au sommet du col, les hommes de Chivington avaient repéré par hasard le convoi de ravitaillement, légèrement gardé, que les Sudistes avaient laissé derrière eux au ranch Johnson. Après un moment d’hésitation, Chivington s’en empara sans difficulté. Ses hommes prirent tout ce qu’ils purent et incendièrent le reste : 80 chariots réduits en cendres, sans compter le bétail âprement réquisitionné dans les fermes environnantes, et qui fut dispersé. Ce revers annulait très largement tout le maigre bénéfice que les Confédérés pouvaient retirer de leur victoire sur le terrain.
Chute de l’Arizona confédéré
Canby fit aussitôt bombarder la ville pour tester les défenses sudistes. Ce bombardement, qui s’éternisa pendant deux jours, n’apporta à l’Union aucun avantage tactique, mais elle obligea Sibley à rappeler les troupes qu’il maintenait à Santa Fe dans la crainte d’un assaut. Les Nordistes se retirèrent à quelques kilomètres de là pour attendre des renforts. Sibley, dont les effectifs comme les provisions fondaient à vue d’œil, n’eut bientôt plus d’autre choix que d’abandonner complètement le Nouveau-Mexique. Le 12 avril, son armée entama sa retraite, Canby talonnant prudemment son arrière-garde.
Deux jours plus tard, il tenta de l’intercepter à Peralta, au moment où elle était séparée du reste de l’armée par le Rio Grande. Mais les Confédérés reçurent rapidement des renforts, et l’engagement se limita à un duel d’artillerie : Canby était toujours aussi prudent et rechignait à lancer une attaque d’envergure. Le combat dura jusqu’à ce qu’une tempête de sable permette aux Sudistes de décrocher. Ils n’allaient plus être inquiétés par la suite, mais leur marche ne serait pas de tout repos pour autant : laissant derrière eux une arrière-garde symbolique, Sibley et ses hommes ne s’arrêtèrent qu’à San Antonio, au Texas. Le général sudiste ne se remit jamais de son échec : devenu alcoolique, il sera cantonné à des commandements mineurs avant d’être purement et simplement destitué en 1863.