L'Inquisition : un substitut de la justice laïque
Avant d’aborder la justice de l’Inquisition, il convient de s’intéresser aux autres justices : royale, seigneuriale ou même à celle du peuple qui parfois n’hésite pas à se faire juge et bourreau lui-même. De ce point de vue, l’inquisition peut aisément être considérée comme un progrès. D’une part en substituant à la procédure accusatoire une nouvelle procédure d’enquête dite inquisitoire, l’inquisition se présente comme une justice rationnelle et méthodique fondée sur l’aveu, un aveu qui s’il peut être obtenu grâce à la torture doit cependant être réitéré sans aucune contrainte trois jours plus tard. La « question » telle qu’on l’appelait était bien plus réglementée que dans la justice laïque où elle avait déjà cours.
Une institution comprise et acceptée
L’Inquisition médiévale fut un outil terrible. Elle fit beaucoup de mal et amena de nombreux abus. Néanmoins, elle apparaît au Moyen Âge comme un système accepté par l’ensemble de la société médiévale. Loin de soulever l’hostilité, les populations lui sont favorables voire même l’appuient, y compris dans le sud de la France où se déroule la lutte contre les cathares. Il convient de se replacer dans le contexte de l’époque où l’écrasante majorité de la population est croyante.
L’hérésie introduit alors une rupture dans cette société pour laquelle le salut dans l’au-delà et de facto la préservation de la foi apparaissent comme les facteurs les plus importants, devant même la préservation de la vie. A titre d’exemple, les cathares niant le serment remettent profondément en question la société féodale justement fondée sur le contrat entre deux hommes.
Peines et châtiments, quelle réalité ?
Il est très difficile de dresser un bilan de l’Inquisition médiévale, il est impossible de dire combien elle mena au bûcher néanmoins, les dernières recherches révèlent un nombre d’occis bien inférieur à ce qui est généralement présenté. Des abus innommables furent commis, c’est une certitude. Citons le cas de Robert le Bougre, ancien hérétique converti. Fort de son expérience comme cathare, il est nommé en 1233 inquisiteur en Bourgogne et en Champagne et ordonne des dizaines d’exécutions aboutissant à une suspension temporaire de sa charge l’année suivante.
Mais ce n’est que pour mieux reprendre et enchainer de véritables rafles se terminant par d’immenses bûchers comme celui de Mont Aimé où selon le chroniqueur cistercien Aubry de Trois-Fontaine, 183 personnes périrent. Robert le Bougre est finalement dénis de ses fonctions d’inquisiteur et sans doute condamné à la prison perpétuelle. Cet exemple est de ceux qui marquèrent la légende noire de l’inquisition faisant d’un terrible abus une généralité bien éloignée de la réalité. Il fut d’ailleurs très fréquent que la papauté restreigne le pouvoir de ses agents voire sévisse contre eux en les condamnant afin de lutter contre les abus.
Auteur du Manuel de l’Inquisiteur (Practica Inquisitionis heretice pravitatis), il réprouve l’usage de la torture, arguant qu’elle est plus utile au coupable hérétique qui aura la foi d’y résister qu’à l’innocent qui avouera le faux. Il prêche la rigueur de l’enquêteur mais également le discernement et l’ouverture au doute : « Que l’amour de la vérité et de la pitié qui doivent toujours être au cœur du juge l’éclairent sans cesse ».
Ainsi la grande majorité des peines sur les personnes consistent soit en un temps d’emprisonnement soit en un pèlerinage tout en sachant que l’Église privilégiait le côté financier et donc les peines sur les biens comme les confiscations et amendes. Il faut en outre s’interroger sur les cas des sentences non appliquées ainsi qu’aux peines atténuées. Il était fréquent qu’un condamné à mort soit emprisonné à vie et non brûlé. Au final, la peine du feu s’avère plus exceptionnelle que tout autre chose, pour l’Église c’était admettre son échec à extirper un individu de sa déviance religieuse pour le ramener dans son giron.
L’objectif de l’inquisition médiévale est avant tout de « réconcilier » la communauté en ramenant celui tombé dans l’erreur sur l’unique et vrai chemin – celui de la foi catholique –. Pour se faire, elle peut autant faire preuve de bienveillance et de compréhension que s’avérer impitoyable. Ainsi, il faut avant tout percevoir cette institution comme un outil de persuasion et de coercition plus que de répression.
Origine et évolution de l’Inquisition
Au cours des XIe et XIIe siècle, l’Église chercha en permanence à unifier la chrétienté. Au cours de cette « quête », elle se transforma – notamment à partir de la réforme grégorienne – et s’imposa comme une institution dotée de grands pouvoirs et relativement séparée du reste de la société. Contestée tout particulièrement dans les zones géographiques où elle exerçait un pouvoir quasi-théocratique, l’Église réagit en mettant en place une juridiction d’exception : l’inquisition médiévale vouée à traquer à travers l’Europe ce qu’elle considérait comme des déviances religieuses.
L’inquisition médiévale ne nait pas ex nihilo, elle s’inspire grandement des précédentes répressions de ceux que l’Église définit comme hérétiques, c’est à dire de ceux qui sont dans l’erreur. Nous pouvons chercher ses origines déjà au IVe siècle avec le concile de Nicée lorsque furent condamnés les premiers dissidents. Il faut cependant attendre le concile de Tours, présidé par le pape Alexandre III en 1163 pour voir apparaître les véritables fondements de cette institution en donnant au juge l’initiative de la poursuite (sans qu’il existe de plainte).
À la suite, le pape Lucius III et l’empereur Frédéric Barberousse font de l’hérésie un crime de lèse-majesté, sa répression devenant un devoir. En 1199, le pape Innocent III assimile à son tour l’hérésie comme un crime de lèse-majesté, mais cette fois divine soustrayant de ce fait à l’Empereur le fait de pouvoir trancher en matière doctrinale. Innocent III pose alors les premières règles de la procédure inquisitoire, se substituant à la procédure accusatoire afin de traiter ce crime considéré hors-norme.
Une machine d’une redoutable efficacité
Leur jugement est sans appel alors que les accusés n’ont aucun moyen de défense et que les noms des témoins sont tenus secrets. Cependant l’idée n'est pas de faire un tribunal nécessairement répressif mais avant tout de continuer à débusquer les hérétiques pour les juger et surtout les ramener dans le credo romain.
En quelque cinquante ans, l'inquisition s'implanta totalement dans le sud de la France, quadrillant un territoire et menant des enquêtes. Elle ne tarda pas à se diffuser toujours avec efficacité à travers une partie de l’Europe. En effet, il faut comprendre que l’inquisition apparaît comme le rempart d'un système.Les tribunaux ecclésiastiques permettent à l'Église de défendre la foi, de garder le contrôle de la religion et du clergé mais également d'avoir une complicité avec les pouvoirs laïques notamment le roi de France jusqu'à en devenir un instrument de pouvoir (procès des Templiers).
Quant à ses méthodes d’enquête, elles se fondaient sur le droit romain soit un recours systématique à l’écrit. Tous les témoignages et les aveux étaient minutieusement enregistrés. En ce sens, l’inquisition constituait une mémoire écrite considérable amenant à un véritable fichage des populations dissidentes et utilisant des techniques d’archivages modernes avec des systèmes d’index et de renvois internes pour mieux recouper les informations. Et pour les collecter, les inquisiteurs quand ils ne partaient pas en tournée, convoquaient des populations entières et les faisaient comparaitre individuellement, le refus entrainant l’excommunication et donc la mise au ban de la société. Ils laissaient alors un « temps de grâce » où chacun pouvait venir confesser ses péchés et dénoncer des coupables supposés.
Avouer rapidement permettait de ne bénéficier que d’une peine infamante (port d’une croix jaune et/ou un pèlerinage) et d’échapper à la torture qui se manifestait souvent sous la forme de l’emprisonnement (mise au cachot) et aux peines les plus lourdes amenant également la confiscation des biens. Il convient de souligner que les réductions et communions de peine étaient une pratique fréquente surtout quand les aveux de l’accusé apparaissaient sincères.
Les hérétiques opiniâtres et les relaps (ceux qui retournent dans l’erreur et donc dans l’hérésie après s’être amendé), laissant l’Église impuissante, étaient remis à l’autorité séculière à qui revenait la charge de les conduire au bûcher. Cela n’était toutefois qu’une mesure exceptionnelle au delà des abus que le règlement pointilleux de l’inquisition ne permit pas d’éviter.
Apogée et déclin de l'Inquisition
Mais l’inquisition devient au final fortifiée de cette crise, la papauté ne réussissant pas à mieux les contrôler et la torture étant légalisée en 1256. L’institution était alors à son apogée mais sa toute puissance resta cependant éphémère. Dès le début du XIVe siècle la papauté parvint à reprendre les rênes sur sa terrible création suite aux différentes plaintes liées au zèle de quelques inquisiteurs. Clément V après s’être inquiété des conditions de détention imposa en 1312 aux inquisiteurs la collaboration avec les évêques dans leurs enquêtes. En 1321, c’est Jean XXII qui restreint leurs pouvoirs. Au XVe siècle, l’inquisition perdit de son indépendance mais également de son utilité face au développement et à la centralisation des institutions administratives et judicaires qui commencèrent à la supplanter et même à casser ses jugements.
Que retenir de l’action de l’Inquisition médiévale ? Nous ne pouvons mesurer avec précision son impact sur les hérésies mais nous pouvons considérer qu’elle joua un rôle important à défaut d’être déterminant. Si l’inquisition porta un grand coup en décimant les clergés des dissidences religieuses, ces dernières disparurent d’elles-mêmes avec le temps en raison d’autres causes notamment sociales amenant une défection générale de la part des populations alors qu’il leurs manquait le soutien des pouvoirs séculiers pour espérer une certaine pérennité.
A contrario ces pouvoirs séculiers s’eurent bien se servir de l’inquisition médiévale détournant à l’époque moderne cette justice ecclésiastique d’exception en une redoutable et impitoyable institution d’État sous la gouverne des rois très chrétiens d'Espagne. L'inquisition espagnole ne sera abolie qu'en 1834. Au vatican, l'inquisition cèdera la place au saint Office puis à la Congrégation pour la doctrine de la foi au XXe siècle.
Bibliographie
- Didier Le Fur, L'Inquisition. Le livre de poche, 2015.
- Jean-Louis Biget, Hérésie et inquisition dans le Midi de la France, Éditions Picard, Paris, 2007.
- Marie-France Schmidt, L'Inquisition. Que-sais-je, 2021.