La conspiration des poudres
Le 26 octobre 1605, William Parker, 4e baron Monteagle, reçoit une lettre anonyme le pressant de ne pas se rendre à la cérémonie d’ouverture de la session parlementaire, qui doit se tenir au palais de Westminster, à Londres, le 5 novembre. Ne sachant trop comment interpréter cet avertissement, il confie le document à Robert Cecil, le secrétaire d’État en charge des questions de sécurité, ce dernier ne prévenant pas tout de suite le roi Jacques Ier d’Angleterre, qui chasse en province. Le 1er novembre, le monarque est informé du contenu de la lettre et une fouille en règle du Parlement a lieu, le 4 au soir, menant à l’arrestation de Guy Fawkes, présenté depuis comme l’artisan majeur de cet audacieux complot. Mais est-ce là toute la vérité ?
À l’aube, enfin, le criminel est conduit devant le roi.
Voici donc pour la version officielle des faits. Du moins pour l’une d’entre elles, car il existe deux récits divergents à propos du nombre et de la durée des fouilles des bâtiments. Ainsi, d’après un document archivé en ligne en 2008 sur le site officiel du Parlement du Royaume-Uni, il est écrit que Guy Fawkes n’aurait pas été arrêté dans la cave de la Chambre des Lords mais à l’extérieur de cette dernière. Nous comprenons mieux pourquoi, quelques lignes plus haut, il est indiqué : « Il n’y a aucun doute que Fawkes, bien que souvenu erronément comme le principal conspirateur, ne fut en fait qu’une dent mineure de l’engrenage ». Étonnant résumé du rôle joué par celui qui est censé avoir été désigné afin de mettre littéralement le feu aux poudres, dans la journée du 5 novembre 1605.
Détail fâcheux que ces déclarations contradictoires sur l’endroit précis où Guy Fawkes a été interpelé, car, du coup, qu’est-ce qui nous prouve que la lanterne du comploteur, encore récemment exposée à Oxford, à l’Ashmolean Museum, lui a vraiment appartenu ? Ne serait-ce pas plutôt un objet destiné à être montré au public, dans le but de renforcer l’une des versions d’un récit sur lequel tant d’avis autorisés divergent ?
Au service (secret) de Sa Majesté
Mais reparlons de Robert Cecil, dont le nom revient sans cesse dès que l’on évoque les coups tordus de l’État invisible anglais. En effet, cet homme discret semble au cœur, à la fois du Renseignement, ce qui est fort logique, et de complots contre la Couronne, ce qui l’est beaucoup moins, lorsque des conjurés font partie de sa propre famille, fusse par alliance. Ainsi, en 1603, il doit ordonner l’arrestation du frère de sa femme, Henry Brooke, 11e baron Cobham, qui est impliqué dans, non pas un mais deux complots : le Bye Plot, un projet de kidnapping du nouveau roi Jacques Ier d’Angleterre et des membres du Conseil privé, et le Main Plot, une tentative de coup d’État à laquelle aurait été aussi mêlé Walter Raleigh.
Or, ce dernier était une pièce maîtresse du réseau de contre-espionnage mis sur pied par Robert Devereux, et dont Anthony Bacon assurait la coordination à partir de la demeure de celui-ci. De plus, Raleigh, à l’instar de Devereux, rappelons-le, aurait été l’amant d’Élisabeth de Vere, la nièce de Robert Cecil, tandis qu’Anthony Bacon est son cousin germain.
La conspiration des poudres, une bien étrange conspiration
Est-il besoin de préciser que ces faits sont incohérents ? Comment un homme dont la sœur est mariée au secrétaire d’État en charge des questions de sécurité de la Couronne, qui plus est chef des services de renseignement, a-t-il pu prendre le risque de participer à un complot contre le pouvoir ? Et par quel miracle les autres conjurés ont-ils pu le suivre dans une telle aventure sans émettre la moindre objection, sans être traversés par le plus petit doute quant à sa loyauté envers la cause commune ? De deux choses l’une, ou il s’agit d’un imbécile, ou c’est un agent provocateur. Dans un cas ou l’autre, il est fort dangereux de l’associer à pareil projet. Qui se serait donc lancé là-dedans ?
Et pour ce qui est de Walter Raleigh, ce n’est pas mieux.
A-t-il réellement été emprisonné ? La question valant bien sûr aussi pour Brooke. En effet, au départ, la tour de Londres est une forteresse, dont la construction débuta sous Guillaume le Conquérant, après sa victoire à Hastings, en 1066, qui fit l’objet d’extensions ultérieures. Résidence royale, elle comprend un espace alloué à la détention d’ennemis de la Couronne, et c’est seulement sous les Tudor, entre 1485 et 1603, que ce complexe de 4,9 hectares, en ne comptant que la surface du château stricto sensu, perd son rôle résidentiel au profit d’une utilisation plus carcérale. Mais sans cesser pour autant de servir d’armurerie, de trésorerie et de ménagerie. Jusqu’à une époque récente, la forteresse abritait le Royal Mint, chargé de la frappe de la livre sterling, et y sont toujours conservés les joyaux de la Couronne.
D’ailleurs, pour la petite histoire, les détenus de haut rang qui y étaient enfermés pouvaient, comme dans n’importe quel château, améliorer leur ordinaire en achetant, par exemple, une meilleure nourriture au lieutenant de la tour. Ce n’est donc pas une prison, mais un palace.