Aux origines de Sparte
Il ne faut pas confondre les spartiates, les lacédémoniens et les laconiens. Le terme « laconien » est un terme géographique : la Laconie est la région de Sparte, le territoire et même le paysage de la cité spartiate. Les habitants de la Laconie sont les laconiens, c'est un terme assez vaste. Un noyau plus restreint est celui des lacédémoniens, mot d'origine très ancienne puisque le terme de lacédémone se trouve déjà chez Homère. C'est un mot qui désigne les combattants de la Laconie et donc les habitants de Sparte.
Ces lacédémoniens sont les spartiates qui combattent dans l'armée et comportent aussi les périèques (ces derniers ne sont pas citoyens de plein droit). Enfin, le noyau dur, ce sont les spartiates. Quelques milliers d'homme au début, il se rétrécit jusqu'à devenir une minorité.
Une cité grecque en expansion
Les spartiates ont rapidement étendu leur hégémonie sur la Laconie. Pour justifier cette conquête et ce droit d'asservir, ils ont créé des légendes qui sont liées à la geste des Héraclides, descendants d'Héraclès. Héraclès réussit à sauver le pouvoir du roi Tyndare qui était menacé par son frère. Héraclès aurait donc régné conjointement sur Sparte, raison pour laquelle les spartiates prétendront être des descendants d'Héraclès.
Les Héraclides quittent Sparte, sont chassés, et se réfugient dans le Péloponnèse. Le retour des Héraclides daterait du XIe siècle av J.-C. A l'époque classique, se répand la légende selon laquelle les rois de Sparte seraient Héraclides, tandis que le peuple provenait de l'invasion dorienne.
Au VIIe siècle, les Spartiates conquièrent après de nombreux combats et non sans difficulté le sud du Péloponnèse : les deux guerres de Messénie en particulier ont duré chacune une vingtaine d’années et ont eu des conséquences politiques nombreuses. De nombreux spartiates essaiment outre-mer et fondent parfois des colonies dans les Cyclades (Théra, Mélos), ou au sud de l’Italie (Tarente) ou s’installent dans d’autres cités en particulier en Crête.
Mais la puissance « continentale » de Sparte est assurée grâce à « la laborieuse annexion de la Messénie » qui permet à la cité de disposer des richesses foncières importantes à la base de sa prospérité.
Sparte, une monarchie ?
La constitution lacédémonienne (politéia) est extrêmement complexe puisqu'elle contient à la fois des éléments monarchiques, oligarchiques et des éléments démocratiques. C'est une constitution que les anciens qualifient de mixte à la différence d'Athènes qui est une constitution démocratique radicale. Aristote dans son ouvrage La politique décrit cette Constitution. Le terme de monarchie pour Sparte est impropre, car il sous-entend le pouvoir d'un seul monarque, alors qu'à Sparte il n'y a pas un seul roi mais plusieurs en permanence. Il faut parler d'une double royauté. Avec ses deux dynasties parallèles, l'organisation de Sparte est un cas unique dans toute la Grèce. Ces deux dynasties royales s'appellent les Agiades et les Eurypontides.
Au cours de l'histoire spartiate, on a des exemples de rivalités entre les deux rois quand l'un des deux montrait trop d'ambitions, en effet le deuxième était toujours là pour lui rappeler qu'il fallait partager le pouvoir. Les spartiates n'ont jamais supporté la tyrannie.
Organisation politique de la cité antique
Le principal organe politique considéré par Aristote comme instance aristocratique, c'est le Conseil des Gérontes : la Gérousia. Les Gérontes, ce sont les vieillards, au nombre de vingt-huit auxquels s'ajoutent les deux rois, ils sont donc trente. C'est un conseil aristocratique qui possède beaucoup de pouvoirs. Les conditions d'entrée sont assez restrictives. Il faut avoir soixante ans révolus. Il y a un aspect financier également : ce sont les plus riches qui sont choisis.
De plus, il y a une élection, ce qui est une désignation aristocratique. Un Géronte est élu à vie, il n'a aucun compte à rendre au peuple. En d'autres termes, les Gérontes ne craignent pratiquement rien, ce qui est différent d'Athènes où un magistrat doit participer à la réédition des comptes. Les Gérontes sont l'organe le plus corrompu selon Aristote. A l'origine, c'est un Tribunal : le Tribunal le plus important de Sparte qui juge les affaires de meurtres. La Gerousia possède aussi des pouvoirs politiques similaires à ceux de la Boulè.
Aux Ve et IVe siècles, la fonction probouleutique est transférée aux éphores. Ceci sans doute à cause de la corruption et du mode de vie Géronte. Les éphores prennent donc de plus en plus de pouvoir avec le collège des cinq éphores.
Non seulement ils jugent les affaires de droit civil mais ils veillent aussi au respect de l'ordre et des traditions, des mœurs. Ils deviennent une sorte de police politique chargée de surveiller, tel des espions, des citoyens, et de repérer les éventuels comploteurs contre le régime : en particulier les périèques et les ilotes. Ils sont également chargés de surveiller les gérontes et les rois. Ils ont les pouvoirs nécessaires pour instruire un procès contre un roi qui peut être jugé pour trahison. Certains rois furent condamnés à mort par les éphores.
L'assemblée, nommée Ekklèsia puis Apella a des pouvoirs à Sparte, mais les textes sont trop brefs sur l'étendue de ses pouvoirs. A l'origine ce sont les rois qui déclaraient la guerre, mais à partir de la guerre du Péloponnèse (431 au moins), c'est l'assemblée des homoioï (assemblée du peuple) qui déclare la guerre. Le peuple décide contre l'avis du roi.
L'éducation des jeunes spartiates
L’éducation des jeunes spartiates au sein de l’agôgè, repose sur la discipline, la vie à la dure et l’émulation permanente. Comme dans les autres cités grecques, l’éducation commence à l’âge de sept ans. Sparte se distingue sur la durée de formation. A Athènes par exemple, l’éducation prend fin entre douze et quatorze ans. A Sparte, elle peut durer jusqu’à vingt ans, et d’une certaine manière jusqu’à trente ans. A chaque « stade de formation », le spartiate atteint un nouveau « statut ». A trente ans, le spartiate est qualifié d’hébontes ou de néoi alors qu’à son entrée dans l’agôgè il n’est encore qu’un paidès. Il est encore sous l’autorité du pédonome et ne peut voyager à l’étranger.
Les enfants sont répartis par classes d’âge. Très tôt, le paidès doit obéir et avoir une bonne tenue. La discipline est de rigueur. Le fait qu’ils soient en permanence confrontés à des chefs respectés et non à des esclaves, renforce cette idée de respect. Chaque enfant est soumis à l’autorité de tout citoyen qui assiste à son entrainement. Le pédonome et le porteur de fouet peuvent infliger de nombreuses punitions au paidès, allant du châtiment corporel à la privation de nourriture.
L’éducation à la dure s’intensifie encore dès l’âge de douze ans, qui constitue une sorte d’étape au sein de l’agôgè. Xénophon critique ouvertement la mollesse des autres cités qui « attendrissent les pieds des enfants en leur donnant des sandales ». A Sparte, les paidés marchent pieds nus et disposent d’un seul manteau pour toute l’année. Ils ne reçoivent qu’une mince quantité de nourriture qu’ils doivent compléter par la rapine. On assiste à des « vols rituels », comme ceux des fromages. Mais comme tout rituel, il ne doit pas avoir lieu n’importe quand, sous peine de correction. Par le vol, on veut encourager l’esprit de guetteur et de chasseur du spartiate.
Mais cette vie collective dissimule aussi une féroce « concurrence » entre les jeunes. Chacun aspire à devenir le meilleur soldat et pourquoi pas devenir un des trois hippagrète, chefs de la garde royale composée de trois-cents hippeis. Xénophon encore, au sujet de cette compétition interne précise que « du fait de leur rivalité, ils jouent des poings partout où ils se rencontrent ». Mais les affrontements font aussi partie de l’agôgè et suivent une règle bien précise, où chaque citoyen a le droit de séparer les combattants.
En plus des liens que nouent entre eux les paidés, des relations se tissent avec des Spartiates plus âgés. On assiste alors à ce que l’on pourrait nommer la « pédérastie éducative ». Même si des philosophes comme Plutarque ou Elien assurent que les relations sexuelles avec de jeunes garçons étaient punies d’exil voire de mort, d’autres textes suggèrent que ce type de relation était non seulement pratiqué mais admis à Sparte. D’ailleurs Platon condamne dans les Lois « l’amour contre nature » pratiqué à Sparte. De toutes façons, ces relations pédérastiques jouaient un rôle éducatif majeur au sein de l’agôgè car elles incitaient à la substitution au modèle parental et favorisaient les rapprochements ainsi que l’entraide.
Sparte et Athènes, deux cités comparables
Athènes et Sparte sont deux États de cités dans lesquels les droits politiques sont strictement et intégralement réservés aux individus de sexe masculin qui ne sont plus des enfants au regard de la loi. Un enfant, dans l'Antiquité grecque, n'a aucun droit du point de vue juridique. Ce sont deux États qui ont en commun l'exclusion totale de la majorité des individus habitant le territoire, et pas seulement des métèques ou esclaves. Depuis l'époque archaïque, les femmes sont exclues.
On sait grâce à la découverte de plusieurs décrets politiques, qu'une femme était suffisamment riche pour payer la construction ou la réparation de certains bâtiments publics, notamment le Bouleutérion qui était le principal bâtiment (IIe s. avant J.-C.).
La femme n'y siègera cependant jamais. L'une des caractéristiques principales intrinsèque de toutes les cités grecques, c'est l'exclusion des femmes du domaine politique pendant toute l'Antiquité. Les enfants sont considérés à leur naissance comme des non-citoyens qui doivent franchir des étapes, avec un nombre d'années qui peut varier selon les cités (18-20 ans à Athènes et Sparte). Cet âge est un héritage de l'Antiquité, qui est une évidence aujourd'hui.L'exclusion des étrangers est totale, de tout droit politique, que ce soit à Athènes ou Sparte, aussi bien pour de la vie politique nationale (boulè, ekklésia) que locale (au niveau des dèmes, les démarques sont des magistrats locaux).
Les femmes de Sparte
La discrimination homme-femme s'étend largement dans le domaine juridique, dans ce qu'on appellerait aujourd'hui le droit pénal ou le droit civil. La principale inégalité concerne la propriété. En droit athénien, une femme n'est jamais propriétaire de la moindre chose. Elle n'est que l'intermédiaire, le maillon qui transmet une partie de la fortune de son père à ses garçons. Elle n'est que la dépositaire de cet héritage strictement masculin, d'où la création d'une catégorie juridique particulière de filles épiclères. Une situation pour l'essentielle semblable à Sparte (où les filles épiclères correspondent aux filles patrouchoi).
Du point de vue juridique, à Athènes comme à Sparte, la fille est une éternelle mineure. Avec une petite nuance …
Nous savons que dans certains pays dorien, en Crète, les femmes bénéficiaient d'une situation un peu différente. On le sait grâce à la découverte du code de Gortyne : un code de loi découvert par les archéologues, dans un alphabet archaïque. Ce code de Gortyne datant au moins du Ve siècle avant J.-C. nous renseigne sur le statut juridique des femmes. Dans cette cité dorienne (Gortyne), la femme doit hériter de la moitié des biens par rapport à son frère.
La plupart des historiens pensent que cette loi garantissait la sécurité financière de la fille, en évitant le père de les spolier par rapport à leur dote, sans pour autant leur comparer le statut de majeur. D'autres, moins nombreux, pensent que la femme n'est plus mineure dans cette cité. Hormis cette nuance apportée par le code de Gortyne, les femmes sont des éternelles mineures sur le point politique et juridique.
La citoyenneté spartiate
Pour être un spartiate, il faut être un fils légitime. La citoyenneté à Athènes, comme à Sparte, est fondée sur le droit du sang. Il faut être un homme adulte et avoir les bons parents. Le père et la mère, génétiquement, ont une ascendance (genos) autochtone. Aucune cité grecque n'a été régie par le droit du sol. Lysias est un métèque donné à Athènes ayant vécu vers 400 avant notre ère, et qui avait pour profession un logographe (avocat moderne). Il a consacré une grande partie de sa fortune héritée de son père, pour défendre la démocratie athénienne. Son argent a permis de financer la rébellion contre le régime des Trente. En récompense, un décret lui a donné la citoyenneté avant d'être cassé pour vice de forme. A Athènes comme à Sparte, le droit du sang est sans doute le résultat d'une évolution récente, c'est-à-dire d'une fermeture, dans une mentalité obsidionale.
Vraisemblablement, on peut y voir l'évolution des mentalités et le repli d'un corps civique sur lui-même. La citoyenneté devient un privilège à défendre. A partir du Ve siècle avant J.-C., la cité grecque n'a plus vocation à s'étendre, la citoyenneté doit rester dans les mains d'une minorité. C'est l'évolution inverse dans l'histoire romaine, où Rome absorbe les cités voisines.
Société et politique
Du point de vue politique, on constate dans les deux cités l'absence de caste politique entre les citoyens. La fonction de magistrat n'est jamais héréditaire, excepté pour les rois. C'est la disparition du principe dynastique. Pas de caste religieuse non plus, c'est-à-dire que ne seront prêtres (sauf exception) que des citoyens tirés au sort ou, semble-t-il, élus à Sparte. Le sujet est assez controversé. Cet égalitarisme contraste avec l’Égypte, l'Inde et le Proche-orient de cette époque. Il y a aussi une méfiance profonde envers les chefs. Les charges, dans les deux cités (exceptés les gérontes et les rois), sont annuelles.
C'est le cas pour toutes les magistratures athénienne, c'est le cas pour la principale des magistrature de l'état spartiate (les éphores). Cette méfiance envers les magistrats s'accompagne de leur possible mise en application : on fait des procès envers les magistrats dans les deux cités. A Sparte, les magistrats se contrôlent entre-eux, mais le principe revient au même : le magistrat n'a rien d'un tout-puissant. On est à l'opposé de ce que seront les monarchies médiévales et modernes. Cette méfiance envers les chefs n'est pas l'apanage de la démocratie : Sparte est une oligarchie. Elle est née avec les oligarchies, lorsque les rois homériques ont été remplacés par des conseils aristocratiques au sein desquels des familles se partageaient le pouvoir.
S'accompagne un éclatement et un équilibre des pouvoirs (montée en puissance des éphores). Pausanias écrit un pamphlet sur la montée en puissante des éphores. Dans ces deux cités, l'assemblée du peuple possède des pouvoirs considérables pendant l'époque archaïque classique et l'époque hellénistique : déclarations de guerre ou ratification de la paix, et vote des lois directement, ainsi que l'élection des principaux magistrats. De ce point de vue, Athènes, comme Sparte, sont des démocraties, comme la plupart des cités grecques.
L'émergence de Sparte sur la scène grecque
Sparte s’affirme de plus en plus sur la scène grecque. Elle défend ses intérêts en soutenant des régimes oligarchiques favorables à la cité et en nouant des alliances avec les cités voisines. La consolidation de sa puissance et la neutralisation des potentielles menaces sont les clés de sa diplomatie moins conquérante.
Cependant, grâce à sa puissance militaire, elle apparait de plus en plus comme un recours et un défenseur des intérêts grecs. La ligue du Péloponnèse établie vers 525 est une manifestation de cette politique extérieure.
Au tournant du VIe siècle, Cléomène Ier (520-488) a une politique extérieure plus ambitieuse. Sparte intervient plus volontiers hors du Péloponnèse comme à Athènes pour tenter de rétablir les Pisistratides mais aussi à Égine car ses habitants avaient accepté la domination perse. Cette dernière expédition se révèle un échec et conduit à la chute de Cléomène Ier. Mais des troubles à l’intérieur du Péloponnèse conduits par des Messéniens, Arcadiens et Argiens persistent. Sparte écrase Argos en 494.
Cependant, les troubles en Messénie persistent jusqu’aux années 460. Pour autant, Sparte, conscient des limites de sa puissance, refuse les expéditions lointaines. Après les refus des précédentes demandes d’aide de Platées en 579 ou de Samos en 516 contre un ennemi extérieur, Sparte accepte d’aider Athènes en 490 dans la première guerre médique bien qu’elle ne puisse pas intervenir militairement.
Guerre du Péloponèse et la chute de Sparte
Élevés dans un discipline austère, les spartiates devinrent une race de guerriers farouches et ascétiques, capables de se sacrifier par patriotisme, comme le montrèrent les trois cents héros morts aux Thermopyles durant les guerres médiques, mais incapables d'adopter un programme politique et économique sensé. La guerre du Péloponnèse qui éclata en 431 av. J.-C. porta à son paroxysme la rivalité entre Sparte et Athènes. Pendant plus de deux décennies, l'armée spartiate va affronter la redoutable thalassocratie athénienne.
Après la défaite d'Athènes en 404 av. J.-C., Sparte domina la Grèce. Mais son inflexibilité entraîna une nouvelle guerre au cours de laquelle Sparte est vaincue par les Thébains commandés par Épaminondas (371 av. J.-C.). La cité est dépouillée de sa puissance et de ses possessions territoriales, et ramenée à ses frontières originelles. Par la suite, Sparte devint une partie de la province romaine d'Achaïe et semble être redevenue prospère dans les premiers siècles de l'Empire romain. La cité elle-même fut détruite par les Goths commandés par Alaric Ier en 336 apr. J.-C.
La ville moderne de Sparte, fondée en 1834, occupe une partie du site de la cité antique et est la capitale du nome de Laconie. Des fouilles ont mis au jour les ruines de temples et d'édifices publics et celles d'un théâtre datant de la période romaine, mais les vestiges sont peu abondants et sans commune mesure avec le renom de la cité dans l'Antiquité.
Bibliographie
- Edmond Lévy, Sparte : Histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine. Points histoire 2003.
- Sparte, cité des arts, des armes et des lois, de Nicolas Richer. Perrin, 2018.
- Le monde grec antique. Hachette, 2018.