Le jardin médiéval urbain

Histoire Universelle | Moyen Age

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Si les sources iconographiques ne sont pas négligeables dans l'étude du jardin médiéval urbain, il s'agit en majorité d'images prestigieuses destinées à une élite, représentant des jardins princiers ou de personnes fortunées, comme l'illustration du Palais de l'île de la Cité et de ses jardins dans les Très Riches Heures du Duc de Berry. Pour une étude des jardins plus modestes détenus par la plupart des citadins, il est utile de se tourner vers les les sources textuelles ; comme le Ménagier de Paris, un texte narratif dans lequel est décrit un jardin parisien ; les documents d'archives mentionnant des jardins, les sources archéologiques, et de s'intéresser à la toponymie urbaine.

Jardins urbains et périurbains

Entre jardin intra-muros et jardins ruraux se situe une zone périphérique où s'implantent des jardins périurbains, en raison de la place disponible et de la nécessité d'une production alimentaire pour nourrir la population urbaine. Georges Duby qualifie ce phénomène d'« auréole de jardinage ». Dans certaines villes des quartiers périurbains sont même exclusivement dévolus aux jardins, c'est le cas à Perpignan avec le quartier de l'Horta, ou à Paris avec celui du Marais. Ces jardins périurbains sont naturellement plus nombreux que les véritables jardins intra-muros, mais ces derniers existent bel et bien dans le tissu urbain de grandes villes comme Paris.

La toponymie garde d'ailleurs la mémoire de ces quartiers jardinées, ainsi à Paris, il existait la rue des Rosiers présente dès 1230 dans les textes, la rue du Figuier dès 1300, ou encore la rue des Noyers bâtie vers 1215 à la place d'une allée de noyers. Au sein de la ville, plusieurs types de jardins sont à différencier. Dans les quartiers anciens, il s'agit le plus souvent de jardins appartenant à une élite cléricale ou laïque, détentrice d'hôtels particuliers. Les personnes de condition modeste sont propriétaires de jardins plus excentrés, voire hors des enceinte, le jardin n'étant pas toujours attenant à la résidence. Les faubourgs, quartiers résidentiels extra-muros mais à proximité immédiate de la ville, abritent également bon nombre de jardins..

Le jardin urbain, un phénomène cyclique

La présence des jardins urbains est dépendante de la population d'une ville est de l'élargissement de ses enceintes. En effet lors des périodes d'accroissement démographique, et particulièrement lors du pic du XIII e siècle, tout l'espace disponible intra-muros est dédié à loger la population, et les parcelles vierges sont bâties à cet effet. A contrario, lorsque la démographie décline, en raison des aléas propres au Moyen âge ; les guerres, les épidémies, ou la famine ; les maisons abandonnées tombent peu à peu en ruine, offrant un espace disponible où s'implantent des jardins.

Les agrandissements d'enceintes donnent lieu à l'apparition de jardins, les remparts offrant une certaine sécurité, puis ils sont progressivement rattrapés par le bâti urbain. En temps de paix des jardins éphémères peuvent aussi apparaître le long des fossés d'enceintes, attirés par la présence de l'eau et des terres limoneuses riches. Les jardins sont peu nombreux dans les villes de petite taille, où la zone périphérique est d'accès rapide, et ils persistent rarement dans l'enceinte primitive de villes plus importantes, où le tissu urbain est trop dense, comme à Toulouse, Rennes, ou Paris.

Aspect du jardin urbain

Le jardin médiéval se caractérise par sa géométrie et sa rigueur. Des planches ou aires de plantation s'organisent sur un plan orthonormé. Ces plate-bandes sont rehaussées à l'aide de plessis tressés, de carreaux, de planches ou encore de briques, pour assurer un meilleur drainage et limiter la prolifération de parasites. Les allées peuvent être dallées ou sablées.

Le jardin est délimité par une clôture primaire, à vocation défensive, car le jardin recèle des biens de valeurs marchandes, il peut s'agir d'une enceinte maçonnée, d'une haie vive ou de palis. A l'intérieur du jardin, les différents espaces sont compartimentés par des clôtures secondaires plus fragiles, tels que berceaux, plessis ou claies. Cependant un petit jardin inséré dans le tissu urbain n'a pas nécessairement de clôture primaire puisqu'il est déjà protégé par les murs mitoyens. Par ailleurs le site de Tourcoing a révélé la présence d'un simple clayonnage de bois destiné à séparer deux maisons, une clôture relativement peu défensive. Les véritables enceintes fortifiées sont présentes uniquement chez les plus fortunés, comme à l'hôtel de la petite Bretagne à Paris. Les structures destinées au divertissement du promeneur , telles que banquettes maçonnées ou tonnelles, semblent limitées aux jardins princiers, et de nobles, la plupart des jardins s'ornent de simples treilles ou de berceaux qui servent de support à la végétation.

Contrairement à nos jardins actuels, fleurs, légumes et simples sont mélangés, et particulièrement en contexte urbain où la superficie est limitée. On remarque une prédominance du chou et des « porées », qui sont les légumes verts tout confondu, ainsi que des herbes comme la menthe, la sauge, la sarriette ou la rue. Les fleurs sont représentées par le trio rose, lys et violette. Enfin la vigne est couramment cultivée dans le jardin urbain.
Les pots de fleurs sont fréquents en ville, et particulièrement à Paris, puisqu'ils sont assez nombreux pour donner naissance à certaines réglementations : en 1388 une ordonnance interdit de placer des pots aux rebords des fenêtre sur rue en raison du danger pour les passants. Et dans l'iconographie du Maître de Boucicaut à Paris on trouve beaucoup de pots de fleurs aux fenêtres. En ville ils sont aussi dans le jardin, pour permettre la mise en culture de semis, de plants à repiquer, ou de plantes qui doivent être mises à l'abri du soleil ou du froid.

L'approvisionnement en graines et en plants s'effectue par le commerce, l'auteur du Ménagier de Paris achète des violettes à la Porte de Paris, et dans les comptes de l'Hôtel Saint-Pol, en 1398, divers plants et bulbes sont achetés au Pont du Change. Le jardin urbain est amendé avec du compost domestique, ce qui permet par ailleurs l'évacuation des déchets.

La présence de l'eau est vitale pour les plantes, des puits sont creusés là où la nappe phréatique affleure, les plus modestes se le partagent, voire tout un quartier, mais les hôtels particuliers et les fondations religieuses qui disposent d'un vaste jardin ont généralement un puits privé. Des citernes maçonnées peuvent aussi être installées pour récolter l'eau de pluie. Les fontaines sont réservées à une élite et apparaissent très peu dans les sources hormis dans les jardins princiers.

Les différences qui opposent le jardin rural au jardin urbain découlent principalement de la surface disponible, car les jardins intra-muros sont de plus petite superficie. Ainsi les arbres sont moins présents, les bulbes alimentaires également, on s'épargne leur culture puisqu'ils sont disponibles à bas coût dans le commerce.

Un lieu de vie à part entière

Dans les villes médiévales surchargées comme Paris, le jardin est un lieu de vie à part entière où s'exercent des activités domestiques. Les fouilles archéologiques du faubourg Saint-Honoré ont révélé la présence de latrines et de cuisines dans les jardins des parcelles, ces activités à caractère salissant sont repoussées à l'extérieur de l'habitat et prennent naturellement place dans le jardin en ville. Cette fouille a également mis au jour bon nombre de fosses d'extraction et la fouille de la cours Napoléon du Louvre à permis la découverte d'une fosse à composte du XIV e siècle. Dans cette dernière la présence de restes porcins a prouvé l'existence d'un élevage, et des squelettes de porcs ont également été retrouvés dans les jardins du faubourg Saint-Honoré. De plus les sources d'archives et des éléments toponymiques démontrent la présence d'animaux dans le Paris médiéval, des « gélinières » (ou poulaillers) sont mentionnées dans les recensements, et il existe par exemple une rue du Vieux-colombier à Paris, qui tient son nom d'un colombier du XV e siècle bâti par les religieux de Saint Germain des Près. L'auteur du Ménagier de Paris élève des chardonnerets, des tourterelles et des rossignols dans son jardin.

C'est aussi dans le jardin que peuvent prendre place des activités professionnelles, ainsi la toponymie parisienne révèle un jardin des Poulies, qui portait ce nom en raison de l'outil homonyme qui s'y trouvait, destiné à la fabrication de draps. Le jardin peut aussi être un espace de stockage pour les commerçants. Certains particuliers obtiennent l'autorisation de revendre une partie de leur production, ce sont généralement les femmes qui sont chargées de cette activité, appelées ortalia ou herbatia, elles vendent herbes et légumes à la criée.

Les sites étudiés par le biais de l'archéologie présentent des aménagements et structures moins nobles que celles représentées dans l'iconographie. Les jardins comprenaient diverses fosses, destinées au compost, à l'extraction de matériaux, ou aux déchets non-dégradables. C'était aussi le lieu d'activités salissantes, réservées à l'extérieur, c'est pourquoi on y trouve les latrines et les cuisines. Par ailleurs une enceinte défensive n'est peut-être pas si importante dans la réalité, les clôtures délimitent l'espace et sont porteuses de végétaux, elles sont utilitaires mais n'ont pas forcément de fonction protectrice. En somme les aménagements et les structures du jardin semblent bien plus modestes et fonctionnels qu'esthétiques, même en contexte urbain.

Si l'esthétique du jardin est quelque peu remise en cause par ces constatations, cet espace n'en reste pas moins important, car il est un lieu de production alimentaire, végétale et carnée, d'évacuation des déchets domestiques, et semble constituer un microcosme à part entière capable de fonctionner en circuit fermé. Les animaux avaient apparemment leur place dans le jardin, avec tous les aspects fonctionnels et peu décoratifs qui les accompagnent : élevage porcin, gestion des excréments, fosse à purin etc. La présence d'une porcherie dans un jardin bouleverse l'image que l'on se fait du jardin médiéval, dans toute sa rigueur et sa géométrie, lieu spirituel de contemplation. Mais d'autres animaux pouvaient participer à la poésie du lieu, tels des oiseaux au chant agréable, comme en possède l'auteur du Ménagier, ils pouvaient être installés dans des cages ouvragées.

En ville c'est aussi dans le jardin que prennent place des activités artisanales ou liées au commerce, et une partie de la production maraîchère peut se transformer en marchandise. Lieu d'activités domestiques et professionnelles, le jardin urbain est finalement le pendant de la « maison polyvalente », un lieu de vie à part entière où s'exercent de multiples activités du quotidien.

Bibliographie

- Le Ménagier de Paris, transcrit par Jérôme Pichon, tome 2, Imp. de Crapelet, 1846
- « Chronique de fouilles médiévales, le site de Tourcoing », Archéologie médiévale, 1985
- Bonis Armelle, Krier Vincent et Trombetta Pierre-Jean, « Approche pluridisciplinaire d'un ensemble clos médiéval de la Cour Napoléon du Louvre : le fait 10 de la zone 20 », Nouvelles de l'Archéologie, no 31, Errance, 1998
- Van Ossel Paul, Brunet-Villatte Françoise, Ciezar Pablo et Coste Marie-Claire, « La croissance d'une ville : création et développement d'un quartier du faubourg Saint- Honoré », dans Les jardins du Carrousel, Paris : de la campagne à la ville, Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 1998
- Berty Adolphe, Topographie historique du vieux Paris, tome 1, Imprimerie Impériale, 1866
- Lazare Félix et Lazare Louis, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, F. Lazare, 1844

- Gesbert Élise, « Les jardins au Moyen Âge : du XI e au début du XIV e siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 2003

- Higounet-Nadal Arlette, « Les jardins urbains dans la France médiévale », dans Jardins et vergers en Europe occidentale (VIII e-XVIII e siècles), Flaran, n˚ 9, 1989

- Leguay Jean-Pierre, Terres urbaines: places, jardins et terres incultes dans la ville au Moyen Âge, Presses universitaires de Rennes, 2009

 

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