Guillaume le Conquérant (1027-1087), le plus célèbre des ducs de Normandie, est devenu roi d'Angleterre après sa victoire à la bataille d'Hastings le 28 septembre 1066. Couronné à Londres le jour de Noël de la même année, il devient le fondateur de la première dynastie anglo-normande. Après avoir pacifié son nouveau royaume, Guillaume y introduit le système féodal et se révèle habile administrateur de son nouveau domaine. Une célèbre broderie longue de soixante-dix mètres, la "Tapisserie de Bayeux" racontera la fabuleuse épopée du Conquérant. Aussi bel ouvrage d'art qu'instrument primitif de communication politique, cette tapisserie garantira la postérité de cet arrière-arrière petit-fils de viking.
Les origines de Guillaume le Conquérant
Guillaume voit le jour en 1027 à Falaise. Son père Robert le Magnifique, duc de Normandie, a eu un moment d'égarement avec la fille d'un tanneur de Falaise, en dehors de son mariage, et un fils est né . Qu'importe, Robert épouse la mère de Guillaume, selon la tradition viking qui autorise la polygamie. Le père et le fils sont les descendants directs de Rollon, un illustre chef viking qui s'installa un beau jour en Normandie. Le jeune aristocrate normand issue d'une liaison illégitime devra déjouer bien des pièges avant d'accéder à la postérité.
En 1034, le duc Robert part en pèlerinage à Jérusalem. Avant de partir, il réunit à Fécamp tous les grands seigneurs normands et il leur demande de reconnaître Guillaume, son seul fils, comme son héritier. Le duc Robert parvient jusqu'à Jérusalem, mais il tombe malade sur le chemin du retour et meurt en juillet 1035 à Nicée. Guillaume devient alors duc de Normandie. Il est seulement âgé de 7 ou 8 ans.
L'anarchie gagne le duché de Normandie
C'est sans doute l'archevêque de Rouen Robert le Danois, l'oncle du duc, qui assure le gouvernement de la Normandie en l'absence de Robert le Magnifique, puis devient tuteur du jeune Guillaume à la mort de son père. Il est assisté dans cette tâche notamment par le sénéchal Osbern de Crépon dont le père Herfast était le frère de Gunnor, la concubine du duc Richard Ier et par Gilbert de Brionne, petit-fils de Richard Ier. L'archevêque décède le 1er mars 1037 ; Mauger, fils du duc Richard II et de sa concubine Papia, lui succède. Mais, il n'a pas l'autorité de son prédécesseur et très vite, les rivalités entre les grands seigneurs de Normandie se manifestent avec vigueur.
Ceux-ci, comtes, vicomtes et plus petits seigneurs, tenus d'une main de fer notamment par les duc Richard Ier et Richard II, profitent aussitôt de la vacance de l'autorité seigneuriale pour laisser libre cours à leur désir de puissance et rejeter les liens de féodalité qu'ils ont du mal à accepter. Les rivalités et les antagonismes entre les seigneurs normands, dont les statuts et les provenances sont assez hétéroclites (aux Scandinaves d'origine se sont joints au fil du temps des hommes émanant de toutes les régions, notamment des Bretons et des Angevins), éclatent en plein jour et l'absence de châtiment augmente rapidement leur audace. Chacun érige des mottes castrales, pour asseoir sa puissance et faciliter l'attaque de ses voisins.
Au temps des ducs Richard, ces violations de domicile à main armée (qui dans la loi scandinave s'appellent « Hamfara ») étaient aussitôt punies par le duc qui possédait l'exclusivité de la justice pour les atteintes graves à l'ordre public. Là, aucune punition n'émane du duc. En toute impunité, les vengeances succèdent aux vengeances.
La conspiration contre le duc Guillaume
En ces années 1042, le jeune duc Guillaume atteint ses quinze ans. La rébellion se meut alors en conspiration, visant à atteindre directement le jeune garçon et, pour la première fois, des griefs de bâtardise sont mentionnés. Jusqu'à présent, aucun des seigneurs proches de Guillaume n'avait relevé ce fait, les plus grands étant tous ou presque fils de frilla, ils ne pouvaient guère s'émouvoir outre mesure du fait qu'Herleue n'ait jamais été l'épouse chrétienne du duc Robert.
La conspiration est savamment ourdie et elle vise à remplacer le duc par Guy de Bourgogne ou de Brionne, petit-fils de par sa mère Adélaïde du duc Richard II. Fils du comte Renaud de Bourgogne, c'est un familier du duc Guillaume et il a été élevé avec lui. Après la mort de Gilbert de Brionne, il a reçu de Guillaume, les importants châteaux de Brionne et Vernon. Parmi les conjurés figurent également Raoul II Taisson, seigneur de Cinglais, un autre familier du duc, Grimout de Plessis qui est à la tête d'un domaine de 10 000 ha, Hamon de Creully dit le Dentu et les vicomtes Renouf de Bricquessart et Néel de Saint-Sauveur. Les hommes prêtent serment de « férir Guillaume ».
Ce que nous savons de ces événements provient essentiellement du Roman de Rou, écrit vers 1170, par Wace. Guillaume de Jumièges reste plus évasif, car lorsqu'il écrit en 1070, la plupart des instigateurs de ce complot sont rentrés en grâce auprès du duc. « Je les signalerais par leurs noms dans cet écrit, si je ne voulais prendre soin d'échapper à leur haine inexorable. Toutefois, je vous le dis à l'oreille, vous tous qui m'environnez, ce furent précisément ces mêmes hommes qui maintenant font profession d'être les plus fidèles, et que le duc a comblés des plus grands honneurs », écrit Guillaume de Jumièges.
Les conspirateurs ont pour projet de s'emparer de la personne du duc et de le tuer. En 1046, le duc, alors âgé de 19 ans, séjourne dans son château de Valognes et s'adonne à la chasse. Un soir, alors que le duc et ses proches sont couchés, Golet, le fou du duc, déboule dans la chambre de son maître. Il a entendu les conjurés annoncer qu'ils s'apprêtaient à s'en prendre à lui. Le duc, effrayé, se lève d'un bond. Sans prendre le temps de se chausser, il jette seulement sur lui une chape et il s'enfuit à cheval. Les conjurés se lancent à sa poursuite.
Dans sa fuite, Guillaume suit la route du grand Vey ; il passe par Montebourg, Turqueville et entre dans la baie de Veys de nuit à Brucheville alors que la mer est basse et les gués praticables. A Saint-Clément, après avoir franchi « dans une grande peur et une grande colère de nuit les gués de la Vire (Roman de Rou) », il entre dans l'église, se recueille et prie Dieu de lui permettre d'aller sain et sauf.
Puis, il reprend sa chevauchée, se dirigeant vers le nord, suivant un chemin à mi-distance entre la mer et Bayeux qu'il évite. Au matin, il parvient au village de Ryes. Il est fourbu ; son cheval est en sueur. Le seigneur Hubert de Ryes conduit le duc à son manoir, il donne un nouveau cheval à celui-ci et il ordonne à ses trois fils de l'escorter jusqu'à Falaise. Les quatre hommes s'élancent et Hubert se charge d'envoyer les poursuivants sur une fausse route.
La bataille de Val-ès-Dunes
Le duc Guillaume est parvenu saint et sauf en son château de Falaise. Il décide alors de faire appel à l'aide de son suzerain, le roi Henri Ier (1008, †1060). Le roi Henri n'est pas intervenu en faveur du duc lors des troubles qui ont secoué la Normandie ; il a même recueilli à sa cour quelques-uns des seigneurs normands chassés pour leur perfidie. Peut-être poussé par ceux-ci, il entreprend vers 1040 de récupérer à son compte le château de Tillières-sur-Avre qui fait peser une forte menace sur le domaine capétien. Ce château a été édifié par le roi Richard II sur la frontière de son état pour se protéger du comte de Blois.
Puis le comte de Blois a cédé Dreux et son territoire au roi et ainsi, le château de Tillières est devenu voisin du territoire capétien. Le roi, donc, lève des troupes, se présente devant le château et réclama au châtelain Gilbert Crespin de lui remettre la forteresse. Crespin, proche de Robert le Magnifique, familier de la cour ducale, refuse. Mais Raoul Gacé et le duc Guillaume, ayant obtenu du roi la promesse qu'il détruirait la forteresse et ne la ferait pas reconstruire pour son compte, lui somment d'obéir. Gilbert cède ; le roi incendie le château, puis il entre en Normandie, pille Argentan, revient à Tillières. Là, il fait restaurer le château et malgré sa promesse, y installe une garnison.
Néanmoins, en 1047, Henri ne refuse pas son soutien. Sans doute n'a-t-il aucun intérêt à un affaiblissement de la Normandie qui pourrait jouer en faveur des comtes de Blois et de Chartres dont les domaines prennent en tenaille les terres capétiennes. A l'été 1047, les troupes du roi Henri Ier parviennent aux alentours de Caen, au bord de la rivière la Muance. Le roi assiste à la messe célébrée dans l'église Saint-Brice de Valmeray. Ce même matin, les troupes du duc Guillaume rejoignent celles du roi. Les rebelles, quant à eux, sont réunis à une lieue de là.
Les troupes s'avancent de part et d'autre et se rencontrent à mi-chemin de leur départ respectif, aux environs du village de Billy, dans un lieu alors nommé Val-ès-Dunes. Parmi, les conjurés, Raoul II Taisson hésite. Ses chevaliers l'incitent à revenir sur sa parole de « férir le duc Guillaume » et à ne pas aller plus avant dans la trahison. Alors que le combat va commencer, il ordonne à ses hommes de ne pas bouger et galope jusqu'au duc.
Arrivé près de lui, il le frappe de son gant et s'écrie en riant: « Je m'acquitte de ce que j'ai juré. J'ai juré que je vous frapperais dès que je vous trouverais. C'est pour m'acquitter de mon serment dont je ne veux pas me parjurer, que je vous ai frappé. Mais ne vous inquiétez pas : je n'agis pas ainsi poussé par la félonie ! (Roman de Rou) ». Le duc le remercie ; Raoul Taisson rejoint ses hommes et ses troupes se retirent.
Le combat s'engage. Le roi Henri Ier est désarçonné par un fantassin de Néel de Saint-Sauveur et il ne doit sa vie qu'à la qualité de son haubert qui empêche la lance de le transpercer. Hamon Dentu est tué ; le duc Guillaume réalise des prouesses de bravoure. Alors, le combat tourne à son avantage. Renouf de Briquessart s'enfuit ; les rebelles tournent bride et nombre se noient en traversant l'Orne au gué d'Athis tant la bousculade est grande.
Le rétablissement de la paix dans le duché
La victoire du duc arrête bientôt la vague d'insubordination qui secouait le duché depuis de longues années. L'autorité du duc n'est plus contestée. Les rebelles sont châtiés. Ainsi, Grimoult de Plessis est arrêté avant d'avoir pu rejoindre sa forteresse ; il est emprisonné à Rouen, les fers aux pieds, et est retrouvé mort le jour même. Néel de Saint-Sauveur est privé de ses fiefs ; banni, il se réfugie en Bretagne. Quant à Guy de Bourgogne, il parvient à s'enfermer dans son château de Brionne. Le duc Guillaume vient l'assiéger, sans chercher à prendre la forteresse qui est inexpugnable. Trois années passent ; Guy se rend alors que le duc lui offre son pardon en échange de la destruction du château. Mais Guy de Brionne préfère quitter la Normandie et retourner dans sa Bourgogne natale.
En 1047, le duc, épaulé par ses proches parents l'archevêque Mauger et Nicolas abbé de Saint-Ouen, convoque un concile de la Paix et de la Trêve de Dieu, dans la ville nouvelle de Caen, à deux lieux tout au plus du champ de bataille de Val-ès-Dunes. L'assemblée réunit des évêques, des clercs et des moines ainsi que les seigneurs de Normandie. Toute violence est interdite du mercredi soir au lundi matin ainsi que durant les grandes fêtes religieuses.
Seul le duc peut lever son armée durant ces périodes. L'excommunication et l'exil sont les châtiments encourus en cas de non-respect de cette trêve. Les « inermes », c'est-à-dire les personnes sans défense, femmes clercs et enfants, sont déclarés hors d'atteinte. Les vassaux de Guillaume jurent sur les reliques de saint Ouen apportées pour l'occasion depuis Rouen de respecter la Paix de Dieu. Ainsi, le duc peut-il espérer contrôler les désordres liés aux guerres privées et, en imposant la Paix de Dieu, lutter contre les coutumes encore tenaces de « hamfara » et de vengeances privées.
Cependant, des désordres persistent. Ainsi, en 1048, Yves de Bellême, seigneur de Bellême et évêque de Sées, combat des ennemis de sa famille qui se retranche dans sa propre cathédrale. Nullement impressionné, Yves de Bellême met le feu à sa propre église afin de les déloger ! En 1049, Guillaume reçoit l'hommage de l'ensemble de ses seigneurs. Il est désormais secondé par son demi-frère Odon à qui il a donné le siège épiscopal de Bayeux...
La puissance de Guillaume égale désormais celle du roi de France, et la rivalité s'installe rapidement entre les deux hommes. Heureusement pour le capétien, l'attention de Guillaume est détournée en 1066 outre manche. Le roi d'Angleterre Édouard le confesseur, un parent de Guillaume, meurt sans descendance directe. Or, Édouard avait promis sa couronne à Guillaume quelques années auparavant. Ce dernier fait valoir ses droits qui sont aussitôt contestés par un aristocrate local, Harold, qui s'empare du trône avec l'aval du vieux parlement anglo-saxon.
A la conquête du royaume d'Angleterre
Le normand n'a pas l'intention de se laisser faire. Retrouvant les airs guerriers et l'esprit de conquête de ses ancêtres vikings, il embarque fin septembre 1066 avec son armée sur des... drakkars et traverse la manche pour récupérer manu militari son dû. Harold, qui vient de repousser une énième invasion venue de Scandinavie, accourt à la rencontre du duc de Normandie.
C'est la bataille d' Hastings, le 14 octobre 1066, longtemps indécise avant de tourner à l'avantage des normands, Harold y perdant la vie. Guillaume triomphant, et en route pour Londres y gagne le surnom de "Conquérant". Bien que plus flatteur que le surnom de bâtard, le désormais souverain d'Angleterre réfutera obstinément le titre de conquérant, s'estimant héritier légitime et non un envahisseur ou un usurpateur. Viking mais pas trop.
On considère que 1066 est une date fondatrice pour l'Angleterre en tant que nation et puissance européenne. Longtemps isolé du reste de l'Europe, malmené par des siècles de guerres civiles et d'invasions, le royaume d'Angleterre se transforme radicalement sous la houlette du nouveau roi. L'ile désormais sécurisée par de nombreux châteaux forts construits sous son règne, dont la tour de Londres, Guillaume s'attelle à asseoir son autorité et renforcer l'autorité royale.
Après être venu à bout de la résistance de la vieille aristocratie anglo-saxonne, il va peu à peu les remplacer par des normands acquis à sa cause. En 1070, la conquête normande est achevée. Deux ans plus tard, Guillaume envahit l'Écosse et impose au roi Malcolm III Canmore de lui rendre hommage.
Guillaume le Conquérant, habile aministrateur
Important la législation normande qu'il fusionne avec les anciennes pratiques locales, il impose un recensement des biens et des personnes, le "domesday book", qui fixe les droits et les devoirs de chacun. Il a emporté avec lui la langue (presque) française qui a donné naissance à la langue anglaise contemporaine (la monarchie anglaise a encore pour devise en français "Dieu et mon droit"). Par ailleurs, il démembre les grands comtés qui bénéficiaient d'une quasi-indépendance sous ses prédécesseurs, et distribue les terres confisquées à ses fidèles serviteurs normands. Un puissant royaume est né, avec à sa tête un normand et son conjoint, la reine Mathilde.
Guillaume introduit le système féodal en vigueur sur le continent. Par le serment de Salisbury (1086), tous les seigneurs lui jurent fidélité, consacrant ainsi le principe de l'allégeance directe de chaque seigneur à la puissance royale. Les seigneurs doivent reconnaître la compétence juridictionnelle des tribunaux locaux que Guillaume Ier maintient en place avec de nombreuses autres institutions anglo-saxonnes. Les tribunaux ecclésiastiques et séculiers sont séparés et le pouvoir pontifical sur les affaires de l'Angleterre est fortement limité.
Il n'y a pas qu'une langue et une législation que Guillaume a emporté dans ses drakkars en franchissant la Manche. Toujours suzerain d'un morceau de France, il est venu aussi avec une rivalité tenace qui l'oppose au roi de France au sujet de son duché de Normandie. À partir de 1075, Guillaume Ier le Conquérant doit faire face à une révolte en Normandie, fomentée par son fils aîné Robert Courteheuse, fort du soutien du nouveau roi Philippe Ier de France. Guillaume se rend alors fréquemment sur le continent afin de leur livrer bataille. En 1087, Guillaume riposte au pillage d’Évreux par l’incendie de la ville de Mantes (aujourd'hui Mantes-la-Jolie).
Victime d'une chute de cheval, Guillaume le Conquérant meurt à Rouen où il a été transporté le 9 septembre 1087. Il est enseveli à Caen, dans l’abbatiale Saint-Étienne. Son fils Guillaume II lui succède à la tête de son immense domaine.
Bibliographie
- François Neveux, Claire Ruelle, Guillaume le Conquérant, le bâtard qui s'empara de l'Angleterre, Editions Ouest France, 2020.
- Guillaume le Conquérant, de David Bates. Flammarion, 2022.
- Guillaume le Conquérant, de Paul Zumthor. Point Histoire, 2004.